L'Histoire sur un plateau : 13 Jours - La crise des missiles de Cuba, 1962

Hurukan
Contributeur
15 mars
2018

Certaines périodes de l’Histoire sont assez peu traitées, que ce soit dans les jeux vidéo mais également en terme de jeux de plateau. La Guerre froide en est un excellent exemple. Triste coup du sort pour une période plus que riche en événements et marquant la tension intenable entre deux des plus grandes puissances mondiales juste après la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Alors il est vrai que cette “Guerre froide” ne se démarque pas par son dynamisme, par des déplacements majeurs de troupes ni par des batailles restées célèbres dans nos manuels d’Histoire et qui auraient nourris des mécanismes de jeu riches et variés. Ici et comme son nom l’indique, il a été question pendant des années d’un conflit bien moins militaire que technologique, économique, idéologique et politique. Sacré dilemme que d’essayer de transposer toutes ces notions quelque peu abstraites sur un plateau !

L'Histoire sur un plateau : 13 Jours - La crise des missiles de Cuba, 1962"Le bras de fer nucléaire", caricature de 1962 représentant Khrouchtchev et Kennedy.

13 Jours vous invite à revivre ce célèbre conflit à travers l’une des crises majeures du XXe siècle, celle des missiles de Cuba. En 1962 et durant treize jours, le monde retint son souffle, observant l’affrontement politique et les manoeuvres des deux camps en se demandant si ceux-ci allaient se diriger vers la paix ou vers la Troisième Guerre mondiale.

Vous incarnerez, au choix, le président américain Kennedy ou le Premier Secrétaire Soviétique Khrouchtchev et tenterez de vaincre le camp ennemi en prenant l’ascendant sur de multiples terrains d’opérations militaires, politiques et médiatiques. Prenez garde, si vous déclenchez la guerre nucléaire, vous perdez la partie et rentrerez séance tenante dans le hall des personnages les plus détestés de l’Histoire.

« L’épreuve de force doit maintenant avoir lieu, car dans une année ou deux,
la situation aura largement empiré. Si nous ne voulons pas que la Russie
établisse des bases de lancement de missiles à Cuba, le temps est venu
de décider jusqu’où nous sommes prêts à aller pour que cela n’arrive pas.
 »
- John F. Kennedy -

Une petite leçon d’histoire s’impose

Il sera intéressant, avant de commencer la partie, de lire ou tout du moins de feuilleter le petit guide historique que vous trouverez dans la boîte du jeu. Petit plus très appréciable que nous avions déjà relevé chez l’éditeur Asyncron et que nous retrouvons ici chez Matagot, ce souci du détail et de l’immersion historique si cher à nous autres, fanas d’Histoire que nous sommes. Rassurez-vous chers amis lecteurs d’HistoriaGames, je vous en propose ici un petit résumé, avant de rentrer dans le vif du sujet et de vous parler du jeu en lui-même.

Alors qu’en est-il au juste de cette crise des missiles de Cuba ? Il faut bien le dire, cette dernière n’occupe qu’une toute petite partie, voir même quelques paragraphes seulement de nos manuels scolaires. Nous ne vous jetterons donc pas la pierre si vous abordez ce résumé la tête pleine de questionnement sur le sujet. Elle reflète pourtant une époque où le monde n’a jamais été aussi proche d’un conflit nucléaire généralisé (et donc peut-être de sa destruction ?).

L'Histoire sur un plateau : 13 Jours - La crise des missiles de Cuba, 1962Affiche de campagne de Kennedy lors des élections présidentielles américaines de 1960.

Nous pourrions situer les prémices de la crise à venir dans l’élection présidentielle américaine de 1960. À l’époque, en pleine campagne, Kennedy affirme que les États-Unis accusent un retard balistique par rapport aux Soviétiques. L’information est erronée, balayée par les vols de reconnaissance et les renseignements des états satellites de l’administration d’Eisenhower, président américain sortant. Le mal était fait, une fois élu, cette déclaration lia les mains et la politique étrangère de Kennedy. L’opinion publique exigea de lui qu’il se montre ferme et combatif envers la “menace communiste”. Kennedy continua donc le programme de déploiement de missiles dans l’Europe d’Eisenhower et en implanta, dès 1961, en Italie et en Turquie.

