Georges Madon, le flamboyant diable rouge
Quatrième as français du premier conflit mondial en terme de victoires, Georges Madon partage avec certains de ses homologues un caractère bien trempé. Passé par la prison militaire et la cour martiale, le « diable rouge » (à cause de la couleur de son SPAD) est un trublion mais aussi un aviateur émérite, qui va afficher officiellement 41 victoires à son tableau de chasse.
Georges Madon naît le 28 juillet 1892 à Bizerte, en Tunisie, dans une famille de colons. Élèves studieux, Madon doit cependant abandonner ses études en 1907 alors qu'il est atteint de paludisme, à 15 ans.
Obligé par les fréquentes crises de garder le lit, il comble le temps en lisant des revues et des journaux où il découvre les premiers exploits des pionniers de l'aviation ; très vite, le jeune Madon se met à fabriquer des modèles réduits, notamment des planeurs, qu'il expérimente dans la maison familiale. Mais le futur as manque de patience et surtout d'expérience : ses essais sont tous catastrophiques, mais ouvrent la voie à son futur métier.
Enfin guéri du paludisme quelques mois plus tard, Madon s'oriente vers la mécanique tout en devenant un sportif accompli : quand il n'est pas derrière un livret technique, il s'adonne à la boxe, au cyclisme ou encore au football. Ces activités sportives forment le jeune Madon et lui confèrent une excellente forme physique, et surtout un goût du dépassement de soi qu'il va mettre à profit dans les années à venir...
Ses débuts dans l'aviation
Avant le premier conflit mondial, les pays européens découvrent avec bonheur les cascadeurs aériens, véritables casses-cou qui vont de ville en ville présenter leurs spectacles de voltige. C'est un de ceux-là, de passage à Tunis, qui redonne à Madon l'envie de se perfectionner dans l'aviation.
En 1911, le jeune Bizertois reçoit l'autorisation de ses parents de se rendre à Paris pour continuer ses études... mais c'est surtout un prétexte pour Madon, qui file à l'aéroport d'Étampes pour y prendre des cours de vol ! Après seulement 19 leçons, il obtient son brevet de pilote le 7 juin 1911, et étonne ses instructeurs par ses capacités.
Madon décide de se lancer dans des représentations itinérantes de voltige aérienne pour gagner sa vie, mais le peu de débouchés lui font changer de voie... pour le retrouver en 1912 candidat en tant que mercenaire dans l'aviation ottomane dans les Balkans ! Ce projet ne sera cependant pas mené à bien suite aux complications diplomatiques de ce conflit bien particulier.
Ne reste donc pour Madon que la possibilité de s'engager dans l'Armée, qui cherche alors des pilotes expérimentés pour développer ses moyens aériens. Transféré à l'école de pilotage d'Avord au début de l'année 1913, il y fait ses premiers vols sur appareils militaires et obtient le brevet de pilote militaire n° 231 puis le grade de caporal le 12 juillet de la même année.
Alors que l'Europe s'embrase au début du mois d'août 1914, Madon est toujours un pilote de deuxième réserve... suite à une de ses provocations le 11 mars 1914, date à laquelle où il a pris un Blériot XI pour aller effectuer des acrobaties au-dessus de l'Alsace, alors territoire annexé par les Allemands.
Après avoir purgé une peine de 30 jours de prison pour insubordination, il est envoyé aux réserves mais parvient à voler en remplacement d'un de ses camarades le 10 août 1914. Lors de cette mission de reconnaissance, Madon reçoit sa première citation à l'ordre du 1er groupe d'aviation : « Volontaire pour une mission délicate dans des circonstances difficiles. »
Son transfert dans une unité combattante a lieu en septembre 1914 lorsqu'il est muté à l'escadrille BL 30 de Soissons. Madon y effectue des missions de reconnaissance et de bombardement, et se fait remarquer pour son aisance à bord d'un appareil : le 30 octobre 1914, alors qu'un obus de 7,7cm allemand vient de lui arracher son moteur, l'aviateur parvient à planer jusque dans les lignes françaises.
