Info sur le jeu |
PlateformePc Windows |
ÉditeurSEGA |
DéveloppeurCreative Assembly |
Date de sortieOCtobre 2023 |
Total War : Pharaoh
Il paraît que l'Histoire est un éternel recommencement. Je ne sais plus exactement qui a dit ça, Thucydide, Napoléon ou bien Nabilla, mais l'Histoire -et malheureusement, l'actualité- nous rappelle régulièrement que cette maxime est vraie surtout en ce qui concerne le Proche-Orient, qui concentre depuis 5000 ans toutes les passions, les haines et les convoitises. Et si vous ne savez pas très bien pourquoi, eh bien le dernier-né de Creative Assembly va vous le rappeler.
La trilogie des Warhammer est (enfin) achevée ; il était l'heure pour Total War de revenir à quelque chose de plus historique. Et les britanniques de Creative Assembly aimant être là où on ne les attend pas, ils ont décidé d'ignorer les pavés qu'on jetait régulièrement à travers leurs carreaux pour réclamer à cor et à cri un Medieval III ou un Total War : Renaissance.
Rembobinons donc jusqu'au tournant du XIIème siècle avant l'ère commune : première puissance du monde, l'Égypte est au pinacle de sa gloire et de son rayonnement, sous la direction de Ramsès II, qu'on ne présente plus. Le tout-puissant pharaon d'Égypte a pacifié son pays, ramené la paix civile, maté les tribus rebelles, couvert le Double Pays de monuments imposants, ramené la prospérité économique. En prime, il aurait même infligé une défaite aux envahisseurs hittites à Qadesh, en - 1274 ! Bon, certes, en fait la bataille en question, particulièrement mal engagée, s'est plutôt conclue sur un match nul. Mais comme des négociations de paix fructueuses ont été menées avec le redoutable Muwatalli II du Hatti, les deux empires sont réconciliés, cela revient donc au même.
Vous vous dites donc : « bon, alors tout va bien, où est l'intérêt pour un nouveau Total War ?! ».
Eh bien parce qu'en réalité, quelques petites décennies plus tard, tout va mal : Ramsès II est enfin mort de vieillesse à 91 ans, mais son règne a été beaucoup, mais alors beaucoup trop long. Ce qui fait que son successeur désigné, Mérenptah, est déjà particulièrement âgé lorsqu'il monte sur le trône, ce qui est toujours mauvais signe pour assurer la stabilité du royaume ; et que par-dessus le marché, ses rivaux sont très nombreux, Ramsès II ayant eu la mauvaise idée de multiplier les concubines, et donc les fils plus ou moins légitimes !
Et cela ne va pas mieux chez les voisins du nord : l'empire Hittite est en train d'imploser, la faute à une décentralisation du pouvoir qui laisse trop de place à des puissances périphériques sabotant le pouvoir royal, et à la pression des envahisseurs proto-grecs à l'ouest et assyriens à l'est, ce qui conduit droit à une guerre civile acharnée entre Suppiluliuma II et Kurunta.
Entre les deux, on trouve la côte du Levant, où on s'entretuait déjà de bon cœur à l'époque, à moins que la région ne soit tenue d'une main de fer entre protectorats égyptiens et roitelets locaux, pour forcer ce fragile château de cartes à tenir debout tant bien que mal.
La situation est donc déjà explosive au début de la partie, en 1205 avant l'ère commune, et tous les protagonistes ont une bonne raison de dégainer ; mais ce château de carte va être percuté par une boule de bowling, car au bout de quelques tours, on vous annonce le retour des célèbres Peuples de la Mer : un vaste ensemble de Shardanes, de Shekeleshs, de Phrygiens, de Lukkas, de Wesheshs et tant d'autres; en fait des populations qu'on pense aujourd'hui chassées des Balkans et du monde grec par des conflits et des changements climatiques, et qui se sont mises à tout saccager sur leur passage. De son temps, Ramsès II avait victorieusement affronté leurs premières vagues, mais ils n'ont pas renoncé et se relancent à l'attaque dans chaque partie, selon un rythme variable et avec un impact plus ou moins grave en fonction de leur force armée, vous obligeant à conserver des forces prêtes à défendre les côtes si vous avez choisi une faction de départ qui en est proche.
