Bataille d'Antioche du Méandre par Wherewolf44, vainqueur de notre concours
28 octobre 2013 par Wherewolf44 | Moyen-âge
Voici le récit de Wherewolf44, le grand gagnant de notre concours ! Pour ce concours, Wherewolf44 a décidé de vous raconter l'histoire de la bataille d'Antioche du Méandre du point de vue d'un intendant chargé du ravitaillement des soldats.
La bataille d'Antioche du Méandre est un engagement militaire s'étant déroulé en 1211 près d'Antioche du Méandre entre les forces de l'empire de Nicée de l'empereur Théodore Lascaris et les Seldjoukides du sultanat de Roum dirigé par le sultan turc Kay Khusraw Ier.
Bataille d'Antioche du Méandre, par Wherewolf44
Nous reprenons la route aujourd'hui.
Après notre marche éprouvante de 11 jours, la halte à Philadelphie provoqua une véritable explosion de joie parmi les soldats. Un des mercenaires francs de l'Empereur Théodore, un géant nommé Guy de Treille et avec qui je me suis lié d'amitié grâce à ses connaissances en grec, me souleva littéralement de terre à cette nouvelle :
« - Ami Adakinos, nous allons festoyer comme des rois ! » S'est-il écrié. L'Empereur a en effet ordonné que l'armée profite d'au moins une journée de répit avant la reprise de l'avancée, et tout le monde compte bien en profiter et fêter cela de bien joyeuse façon !
Et c'est vrai que durant notre marche à travers l'arrière-pays anatolien dévasté, de Nicée à Philadelphie, nous avons vécu dans l'angoisse permanente d'une attaque de la part des turcs, maîtres dans l'art de la guérilla, et sans grande occasion de nous ravitailler.
Notre armée est partie en campagne pour faire face aux turcs Seldjoukides. Profitant de la chute de la Cité impériale, les orientaux ont rassemblé une armée et commencé à marcher sur le Sud du territoire de l'Empire, utilisant comme prétexte la volonté de ramener l'usurpateur Alexis III sur le Trône de l'Empire. Le nouvel Empereur, Théodore, héritier désigné du précédent, a donc mobilisé les quelques ressources dont il disposait et envoyé son armée vers Philadelphie, qui paraissait assez éloignée pour que les turcs n'aient pas encore opéré dans sa région.
Au milieu des grecs présents, un groupe de près de 800 chevaliers francs dont certains engagés pendant la croisade, forme une force d'élite sur laquelle l'Empereur compte beaucoup. Notre armée n'est pas aussi étendue que celles des Empereurs Comnènes, mais elle compte tout de même entre 2000 et 3000 hommes, tous bien entraînés.
Je suis moi-même intendant chargé du ravitaillement des soldats, ce qui me permet de me mêler à eux très souvent, et m'a également permis de rencontrer Guy. Cet homme, âgé d'environ 35 ans, a choisi de suivre un groupe de chevaliers qui prêta allégeance à l'Empire avant la trahison des croisés, quand ils apprirent qu'ils allaient combattre des chrétiens. Lors de la chute de la Cité impériale, ils suivirent l'Empereur Théodore dans son exil et forment désormais le noyau de sa puissance militaire, associés à certains de leurs camarades déjà au service de l'Empire avant ces évènements. Ces hommes sont les plus impressionnants que j'aie jamais vus. J'ai parfois eu l'occasion de les observer durant leurs entraînements, et malgré leurs armures et leurs casques, ils ferraillent tels des démons, enchaînant leurs passes si rapidement que mon œil parvient à peine à les suivre et que mes membres seraient bien en peine de me défendre s'il devait arriver que je les combatte…
Un macédonien qui prétend avoir servi dans l'unité des Cataphractes, observe régulièrement leurs entraînements. Je me place souvent à côté de lui, car il lui arrive de m'expliquer les passes souvent complexes qu'accomplissent les grands guerriers francs. Il est lui-même un puissant guerrier, je me rappelle en effet un entraînement où il s'était joint à eux : il avait défait trois des leurs grâce à ses grandes compétences avant de se faire terrasser par un colosse qui malgré sa taille enchainait ses coups d'épée et de hache plus rapidement que tous les autres !