Promu sergent le 20 novembre 1914, Madon continue ses vols de reconnaissance et en effectue même de nuit, attirant l'attention de ses camarades et lui confère leur respect.
Muté le 12 mars 1915 à l'escadrille MF 44 (qui vole sur Farman MF XI), Madon se perd le 5 avril dans le brouillard lors d'une mission d'escorte (ou un vol d'essai selon les sources) et atterrit... en Suisse ! Le pays étant neutre, Madon est interné par les forces de police helvétiques.
Le jeune aviateur ne souhaite cependant pas passer le reste de sa peine en Suisse et tente une première fois de s'évader, sans succès. La seconde tentative le 27 décembre 1915 est couronnée de succès mais aussi rocambolesque, car Madon parvient à s'échapper... après avoir chloroformé 1 ses gardes ! La presse se saisit de l'histoire et en fait des gros titres, mais le commandement militaire est moins indulgent et le condamne à 60 jours d'arrêt pour désertion.
Madon l'as remuant
De retour au front, Madon est ensuite affecté à l'escadrille MF 218, spécialisée dans le réglage des tirs pour l'artillerie. Sa demande de mutation dans la chasse est acceptée et passe quelques mois, de mai à septembre 1916, à l'école de la chasse à Pau.
Le 1er septembre 1916, sa première affectation dans une escadrille combattante est pour la N38, et 27 jours plus tard il remporte sa première victoire homologuée. Le 17 novembre de la même année, Madon est déjà à trois victoires et il reçoit la médaille militaire et sa quatrième citation : « Sergent pilote, d'un entrain et d'un dévouement exceptionnel, dont l'habileté et l'audace se sont affirmées en maintes circonstances. Le 28 septembre 1916, a abattu un Fokker dans ses lignes. Le 09 novembre, après avoir livré trois combats, a abattu son deuxième avion. Le lendemain, a attaqué un avion ennemi qui a paru sérieusement touché. Déjà trois fois cité à l'Ordre. »
Le 10 décembre, Madon remporte une quatrième victoire qui s'accompagne d'une cinquième citation et de sa promotion au grade d'adjudant : « Pilote d'une vaillance et d'un entrain remarquables, le 17 novembre 1916, a abattu son 3ème avion ennemi. Le 10 décembre, a abattu son 4ème adversaire qui est tombé en flammes dans ses lignes. »
Le pilote est alors en pleine ascension, et au début de l'année 1917, il mène des mitraillages contre des locomotives allemandes. À la fin du mois de janvier, il change de monture pour un nouveau Spad et remporte une cinquième victoire... et la sixième citation. « Pilote hors ligne qui est pour les plus jeunes pilotes de son escadrille un exemple et un guide incomparable. Le 31 janvier a abattu dans nos lignes son 5ème avion ennemi. Le 1er février, au cours d'une reconnaissance périlleuse pour laquelle il s'était offert comme volontaire, est descendu à 100 mètres pour mitrailler un train et l'a contraint à s'arrêter. »
Comme il dispose de cinq victoires homologuées, il est alors reconnu comme un as de l'aviation. Madon enchaîne les victoires et prend de l'assurance : il va jusqu'à déposer un billet dans les lignes allemandes sur lequel il défie un as adverse, Hartmuth Baldamus, lui enjoignant de le retrouver à 9h du matin à 5000 mètres d'altitude au-dessus de la main de Massiges le lendemain ! Las, Baldamus sera abattu le 14 avril 1917, et non par Madon.
