Info sur le jeu
PlateformePC Windows
Éditeur Slitherine
Développeur Steel Balalaika
Date de sortieJuin 2025

Broken Arrow

Thématique
Guerre froide
9 juillet
2025

Il y a des jeux qui ont le don de vous permettre quelques délicieux instants d'évasion dans un monde épique, de vous faire oublier l'atroce banalité du quotidien et la violence du monde moderne en vous plongeant dans des aventures inoubliables, des donjons de World of Warcraft jusqu'aux acrobaties aériennes d'un Bioshock. Eh bien, au bout de trente heures de jeu, je peux l'affirmer avec toute la force d'une bombe à sous-munitions CBU-52/58/71 percutant le pare-brise d'une camionnette russe pour en disperser le plus petit atome dans un rayon de cinq kilomètres : Broken Arrow n'appartient pas à cette catégorie de jeu.

C'est le bébé de Steel Balalaïka (ça ne s'invente pas), petit studio de développement russe, et des anglais de Slitherine Games. Broken Arrow reprend en apparence les plus gros poncifs d'un Wargame : European Escalation, avec un jeu de tactique moderne à grande échelle. Le premier quidam venu serait amené à se dire qu'il s'agit d'une énième resucée du conflit qui n'a – heureusement – jamais éclaté entre 1985 et 1990, dans la Trouée de Fulda allemande, où les divisions blindées du Pacte se seraient précipitées contre les forces de l'OTAN. Mais que nenni. Broken Arrow transporte sous forme de pixels nos angoisses du monde réel : nous sommes quelque part entre il y a quelques années et tout de suite, dans l'est de la Baltique, éternel nid à emmerdes sujet de disputes frontalières.

Broken Arrow  Broken ArrowEn fait, les deux camps cherchent surtout un bon prétexte./ Le camp d'entraînement est bien utile pour appréhender tous les types de troupes.

Resituons pour les quelques cancres du fond qui n'écoutaient pas en classe. Au cours du XIIIème siècle, la monarchie polonaise appelle des chevaliers teutoniques pour botter les fesses des quelques populations slaves du coin, qui ont l'outrecuidance de conserver leurs croyances païennes. Les teutons arrivent, massacrent et chassent les autochtones, et édifient dans le coin un petit château et la ville qui va avec, nommée Königsberg. Elle passe de mains en mains au cours des siècles, dans une région au carrefour des populations baltes, polonaises, slaves et allemandes. Königsberg devient donc prussienne, puis polonaise, puis à nouveau prussienne, puis allemande, jusqu'en 1945 où les Soviétiques arrivent, assiègent et prennent la ville, avant d'en expulser manu militari le peu de survivants et de la rebaptiser Kaliningrad, en l'honneur de Mikhaïl Kalinine. Vous suivez ? Bon. Parce que jusqu'ici, c'est la simplicité même.

Le fait est que Kaliningrad prend immédiatement une importance d'ampleur, donnant à l'Union Soviétique un débouché maritime via son port, donc elle manque cruellement, habituellement cantonnée à Mourmansk et Saint-Pétersbourg ; mais le territoire de Kaliningrad est une exclave – oui, c'est un vrai mot –, isolée à l'extérieur du territoire russe, dont les communications et l'approvisionnement par voie terrestre dépendent uniquement du bon vouloir de la Pologne et de la Lituanie, qui cernent cette exclave au sud et au nord-est et consentent habituellement à laisser un passage via le corridor de Suwalki, qui rejoint la Biélorussie, c'est-a-dire le concierge de la Russie.

Depuis 70 ans et encore plus depuis les trente dernières années, l'Est et l'Ouest se regardent ici en chiens de faïence, Kaliningrad abritant une garnison russe de 30 000 hommes et une importante flotte de guerre, ainsi que de puissantes batteries de missiles, menaçant de couper les états baltes du reste de l'OTAN en cas de guerre, mais étant elle-même menacée d'un siège rapide et total dans le même cas si l'OTAN réagit suffisamment vite par la Pologne. Les tensions économiques sont également nombreuses sur fond de tensions, sans même parler des revendications ethniques.

Bref, ce décor posé, on comprend mieux pourquoi cette région était le cadre idéal pour lancer un Broken Arrow, nom de code désignant une situation de danger pour une unité risquant la destruction face à l'ennemi, dans un coin du monde où tout le monde marche sur des œufs, et où le commandement de l'OTAN a eu la riche idée de lancer des exercices militaires à grande échelle, ce qui ne risque absolument pas de dégénérer au moindre pet de travers.

Broken Arrow  Broken ArrowLes objectifs varient vraiment beaucoup au cours du jeu. / Ne négligez jamais de faire de la reconnaissance ou de masquer votre avancée !

