HistoriaGames, le site sur les jeux vidéo historiques

Il est toujours intéressant de rejouer à un jeu vidéo pour voir si nos impressions initiales de l'époque sont toujours d'actualité. Parfois, c'est le cas, parfois non. Je me rappelle avoir acheté cette pépite sur ma bonne vieille Xbox 360 (R.I.P.) dans un petit magasin de jeux vidéo de campagne (R.I.P. x2).

Sur la boîte, il y avait la silhouette d'un homme, le col tourné contre le vent, et l'image de la Tour Eiffel en arrière-plan. Entre l'art et le nom mystérieux, ça m'a suffi. Je l'ai acheté directement et je n'ai pas du tout été déçu.

FFI ou pas FFI ? Sean, tel est la question

The Saboteur, qu'est-ce que c'est ? Pour ceux qui veulent en savoir plus sur le jeu lui-même, vous trouverez un ancien test sur HistoriaGames (écrit par Orochti). Pour les besoins de l'article, je vais tout de même vous le résumer brièvement.

On incarne un Irlandais, Sean Devlin, à Paris, juste avant l'invasion allemande de juin 1940 - on présume le mois parce que les précisions temporelles restent incroyablement floues. Devlin est mécanicien pour l'écurie de course de l'Italien Vittore Morini et nouvellement promu pilote de course. Devlin se retrouve propulsé dans La Résistance naissante suite au meurtre de son ami, Jules, par l'ennemi à abattre, Kurt Dierker, lui aussi pilote de course et officier dans l'armée allemande.

L'histoire reste basée sur la volonté de vengeance de Devlin, le poussant à rejoindre ce "conte" sur la Libération. Le mot "conte" n'est pas anodin. Là où Call of Duty : WWII prend au sérieux son appui sur l'Histoire, même si ce n'est pas toujours réussi ; The Saboteur, lui, semble peu enclin à y faire allusion, mis à part l'inclusion de certains groupes - les nazis, la FFI, le SOE... - et la situation géographique. Heureusement qu'on y voit l'invasion de Paris, sinon on pourrait être à n'importe quel moment des années 40. Et, pourtant, ça passe nettement mieux.

D'abord, le personnage de Devlin est surprenant. On n'est pas habitué à voir un Irlandais au centre d'une histoire se déroulant de 1939 à 1945. On ne sait pas si Sean Devlin provient du nord de l'île d'Émeraude, et donc assujetti à la couronne, mais au vu des choix linguistiques et des insultes utilisées au cours du jeu, on suppose plutôt qu'il vient du sud de l'île.

William Grover-Williams vainqueur du Grand Prix du Comminges en 1928, sur Bugatti T35C. Le Sport Universel Illustré, 7 juillet 1928, p.445 (revue collapsed 1936)

Plus étrangement encore, il semble que le personnage de Sean soit inspiré (de manière très lointaine) de l'histoire vraie de William Grover-Williams, agent franco-britannique, fils d'un Anglais, éleveur de chevaux, et d'une Française. Il était pilote de course pour Bugatti et a remporté le Grand Prix de Monaco en 1929, battant le favori allemand Rudolf Caracciola. Certaines similitudes apparaissent, n'est-ce pas ?

Pendant l'occupation, Grover-Williams a rejoint la Royal Army Service Corps, qui s'occupait de la logistique pour l'armée britannique. Étant parfaitement bilingue, il a été recruté par le S.O.E. et parachuté au Mans début 1942. Une fois sur place, il a recruté ses amis pilotes et a organisé des groupes de sabotage et de réception pour les livraisons parachutées. Celles-ci comprenaient souvent des armes, des explosifs, mais aussi de l'argent destiné à nourrir la France clandestine.

Capturé peu après Jean Moulin, en août 1943, Grover-Williams a été déporté à Sachsenhausen, au nord de Berlin, et finalement exécuté en mars 1945. Bien que les scénaristes de Pandemic se soient largement éloignés de la vie de Grover-Williams, il est quand même intéressant de pouvoir effectuer des recherches sur un Résistant peu connu.

Bon, la parenthèse culturelle est terminée, revenons au jeu. Ici, The Saboteur porte fièrement les influences des grands jeux de l'époque. On y trouve un peu partout des touches de Grand Theft Auto : Vice City ou San Andreas dans les mécaniques de jeu et le style artistique un peu plus sombre de GTA IV, sorti l'année précédente. Dans la conduite, on peut aussi voir l'influence de Mafia, avec ses vieilles limousines et voitures des années 30.

Mais l'influence la plus flagrante est celle d'Assassin's Creed ; je parle évidemment du premier volet de la série d'Ubisoft. Les déplacements en parkour, l'escalade des bâtiments et les techniques de dissimulation pour fuir les poursuivants nous rappellent son mode de fonctionnement. On voit même des cinématiques de panorama permettant de découvrir des lieux emblématiques de Paris, comme l'Opéra Garnier ou le Sacré-Cœur. La seule chose qui manque, c'est le saut de l'ange dans le vide... Si l'imitation est la forme la plus sincère de flatterie, The Saboteur cherche clairement à se faire remarquer.