Le 5 mai, Madon est promu chevalier de la Légion d'honneur suite à ses deux victoires les 18 mars et 24 avril, avec une citation élogieuse : « Adjudant pilote, incomparable d'adresse et d'entrain. Après s'être distingué par son courage dans une escadrille de corps d'armée, donne depuis six mois, comme pilote de chasse, un merveilleux exemple d'audace, d'endurance et d'énergie. Le 17 mars, ayant attaqué deux avions ennemis et mis en fuite l'un deux, a été, tandis qu'il poursuivait l'autre dans sa chute, victime d'une panne de moteur. Contraint d'atterrir dans les lignes allemandes, a réussi, grâce à son sang froid, a reprendre son vol après avoir mitraillé une troupe qui s'avançait vers lui. Le 18 mars au cours d'un combat avec deux avions ennemis, a abattu son 8ème adversaire. Le 14 avril, a remporté sa 9ème victoire. Sept fois cité à l'Ordre. »
En fait, Madon est un élément turbulent, et surtout apprécié de ses camarades pour sa témérité. À tel point qu'il est le chef officieux de la SPA 38 et qu'il dispose d'un réel ascendant sur les autres pilotes ! Ses relations avec des supérieurs venant d'autres escadrilles seront des plus orageuses, Madon n'hésitant pas à « monter » les pilotes de l'unité contre les nouveaux venus...
À la fin de l'année 1917, l'as compte exactement 19 succès homologués et une vingtaine supposés. C'est alors que son Spad VII est repeint en rouge... d'une manière démontrant bien le caractère de Madon.
Benjamin Renard, mécanicien de la SPA 94 partageant la même base, raconte : « Madon a fait peindre son avion en rouge petit à petit car le commandant Boucher [chef de l'aviation du secteur] interdisait ce symbole personnel. Il s'était fait peindre une bande rouge qui était tolérée... que son mécanicien agrandissait périodiquement. Elle a poussé plus vite que l'herbe au point d'arriver au bout du fuselage » 2.
Comme Manfred von Richthofen en face, Madon rend son appareil reconnaissable entre tous, à tel point que certains pilotes allemands peu expérimentés prendront pour cible leurs camarades ayant peint leur avion en rouge jusqu'à l'armistice !
Trois victoires sans tirer une balle
Le 2 juillet 1917, son Spad entre en collision avec un appareil ennemi, blessant l'as français ; un mois plus tard, le 15 août, il est promu sous-lieutenant à titre provisoire, avec caractère définitif le 1er février 1918.
Au mois de janvier, Madon entre dans la cour des as en se voyant affecter un Spad XII-canon ; en effet, cet appareil extrêmement rare n'est accordé qu'aux meilleurs pilotes pouvant en faire un usage optimal. Sa persévérance paie, et le 24 mars 1918, Madon est nommé à la tête de la SPA 38.
Ses nouvelles responsabilités ne lui font cependant pas perdre son caractère de vedette : il demande explicitement à son mécanicien de placer près du bout de la piste de son aérodrome des bidons d'essence, que Madon enflamme en tirant dessus à chaque retour de mission en cas de victoire...
Là encore, le haut commandement ne goûte pas les frasques de l'homme, et plusieurs de ses victoires ne reçoivent pas d'homologation pour des raisons obscures. Il n'empêche que Madon s'octroie encore un doublé le 27 mars 1918... et une seizième citation. Le 15 mai, il devient lieutenant, et le 1er juillet il enregistre sa 36ème victoire et sa 18ème citation.
C'est à la mi-juillet que Madon réalise un de ses plus hauts faits de guerre. Le 17 (ou le 16 selon certaines sources), trois chasseurs allemands patrouillent au-dessus de Reims. Un des pilotes aperçoit soudain une ombre devant le soleil : pour lui, aucun doute, un aviateur français est en train de leur piquer dessus. L'Allemand décide de pivoter pour se mettre en position de défense... mais percute son ailier, et les deux appareils, s'entre-disloquant, piquent vers le sol à une vitesse vertigineuse. Le troisième Allemand, lui, est totalement surpris, autant par l'apparition du Français que de la catastrophe qui est arrivée à ses camarades... Il décide de prendre de l'altitude très rapidement et de faire des manoeuvres évasives. Mais son appareil ne tient pas le coup et se disloque lui aussi, précipitant son pilote vers une mort certaine.