Le campement fut dressé à l'extérieur de la ville de Philadelphie. Les soldats, pensant rester un moment, s'enivrèrent, chose qu'ils n'avaient pas eu l'occasion de faire depuis Nicée. Une partie de l'armée s'égaya dans la ville pour se distraire, tandis que je restai avec mon ami franc pour discuter et boire. Ma constitution avait toujours été assez faible, ce qui fait que je n'étais pas en mesure de supporter la dose d'alcool que les grands chevaliers pouvaient boire sans problèmes.
« - Amuse-toi, Adakinos ! » m'ordonna Guy. Nous partîmes donc en direction de la ville en croisant de nombreux fêtards. Nous vîmes des spectacles nous faisant rire aux éclats, d'autres me firent trembler de peur, d'autres enfin me faisaient détourner le regard… Après avoir dépassé les baladins des rues, les soûlards et les couples forniquant au milieu de la rue, nous arrivâmes près d'une taverne et entrâmes. Je pris plusieurs chopes de bière et d'eau de vie offerts par Guy et ses compagnons, et commençai à leur raconter ma vie, l'alcool aidant.
Celle du fils d'un serviteur de gouverneur, se retrouvant à réguler les approvisionnements des armées, donc à tenir des comptes et écrire des lettres, et découvrant les champs de batailles très jeune. Les pillages des turcs et les villages dévastés par ces infidèles m'avaient conduit à chercher à m'engager, mais le responsable de la caserne où j'avais débarqué m'avait ri au nez et indiqué que je ne pourrais jamais maintenir une épée droite, de par ma faible constitution. Il m'avait également annoncé qu'en restant dans le ravitaillement, je pouvais être aussi utile à mon Empereur qu'en combattant, et même sans doute plus. Je restai donc intendant, et cela jusqu'à cette campagne, jusqu'à Philadelphie.
Au long de la soirée, les langues se déliaient et j'appris ainsi l'histoire de Guy, laquelle, d'après les approbations de ses compagnons, devait être partagée d'une façon ou d'une autre par la plupart des hommes présents. L'aventure de cette Croisade qu'il me raconta me sidéra. Je me rendis compte que c'était la faute de la cupidité des dirigeants de Venise plus que des francs si l'Empire était aujourd'hui entre les mains de ces derniers…
Troisième fils d'un chevalier fieffé, les deux premiers étant respectivement devenus châtelain et religieux, Guy était resté sans rien. Son père lui avait donc fourni l'équipement nécessaire et il était parti s'engager comme chevalier sous les ordres d'un seigneur franc, Thibaut de Champagne. Son seigneur était un homme bon et pieux, aussi il avait répondu sans hésiter à l'appel du pape à la Croisade. Thibaut fut même désigné comme chef des Croisés, qu'aucun Roi ne souhaitait ou ne pouvait accompagner cette fois. Ce fut une consécration pour Guy, qui en homme de foi, ne pouvait souffrir que les infidèles menacent le tombeau du Christ, et voyait également son seigneur et maître, qu'il avait toujours admiré, comme chef de cette guerre sainte et juste.
Malheureusement pour lui, son maître mourut avant le départ pour la Croisade et Guy, croyant réellement en la justesse de sa tâche, choisit de continuer son entreprise. Parti pour Venise où les croisés devaient recevoir leurs navires, il fut contraint pour le bien de la Croisade et son accomplissement d'assiéger une ville rebelle à l'autorité de Venise, Zara. Il faillit quitter l'armée des croisés à ce moment-là, lorsqu'on lui ordonna de combattre des chrétiens. Finalement, ses compagnons le convainquirent de rester.
