Seconde Guerre mondialeFront de l'Ouest
Bataille de la Fière
« Il n'y a pas de meilleur endroit pour mourir ». Ces mots fatalistes ont été prononcés par le lieutenant John Dolan, commandant de la compagnie A du 505ème régiment d'infanterie parachutiste, à la sortie de Sainte-Mère-Église, près d'une petite rivière du Cotentin. Poussés à leurs dernières limites par les tirs d'obus et les offensives incessantes des soldats allemands, les hommes cherchaient une issue, mais les mots de Dolan ont sûrement refroidi leurs esprits.
Aujourd'hui, le site situé au hameau de La Fière est sous le regard incessant d'Iron Mike, une statue représentant les parachutistes américains depuis 1961. Entre le 6 et le 9 juin 1944, les champs, aujourd'hui paisibles et bucoliques, ont été témoins de scènes de chaos entre la 82ème division aéroportée (82nd Airborne Division) – le 505e, le 507e, le 508e et le 325e régiment aéroporté (des planeurs) – et leurs adversaires allemands, la 91. Luftlande-Infanterie-Division (91e division d'infanterie) et le 100. Panzer Ausbildungs-und-Ersatz-Abteilung (division de remplacement des panzers).
La mission Boston, menée par le Major General Matthew Ridgway, commandant de la 82e division aéroportée, visait à se saisir des ponts de La Fière et de Chef-du-Pont afin de sécuriser la région à l'ouest de Sainte-Mère-Église. Cette petite ville est traversée par la route N13, reliant Paris à Cherbourg. L'objectif était de couper le port majeur et le centre de résistance allemande dans le Cotentin. Afin de mieux sécuriser la plage d'Utah, il fallut aux 13 000 parachutistes américains beaucoup de courage pour empêcher les renforts allemands d'avancer.
Malgré tout, à cause d'un brouillard épais lors du passage des avions C-47 dans le Cotentin, de nombreux parachutistes ont été largués aux mauvais endroits. De plus, les Allemands avaient bien protégé le terrain en inondant les terres autour de la ville de Sainte-Mère-Église. Ils détournèrent l'eau des canaux afin de rendre les zones de largage très compliquées d'accès. À l'exception d'une partie de chaussée surélevée, tous les champs étaient submergés, rendant une traversée presque impossible. Il fallait avant tout sécuriser la berge est du pont.
La bataille pour le manoir – 6 juin
Malheureusement pour les hommes du 1er bataillon du 505e, une section de vingt-huit Allemands avait passé la nuit du 5 au 6 dans le manoir de La Fière, à la suite d'une panne de véhicule. Vers 2 heures du matin le 6, les parachutistes de la 505e arrivèrent en force. Ils eurent les mêmes difficultés que tant d'autres parachutistes cette nuit-là, c'est-à-dire s'organiser une fois l'atterrissage réussi. Une heure avant l'aube, la compagnie A du lieutenant Dolan quitta la zone d'atterrissage avec environ 90 pourcents de ses hommes. À l'approche du manoir, une mitraillette ouvrit le feu et le combat devint intense aux alentours de 8 heures. Le combat dura quatre jours et quatre nuits. Les Allemands avaient réussi à coincer les Américains par des tirs croisés dévastateurs.
Dans le manoir, construit en pierre massive, les Allemands avaient une véritable forteresse à leur disposition, ce qui leur permettait de contrôler le secteur. Par chance, Oscar Queen, un Texan, vit un Allemand caché dans un arbre, réussit à l'abattre et récupéra sa mitrailleuse de calibre 30. Son équipe élimina tous les Allemands dans la cour côté nord. Les Américains ignoraient combien d'ennemis restaient dans le manoir, mais une fois la brèche ouverte, il ne leur fallut qu'une quinzaine de minutes pour tout nettoyer, grâce aussi à l'aide d'un tir de bazooka envoyé directement par une fenêtre du premier étage. Certains Allemands au deuxième étage, ne comprenant pas que les hommes en bas étaient des camarades, continuèrent de tirer malgré la capitulation. Ce n'est qu'après le décès du soldat, Pfc. Jim Blue, qu'ils se rendirent finalement.
1ère contre-attaque allemande – 6 juin
À la suite de cette première confrontation, la compagnie A du 505e régiment s'apprêtait à défendre le côté est de la chaussée en posant des mines et en dressant un barrage routier. Ils mirent en place deux équipes de bazooka sur la digue d'une petite rivière, le Merderet, et au coin de la route menant à Sainte-Mère-Église, un canon antichar de 57mm. Ce dernier allait devenir une défense vitale lors de la première contre-attaque allemande qui allait arriver.
