René Fonck, « l’oiseau de proie »

L'Amiral
23 février
2018

Avec 75 victoires homologuées, René Fonck est officiellement l’as des as des Alliés : aucun aviateur n’a eu autant de victoires que lui sur la période 1914-1918. Devenu un des symboles de l’aviation de chasse française, Fonck fait partie du panthéon de ces « casse-cou » devenus héros nationaux.

L’aviation dans la peau

René Fonck naît dans les Vosges le 27 mars 1894, à Saulcy-sur-Meurthe. Son père est employé, comme la majorité des hommes dans les Vosges à la fin du XIXème siècle, dans une scierie.

Il commence vite à s’intéresser à la mécanique : après ses études, René Fonck devient apprenti-mécanicien. Le jeune Fonck suit avec intérêt les développements de l’aviation, et rêve souvent de devenir aviateur.

Appelé le 22 août 1914 au 11ème régiment du Génie à Epinal (Vosges), il fait des pieds et des mains pour intégrer l’aviation militaire alors encore à ses balbutiements. Fonck est élève pilote à Saint-Cyr-l’Ecole le 15 février 1915, et il obtient son brevet de pilote (n°779) sur Caudron G4 le 31 mai de la même année sur la base du Crotoy, dans la Somme, à tout juste 21 ans. Le caporal Fonck est affecté à l’escadrille de reconnaissance de Corcieux (Vosges), passage obligé pour chaque pilote fraîchement diplomé.

En 1915, l’aviation sur le Front de l’Ouest n’est encore seulement utilisée que pour la reconnaissance, les équipages emportant des armes (fusil, revolver) pour se défendre.

La reconnaissance et le début d’une carrière

René Fonck, « l’oiseau de proie »Fonck qui pose en grande tenue sur son avion en 1915.

René Fonck fait ses premières reconnaissances sur Caudron G4, en tant que pilote. Ce bimoteur, d’abord bombardier, est relégué à des missions de reconnaissance. Le premier exploit du caporal Fonck se déroule en août 1915, où il parvient à sauver son appareil lors d’une mission de reconnaissance périlleuse. Il est cité à l’ordre de l’Armée le 22 août 1915.

Fonck continue ses missions de reconnaissance jusqu’en 1916, où il débute sa légende. René Fonck garde une volonté de fer pour intégrer « l’aristocratie », c’est-à-dire les pilotes de chasse.

Dès mars 1916, au prix de manoeuvres périlleuses, il réussit à abattre un Fokker monoplan, mais l’homologation ne suivra pas, l’avion s’écrasant derrière les lignes allemandes.

René Fonck, « l’oiseau de proie »Fonck lors d'une prise d'armes.

Le 6 août 1916, le caporal Fonck, toujours aux commandes de son Caudron G4, tombe nez-à-nez avec deux Rumpler C. I au dessus d’Estrées-Saint-Denis, des avions de reconnaissance allemands. L’armement défensif étant peu utile, le caporal Fonck décide néanmoins d’effectuer des manoeuvres osées, et force au bout d’un long combat un Rumpler C.I à se poser derrière les lignes françaises. Sans tirer un coup de feu, le caporal René Fonck fait ses deux premiers prisonniers ! Il reçoit alors la Médaille militaire pour son action. L’équipage allemand, lui, écume de rage : l’observateur avait, dans sa poche, une permission qui commençait l’après-midi...

Peu de temps après, l’escadrille de reconnaissance C.47 commence à équiper ses appareils de mitrailleuses permettant le tir vers l’avant. René Fonck s’adjuge de nouvelles victoires, jusqu’au 25 avril 1917 où il est enfin muté au groupe des Cigognes, escadrille 103, élite de l’aviation de chasse française.

Les Cigognes et le vengeur de Guynemer

L’aviateur enchaine les victoires chez les Cigognes, côtoyant les meilleurs aviateurs de France. René Fonck abat le 30 septembre 1917 près de Dunkerque l’avion de Kurt Wissemann, l’aviateur allemand qui a descendu Georges Guynemer le 11 septembre. Le 21 octobre 1917, il est fait Chevalier de la Légion d’Honneur pour sa 10ème victoire. Début janvier 1918, Fonck est le troisième aviateur avec le plus de victoires. En mars de la même année, le pilote français abat Adolph von Tutscheck, un as allemand, et dépasse alors Nungesser pour le nombre de victoires.

René Fonck, « l’oiseau de proie »Fonck devant son appareil avec l'emblême de l'escadrille des Cigognes.

Le 9 mai 1918, le sous-lieutenant René Fonck s’envole en milieu d’après-midi pour sa journée la plus « productive ». En un peu moins de 3 heures, Fonck abat six avions allemands ! Le premier à 16h15, le second seulement 10 secondes plus tard, le troisième à 16h45 et les trois autres jusqu’à 18h45... Au retour, son mécanicien impressionné constate que Fonck n’a tiré que 52 balles pour abattre six appareils allemands. Excellent tireur, le Français a aussi une technique bien particulière, qu’il a mise au point au fur et à mesure de ses vols. Il l’explique dans son autobiographie Mes Combats (1920, Flammarion) :

« Je sais me placer dans les angles morts de l'avion attaqué sans engager avec lui un véritable duel. Guynemer combattait autrement et affrontait régulièrement le feu, mais cette tactique est très dangereuse, elle met le pilote à la merci d'un enrayage de son arme.