Rétrospectivement, bien mal m'en a pris de choisir le parti de Ramsès, futur Ramsès III. Car étant à la tête des forces égyptiennes du Sinaï, sa faction se retrouve en plein milieu des territoires qui vont être rapidement attaqués par les nouveaux arrivants. De plus, si le Sinaï est riche de ses mines d'or et de cuivre, il est en revanche terriblement aride et n'offre au recrutement que quelques miliciens tribaux peu et mal armés. Mais après tout, Total War : Pharaoh ne cesse de me répéter que Ramsès a les dents longues et qu'il est béni par Râ ; et d'ailleurs, sans difficulté, la victoire n'aurait aucune saveur.
Chaque épisode de la série depuis vingt ans a permis aux joueurs de se tailler un royaume à sa mesure dans un contexte géopolitique plus ou moins perturbé, et cette fin du Nouvel Empire y est particulièrement propice. Mais si le cœur du gameplay reste intact (une carte stratégique, puis des batailles en temps réel), Total War : Pharaoh parvient d'entrée à poser l'ambiance et donner un rythme inhabituel.
Les bonnes idées des derniers épisodes ont été conservées : foin d'un revenu monétaire, désormais les revenus se comptent en ressources, comme dans le récent Total War Saga : Troy (qui, d'ailleurs, est très proche chronologiquement), avec la nourriture, le bois, la pierre, le bronze et l'or, chacune ayant son utilité.
Pareillement, chaque chef de faction -et ses généraux- est traité à la façon d'un personnage de jeu de rôle, avec des caractéristiques, des capacités spéciales, ses ambitions (des objectifs à court terme rapportant de précieuses récompenses), de l'équipement -qui s'applique à toute son unité de garde du corps-, et maintenant des titres, déblocables en fonction des points de compétences et qui apportent d'importants bonus, comme de rendre son armée insensible à l'usure du désert, cette énervante attrition qui se produit dés que vous mettez les pieds sur une dune de sable (un défaut majeur au Proche-Orient, vous en conviendrez) et qui risque de vous causer des sueurs froides.
Mais le réel enjeu de chaque partie, que vous soyez hittite ou égyptien, c'est avant tout de vous emparer du trône malgré l'implosion générale des civilisations : au début anecdotique, les catastrophes vont s'enchaîner de plus en plus souvent et avec des conséquences qui vont aller en s'aggravant, comme des séismes, des épidémies de peste, des sécheresses, des inondations, ou toujours plus de nouveaux débarquements de tribus grecques sur vos côtes, qui se font un plaisir de tout brûler.
Ce pourquoi Total War : Pharaoh est prétexte à tout un tas de nouvelles mécaniques stratégiques, au premier rang desquelles, le système de cour. Le vieux pharaon Mérenptah va mourir vite, déclenchant une course effrénée pour ceindre la couronne : au sein de chaque grande faction, on trouve cinq postes (vice-régent, commandant, trésorier, vizir et grand-prêtre), que s'arrogent les chefs de faction égyptiens (il n'y en aura pas pour tout le monde) et qui permettent de fomenter différends complots politiques et résoudre des actions variées : discréditer un rival, détourner le revenu des mines, organiser un assassinat, faire pression sur un autre. Le tout étant de rassembler suffisamment de points de légitimité, pour, un jour, déclencher la guerre civile qui permettra de revendiquer le trône de Pharaon, ou d'empereur du Hatti (les Cananéens peuvent choisir l'un ou l'autre).
On trouve aussi un nouveau système de religion, particulièrement fourni avec pas moins de 19 divinités (réparties en trois panthéons, égyptiens, hittites et cananéens) ; dont vous pouvez en choisir trois pour y dédier vos généraux, qui leur confèrent des bonus en fonction de leur piété. Faire prier une armée sur un autel de Râ octroie un bonus améliorable au moral de vos troupes et à leur endurance.