Tout en lançant ses campagnes russes et américaines avec des cinématiques et des personnages forts en gueule, Broken Arrow s'aborde comme un jeu de stratégie qui semble d'entrée lorgner sur ses maîtres à penser. On y retrouve les cartes rurales et semi-urbaines ainsi que le military porn d'Eugen System qui, qu'on le veuille ou non, reste une référence incontournable de nos jours.

Chaque commandant possède un revenu en points de réquisitions (revenu qui diminue avec l'augmentation parallèle du nombre d'unités en ligne), servant à faire appel à pratiquement toutes les machines de guerre et unités militaires du monde moderne. Unités blindées, mécanisées, motorisées, artillerie, reconnaissance, hélicoptères et chasseurs, troupes aéroportées ou amphibies, infanterie lance-roquette ou TOW.

Il y en a pour tous les goûts, même des bombardiers furtifs portant de terribles armes nucléaires tactiques. Au fur et à mesure des affrontements, la situation se complexifie, au cours d'une campagne riche en rebondissements. C'est un prétexte à une étonnante variation des objectifs et du gameplay, rappelant à ceux qui l'ont connu les meilleures heures de World in Conflict. Les missions vous forcent à vous adapter pour mettre en place un assaut aéroporté, un débarquement, des opérations spéciales, une escorte de porte-avions, un raid pour saisir du ravitaillement en territoire adverse, du combat urbain nocturne. Le tout avec une sélection thématique d'unités et de matériel pour ne pas rompre l'immersion.

Broken Arrow  Broken ArrowPrésents seulement en arrière-plan, les européens ne pèseront jamais lourd, le jeu rappelant même la fragilité de leur appareil militaire dans la durée./ Les hélicos valent cher et sont fragiles, mais peuvent faire des sauts de puce extrêmement utiles !

Pour mener à bien sa simulation, Broken Arrow reprend ensuite les piliers du genre, à savoir une gestion necéssaire et exigeante du combat interarmes, entre la reconnaissance, l'appui-feu et l'assaut blindé, et le soutien aérien et d'artillerie. Le jeu étant parfois très légèrement radin sur les points, et les combats étant trés létaux, les premières escarmouches donnent assez vite l'impression de commettre à chaque bataille un des plus gros désastres militaires du monde contemporain. Mais heureusement et contrairement à un Wargame ; Broken Arrow ne punit pas les pertes au point de rendre chaque unité irremplaçable : elles doivent attendre un certain temps de cooldown avant d'être redéployées. Ce temps sera cependant mis à profit par l'intelligence artificielle pour capturer les points-clés de chaque carte, ce qui peut vite mener à des situations inextricables où vous vous faites canarder de tous les côtés.

Chaque unité disposant d'un contre, tout le sel du jeu est alors de parvenir à déployer le groupe de combat le plus polyvalent et capable de répondre aux différentes menaces, tout en devant s'adapter au terrain et remplacer ses inévitables pertes.

Bien sûr, on retrouvera un bon système de gestion du carburant, de l'essence et des pièces détachées, bien équilibré et qui peut permettre de faire de l'attrition en détruisant ou capturant les dépôts logistiques adverses.

Broken Arrow  Broken ArrowNe négligez pas non plus de créer des dépôts intermédiaires de ressources, car certaines unités sont gourmandes. / Grozny comme si vous y étiez.

Chaque unité militaire se définit par une série de caractéristiques essentielles, un armement (authentique et fidèlement reproduit, tenant même compte de la distance de tir), un taux de furtivité, une valeur d'optiques pour la reconnaissance, un poids, un blindage (différencié selon les côtés) et une vitesse, assurant sa prédominance dans certaines situations et beaucoup moins dans d'autres.

Car comme je le disais plus haut, les combats sont particulièrement létaux. Broken Arrow ne pardonne pas d'avoir risqué certaines de vos unités dans des terrains un peu trop compromettants, sans soutien ou sans reconnaissance préalable. L'attaque est bien plus difficile que la défense, l'embuscade étant souvent mortelle. Les fantassins notamment sont très désavantagés face à peu près tout ce qui roule ou qui vole, mais portent des armes anti-aériennes et antichar redoutablement efficaces, et donnent toute leur mesure dans les combats urbains (je vous recommande en particulier d'abuser de la commande « déposer dans un bâtiment », pour faire en sorte que vos transports de troupes fassent attaquer les immeubles à vos fantassins sans qu'ils risquent de se faire cueillir dans la rue). On pourra bien sûr se rabattre sur une tactique très soviétique consistant à matraquer à l'artillerie chaque kilomètre carré de terrain un peu trop suspect, mais cela ne peut se faire qu'au détriment de votre capacité à occuper le terrain, et incitera l'ennemi à venir faire de la contre-batterie.

