Analyse d'une oeuvre : La bataille de Morat de Martin Martini

Sydfire
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Guerre de Bourgogne
9 mai
2018

La bataille de Morat s’est déroulée le 22 juin 1476 et demeure de loin l'événement le plus marquant de l'histoire de la Suisse. Alliée de Louis XI, la Confédération des huit anciens cantons martyrisera une deuxième fois les troupes de Charles le Téméraire, à la suite de la bataille de Grandson, la même année.

Si cet événement est retenu dans l’historiographie, c’est aussi par ses dimensions politiques contemporaines qui tentent d’unifier le peuple sous une bannière commune et patriotique. En effet, la Fête de la Solennité est une commémoration de la bataille de Morat et les écoliers de la ville même défilent dans les rues. De plus, au XIXe siècle, le président de la Confédération, Emil Welti, avait déclaré les propos suivants : « Nous célébrons l’heureuse issue des guerres de Bourgogne comme les Grecs célébrèrent jadis les victoires de Marathon et Salamis sur le despotisme asiatique ».

L’article abordera la bataille de Morat sous une facette originale. Pour ce faire, nous nous plongerons à travers une représentation d’une gravure sur cuivre de Martin Martini. Le but est le suivant : raconter l’histoire à travers l’image.

Dans un premier temps, nous allons présenter l’auteur. Puis, dans un deuxième temps, nous nous focaliserons sur la source en question. Les mots sont parfois insuffisants pour exprimer une pensée et c’est pourquoi nous procéderons à une description picturale afin de ressortir les enjeux de la bataille de Morat.

Tout d’abord, Martin Martini fut un graveur, orfèvre, peintre sur verre et artiste universel du XVIe et XVIIe siècle, dont les portraits, les images de dévotion et les illustrations de livres furent très appréciées par sa clientèle. Après son apprentissage à Coire, il se rendit à Lucerne, où il réalisa une gravure sur cuivre en représentant la ville et en y ajoutant les armoiries des familles aristocrates. En 1601, il fut expulsé de Lucerne pour des raisons de commerce privé. Il s'installa à Bünden, puis à Uri et travailla jusqu'en 1609 à Fribourg. L’année suivante, il prit le poste de maître-menuisier à la cour du comte Agostino Spinola à Tassarolo.

Avec son contemporain Gregorius Sickinger, Martini réforma l'art du veduta (un genre pictural sur la représentation en perspective de paysages urbains) en utilisant la technique de l'héliogravure. Martini se consacra également à l'impression d'images religieuses de saints et à la représentation des armoiries des élites urbaines. Martini réalisa des dessins en perspective extraordinaires en géométrie et en cartographie.

Actuellement, ses orfèvres, gravures et peintures sur verre sont encore peu connus, mais aujourd’hui, nous lui rendons grâce.

La gravure

Martin Martini reproduit une gravure de la bataille de Morat en 1609, à partir d’un tableau du XVe siècle du peintre Heinrich Bichler. Cependant, le tableau qui se trouvait à l’Hôtel de ville de Fribourg a disparu au cours du XIXe siècle. Par conséquent, la gravure de Martini nous restitue non seulement le chef-d’œuvre du peintre, mais elle s’érige aussi en une source capitale dans la manière de nous présenter le déroulement des combats.

Analyse d'une oeuvre : La bataille de Morat de Martin MartiniMartin Martini. La Bataille de Morat, 1609, gravure sur cuivre, faite d’après le tableau aujourd’hui disparu de Heinrich Bichler en 1480 pour l’Hôtel de ville de Fribourg. 101 X 39,5 cm.

Si nous prenons un point de vue large de la gravure, nous remarquons que le déroulement de la bataille se poursuit ainsi. Les Confédérés et leurs alliés attaquent l’armée du duc de Bourgogne (en haut à gauche). Puis, ils saccagent le camp ennemi (au centre) et poursuivent l’armée en dehors de la ville (à droite, en haut et au milieu). Enfin, ils terrassent les derniers Bourguignons qui se précipitent dans le lac et se noient (à droite en bas). Toutefois, il est pertinent de mentionner l’allié de Charles le Téméraire qui se situe à l’extérieur de la ville (en bas à gauche), mais qui n’intéresse en aucun cas les Confédérés préférant persécuter les troupes bourguignonnes.

