Mission Accomplie ? Retour sur l'historicité des jeux vidéo - Épisode 2 : La Libération de Paris vue par Call of Duty WW2
Il est assez rare qu'un événement soit à la fois considéré historique de nos jours et, en même temps, inutile sur le plan stratégique. C'est pourtant le cas de la Libération de Paris, qui a eu lieu du 19 au 25 août 1944. Mais, l''objectif de cet article n'est pas de vous faire revivre l'histoire de la libération de la Ville des Lumières, c'est un sujet qui mériterait un article à part entière, bientôt à venir.
Comme vous le savez si vous avez lu le précédent article, j'ai récemment joué à Call of Duty : WWII afin de vérifier si l'histoire de "Red" Daniels et de ses camarades suivait véritablement celle du "Big Red One", la 1re division de l'Infanterie américaine.
Nous les avons suivis depuis les plages de Normandie jusqu'au bocage normand, pendant l'Opération Cobra, jusqu'aux portes de Paris. Alors que les autres missions ont toutes un brin historicité, ici la série mythique part complètement dans une autre direction, à l'Est ou à l'Ouest ?
Suspense... non, la 1re division de l'Infanterie n'a pas du tout participé à la Libération de Paris. Cette partie de la mission est totalement inventée, ce qui m'amène à me demander si cela pose réellement problème ?
En tant qu'historien, ma réponse pourrait vous surprendre, mais je ne trouve pas cela si dérangeant. Honnêtement, un peu de liberté créative de la part des développeurs/scénaristes est plutôt rafraîchissante. Il faut se rappeler que lorsqu'un jeu historique est développé, l'objectif principal n'est pas de satisfaire les académiciens aux vestons de tweed poussiéreux.
Leur raison d'être, surtout pour ceux qui travaillent dans les studios triple-A, comme Activision-Blizzard, c'est de créer un jeu qui se vendra à des millions d'exemplaires, c'est tout. Certes, ce n'est pas la révélation de l'année, mais cela est parfois facile à oublier.
Cependant, il y a des limites à ne pas dépasser entre prendre des libertés créatives sur un scénario et inventer complètement des événements, comme dans la mission 5 de Call of Duty : WWII, intitulée Libération...
Ce qui rend cette mission particulièrement controversée, c'est que le jeu prétend, de manière large et sans se prendre au sérieux, rester fidèle à l'histoire du "Big Red One".
Dès le début de la mission, on entend 'Rousseau', le nom de guerre de Camille Denis, agent féminin des Forces françaises de l'intérieur, raconter l'histoire tragique de sa famille, capturée et torturée à sa place par la cible de notre mission, le SS-und Politzeiführer Heinrich. Celui que nous devons donc assassiner. C'est notre collègue de la mission précédente, Crowley du Special Operations Executive, qui nous donne le plan.
Selon lui, il faut infiltrer la garnison allemande au centre de Paris en se déguisant... D'accord. Puis prétendre devoir remettre des documents de transport au centre des opérations nazies à Paris, à Heinrich en personne, juste avant que les troupes du Général Leclerc ne franchissent les portes de Paris... Mouais, pourquoi pas ?
Une fois arrivé à la garnison, transporté par une voiture de l'occupant et passant devant des soldats maltraitant tranquillement des passants, on pourrait croire être en 1942 ou même en 1943. Mais non, ils ont préféré choisir une date spécifique, le 25 août 1944, pour avoir le soutien "historique" des Américains avec les FFI et le SOE.
Étonnamment, aucun des personnages du jeu ne semble être au courant de l'approche rapide des Alliés, même si nous venons de vivre quatre missions en tant que libérateurs avec ‘Red' et ses camarades.
Avant de tenter d'entrer par le grand portique de la "Préfecture de Police" de l'Île-de-la-Cité, il est essentiel que "Rousseau" maîtrise le profil de sa couverture, Gerda Schneider. Il y a un risque important d'interrogatoire, donc prenons des notes. Apparemment, son accent teutonique est passable, alors entrons tranquillement dans le repaire des loups.
On aurait pu le croire, mais nous voilà transportés à l'intérieur cauchemardesque d'un club de gentlemen londonien des années 30. Il ne manque plus que les majordomes proposant des allumettes pour les cigares de ces messieurs. La guerre ? Mais de quoi parlez-vous ? Tout ce qui nous manque ici, mon cher Otto, c'est une petite goutte de cognac... hic. Allez-hop ! La petite Gertrude ira bien nous chercher une autre bouteille à la cave.
Franchement, les développeurs ont carrément dérivé vers une autre période, ignorant l'histoire initiale de 1944, et apparemment, leur conseiller historique n'a pas jugé bon de relever cela comme gênant. On pourrait presque se dire que les Alliés étaient superflus pour battre les SS et la Wehrmacht ; les caves de France auraient suffi à les faire couler sous les pavés de Paris !