Même après la soumission de Zara, la Sérénissime exigea un service : Le fils de l'Empereur déchu Isaac II Ange, Alexis Ange, demanda aux Croisés, avec l'appui de Venise, d'aider son père à reconquérir son trône. Les croisés n'avaient pas le choix. Sans navires, ils ne pouvaient gagner l'Egypte. Mais cela, Guy ne l'apprendrait que bien plus tard… A Venise, il embarqua, persuadé que la flotte ferait voile vers l'Egypte. Aussi, quand il débarqua en territoire chrétien pour les combattre une fois de plus, lui et de nombreux autres désertèrent et rejoignirent ceux-là même que leurs frères croisés allaient affronter. Arrivé à la Cour de l'Empereur, à l'époque Alexis III, lui et ses compagnons furent incorporés à la garde latine, principalement des normands à l'époque, et combattit pour l'Empire une partie de l'année.
Le reste, je le connaissais déjà. La fuite de la ville en plein pillage, entre les nouveaux Empereurs rapidement détrônés et les Croisés assoiffés de sang, la route vers Nicée, la constitution d'une garde latine et son élévation au rang de force d'élite. La soumission des seigneurs rebelles également, ainsi que la défaite de la nouvelle armée peu organisée de l'Empire face aux Croisés, basés désormais à Constantinople. Mais aussi les victoires contre les rebelles de Trébizonde, ainsi que la reprise des villes de l'Ouest et du Nord de l'Anatolie, aux mains des Latins.
Cette histoire, racontée telle quelle, par un témoin direct, me marqua tellement que je ne me souvins plus du reste de la nuit. Bon, l'alcool devait également être pour quelque chose dans ce trou de mémoire… En effet, lorsque je me réveillais le lendemain matin, les échos des sabots des chevaux et des pas de marche me semblaient résonner infiniment ! C'était la voix de Guy qui me réveillais :
« - Debout, jeune intendant ! Nous allons avoir besoin de tes services : l'Empereur exige que l'armée soit prête à partir dans 5 heures, soit 4 heures après midi ! Les turcs seraient en train d'assiéger Antioche et il souhaite marcher sur leurs positions pour les prendre par surprise. »
Je me préparai précipitamment et organisai la partie du convoi de ravitaillement qui m'était dévolue malgré mon mal de crâne. A l'heure dite, l'ost se mit en route, bien nourri mais déçu de partir si tôt. De plus, d'après la nouvelle, la ville d'Antioche semblait sur le point de tomber, et l'Empereur décidait donc de ne partir qu'avec quelques jours de rations comme seuls bagages afin de prendre les turcs de vitesse. Des éclaireurs aux traits orientaux, vraisemblablement des Coumans, remontaient régulièrement le long de la file jusqu'à la place où se trouvait l'Empereur. Rien qu'à l'idée de me tenir à quelques centaines de mètres de lui, je me sentais aussi fort que si j'avais les moyens d'arracher tous les arbres de la Terre ! Je savais que ce sentiment était partagé par une importante partie de l'armée, et cela me rassurait pour la suite des évènements.
En 2 jours nous avions presque atteint la ville, et l'armée commença à se préparer à la bataille prochaine. Les unités se déplaçaient désormais toutes vêtues de leurs armures, le spectacle était impressionnant ! Les casques flamboyaient sous le soleil, les armures reflétaient les rayons de l'astre et les soldats préparaient leurs armes, qui affûtant son épée, qui protégeant le pommeau de son arme, qui s'harnachant de tout son attirail guerrier. Le sens de tout cela m'échappait, mais je ne pouvais m'empêcher d'admirer ces hommes qui allaient se battre pour nous défendre, moi et tous les autres romains. On disait que les turcs étaient près de 5 fois plus nombreux que notre armée, mais eux ne disposaient pas de nos guerriers d'élite ! Malgré la supériorité numérique de nos adversaires, personne ne paraissait s'inquiéter et les préparatifs continuaient.
Nous apprîmes ainsi que malgré notre rapidité, le Sultan turc était au courant de notre arrivée et avait levé le siège d'Antioche afin de se porter à notre rencontre. Les préparatifs redoublèrent alors que le capitaine de Guy ainsi que les principaux chefs de l'armée étaient enfermés dans la tente de l'empereur.
Enfin, après une prière au Kristos Pantokrator, l'armée se mit en marche, prête à combattre. Les bannières flottaient au vent, et les fiers chevaliers latins resplendissants me semblaient invincibles. Comment les infidèles pourraient-ils vaincre ces soldats, serviteurs de Dieu et dévoués à lui, qui marchaient vers eux ? L'inconcevable ne pouvait arriver, et dans quelques heures notre armée serait de retour, victorieuse et ivre de gloire !
