L'Histoire en bulles n°6 : Médicis - Tome 1
Ah les Médicis… vous connaissez très probablement le nom de cette puissante famille italienne de la Renaissance qui a « régné » sur Florence durant près de trois siècles. Si cette dynastie de banquiers est principalement célèbre pour son mécénat, de nombreuses autres facettes la caractérisent évidemment.
Nous allons nous intéresser aux Médicis grâce à la série de bandes dessinées qui leur est dédiée, nommée - très originalement - Médicis. Composée de quatre tomes, cette série consacre chacun d’eux à un des grands noms de la dynastie Médicis.
Cette série (ou en tout cas son premier tome, n’ayant pas encore lu les suivants) a l’originalité de faire de Florence le narrateur de l’histoire. Même si c’est quelque peu déstabilisant au début, on s’y habitue rapidement et ça en fait un point fort de la série, mettant très bien en évidence le lien entre les Médicis et Florence.
On va commencer aujourd'hui avec le fondateur symbolique de la famille, celui qui en pose les bases, que ce soit au niveau de la puissance, du pouvoir ou de la richesse. Je veux parler de Cosme de Médicis, appelé aussi Cosme l’Ancien (et qui peut également voir son nom dérivé en Côme ou Cosimo selon les langues et les usages).
Le premier tome de la série, Médicis, Cosme l’Ancien, De la boue au marbre, lui est justement dédié. Comme les autres albums de la série, le scénario est pris en charge par Olivier Péru, tandis que Giovanni Lorusso assure le dessin. Ce premier tome est paru début 2017 aux éditions Soleil – eh oui, je vous choie avec des petites « nouveautés ». On va se servir de cet album pour parler de la situation religieuse du moment, et bien sûr de Cosme lui-même.
Cosme l’Ancien
L’histoire débute en 1407, à Florence, alors que Cosme a 18 ans. À cette époque, c’est encore son père, Jean de Médicis, qui gère les affaires familiales.
Ce dernier justement est le véritable fondateur de la dynastie des Médicis, même si on lui accorde moins d’importance qu’à son fils. C’est lui qui crée la banque familiale en 1397 et qui prépare la richesse qui servira les desseins de son fils Cosme.
Cosme à cheval discutant avec son principal opposant : Rinaldo Albizzi, futur chef de la famille Albizzi, au pouvoir à Florence jusqu’en 1434.
Au début de ce XVe siècle, Cosme parcourt l’Europe au compte de son père, inspectant les filiales de la banque. La BD fait rapidement ressortir un des traits caractéristiques de Cosme : son éducation humaniste ainsi que sa propension future au mécénat. Dans la case ci-contre, il ramène justement des livres de ses voyages. Il fondera notamment plus tard des bibliothèques.
Cosme en discussion avec Filippo Brunelleschi, architecte, peintre, sculpteur et orfèvre des plus connus.
On retrouve ici une autre illustration de la relation privilégiée de Cosme avec les arts, et plus particulièrement l’architecture dans ce cas précis, avec Brunelleschi. On retrouvera ce dernier un peu plus loin dans l’histoire.
On peut cependant déjà en dire que c’est un artiste renommé de son époque, principalement caractérisé par son esprit novateur, sur lequel on reviendra. Puisant son inspiration dans les modèles antiques, cela fait de lui une figure emblématique de l’artiste du Quattrocento (le XVe siècle italien).
On retrouve ici Cosme deux ans plus tard, en 1409, en pleines discussions d’affaires « honnêtes »...
Les cases suivantes mettent en avant l’esprit calculateur et la volonté de pouvoir de Cosme. En effet, en échange de faveurs financières, ce dernier parvient à en obtenir des politiques. Nous reparlerons dans un prochain numéro des institutions de la ville à l’époque, mais on en a déjà ici un aspect de sa corruption.
Contrairement à son père, qui était « simplement » un homme d’affaires et un banquier, Cosme avait de plus grandes ambitions de pouvoir ; il ne désirait pas simplement être riche, il voulait gouverner Florence.
Après un petit saut dans le temps, on peut voir Cosme en compagnie de Brunelleschi, devant le chantier du dôme de la cathédrale, commençant justement en cette année 1420.
On ne va pas revenir sur l’aide financière octroyée par Cosme, mais sur la construction de ce dôme et l’utilisation de la perspective. En effet, comme dit dans les bulles, Brunelleschi gagne le concours lancé en 1418 pour décider de l’architecte du dôme de la cathédrale.
Ce dôme justement représentait des difficultés extraordinaires, que des techniques traditionnelles ne pouvaient résoudre. Brunelleschi parvient à trouver la solution, étant ainsi un des premiers à promouvoir la perspective conique – quand je vous disais qu’il était innovateur.