Quelqu'un a vu mon tas de foin ?

Il y a néanmoins des parties du jeu qui sont moins réussies, notamment dans l'histoire et la profondeur des personnages. Mis à part Sean Devlin, l'Irlandais bourru et grossier, il y a aussi Dierker, le méchant Allemand, Skylar la femme fatale à temps partiel, Véronique la résistante française qui plaît bien au héros, et aussi Wilcox, l'agent britannique hautain et déplaisant... On reconnaît tous ces caractères stéréotypés.

De plus, l'histoire de revanche du gentil contre le méchant Allemand est clichée, même si cela se passe à Paris pendant la Seconde Guerre mondiale. Les développeurs ont clairement pris le parti d'en dire le moins possible sur les nombreux événements historiques qui se sont déroulés ces années-là... Comme pour Call of Duty : WWII, il faut se rappeler que ce n'est pas vraiment un jeu fait pour les historiens, mais pour un public plus large qui n'a pas besoin d'autant d'informations, aussi intéressantes soient-elles, au regard du jeu.

Si on prend ce jeu comme il vient, sans trop de sérieux, c'est l'un des jeux sur la Seconde Guerre mondiale dans lequel je me suis le plus éclaté depuis l'époque d'Hidden and Dangerous et du premier volet de Commandos : Behind Enemy Lines.

Les développeurs qui avaient l'ambition de faire revivre Paris à cette période ont globalement réussi : pour la conduite, le combat à mains nues, les mécaniques de jeu de tir, le parkour, l'infiltration... et une touche d'humour, parfois trop cru. Il faut bien s'amuser un peu lorsqu'on risque de se faire tuer par un Allemand à chaque coin de rue.

The Saboteur est en quelque sorte le "Papy fait de la Résistance" des jeux vidéo sur la Seconde Guerre mondiale et, franchement, c'est assez rafraîchissant pour balancer la lourdeur du traitement de l'histoire.

En l'occurrence, l'originalité ici réside dans la mise en avant des progrès du personnage à travers le traitement de l'image. Le paysage parisien se modifie en fonction de l'avancée de la campagne.

Dès l'invasion allemande, tout Paris devient un camaïeu de gris, à l'exception de touches rouges et jaunes. Au fil du jeu et des destructions que Devlin effectue, la coloration revient dans les quartiers où les Allemands ont perdu leurs arsenaux et positions... Ce choix esthétique est audacieux pour un jeu vidéo de cette époque, surtout qu'il sert aussi à indiquer au joueur les progrès faits et son avancement dans l'histoire.

Cependant, on aurait pu l'améliorer en incluant plus de références aux événements et personnages connus de l'époque, ce qui aurait sans doute donné plus d'intérêt à l'histoire. Mis à part l'utilisation de la Croix de Lorraine comme symbole de la résistance, on ne trouve aucune référence aux figures notables telles que le général de Gaulle, Jean Moulin ou tant d'autres. Pourquoi ? On a l'impression que les producteurs de ces jeux ne veulent vraiment faire aucune mention de personnes réelles, peut-être par crainte d'attaques pour diffamation ou par manque de recherche et d'intérêt ; je ne sais pas, mais cela aurait contribué à la construction de ce monde qui, certes, n'est pas véridique, mais aurait mérité d'être étoffé par ces références.

Malheureusement, en raison d'un manque de publicité, The Saboteur restera méconnu du grand public, malgré son apparition sur le service d'EA et donc son accessibilité par abonnement au Game Pass Ultimate de Microsoft. C'est triste, mais c'est ainsi que le monde fonctionne.

En tout cas, ce petit retour dans les couloirs de la nostalgie a confirmé ma première impression : j'aime bien ce jeu ; c'est un mélange assez harmonieux des jeux phares de l'époque Xbox 360/PS3 avec un brin d'histoire de fond. Il manque simplement des personnages plus travaillés pour étoffer le jeu d'anecdotes et d'interactions intéressantes. C'est pour cela que je donne à The Saboteur le rang de Sous-lieutenant.

À mon avis, le jeu mérite d'être joué par plus de monde, même en 2023, surtout compte tenu de sa disponibilité actuelle, malgré le fait qu'il commence à montrer des signes de vieillissement. Sur le plan historique, il y a des lacunes importantes, mais le jeu reste, malgré tout, la meilleure représentation de la Résistance française dans les jeux vidéo jusqu'à aujourd'hui. Et tout cela avec un protagoniste irlandais. Qui l'aurait cru ?

Ne pleure pas pour moi, Paris.