Moi et les autres intendants furent laissés en arrière pour protéger le camp, même si tout le monde savait que cela ne serait d'aucune utilité si jamais l'Empereur perdait la bataille. Quand l'armée disparut, nous avançâmes donc vers une colline et pûmes contempler le futur champ de bataille. Il s'agissait d'une vallée assez étroite, au fond de laquelle l'armée des turcs seldjoukides tentait de se déployer. Ils étaient en effet très nombreux, peut-être même plus de 5 fois plus nombreux que les nôtres, mais la taille de la vallée elle-même empêchait cette large formation de se déployer, et leur cavalerie semblait avoir le plus grand mal à s'organiser. L'armée de l'Empereur avançait vers eux sans fléchir, malgré les flèches qui commençaient à voler vers elle, et le nombre toujours croissant d'adversaires qui se déversaient dans la vallée.
Soudain, la ligne de l'armée impériale devint floue, et une partie de leurs forces se dirigea à toute vitesse vers les archers et autres troupes légères turques. Je compris tout de suite qu'il s'agissait des francs : eux seuls savaient charger avec cette vitesse incroyable ! Leur vague enfonça totalement les troupes turques en plein centre de leur formation. Les pertes étaient visiblement lourdes pour les infidèles, tandis que nos chevaliers semblaient indemnes. Les puissants cavaliers firent demi-tour et recommencèrent leur manœuvre, avec autant de succès. Mais tout à coup, les turcs parvinrent à refermer leurs premières lignes sur les chevaliers latins, trop éloignés du reste de notre armée pour qu'elle puisse leur être d'un quelconque secours… Les francs, encerclés, ne pouvaient plus manœuvrer et le massacre semblait inévitable !
Le nombre de chevaliers semblait diminuer de plus en plus, et je me mettais à craindre pour Guy, quand ce fut le choc. Il ne restait qu'une petite formation de chevaliers latins parmi les turcs, mais désormais le reste de l'armée les avait atteints et la mêlée semblait terrible. Les ennemis de l'Empire subissaient de lourdes pertes et nos hommes, moins nombreux, tenaient toujours leurs lignes tant bien que mal. Après un moment de corps-à-corps, nous vîmes que malgré la présence de l'Empereur et les pertes infligées d'abord par les chevaliers puis par l'infanterie, nos troupes n'étaient pas assez nombreuses pour frapper les turcs d'une façon décisive. Au moment où nous nous faisions cette réflexion, nous vîmes le côté droit de notre armée semblant se débander… Nous commençâmes à craindre pour la victoire.
Puis d'une seconde à l'autre, tout changea. Alors que beaucoup de nos hommes fuyaient ou gisaient au sol, l'armée turque prit la fuite. Aussi rapidement que les chevaliers avaient été vaincus, les turcs tournèrent bride et s'enfuirent, laissant quelques centaines de romains présents et maîtres du champ de bataille.