De prime abord secondaire, ces divinités finissent par se retrouver au centre d'un enjeu central, à savoir le nouveau système des Piliers de la Civilisation. Malgré le côté caricatural de la chose (les invasions des Peuples de la Mer on fait plus de bruit que de réels dégâts, historiquement), la fréquence des évènements négatifs et les bonus parfois très importants accordés aux envahisseurs dépend de « l'état de civilisation », une jauge qui se base sur la conservation en bon état des cités abritant les grands temples de ces divinités. C'est-a-dire que si elles sont conquises et endommagées, ou pire, rasées, cette jauge diminue de plus en plus, déclenchant de plus en plus de calamités et générant un cercle vicieux alarmant, qui se répercutera sur le paysage en vue stratégique et tactique.
Une autre nouveauté est celle des héritages antiques : chez les Égyptiens, il est possible de choisir Thoutmosis le conquérant, Hatchepsout la marchande, Khéops le bâtisseur, ou Akhénaton l'hérétique. Ces modèles à suivre permettent de faciliter vos conquêtes et vos objectifs divers en proposant une sorte de quête à thème ; comme celle de Thoutmosis qui permet de viser les centres de culte en facilitant leur siège, grâce à des sabotages, des embuscades de la garnison et des trahisons internes.
C'est au bout de quelques dizaines de tours qu'on se rend compte que Creative Assembly est parvenu à affiner sa formule et trouver un certain équilibre dans chaque partie. Les coûts de recrutement, de construction et de maintenance étant plus justes (mais personnalisables avant chaque partie, avec une foule d'autres paramètres), il n'est plus envisageable de rouler sur toute la carte avec trois ou quatre armées de vétérans. C'est de toute façon impossible, sachant que la multiplication des menaces oblige à répartir vos forces. En cette fin de l'âge du Bronze, elles sont de toutes façons moins nombreuses, d'autant que les batailles sont maintenant plus meurtrières.
Les forces à votre disposition dépendent de votre faction, même au sein de chaque « super-faction » égyptienne, cananéenne ou hittite. Gouverneur du Sinaï, Ramsès aura accès toute la partie à des unités de guerriers medjaÿs peu nombreux mais efficaces, tandis qu'Amenmès pourra faire appel à des mercenaires koushites et Séthi mobilisera d'importantes unités de conscrits.
Par la suite, le recrutement dépendra non pas d'une liste prédéfinie par votre culture ou votre faction, mais du royaume où vous vous trouverez. Ainsi, les guerriers tribaux du Sinaï seront remplacés par des lanciers et des épéistes si vous levez des troupes dans le Delta, ou d'adroits archers syriens si vous en levez en Syrie.
Sur le champ de bataille, Total War : Pharaoh conserve là aussi les changements initiés par les épisodes plus récents. Les cartes sont plus variées (et plus belles, le Warscape Engine affiche de superbes décors et des animations très fluides), et sont parsemées de terrains affectant les troupes (les bosquets cachent les guerriers, les marais ralentissent ceux qui les traverses, etc.).
Chaque bataille sera aussi affectée par une météo changeante et dynamique, et croyez-moi, vous allez maudire l'arrivée de l'orage qui obligera vos troupes à se battre sous une pluie battante, tout comme les tempêtes de sable ou les chaleurs étouffantes. La végétation et les bâtiments s'enflamment au fur et à mesure des combats, laissant des traces indélébiles et vous obligeant à de coûteuses réparations le cas échéant.
Reste néanmoins le fantôme qui hante le plus les Total War depuis... eh bien, depuis l'origine, à savoir son intelligence artificielle défoncée au crack. Étrangement, elle semble avoir fait un progrès... notable. Pas parfait, mais notable. Je pèse mes mots.
Évidemment, cela reste à l'appréciation de chacun et reste difficilement jaugeable, mais toujours est-il qu'au cours des différends essais du présent test, cette IA s'est montrée plus que correcte, tout d'abord en ne déclarant pas la guerre constamment et dans des conditions absurdes ; ensuite en proposant des accords économiques bien plus réfléchis et raisonnés (à ce propos, on peut de nouveau échanger des régions).