Analyse d'une oeuvre : La bataille de Morat de Martin Martini

Quelques lieux majeurs méritent d’être relevés. En premier lieu, nous remarquons le camp du Comte de Romont (ci-contre) qui est légèrement impliqué au conflit. Certes, quelques archers et canonniers attaquent les Confédérés, des cavaliers se mobilisent. Mais si nous regardons attentivement, d’autres nous semblent indifférents à la situation.

Analyse d'une oeuvre : La bataille de Morat de Martin Martini

Ensuite, la gravure nous restitue la ville de Morat (ci-contre) par ses traits architecturaux. Nous pouvons déceler ses moyens de défense (remparts et barricades).

Si vous avez toujours une très bonne vue, vous remarquerez un ours sur un drapeau au cœur de la ville. Peut-être pouvons-nous supposer que l’auteur ait voulu insérer une référence visuelle des garnisons bernoises commandées par Adrian Ier von Bubenberg ?

Enfin, la tente de Charles le Téméraire (ci-dessous) surplombe les différents campements de ses troupes. Même si cela occupe une grande majeure partie de la gravure, elle reste toutefois dévastée.

Analyse d'une oeuvre : La bataille de Morat de Martin Martini

Après avoir présenté de manière générale ce que nous pouvions apercevoir au premier coup d’œil, c’est-à-dire le déroulement de la bataille de Morat ainsi que la mise en exergue des différents lieux, intéressons-nous maintenant aux références plus subtiles.

La gravure reprend des dimensions spirituelles et métaphoriques si nous centrons notre regard sur les deux anges ainsi que le soleil, lui-même personnifié. Serait-ce pour rendre la bataille symbolique ?

La bataille oppose deux camps : la Confédération des VIII cantons alliés au duc de Lorraine, aux Alsaciens et au roi Louis XI face à l’armée de Charles le Téméraire allié au Comte de Romont. De plus, les notes présentées de manière alphabétique dans la gravure (de A à L) nous expliquent les différents événements.

Analyse d'une oeuvre : La bataille de Morat de Martin Martini

Mais il n’est pas seulement question de guerre, mais aussi de religion, car les Évêques de Bâle et de Strasbourg sont présents et sont vêtus de leur coiffe (en dessous de la lettre A). Une église catholique se perçoit sur la gauche de Morat. Sur la droite, des individus se mettent à genou et joignent leurs mains lorsque les Confédérés libèrent la campagne. Serait-ce un miracle ?

Analyse d'une oeuvre : La bataille de Morat de Martin Martini

Charles le Téméraire, personnage important de la gravure, conserve une focalisation plus importante et précise afin de le démarquer de son armée (à droite, à la lettre G).

La gravure semble nous restituer l’organisation sociale médiévale. Certes, les bellatores sont omniprésents. Cependant, nous pouvons avoir une représentation des laboratores à travers plusieurs tâches. En prolongeant notre regard de gauche à droite depuis le bas, nous sommes confrontés à des infirmes, paysans, bouchers et des femmes dévouées dans leurs tâches ménagères.

Conclusion

En somme, la question n’est pas de savoir si la gravure reste fidèle aux événements historiques et à la géographie du lieu. Cette source essentielle nous démontre l’ampleur de la bataille ainsi que les barbaries commises. Elle nous présente aussi les acteurs principaux et ses dimensions hors normes qui dépassent le simple cadre de la ville de Morat. Bref, « Charles le Téméraire perdit à Grandson le bien, à Morat le courage et à Nancy la vie ».

Sources

  • Martin Martini. La Bataille de Morat, gravure sur cuivre, 1609.
  • George Grosjean, Der Kupferstich Martinis über die Schlacht bei Murten im Jahre 1476, Bibliophile Drucke von Josef Stocker, Dietikon, 1974.
  • Le Panorama de la bataille de Morat, Fondation pour le panorama de la bataille de Morat 1476, Fribourg 2002.
  • sydfireSydfire Contributeur
  • "En politique le choix est rarement entre le bien et le mal, mais entre le pire et le moindre mal." Machiavel