Après une recherche sinueuse dans les couloirs de cette maison où l'on rencontre des bergers allemands, des Allemands dragueurs et des résistants emprisonnés dans des cellules, on se retrouve enfin dans le bureau de Heinrich, "le bourreau".
Apparemment, il sait que cette soi-disant Gertrude, qu'il ne connaissait pas il y a deux minutes, a étudié à Cambridge. Comment ? Quoi ? Hein ? Cher joueur, ne te prends pas la tête, cela donne simplement la possibilité à Heinrich et à "Gerda/Rousseau" de converser dans la langue de Shakespeare, parce que... why not ? La conversation se termine par l'histoire de son met préféré, qui lui manquera à Berlin, l'Ortolan gorgé d'alcool et flambé (petit oiseau interdit à la chasse de nos jours).
Soudainement, sans savoir pourquoi, Heinrich se jette sur Gerda avec un tisonnier chaud à la main, criant son nom de "Rousseau". Apparemment, pour donner l'alerte, mais ce n'est pas clair dans le scénario. Une mêlée en QTE (Quick Time Event) s'enclenche et Rousseau réussit à le vaincre en plaçant un tesson de bouteille sur sa jugulaire. Franchement, tant mieux pour elle. Ce qui est regrettable pour nous, par contre, c'est que l'on reste simple spectateur, tout juste nous est-il demandé d'avoir le bon timing, mais j'en ai déjà assez dit sur mon désaccord concernant l'utilisation des QTE dans Call of Duty : WWII.
Une fois l'objectif principal accompli, il ne nous reste plus qu'à nous exfiltrer. La garnison, réveillée de sa torpeur alcoolisée par les cris de son leader déchu, ne tarde pas à réagir. Il faut agir rapidement. "Rousseau" doit rencontrer son contact, Oberst Karl Fischer, afin de récupérer les explosifs qui serviront à faire sauter les portes de la caserne. Elle s'échappe donc dans la sombre cour centrale.
Après une courte attente sous les étoiles (une belle image pour des combattants de l'ombre...), elle réussit à poser les explosifs sur les deux portes. Si les mécaniques furtives de Call of Duty : WWII vous agacent, ne vous inquiétez pas, vous pouvez toujours opter pour l'action directe et éliminer les troupes ennemies. Malheureusement, la mission ne s'arrête pas là.
Après tout ce que nous avons vécu pendant cette mission, on aurait pu espérer une conclusion satisfaisante pour l'histoire de "Rousseau" et de Crowley. Mais non, mesdames et messieurs, c'est l'histoire de "Red" Daniels et bon sang, on ne peut pas la raconter correctement sans prendre quelques libertés avec le scénario quelque part !
On se retrouve alors dans la troisième partie de la mission, le parent pauvre du tableau. Jusqu'à présent, ce n'était pas parfait, mais au moins, nous étions immergés dans l'histoire de "Rousseau" et de Crowley, du FFI et du SOE ; un peu de furtivité, une pincée de vengeance et une grande explosion finale.
Au lieu de terminer là-dessus, nous sommes attachés à "Red" Daniels et à son histoire de camaraderie, qui dure, je vous assure, environ cinq minutes. Je ne comprends vraiment pas pourquoi, après avoir poussé l'invention d'un événement aussi loin, les développeurs n'ont pas achevé le travail en faisant en sorte que "Red" et les autres rejoignent les troupes du Général Leclerc et de la 2e division blindée dans une mission suivante possible.
Au lieu de cela, nous nous retrouvons avec une dernière partie de mission précipitée et décevante, alors que la campagne est déjà courte, avant de célébrer la libération avec Benoît, Édouard, Claude et François. Mes excuses, il n'y avait pas de Claude, cette année-là, mais par contre, il y avait Anna à sa place.
Malgré les problèmes d'authenticité historique, la mission reste variée, même avec cette troisième partie superflue. Elle rappelle ce qui pourrait être considéré (correctement à mon avis) comme l'âge d'or des Call of Duty des années 2000 ; une époque où le mode multijoueur n'était pas l'élément central de la franchise, permettant ainsi des missions de campagne diversifiées et des personnages intéressants.
Je pense notamment aux caractères soviétiques de la campagne russe de Call of Duty : World at War. Bien que "Rousseau" et Crowley ne parviennent pas vraiment au niveau de Reznov ou de Dimitri Petrenko, ni en termes de dialogue ni en termes d'énigmes morales à résoudre, on perçoit tout de même le conflit mondial sous un autre angle que celui de "Red" Daniels.
Pour cela, je leur décerne le grade de Sergent. C'est une amélioration par rapport à ce qui nous avait été proposé lors de la première mission du Jour-J, mais il reste encore beaucoup d'efforts à faire s'ils espèrent atteindre les sommets du Reichstag comme Petrenko.
- Ralta Rédacteur
- "L'histoire sera gentille avec moi car j'ai l'intention de l'écrire." - Winston Churchill