À défaut de reproduire à la perfection des décisions humaines, celle-ci ne brise donc plus régulièrement l'immersion, et si elle n'est pas particulièrement un foudre de guerre sur le champ de bataille, elle m'a plusieurs fois surpris en tentant des manœuvres de contournement ou en prenant mes troupes de vitesse. Dommage tout de même que les troupes aient trop souvent tendance à perdre toute formation cohérente suite à une mêlée, ce qui nécessite d'ordonner des regroupements assez réguliers. Faute de cavalerie, les troupes rapides se reposeront avant tout sur l'infanterie légère de tirailleurs et sur des pelotons de chars légers, qui ont parfois un peu de mal à réagir aux ordres et à accorder leur pathfinding.
Maintenant, reste à déterminer sur Total War a trouvé avec ce Pharaoh sa nouvelle formule, celle qui lui collera à la peau pour dix ans de plus ? Les joueurs auront probablement fait remonter au studio que le système d'intrigue de cour reste cependant dispensable (il nécessite des actions franchement répétitives et reste très obscur sur les facteurs influant sur ses chances d'échec ou de succès), et que l'interface est un peu trop chargée, rendant l'ensemble moins lisible qu'avant sous le poids des nouveaux systèmes à prendre en compte. Certains regretteront peut-être aussi l'absence des agents et de batailles navales, même si le studio n'a jamais su rendre ces dernières intéressantes.
En tout cas, le travail effectué sur Pharaoh reste impressionnant, peut-être même digne d'un roi. Ce serait tellement dommage de gâcher une si belle fresque antique avec un DLC à cinq euros pour obtenir des effets sanglants pendant les batailles.
Total War : Pharaoh
Après moi, le Déluge !
- +La période, encore jamais vue sur un Total War
- +De nouvelles mécaniques innovantes
- +Bien plus immersif
- +Plus varié que ce qu’on attendait
- -Interface un peu étouffante au début
- -La cour, finalement plus chronophage qu’utile
- -Les personnages parlent anglais (à défaut de V.F., un doubleur copte ou moyen-oriental aurait été plus crédible)
- -Quelques rares imperfections en bataille
Direction artistique
Toujours aussi superbe, Pharaoh profite de décors soignés et de références discrètes aux cultures du Proche-Orient de la fin de l'âge du Bronze. Il n'y a rien à redire, c'est très beau et fluide.
Technique
Le moteur reste raisonnablement fluide malgré la beauté des graphismes affichés, et charge relativement bien sur une configuration moyenne-haute de 2020. Le taux d'IPS faiblit un peu vite si vous avez deux écrans, mais en dehors de cela, aucun plantage et peu de bugs ont été constatés lors du test.
Jouabilité
On se sent un peu perdu au début face à l'avalanche de nouveautés, de caractéristiques, de bonus et de malus dont il faut prendre en compte pour tout et n'importe quoi. Néanmoins cette difficulté reste passagère et le titre est très jouable, et surtout bien plus personnalisable que ses aînés, ce qui est toujours un plus.
Durée de vie
Trois ensembles proposants chacun de deux à quatre factions sont présentes ; de quoi assurer quelques dizaines d'heures de jeu à chaque fois pour toute campagne, sachant que la carte est d'une taille respectable et que le titre s'accompagne de l'habituel mode multijoueur.
Ambiance
Très réussie, notamment grâce au dosage subtil des catastrophes et des invasions des Peuples de la Mer, et aux nouveaux systèmes introduits. L'ensemble restitue fort bien une situation d'urgence et de civilisations en péril, à sauver à la pointe de la lance.
Scénario
Très intéressant, il prend la forme d'une course à la royauté, qu'il s'agisse de s'emparer du royaume dont on fait déjà partie ou de se créer le sien. Le choix de cette période charnière de l'Antiquité est encore une fois surprenant et bienvenu, surtout pour la série des Total War.
- Cernunnos Testeur, Rédacteur
- "Messieurs, c'est une plage privée! Je crois que nous dérangeons!" - Un officier britannique sur Sword Beach