Le jeu prouve par là que son gameplay ne rend jamais une situation totalement bloquée, à moins de très mal jouer (on aurait apprécié une fonction de sauvegarde pendant les missions, dont l'absence est incompréhensible mais probablement bientôt ajoutée, les développeurs ayant été interpellés de nombreuses fois à ce sujet). Outre les diverses capacités spéciales de chaque unité, comme la désignation de cibles ou le déploiement de radar, Broken Arrow introduit un excellent système de mission de tir pour ses unités d'artillerie, permettant de configurer en trois clics les munitions, la longueur de la séquence et le cône de tir.

Broken Arrow  Broken ArrowL'assaut de grands centres urbains nécessitera beaucoup de troupes et des pertes obligatoires. / Les Baltes sont des victimes collatérales inévitables.

La guerre de la Baltique dépeinte ici suit en fin de compte bon nombre de rebondissements, aboutissant à une issue que nous n'allons pas vous divulgâcher ici. À travers certains objectifs secondaires devant parfois être choisis entre deux, et via les dialogues de ses personnages, le titre de Slitherine se permet même une critique des deux camps, soulignant la pesante bureaucratie occidentale et l'ingérence de ses politiques d'un côté, et la corruption et la vétusté des matériels hérités de la Guerre froide de l'autre.

Quel que soit son message, il reste cependant un jeu de stratégie redoutablement efficace, qui donne envie d'y revenir régulièrement. Malgré son aspect un peu brut de décoffrage et un léger manque de finitions, on a envie d'en voir plus. Mais vu que le jeu paraît particulièrement bien se vendre sur Steam à l'heure actuelle, peut-être peut-on espérer des extensions futures qui porteront le conflit dans d'autres coins du monde.

8.0
Broken Arrow

Nul besoin de réinventer le jeu de stratégie moderne quand on le fait aussi bien : Broken Arrow réussit un titre qui emprunte autant à Wargame qu'à World in Conflict, en introduisant sa patte avec une thématique originale et un gameplay qu'il sait garder efficace en ne le surchargeant pas inutilement. On lui pardonnera facilement son manque de finitions : c'est un très bon cru.
Intérêt historique :Évidemment, sortir un jeu sur une telle thématique en 2025 ne se fait pas sans rappeler en permanence les tensions géopolitiques actuelles, voire même la guerre d'Ukraine, même s'il n'en est jamais fait mention explicitement. Broken Arrow parvient quand même à mettre en scène de manière extrêmement crédible son conflit contemporain localisé au fond de la Baltique, si l'on fait exception de quelques incohérences, telles que l'absence de troupes européennes, qu'il prétexte par une menace russe d'utiliser des armes nucléaires.
  • +Le thème attractif
  • +Gameplay accessible et bien équilibré
  • +Grande variété des missions des deux campagnes
  • -Courbe de difficulté assez mal lissée
6
Direction artistique

S'il est convaincant à distance, les cartes restant assez grandes, le jeu s'avère nettement moins reluisant quand on cherche à observer les affrontements d'un peu trop près. C'est dommage de ne pas avoir fait un peu mieux, mais au moins le titre reste fluide en toutes circonstances.

6
Technique

Si le jeu n'a pas planté une seule fois sur une machine de test, certains chargements peuvent être assez exagérés, et on observe pas mal d'aliasing ou de clignotements de bâtiments. C'est dommage, mais au moins le jeu est fluide, et cela ne relève probablement que d'un travail d'optimisation qui sera certainement déjà arrivé quand vous verrez ces lignes.

8
Jouabilité

Excellente, même si en fin de compte la microgestion possible de certaines unités, comme la sélection de munitions ou la désactivation de certaines armes, reste assez accessoire car vous aurez trop de troupes à gérer en même temps. Mais Broken Arrow s'assure d'un gameplay terriblement efficace, même s'il est punitif.

7
Durée de vie

Une petite rejouabilité existe, le temps de compléter quelques objectifs secondaires et de faire un ou deux choix alternatifs ; et l'ensemble se complète d'un multijoueur où des fondus de simulation militaire s'affrontent déjà. Rien qui ne vous occupera jusqu'à Noël, mais il suffit à justifier son prix.

8
Ambiance

Très bonne, servie par un casus belli somme toute crédible au vu des tensions induites par la région d'où l'étincelle part. Les dialogues et la mise en scène du jeu, autant en solo qu'en multijoueur, servent très bien son propos.

8
Scénario

Tout à fait crédible, le conflit de Broken Arrow est d'un réalisme assez saisissant, malgré l'absence de troupes européennes. Les malheureux états baltes sont dévorés par l'ogre russe en quelques jours, devant compter sur une arrivée massive de troupes américaines, qui suffiront, ou pas, a forcer les deux camps à un statut quo.


  • Cernunnos Testeur, Rédacteur
  • "Messieurs, c'est une plage privée! Je crois que nous dérangeons!" - Un officier britannique sur Sword Beach