La construction de ce dôme, projet faramineux, permet à Florence de se distinguer de ses rivales et d’exposer publiquement sa puissance et sa richesse. En ce début de XVe siècle, la fortune des Médicis continue à grandir et à s’afficher publiquement : ouverture de filiales un peu partout en Europe, financement des arts, etc.
Avant de faire un nouveau saut dans le temps, la BD mentionne la mort du père de Cosme, Jean de Médicis, en 1414... C’est là une erreur conséquente, et étonnante au vu de la précision historique du reste de l’album. En effet, Jean ne meurt en réalité qu’en 1429. Bref, passons, errare humanum est...
On retrouve donc Cosme en 1433, alors chef de la famille Médicis depuis la mort de son père. Cosme semble alors au sommet de sa richesse, et est bien établi à Florence... Il devient peut-être justement trop puissant, étant donné que cette année-là, un complot ourdi par son grand rival Rinaldo Albizzi l’accuse du crime de concussion.
Sans rentrer dans les détails de l’affaire, Cosme est emprisonné mais parvient grâce à des pots-de-vin à commuer sa peine de mort en exil de dix ans. Comme quoi, la corruption, ça marche dans les deux sens ! Cette affaire est très bien retranscrite dans la BD ; si elle vous intéresse plus en détail, lisez donc cet album.
Ainsi, cette même année, Cosme part en exil avec sa famille à Venise, où il déploie ses fastes afin de faire regretter sa présence à Florence. Afin d’être sûr d’être regretté, il exige également que tous les débiteurs des Médicis à Florence remboursent leurs dettes immédiatement.
Cela a pour effet de paralyser l’économie de la ville, l’argent des Médicis n’y circulant plus. On peut notamment citer l’arrêt de la construction du dôme de la cathédrale florentine, en 1434, mais ce n’est là qu’un exemple parmi de nombreux autres.
De plus, ce n’est pas seulement les puissants qui pâtissent de cette décision, mais également les gens du peuple. Ainsi, le retour des Médicis à Florence est rapidement souhaité par l’ensemble (ou presque) de la ville.
Grâce à des énormes montants, les Médicis parviennent à faire élire gonfalonier de justice un de leur partisan. Ce titre faisait de la personne choisie le chef de la République florentine pour deux mois...
Ces deux mois sont bien mis à profit, car le gonfalonier « décide » de briser l’exil de Cosme, et celui-ci revient à Florence après seulement un an d’exil (alors qu’au départ il était censé être purement et simplement exécuté !).
Les Albizzi sont quant à eux chassés de Florence et envoyés en exil définitif. Dès son retour, en 1434 donc, Cosme tire les ficelles dans l’ombre et fait exiler ou exécuter ses opposants. Il place des hommes de confiance au pouvoir et devient donc le véritable maître de Florence (même s’il ne s’affiche pas directement en tant que tel).
Sa fortune quant à elle a continué de grandir, faisant de Cosme un des hommes les plus riches du moment en Europe !
Ainsi, Cosme est passé en quelques décennies du statut de « simple banquier » (même si un des plus riches de Florence tout de même) à celui de maître incontesté de la ville, tout en restant dans l’ombre afin de s’éviter les foudres du peuple.
La situation religieuse de l’époque
Je vous rassure tout de suite, on ne va pas se mettre à parler de la liturgie au XVe siècle ou à la traduction exacte du notre père tel que prononcé à l’époque...; non, nous allons plus parler ici de l’aspect politique de la chrétienté de l’époque, et je vous garantis qu’il y a de quoi s’amuser !
Pour commencer, il faut bien faire attention à ne pas reporter la situation actuelle de la chrétienté dans le passé ; à l’époque, il y avait de véritables enjeux politiques et la religion avait un poids considérable. De plus, les charges de cardinal et autres pouvaient bien souvent être achetées.
Cela se retrouve rapidement dans l’album, avec un ami de la famille Médicis : le cardinal Cossa, justement aidé par l’argent des banques Médicis.
On ne va pas s’attarder sur le personnage, mais on peut difficilement en dire qu’il était un homme très pieux – il a d’abord été corsaire, c'est-à-dire un « pirate légal », pour simplifier… C’est dire !
En 1410, le cardinal Cossa est choisi par le Concile de Pise pour succéder au précédent pape, Alexandre V. Il prend alors le nom de Jean XXIII.