Madon, lui, est abasourdi : il a à peine eu le temps de s'approcher que les trois adversaires sont au tapis ! Dans la même journée, il abat un quatrième adversaire au-dessus de la Main de Massiges. Les trois premières victoires de la journée lui sont homologuées, sans difficulté... le journal de l'escadrille indiquant même « Sans un coup de feu ! ». Puis les victoires vont crescendo : une le 18 juillet, une le 11 août, puis la dernière homologuée le 3 septembre 1918.
Madon est nommé capitaine... le 11 novembre 1918 et reçoit la rosette de la Légion d'honneur le 25 novembre en même temps que sa 19ème citation : « Madon Georges Félix, lieutenant à titre temporaire (active) du Génie, pilote aviateur, officier d'élite, pilote de chasse d'une indomptable énergie, d'une bravoure héroïque et d'une suprême habileté. Toujours vainqueur au cours d'innombrables combats engagés sans souci du nombre des adversaires, ni de l'éloignement de nos lignes, jamais atteint, même d'une seule balle, grâce à la rapidité foudroyante de ses attaques, à la précision de ses manœuvres, à l'infaillibilité de son tir, meurtri parfois dans des chutes terribles, entraîne inlassablement, par son splendide exemple, l'escadrille qu'il commande et qu'il illustre chaque jour par de nouveaux exploits. Le 11 août 1918, il abat son 40ème avion ennemi. Une blessure. Chevalier de la Légion d'Honneur pour faits de guerre. Dix-neuf citations. »
Une fin tragique
Madon est démobilisé le 5 octobre 1919. Son palmarès est impressionnant : quatrième as français avec ses 41 victoires homologuées et ses 64 probables, il est décoré de la croix de guerre avec pas moins de 17 palmes, deux étoiles d'argent et une étoile de bronze.
Solitaire dans les airs, véritable baroudeur au sol, Georges Madon partage une particularité avec son camarade René Fonck : jamais ses appareils n'ont été touchés par des balles allemandes. Après la guerre, Madon tente sans succès d'ouvrir un garage puis une affaire d'aviation commerciale, pour finalement devenir pilote d'essai.
Ultime photographie de l'appareil de Madon, à Bizerte, le 11 novembre 1924 alors qu'il vient de s'écraser.
De retour en Tunisie en 1924, les autorités le démarchent pour l'inauguration du monument en l'honneur de Roland Garros, devant avoir lieu le 11 novembre de la même année. Le jour de l'inauguration, Madon décolle, effectue quelques passes au-dessus de la foule, mais bientôt son moteur toussote. Le pilote comprend en un rien de temps qu'il n'a plus d'essence et que son appareil est donc voué à s'écraser.
Dans un ultime geste de panache, Madon pousse le manche et s'envole vers un bâtiment... puis s'écrase sur la terrasse. Georges Félix Madon, 32 ans, n'en sortira pas vivant : il a délibérément fait tomber son appareil en haut d'un bâtiment afin qu'il ne tombe pas dans la foule.
Sources
- Jon Guttman, SPAD VII aces of World War 1, Oxford, Osprey Aviation, coll. « Osprey aircraft of the aces » (no 39), 2001.
- Daniel Marquis, Le Diable Rouge; L'AS Georges-Félix MADON, Bernard Giovanangeli éditeur, 2018.
- http://www.as14-18.net/Madon
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1 Ce point tient vraisemblablement de la légende. Loin de l'image adoptée par le grand public, le chloroforme en tant qu'anesthésiant met plusieurs minutes à agir et il est très volatile. Difficile d'imaginer que les geôliers suisses de Madon ont laissé l'aviateur leur presser un textile imbibé sur le nez pendant plusieurs minutes sans rien dire...
2 Cité sur http://www.as14-18.net/Madon.
- Witz Rédacteur, Testeur, Chroniqueur, Historien
- « L'important n'est pas ce que l'on supporte, mais la manière de le supporter » Sénèque