Info sur le jeu |
PlateformePC Windows |
ÉditeurTHQ Nordic |
DéveloppeurAshborne Games |
Date de sortieNovembre 2023 |
Last Train Home
Songez qu'il y a des gens dont la journée est gâchée parce que le serveur du wagon-restaurant a osé leur proposer un sandwich jambon-beurre à moitié rassis au tarif pourtant honnête de 8,50€, ou parce que leur TER Poitiers-Limoges a un petit 4h30 de retard. On sera d'accord pour dire que ces gens-là sont de petits ingrats pourris-gâtés : ça pourrait être pire, le train pourrait être ouvert à tous les vents, mitraillé par les avions bolchéviques, infesté de mites et de rats, avec des passagers atteints de la variole et ça au bout du monde. Et on ose se plaindre de la SNCF.
Last Train Home, c'est avant tout le récit d'une odyssée assez rocambolesque qui mériterait d'être filmée si elle n'était pas aussi tristement sordide à raconter. Dame, ça n'est pas la plus belle période de la Russie que les années qui suivent la Révolution d'Octobre.
L'armistice de Brest-Litovsk permet d'arrêter le massacre industriel sur le front de l'est, consacrant la défaite des armées impériales russes. Reste encore un an de tuerie pour clore la Première Guerre mondiale, mais pour le moment, c'est une affaire close de ce côté-ci du Danube.
C'est toutefois parler un peu vite, car dans le chaos de la Guerre civile russe, s'affrontent maintenant les deux camps que vous connaissez : les tsaristes « blancs » loyaux au trône impérial récemment renversé par les révolutionnaires, et les bolchéviques « rouges » désirant instituer une république socialiste.
Et au milieu de tout ce chaos, on trouve les légions tchécoslovaques : c'est-à-dire des unités militaires formées au début du conflit, de bric et de broc par les émigrés tchèques et slovaques, les prisonniers de guerre et autres divers volontaires venus tant bien que mal par leurs propres moyens, mais tous réunis par un même idéal : combattre et verser le sang pour pouvoir donner naissance à leur propre pays une fois la guerre gagnée. Mais les combats s'étant arrêtés sur le front de l'Est, ils n'ont plus rien à faire ici ; or, impossible de les rapatrier directement à l'ouest, car le blocus continue et la guerre civile empêche de les faire traverser.
C'est à ce moment que le titre des tchèques d'Ashborne Games commence. Leur premier (enfin, techniquement leur deuxième, mais c'était un remaster de Comanche) titre vous met aux commandes d'une bande de soldats tchèques qui en ont marre, mais MARRE de la guerre, et qui ne désirent plus que quitter ce pays qui sombre chaque jour un peu plus. Mais faute de pouvoir partir par le chemin le plus court, il va falloir prendre le chemin le plus long, à savoir le train qui les emmènera à Vladivostok, et depuis le Pacifique, rallier l'Europe. Une belle absurdité géographique, mais c'est la seule alternative. Aussi nos soldats s'emparent d'un train, meilleur moyen de franchir les 8000 kilomètres de distance et de traverser les immensités russes plus ou moins glacées. Le tout en arrivant à temps, car lorsque l'aventure commence, l'essentiel des légions tchécoslovaques est déjà parti, et votre train est en quelque sorte le dernier ; sauf que le bateau qui attend à Vladivostok ne vous attendra pas indéfiniment.
Chaque chapitre du long voyage se compose ainsi d'un segment du voyage, pour aller jusqu'à Moscou, Penza, Kazan, Ekaterinbourg, Omsk, franchir les monts Oural, parvenir jusqu'à Irkoutsk, contourner la Mandchourie et jusqu'à Harbin et Vladivostok.
Et pour faire parvenir à bon port ce dernier train pour la maison, il va falloir en prendre soin. À chaque chapitre, il faut donc accompagner le train le long de son trajet (aucune marche arrière n'est possible) sur une carte stratégique de la région traversée. En tant que commandant, c'est à vous de prendre la décision de faire stopper le train pour organiser régulièrement des expéditions : faire descendre des soldats organisés en escouade pour aller explorer les environs, pêcher dans les lacs, couper du bois dans les forêts, fouiller des villages abandonnés. Le gouvernement tchèque ne peut pas vous aider, ni vous envoyer de renforts et encore moins de matériel, seulement des instructions et éventuellement avoir négocié en amont pour vos opposants, qui s'annoncent nombreux.