Même s’il sera déposé en 1415 pour trois fois rien (on ne l’accuse que d’être « simoniaque, impudique, empoisonneur et dissipateur des biens de l’Église »), il permettra aux Médicis d’avoir des contrats avec des puissants et ainsi de s’enrichir encore plus. En effet, être le banquier du pape pouvait se révéler être une véritable aubaine à l’époque !
Je reviens sur la phrase de Cosme dans la deuxième bulle, qui a dû en intriguer plus d’un : « Il reste tout de même un pape à Rome et un autre à Avignon »... Eh non, l’on ne parle pas de papes de la gastronomie, mais bien de papes au sens religieux.
Ainsi, il est fait référence dans ces cases (et tout l’album par ailleurs) au Grand Schisme d’Occident. Cette crise frappe le catholicisme durant une quarantaine d’années, de 1378 à 1417.
Pour résumer les faits rapidement, on peut dire qu’en cette époque de Moyen Âge tardif, les nouveaux états modernes commencent à se créer et à prendre une importance accrue au point de vue politique. Cela se traduit également dans l’aspect religieux. Ainsi, en 1309, le pape Clément V décide de quitter Rome pour s’installer à Avignon.
Dès lors, le clergé français (et donc également le roi de France) a une grande influence sur le gouvernement de l’Église. Grégoire XI retourne à Rome en 1377, puis meurt l’année suivante.
C’est justement la question de son successeur qui est à la base du schisme. Urbain VI est ainsi élu pape, avec la volonté de Rome d’avoir un pape italien (et le pouvoir que ça implique, bien évidemment).
Urbain VI a un comportement exécrable avec les cardinaux français, ce qui a le don d’exaspérer ces derniers. Ainsi, ils se réunissent fin 1378 pour élire Clément VII, qui s’installe à Avignon. Deux papes dirigent donc l’Église simultanément. On pourrait croire que le pire est arrivé...
...et pourtant, ce n’est pas fini ! En effet, dans la BD, l’on parle bien de trois papes : ceux de Rome et d’Avignon en plus de Jean XXIII (l’ancien cardinal Cossa, ami des Médicis donc). En 1409, le concile de Pise décide de mettre fin au conflit, en destituant les papes de Rome et d’Avignon, et en nommant Alexandre V à la place. Ce dernier mourant en 1410, c’est notre ami Jean XXIII qui le remplace.
Ce concile voulait mettre fin au conflit... Que nenni ! Au contraire, il empire les choses, étant donné que maintenant, ce sont trois papes qui coexistent, chacun se déclarant le seul vrai pape...
La crise se termine en 1417, avec le concile de Constance convoqué par Jean XXIII. Martin V est alors élu pape, et la chrétienté est finalement réunifiée.
Dans la case ci-contre, outre l’évidente allusion au schisme, on peut comprendre l’importance pour les Médicis d’être les alliés du pape : ce dernier disposant d’un fort pouvoir à l’époque, il avait besoin de grandes sommes d’argent, et donc de banquiers pour le lui fournir.
Dans la suite de l’album, on a d’autres références aux liens entre les Médicis et la papauté, et notamment l’annulation de l’exil de Cosme, apparemment encouragée par le pape du moment : Eugène IV.
Il me paraissait important de traiter de cette question religieuse (qui est en fait, on le voit, bien plus politique que spirituelle à l’époque), étant donné l’importance qu’elle a revêtue pour les Médicis, ce qui se ressent tout au long de l’album.
Conclusion
Je ne me suis pas attaché ici à citer chacun des détails historiques qui apparaissent dans cette bande dessinée, mais je peux vous garantir qu’ils sont très nombreux !
Les grands traits des Médicis sont mis en évidence au fil de l’histoire, comme par exemple l’esprit particulièrement calculateur et pragmatique de Cosme, mais également sa grande propension au mécénat.
Cette bande dessinée nous permet donc d’en apprendre beaucoup sur un personnage, en une cinquantaine de pages seulement, ce qui représente un petit exploit. De plus, les faits étant présentés par des images, on est à même de se les représenter bien plus concrètement et efficacement qu’avec des moyens traditionnels.
S’il est bien évident que la lecture seule de cette BD ne suffira pas à connaître les moindres détails de la vie de Cosme de Médicis, cela permet tout de même d'acquérir des connaissances de base sur le sujet, et ce de manière ludique.
Étant donné que l’on s’est attardé dans ce numéro à la situation religieuse de l’époque, avec le schisme de 1378, on s’intéressera plus en détail au contexte politique et à la situation à Florence du temps des Médicis dans l’analyse du deuxième album de la série. En attendant, n'hésitez pas à replonger dans les BDs, l'Histoire s'y trouve à chaque coin de bulle !
- Bat'Histor, Contributeur
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