En plein coeur de la Guerre froide, les tensions étaient déjà extrêmes et le moindre petit événement pouvait prendre des proportions extravagantes. Ainsi, lorsqu’un sommet fut organisé et que les deux présidents se rencontrèrent en 1961 à Vienne, les médias et l’opinion publique jugèrent que Khrouchtchev avait été bien meilleur. L’humiliation subie par Kennedy, renforçée par son incapacité à agir lors de la construction du Mur de Berlin cet été là par les soviétiques, nourrirent sa volonté de se montrer beaucoup plus ferme à l’avenir. Il ne perdra pas la prochaine crise.

L'Histoire sur un plateau : 13 Jours - La crise des missiles de Cuba, 1962Photographie aérienne d'une base de missiles soviétique à Cuba.

Le 14 octobre 1961 (retenez-bien cette date), les Etats-Unis découvrirent que les Soviétiques étaient en train de construire une base de missiles à Cuba. L’histoire officielle retient ce moment comme le début de la Crise des missiles de Cuba.

Le lendemain même, Kennedy créa un comité exécutif (baptisé EXCOMM) pour discuter des différentes options de réponse et trouver une marche à suivre. Les toutes premières options américaines étaient les suivantes : une frappe aérienne sur la base de missiles de Cuba, une invasion militaire suivie d’une occupation de Cuba, un blocus contre l’île ou alors, tentant le tout pour le tout, la diplomatie et la négociation afin de convaincre Castro de renoncer au communisme (après le flop du débarquement de la Baie des Cochons, nous ne sommes pas certains que ça soit la meilleure des solutions).

L'Histoire sur un plateau : 13 Jours - La crise des missiles de Cuba, 1962Avion U-2 américain, principalement utilisé pour la reconnsaissance aérienne.

S’en suivirent, sur un laps de temps très court (13 jours), de multiples manoeuvres militaires, politiques, économiques et médiatiques d’un côté comme de l’autre. Un avion U-2 américain fût abattu au-dessus de Cuba, un sous-marin soviétique fût quasiment coulé par un destroyer américain, l’état d’alerte militaire américain passa pour la première fois de son histoire à “DEFCON 2”, lançant une multitude de B-52 équipés de bombes atomiques dans les airs. Malgré tout cela, le conflit ne franchit jamais le point de non-retour et il s’acheva le matin du 28 octobre 1962. Kennedy décréta qu’il n’envahirait pas Cuba et qu’il retirerait ses missiles Jupiter d’Europe. En réponse, l’Union soviétique démantela sa base de missiles à Cuba. La crise était belle et bien terminée… mais pas encore la Guerre froide.

« Je vous suggère de ne pas serrer le noeud de la guerre si fort
qu’il ne puisse plus être défait.
 »
- Khrouchtchev à Kennedy -

Du livre d’histoire au plateau

Vous l’aurez compris, 13 jours est un jeu dans lequel vous allez devoir vous battre sur plusieurs fronts tout en gardant à l’esprit que déclencher la guerre vous mènera à votre perte. Au fil de la partie, vous gagnerez du prestige en dominant les neufs principaux théâtres d’opérations disséminés autour du globe, tout en dominant également les sphères militaires, politiques et médiatiques.

À chaque tour, vous allez devoir déterminer un objectif à suivre. Les cartes "stratégies" que vous choisiraient représenteront les stratégies que vous mettrez en place sur le terrain pour atteindre cet objectif. Elles vous permettront de modifier l’influence que vous ou votre ennemi possédez dans une sphère donnée. Mais attention, gardez à l’esprit que la guerre n’est jamais loin, abuser de son influence peut vite mener le plus respectueux des dirigeants à aller beaucoup trop loin. Mais voyons plutôt cela dans le détail d’un tour de jeu.