Il va donc falloir vivre sur le pays : le trajet est extrêmement long, et il faudra trouver en route de l'argent, du carburant pour la locomotive, de la nourriture et tout ce qui sera nécessaire à vos soldats, armes, munitions, matériel, médicaments. C'est là que Last Train Home se transforme en un jeu de gestion intelligent en obligeant à gérer minutieusement ses réserves et les rôles de chacun. Pendant que vous envoyez des groupes de soldats en expédition aux alentours, le train permet de patienter en réalisant toutes les tâches nécessaires à son entretien : dératisation, cuisine, fabrication, entretien, réparations courantes. Les journées sont divisées en un service de nuit et un de jour, et il faut que vos soldats mangent et se reposent. Leurs wagons sont d'inconfortables bétaillères qu'il faudra transformer en rembourrant les parois de tissus et en installant des poêles, ou en installant des plaques de blindages pour prendre moins de dégâts suite aux attaques ennemies. En vous procurant des wagons dédiés à la cuisine ou à l'atelier, il est aussi possible d'affecter certains membres spécialisés de votre troupe pour effectuer des recherches ou fabriquer de nouveaux objets.
Plutôt bien équilibré, cet aspect du jeu n'est pas à prendre à la légère, car si les choses ne seront pas trop compliquées au début, elles vont rapidement se compliquer. Les munitions sont rares et précieuses ; et il est facile de tomber malade en raison des épidémies, du froid ou des parasites. Les accidents sont aussi de la partie : le long des 8000 kilomètres de route, vous allez souvent devoir arrêter le train, car les voies sont encombrées par des troncs d'arbres abattus, des éboulements, voire des barricades dressées intentionnellement par vos ennemis, qui sont nombreux. Presque trop, les interruptions pour blocage des voies allant crescendo, jusqu'à la dernière minute à l'arrivée en Mandchourie.
Officiellement, la Légion tchécoslovaque n'a pas d'allégeance et est neutre, tout comme l'est la Tchécoslovaquie dans le conflit russe. Mais Last Train Home s'empresse de vous plonger la tête la première dans le caniveau de la réalité : officieusement, vous avez l'obligation de vous impliquer, notamment parce que les Rouges ne vous laissent pas le choix en vous tirant dessus à vue, étant donné que Trotsky en personne a signé le décret ordonnant votre arrestation.
De la première à la dernière seconde, il faudra donc faire des choix entre Blancs et Rouge, en devant s'impliquer ou non dans leur conflit. Le jeu possède un léger parti pris pro-Blancs, somme toute plutôt crédible vu que les forces tsaristes ont historiquement été plus cordiales avec les convois de légionnaires ; mais in fine, le voyage ne vous épargnera aucune inimitié. Toutes les étapes sont empreintes de récits sordides : ici, les Rouges ont pillé tout ce qui pouvait l'être et réduit en esclavage les survivants, ici, les Blancs ont recruté de force les habitants ; ici encore les combats ont fait des victimes partout et les campagnes sont constellées de cadavres.
En route, votre train récupérera des compatriotes retardataires qui pensaient être définitivement coincés en Russie, et il vous arrivera même de rencontrer des groupes de citoyens excédés par les exactions violentes des deux camps et désirant se débrouiller par eux-mêmes, des déserteurs des deux camps et en de rares occasions, des individus ayant conservé leur humanité dans le chaos affreux de la guerre civile.
De temps en temps, il faudra donc mettre les mains dans le cambouis un peu plus sérieusement en organisant des expéditions. Ces missions en vue tactique vous mettront alors aux commandes d'une escouade de dix soldats maximums pour accomplir divers objectifs. Il faudra capturer un aérodrome pour empêcher que ses biplans ne vous bombardent, dégager la voie en prenant une gare aux Rouges, attaquer une mine où sont retenus des prisonniers civils ou des légionnaires.
S'il est possible de vous infiltrer en obligeant vos soldats à se faire discret, ça n'est malheureusement pas toujours possible (l'intelligence artificielle vous repère un poil trop vite) et les affrontements, particulièrement meurtriers, prélèveront un nombre important de vos troupes, surtout quand vous vous ferez repérer et que les Rouges sonneront l'alarme, appelant des renforts et quand vous n'avez pas de chance, des voitures blindées équipées de mitrailleuses particulièrement redoutables.
La pause en temps réel permet toutefois de se repositionner quand vous le désirez en abritant vos personnages dans le décor et de tirer parti de leurs compétences spéciales. Les grenadiers peuvent faire usage de leurs projectiles, les mitrailleurs interdire une zone (attention quand même à la consommation de balles), les snipers détourner l'attention des ennemis en jetant des pierres, et les fusiliers faire une charge à la baïonnette, très utile pour éliminer rapidement un ou plusieurs ennemis.
Sur chaque carte, vous aurez aussi l'opportunité de fouiller les campagnes et les villes afin de ramasser tout ce qui peut l'être et le rapporter au train, qu'il s'agisse de matériel, de ressources ou de membres supplémentaires. Chaque soldat est unique : l'un est royaliste, l'autre est nationaliste ; l'un est bienveillant, l'autre est égoïste, avec toutes les conséquences que cela implique sur les dialogues et la vie quotidienne, comme quand un soldat religieux s'improvisera curé pour prononcer l'oraison funèbre de ceux qui tombent au combat.