J'utilise toujours les angles morts et suis forcé pour cela de tirer quelle que soit la position de mon Spad mais je m'y suis fait depuis longtemps. Mes rafales sont de huit à dix cartouches au maximum et souvent je n'emploie pas plus de trois balles.

Outre l'avantage d'économiser les projectiles, ce procédé a aussi celui de me faciliter la visée et de réduire les chances d'enrayage ou de rupture de la mitrailleuse. J'ajoute encore que pour obtenir des résultats sérieux, il faut savoir dominer ses nerfs, garder une absolue maîtrise de soi et raisonner froidement les situations difficiles. J'ai eu à faire aux grands as boches ; j’ai eu la patience, en combattant, d'attendre la minute d'énervement. Ce sont là des qualités nécessaires et je répète ce mot que pour devenir un grand as, l'apprentissage est long, difficile, semé de déceptions et d'échecs répétés au cours desquels notre vie est cent fois jouée. »

Car Fonck est méticuleux, observateur et patient ; il n’est pas une tête brûlée, comme le sont certains pilotes des Cigognes. Il vante à ses élèves un mode de vie sain, avec le recours au sport et une bonne alimentation. S’il ne se sent pas bien, il ne prend pas l’air. Exigence acceptée par le commandement suite à ses victoires. Pour lui, bien loin est l’idée d’un combat chevaleresque dans les airs : c’est plutôt une embuscade, celui qui est surpris a perdu. Maurice Boyer, un de ses camarades d’escadrille, dira à ce propos :

« Fonck dépasse tout ce que l'on peut imaginer. Ce n'est pas un homme, c'est un oiseau de proie. Là-haut, il sent l'ennemi, il en distingue nettement à 8 ou 10 km sans être vu. Il choisit sa proie. Quelques balles suffisent, il n'y a jamais eu de riposte. »

En juin 1918, l’escadrille des Cigognes est envoyée dans la Marne, contrer l’offensive allemande « de la de dernière chance ». En trois jours, il s’arroge sept victoires. En août 1918, au dessus de la Somme, Fonck tombe dans une embuscade tendue par 4 chasseurs allemands. Il en abat trois en 10 secondes... sous les yeux des soldats ébahis dans leurs tranchées. Le 26 septembre, il réitère en abattant six avions le même jour.

René Fonck, « l’oiseau de proie »Fonck devant son Spad XIII.

Le capitaine Fonck et l’après-guerre

Le 11 novembre 1918, Fonck est nommé capitaine après l’homologation de sa 75ème victoire. Il est alors officiellement le pilote français avec le plus de victoires, mais il compte aussi environ 60 victoires non confirmées. Fonck a alors obtenu 27 citations et sa croix de guerre compte 28 palmes. Ses succès lui valent d’être le porte-drapeau de l’Aviation française sur le défilé des Champs-Elysées du 14 juillet 1919. Il s’engage en politique et est élu député des Vosges (sans même avoir prononcé un discours !) jusqu’en 1924.

René Fonck, « l’oiseau de proie »Fonck et Garros, notez le nombre de médailles.

L’entre-deux-guerres se déroule sans encombre pour René Fonck, qui mène différents projets plus ou moins heureux liés à l’aviation. En 1935, l’état-major de l’Armée de l’air lui demande de rédiger un rapport à propos de l’état de l’aviation de chasse. Nommé colonel, il entre au gouvernement du Maréchal Pétain en juin 1940 avec un rôle non officiel et un peu obscur. Comme beaucoup d’anciens combattants, Fonck place toute sa confiance en Pétain, figure héroïque de la Première Guerre mondiale, sans savoir que son régime deviendrait si déviant.

Le colonel Fonck est donc classé sur une liste « noire », des collaborateurs de Vichy. Néanmoins, il prend vite ses distances avec le gouvernement Pétain : il s’oppose souvent à Pierre Laval et se comporte de manière ambiguë selon Vichy envers des résistants. À tel point que dès 1942, les autorités allemandes le placent sous surveillance. En septembre 1944, il est arrêté et placé en détention à la prison de la Santé, à Paris. Mais il est libéré à la fin de l’année, sans qu’aucune charge n’ait été retenue contre lui.

Après la Libération, Fonck revient dans le civil et se retire de la vie politique pour gérer son entreprise, France Engrais, dans les Vosges. Père de deux enfants, il souhaite profiter de la vie de famille. Il habite désormais à Paris. Le 18 juin 1953, René Fonck est victime d’un accident vasculaire cérébral qui amène la mort. Le lendemain, peu de journaux titrent à ce sujet, suite à son attitude encore peu claire durant l’Occupation. Il est inhumé à Saulcy-sur-Meurthe le 23 juin 1953.

Sources

  • Jules Roy, Guynemer : l'Ange de la mort, Paris, Albin Michel, 1986.
  • L'Aviation et la sécurité française, Paris, Bossard, 1924.
  • Claude Perrin, René Fonck, 1894-1953 : as des as et visionnaire, Paris, Éditions de l'Officine, 2002.
  • René Fonck, de la lumière à l'ombre par David Méchin, Le Fana de l'Aviation 521, avril 2013.

  • Witz Rédacteur, Testeur, Chroniqueur, Historien
  • « L'important n'est pas ce que l'on supporte, mais la manière de le supporter » Sénèque