Le plateau de 13 jours représente un planisphère sur lequel sont représentés les neufs théâtres d’opérations principaux de la Crise des missiles de Cuba. Trois sont militaires et représentent les tensions armées du conflit : Cuba, océan Atlantique et Berlin. Trois autres sont politiques : Cuba, Turquie et Italie (deux pays dans lesquels les États-Unis avaient des missiles Jupiter installés). Trois autres enfin sont médiatiques : la télévision, les Nations Unies et les alliances affiliées à chacun des deux camps.

Ce sont ces théâtres d’opération qu’il va falloir tenter de contrôler à chaque tour, en y déplaçant son influence selon l’objectif que l’on s’est fixé. Mais nous y reviendrons dans quelques instants.

Sur le même plateau, nous trouvons une piste de prestige correspondant au score des deux joueurs, un compte-tour, une piste DEFCON partagée en trois niveaux d’alerte et enfin deux emplacements “carte objectif” (un pour les États-Unis et un pour l’URSS) ainsi qu’un autre lié aux “cartes répercussions” jouées en toute fin de partie.

L'Histoire sur un plateau : 13 Jours - La crise des missiles de Cuba, 1962Un plateau de jeu offrant différents théâtres d'opérations.

Au commencement des hostilités…

Au commencement d’un tour de jeu (une partie en totalisera trois), les joueurs commencent par avancer leurs marqueurs d’un cran sur la piste DEFCON militaire, politique et médiatique. Cette avancée gratuite en début de tour influencera forcément la façon de jouer sur ce tour en cours. Puis les joueurs des deux camps piochent chacun trois cartes objectifs. À partir de ces trois cartes en main, qui représentent chacune un terrain d’opération sur le plateau, chaque camp va devoir définir son objectif pour le tour. C’est lui qui apportera les points de prestige, uniquement s’il est mené à bien.

Chaque joueur va commencer par placer un drapeau de son camp sur chacun des trois théâtres d’opération qu’il convoite. Ainsi, même si l’objectif que vous choisirez restera secret, votre adversaire aura une chance sur trois de déterminer convenablement ce que vous convoitez. Puis, vous sélectionnerez un objectif à atteindre, que vous garderez secret et défausserez les deux autres. Prenons un exemple.

Vous choisissez comme objectif le théâtre d’opération militaire de la Turquie. Votre objectif en fin de tour sera donc de posséder plus d’influence que votre adversaire sur ce terrain. Vous gagnerez ainsi des points de prestige, équivalents à la différence des pions influence entre les deux camps en Turquie. Aurais-je oublié de mentionner qu’avec ce jeu, vous allez devoir vous creuser les méninges ?

L'Histoire sur un plateau : 13 Jours - La crise des missiles de Cuba, 1962Les cartes objectifs.

Une fois l’objectif clairement défini, chaque joueur pioche cinq cartes “stratégie”. Celles-ci vous permettront d’agir directement sur le terrain, à travers des événements ou des ordres visant à placer ou retirer des pions influence de certaines régions du globe. Le joueur possédant le moins de prestige débute le tour (au premier tour l’URSS mal léché lance toujours les hostilités).

Les cartes “stratégie” sont de trois types. Il y a les cartes affiliées au camp américain, celles affiliées au camp soviétique et enfin celles affiliées aux Nations Unies.

Chaque carte peut être jouée de deux façons différentes. Si la carte est représentative de votre superpuissance, alors vous pourrez jouer l’événement qui y est indiqué. celui-ci est en général une “super action” vous permettant, en quelques coups de cuillère à pot (fameuse expression directement importée de 1962), d’asseoir votre autorité dans une région ou de gêner l’adversaire sur son territoire. Vous pourrez également l’utiliser pour donner un ordre. Cela reviendra à placer ou à retirer autant de cubes influence d’un terrain d’opération que le mentionne la carte. Comme chaque camp possède uniquement dix-sept cubes influence et que ceux-ci ne sont pas réinitialisés à chaque tour, les ordres vont vite devenir indispensables.

Attention cependant, pour lancer un événement vous avez absolument besoin que la carte jouée soit affilié à votre camp ou à celui des Nations Unies. En revanche, vous pouvez très bien choisir une carte adverse pour donner un ordre. Mais si vous faites cela, votre ennemi aura l’opportunité de bénéficier de l’événement de votre carte, avant que vous ne donniez votre ordre. De plus, certains événements ou certains ordres font avancer les pions sur la piste DEFCON.