Et ainsi défilent les kilomètres ; s'ajoutent le problème du rationnement lorsque la nourriture se fait rare et que les marchands rencontrés n'ont rien à proposer, ainsi que celui des forces rouges qui vous poursuivent et vous ôtent donc le luxe de vous arrêter trop longtemps pour réparer le train ou aller vous ravitailler à proximité, car si la jauge de menace monte trop, vous êtes alors repérés et attaqués progressivement.
Parfois, c'est le charbon pour alimenter l'énorme chaudière du train qui manque, et qui vous forcera à brûler le bois et le tissu que vous gardiez précieusement. Il faut avancer, encore et encore, jusqu'au bout de la voie, jusqu'au terminus, sur les rives du Pacifique, sans regarder en arrière. Il faut ne pas penser trop longtemps aux morts qui s'accumulent et qui reposeront à jamais sous la terre russe, ni aux victimes de la guerre, à cet or impérial qu'il faudra protéger pour négocier votre passage, où à cette mystérieuse famille dont vous devez assurer le passage coûte que coûte jusqu'à Tcheliabinsk mais dont vous vous douterez de l'identité.
Les difficultés croissantes, la fatigue et les épreuves successives finiront même par porter sur les nerfs et le moral de vos soldats s'entassant toujours plus nombreux dans vos wagons (n'oubliez pas de les agrandir, ce serait dommage de devoir en laisser sur place), occasionnant de rares désertions et de moins rares suicides, qui peuvent devenir frustrants faute de les avoir prévenus, à moins que vous ne remontiez le moral de vos troupes à coup d'alcool ou de nourriture spéciale.
Last Train Home finit ainsi par porter un propos très humain, celui de la lassitude extrême du combat pour des hommes qui ont déjà terminé leur guerre et qui sont contraint de la reprendre, simplement pour pouvoir quitter ce pays où personne ne veut plus les voir. C'est un grand soulagement que de parvenir finalement à Vladivostok, malgré la faim, le froid extrême (ne négligez pas l'isolation de votre train en fin de partie, vous allez vraiment en avoir besoin), le manque de ressources, et une belle récompense lorsqu'on vous annonce que vous avez enfin pu atteindre ce bateau qui vous ramènera à la maison.
Last Train Home
J’entends siffler le train
- +Le thème, très original.
- +Agréable combo de tactique en temps réel pausable et de gestion.
- +Les soldats savent exister en tant qu’humains et pas juste en tant qu’IA.
- +Affrontements agréables et bien équilibrés.
- -Des compétences spéciales inégalement utiles.
- -Les marchands sont parfois inutiles tant l’argent est rarissime.
- -Les feuilles de personnage sont un peu trop complexes, on finit par les survoler.
Direction artistique
Last Train Home dépeint des cités russes et des campagnes tout à fait crédibles et immersive, presque glaçante, c'est le mot, lorsque le train finit par arriver en Sibérie. La nature sauvage et impitoyable de la steppe bientôt soviétique est absolument magnifique.
Technique
Excepté de rarissimes bugs de collisions, aucune erreur technique majeure ne s'est présentée pour jouer à Last Train Home. Le jeu a tout de même un peu trop tendance à faire souffler le processeur d'une configuration milieu de gamme.
Jouabilité
Déjà bien réussie, la partie gestion aurait pu l'être un peu plus en réduisant le nombre d'interruptions pour blocus et en augmentant les risques d'attaques. Dans sa partie tactique, l'accent aurait pu être mis sur les mécaniques d'infiltration, mais le jeu fait fort bien le boulot tout de même, engendrant des affrontements sévères mais justes et bien équilibrés.
Durée de vie
Comptez environ 25 heures pour un trajet ; sachant que vous pouvez relancer un deuxième trajet en faisant des choix différents.
Ambiance
Excellente, l'ambiance sait se faire pressée au départ de Moscovie, puis de plus en plus urgente au fur et à mesure des kilomètres parcourus. Le propos du jeu se sert aussi beaucoup des interventions de vos soldats, qui tentent de conserver leur moral mais dont la lassitude des combats sans fin et des vies perdues inutilement finit par être usante.
Scénario
Assez haletant, le récit du voyage presque désespéré des légionnaires vous tiendra en haleine jusqu'à la fin. Les quelques ajouts qui y ont été fait pour le pimenter s'insèrent très bien dans son cadre.
- Cernunnos Testeur, Rédacteur
- "Messieurs, c'est une plage privée! Je crois que nous dérangeons!" - Un officier britannique sur Sword Beach