Les hommes du 507e régiment, menés par le Capt. Schwarzwalder, voulurent passer par le côté ouest de la chaussée, essayant de rejoindre les hommes qui auraient pu atterrir au mauvais endroit. En passant par un chemin non-inondé et à la suite d'une escarmouche où les Américains purent capturer sept Allemands, ils virent deux MG-42. Ces effrayantes armes, capables de tirer jusqu'à 1 200 balles/min, auraient pu défaire le groupe entier. À l'église de Cauquigny, ils trouvèrent le site défendu par environ 50 hommes des 507e et 508e régiments, sous le commandement du Lt. Levy et du Lt. Col. Timmes. Le Lt. Col. Timmes s'était trouvé coincé de l'autre côté des champs inondés, appelés maintenant le verger de Timmes – à environ 800m de la chaussée. Il était temps pour les hommes de se retrouver car les Allemands s'apprêtaient à lancer une contre-attaque. Le bruit des chars se faisait entendre au loin.
À environ 16 heures, les chars bombardèrent l'église de Cauquigny. Près de 200 soldats de l'infanterie allemande accompagnaient les chars qui avançaient jusqu'à 35 mètres des Américains, jusqu'à ce que les mines antichars effectuent leur travail. Le commandant du premier char, un Panzer III, ouvrit la trappe pour inspecter les obstacles et fut touché par balle. Les équipes de bazooka de la compagnie A du 505e, en prenant des risques sur la route, avaient réussi à frapper le premier Panzer et à l'envoyer directement vers la digue. Le Pfc. Joe Fitt courut alors de son poste de mitrailleur au manoir, passa au-dessus du pont et envoya une grenade par la trappe laissée ouverte par le commandant tué.
Le second tank, un Renault Hotchkiss datant d'avant-guerre, prit les bazookas pour cible. Le Pfc. Peterson et son chargeur, Pfc. Haim, eurent tout juste le temps de tirer une fois sur le canon avant de se faire tirer dessus; ils n'avaient plus de rockets pour le troisième char de toute façon. Haim fut donc envoyé pour en chercher d'autres, de l'autre côté du pont, là où se trouvait l'autre équipe, celle de Pfc. Bolderson et de Pryne. Ils avaient dû quitter leur poste car leur bazooka avait été endommagé. Peterson et Haim réussirent en quelques minutes à mettre en feu les deux chars restants. Pour leur bravoure, les quatre hommes allaient recevoir le DSC, la croix de service distingué. Néanmoins, l'attaque avait coûté la vie au Major Kellam, le commandant du 1er bataillon, 505e, qui était en train d'amener des rockets supplémentaires aux équipes de bazooka. En conséquence de quoi le lieutenant Dolan a dû reprendre son rôle en menant le 1er bataillon, étant le plus haut gradé restant maintenant.
Un retour en force – 7 juin
La nuit du 7 juin a vu le barrage d'obus de mortier s'intensifier. Le message était clair, une deuxième contre-attaque par la 91e division de la Luftlande-Infanterie se préparait. Les hommes de la compagnie A, 505e, étaient très exposés au nord du pont, bien visibles des Allemands en face d'eux. L'eau qui les entourait allait d'1m à 1,5m de profondeur. Les hommes avaient peu de moyens pour traverser et plusieurs d'entre eux n'avaient même plus d'armes pour se défendre. Les hommes aux bords de la rivière ne purent que regarder les Allemands cibler leurs camarades à la mitrailleuse.
À 10 heures, la contre-attaque allemande débuta avec quatre chars et environ 200 hommes. Les Américains appréhendaient leur possible dernier jour – fatigués, sales, affamés et surtout effrayés par les explosions d'obus en face d'eux. Mais lorsqu'ils firent feu, la peur disparut. Ils étaient de nouveau maîtres de leur destin, capables de se défendre et de tenir encore face aux ennemis à une trentaine de mètres. Le premier char fut stoppé juste devant le pont par un coup chanceux direct sur la caisse de munition, faisant exploser l'engin qui bloqua la route. Les autres chars ne pouvaient plus passer.
Cela n'empêcha pas l'infanterie allemande de continuer l'assaut, les chars détruits servant de couverture. Les gradés avaient disparu les uns après les autres et le commandement de la 1ère section avait échu aux sous-officiers comme le sergent William Owens. Il sut garder son calme et rassurer ses hommes malgré le chaos qui les entourait. Le taux de blessés était effroyable, près de la moitié de la première section était hors de combat. Normalement, une section compte entre vingt et cinquante hommes mais sous le commandement d'Owens, on en dénombrait une quinzaine ! Il fallait agir vite avant d'être à court de munitions. L'éclaireur Robert Murphy fut envoyé pour recevoir les ordres du lieutenant Dolan et savoir s'il fallait battre en retraite. Dolan sortit son petit calepin, gribouilla puis tendit le papier à Murphy pour Owens. Il y était noté: « On y reste, il n'y a pas de meilleur endroit pour mourir ».
Les Allemands souffraient autant que les Américains et eux aussi réclamèrent un cessez-le-feu temporaire d'une demi-heure afin d'évacuer les blessés... ce que les Américains souhaitaient aussi. Mais après les 30 minutes, rien ne bougea de chaque côté, excepté quelques tirs sporadiques de mortier et d'artillerie de 88mm au cours du reste de cette journée. Lorsque la compagnie A du 505e s'apprêta à laisser sa position, à côté du manoir, au 507e régiment, elle avait perdu près de la moitié de ses effectifs en deux jours et une nuit, passant de 137 à 66 hommes.