« On était là, à se regarder en chiens de faïence,
et celui d’en face a cligné des yeux le premier.
 »
- Dean Rusk, Secrétaire d’état des Etats-Unis -

Répercussions, bonus médiatiques et guerre nucléaire

L'Histoire sur un plateau : 13 Jours - La crise des missiles de Cuba, 1962Les différents types de cartes "stratégie".

Après que chaque joueur a joué quatre des cinq cartes “stratégie” piochées, chacun place la dernière carte restante dans la pile des “répercussions”. Celles-ci seront révélées en toute fin de partie et permettront de gagner 2 points de prestige bonus au camp qui aura comptabilisé le plus de cubes influence avec ces cartes.

Ce mécanisme permet de représenter assez fidèlement les répercussions des choix politiques, économiques et médiatiques effectués durant la Crise des missiles de Cuba. Ainsi et à titre d’exemple, l’Histoire retiendra que, remonté par son succès, Kennedy jugea qu’une politique étrangère encore plus sévère envers le communisme était possible, ouvrant la voie quelques années après à la guerre du Vietnam.

C’est à ce moment-là également que les joueurs vont récupérer les bonus médiatiques liés aux différents théâtres d’opérations médiatiques qu’ils dominent. Si un joueur domine la sphère télévisuelle, il pourra augmenter ou baisser d’un cran l’un de ses marqueurs DEFCON. S’il contrôle les Nations Unies, il reçoit en récompense la carte bonus “lettre personnelle” de son adversaire qui lui permet de remporter la victoire avec une égalité de prestige. S’il domine la sphère des alliances, alors le joueur pioche la première carte de la pioche “stratégie” et décide s’il la place ou non face cachée dans la pile des répercussions.

Après avoir récupéré ses bonus médiatiques, chaque camp va révéler son objectif pour le tour et vérifier s’il l’a accompli ou non. C’est à ce moment que, selon leur réussite, les joueurs avanceront leur pion sur la piste de prestige.

Puis, il sera temps de vérifier que les actions avancées par les deux superpuissances n’ont pas déclenchées une guerre nucléaire. Pour cela, il suffira de regarder le positionnement des pions sur la piste DEFCON. À ce stade, un joueur perd instantanément la partie s’il possède un pion en zone DEFCON 1 ou tous ses pions en zone DEFCON 2. Cela signifiera qu’il est allé trop loin et que la guerre nucléaire totale a été déclarée.

Puis, on avance le pion compte-tours et un nouveau tour démarre. À la fin du troisième tour seront résolues les cartes “répercussions” puis la partie prendra fin.

L'Histoire sur un plateau : 13 Jours - La crise des missiles de Cuba, 1962Les trois pistes DEFCON. Le risque de guerre nucléaire est bien réel !

Intérêt historique

13 jours - La Crise des missiles de Cuba est un jeu extrêmement riche du point de vue historique. Le livret sur l’historique de la Crise qu’accompagne le jeu vous permettra de refaire ou de parfaire vos connaissances sur le sujet avant la première partie.

Il est à noter, et c’est un avis tout personnel, que le jeu prend toute son ampleur en étant justement sensibilisé au déroulement des faits tels qu’ils se sont produits à l’époque. Cela ne renforcera que votre immersion dans le jeu et vous aidera même à choisir tel ou tel camp en début de partie. De plus, chaque carte de jeux, que ce soient les objectifs ou les stratégies, possèdent un petit texte d’ambiance historique et une description plus poussée dans ce même livret.

Ainsi, 13 jours vous invite davantage à comprendre les intérêts et les enjeux américains et soviétiques de l’époque exprimés à travers les aspects militaires, politiques et médiatiques qu’à revivre (simplement) le déroulement des faits tels qu’ils se sont réellement passés.

N’est-ce pas là le départ de toute bonne uchronie digne de ce nom ? A vous d’en juger !

  • Hurukan Contributeur
  • "Je me presse de rire de tout, de peur d'être obligé d'en pleurer" Beaumarchais dans le Barbier de Séville.