La riposte américaine – 8 juin
De l'autre côté du marais, le lieutenant-colonel Timmes devenait de plus en plus inquiet de la situation. Il était bloqué entre les marais et un château, rebaptisé le "château gris" par les Américains, dans lequel les Allemands avaient établi une position de défense. Celle-ci surplombait le champ de bataille et ils étaient seuls, lui et ses hommes, à pouvoir s'extraire de cette position.
Timmes envoya donc deux éclaireurs pour trouver un passage à travers le marais. Ils eurent la chance de tomber sur un cheminot qui habitait près du chemin de fer entre La Fière et Sainte-Mère-Église. Maurice Duboscq connaissait bien le coin et aida des parachutistes américains à sortir des eaux avec son petit bateau, les amenant en terre sûre. Il récupéra et cacha aussi des containeurs de munitions. Les hommes du 82e régiment venaient se réapprovisionner auprès de ces caches. Au milieu de la journée du 8 juin, les deux éclaireurs avaient pu traverser en empruntant un passage des eaux secrètes, au milieu du marais, sans savoir comment ils étaient passés sans que personne ne les voie. En arrivant au QG du général Ridgway, ils montrèrent le chemin aux autres. Ridgway commanda le 1er bataillon du 325e régiment aéroporté et le 507e pour prendre d'assaut le pont de Cauquigny et forcer les Allemands à une retraite.
À 23 heures 30, la manœuvre était lancée mais les forces allemandes du "château gris" avaient aussi décidé d'attaquer. Les Américains se retrouvèrent vite face à des forces supérieures en nombre qui ralentissaient leur avancée, pour finalement être repoussés de l'autre côté du gué caché des marais. La contre-attaque américaine avait échoué. Lors de cette action, le Pfc. Charles DeGlopper de la compagnie C, du 1er bataillon du 325e régiment et ses camarades se retrouvèrent sur un sentier se terminant par une mitrailleuse allemande. DeGlopper, qui portait le Browning Automatic Rifle (BAR) pour sa section, dit à ses camarades de se retirer et qu'il veillerait sur eux. Chargeur après chargeur, et même touché une fois, DeGlopper continua. À la deuxième blessure, il mit genou à terre mais continua à défendre sa position. Finalement, une troisième balle lui fut fatale. DeGlopper reçut la médaille d'honneur pour bravoure lors de la campagne de Normandie.
Peu importe le prix – 9 juin
Les généraux Ridgway et Gavin savaient que la situation ne pouvait plus perdurer. Ils savaient qu'il leur faudrait continuer à envoyer des hommes en nombre. Le troisième bataillon du 325e s'apprêtait à l'attaque à 10h45, soutenu par des canons de 155mm qui allaient tirer quinze minutes avant. Ne pouvant profiter du couvert offert par les obus fumigènes inefficaces, chaque soldat devait avant tout parcourir 700m à découvert. À bout de souffle, les Américains pouvaient alors voir les obus patriotes exploser à trente mètres devant eux. Certains d'entre eux hésitèrent pendant près de dix minutes, de choc et de peur, après avoir vu autant de morts étalés devant eux, jusqu'à ce qu'un officier, le Lt. Frank Amino, les galvanise au slogan de : « Allons-y et tuons ces fils de pute ! ».
La situation devint vite confuse avec une trentaine de blessés sur la route à exfiltrer, un Sherman américain touché par une mine qui bloquait la chaussée, ainsi que les officiers qui tentaient d'encourager des hommes hésitants à traverser le pont. De plus, il fallait aussi s'occuper des prisonniers allemands envoyés par ceux qui avaient déjà réussi à traverser. Certains soldats allemands furent tués par des soldats américains qui traversaient le pont et ne savaient pas que c'étaient des prisonniers qui se présentaient à eux dans l'autre sens.
C'est grâce à ce déferlement de troupes que le pont et la chaussée de La Fière furent pris. Les Américains avaient réussi, à 15 heures, à établir une ligne de défense sur le côté ouest du marais et, malgré une dernière tentative de contre-attaque allemande, rien n'y fit. Le 82e continua de se battre à l'ouest jusqu'au 11 juillet, puis se déplacèrent vers la plage d'Utah pour être renvoyés en Angleterre et redéployés à Groesbeek, aux Pays-Bas, pour l'opération Market Garden, le 17 septembre. La bataille de La Fière était finie mais la libération de la France débutait. Pour la 82e division aéroportée, elle avait coûté la vie à 254 hommes et près de 525 furent blessés pendant ces quatre jours de combat.
Bibliographie
Robert M. Murphy, No Better Place to Die: The Battle for La Fiere Bridge: Ste. Mere-eglise, June 1944, Casemate Publishers, 2011, 288 pages.
- Ralta Rédacteur
- "L'histoire sera gentille avec moi car j'ai l'intention de l'écrire." - Winston Churchill