Le soir venu, moi-même et les autres intendants servions d'aides médicaux pour les soldats blessés, quand je reconnus une forme allongée. C'était en effet Guy, qui avait survécu par on ne sait quel miracle à ce massacre, puisque plus des deux tiers de nos hommes avaient péri durant la bataille, et plus encore de chevaliers francs. Il me raconta donc comment la défaite qui s'annonçait s'était transformée en victoire :
« - Si tu as observé la bataille, tu as dû voir notre charge au début de la bataille ! » s'exclama-t-il. « Nous avons tué de nombreux turcs à ce moment-là ! Leurs flèches nous avaient hérissés et les fiers chevaliers que nous sommes ne purent résister à l'envie de charger ces hommes à peine protégés ! Nos lances filaient telles des flèches vers les hommes qui leurs servaient de cibles ! Nous avons tué au moins trois fois notre nombre d'ennemis avant d'être encerclés ! A ce moment, j'ai recommandé mon âme à Dieu, puis j'ai engagé le combat. La lutte était terrible, je ne voyais plus que les ombres de mes compagnons qui tailladaient les turcs venant toujours plus nombreux. Je fus blessé une première fois au bras, mais continuai le combat sans bouclier. Les uns après les autres, mes compagnons tombaient à mes côtés et nous n'étions plus qu'une quinzaine lorsque le gros de nos forces parvint à nous rejoindre. Nous continuâmes la lutte aux côtés des hommes de l'empereur et occîmes encore de nombreux turcs. Malgré un de mes bras blessés et l'abandon de mon écu, je pus infliger encore de nombreuses pertes aux turcs, et ne cessai de taillader à droite et à gauche. Le cœur de la mêlée se déplaça vers le centre du champ de bataille et c'est ainsi que nous nous retrouvâmes près de l'Empereur pour le restant de la bataille. J'eus donc l'occasion de le voir se battre en première ligne, et je peux te dire que cet homme est plus qu'un grand guerrier ! Malgré les nombreuses attaques qu'il eut à subir de la part des turcs qui le reconnaissaient, il parvenait toujours à parer et éviter les coups dangereux, et seuls quelques-uns purent l'atteindre, restant inutile devant la puissante armure qu'il portait. Même des coups assénés par 2 turcs au même moment, au niveau de son torse, ne parurent pas le freiner et seulement une fraction de seconde plus tard il tranchait la tête du plus proche des deux puis se déplaçait et taillait en pièces l'armure légère de son second adversaire ! Jamais je n'avais vu une armure prendre autant de coups sans se disloquer… Vos forgerons font vraiment des merveilles, dans ce pays ! Si nous avions cette sorte d'armures de lames dans notre pays… Enfin ! Les adversaires de l'Empereur périrent par dizaines devant lui ! Néanmoins et malgré ses qualités de combattant, une partie de sa garde avait déjà péri, et j'ai même aperçu ce vaillant macédonien qui s'entrainait souvent avec nous périr d'un coup de hache dans le cou, après avoir assommé un adversaire de sa gigantesque masse… Nous combattîmes côte-à-côte avec l'empereur durant ce qui me sembla des heures avant que ses troupes ne commencent à refluer.
J'ai alors vu ce qui a changé le cours de la bataille. Le sultan turc, ayant repéré l'Empereur, décida pour parachever sa victoire de le tuer de ses mains ! Il fonça donc vers lui, en première ligne, et parvint à lui asséner un coup de masse terrible dans le casque, qui fit chuter l'Empereur. Heureusement, ce dernier n'était pas sans ressources et réussit à se reprendre, avant de taillader les jarrets de la monture du sultan lorsque celui-ci le chargea ! Il aurait fallu que tu le voies, évitant le coup de masse tout en assénant une attaque, de toutes ses forces, au cheval de son adversaire ! Le sultan tomba également à terre, et après un corps-à-corps de quelques secondes, la supériorité de l'Empereur ne fit plus aucun doute. Le sultan, reculait, mû désormais par la peur, et tentait de se dégager de ce duel, mais après une passe rapide où il repoussa l'arme de son ennemi sur le côté, notre Maître décapita purement et simplement le chef des turcs. L'un de ses gardes prit la tête et l'exhiba sur sa lance, ce qui brisa le moral de nos ennemis. La panique due à la mort du sultan se répandit si rapidement que ceux qui combattaient la seconde d'avant ne faisaient plus face qu'à des fesses de turcs la seconde d'après ! Ha ! »
Après ce long discours, Guy but un peu de vin puis continua :
« Malgré ce succès inattendu, nous ne pourrons pas les poursuivre. Tu vois comme moi que la plupart de nos soldats sont morts ou blessés. Même moi, j'ai été blessé et mes amis ont été massacrés, nous ne sommes plus que 7 sur les près de 800 présents avant la bataille… Mais les turcs ne pourront plus prétendre à la conquête de l'Empire sans bonne raison. L'usurpateur Alexis a été capturé pendant la bataille et ne pourra plus poser de problèmes à l'Empereur ! »
Je laissais Guy se reposer après son récit plus qu'instructif, et qui me fit m'extasier devant la grandeur de l'Empereur. Le retour vers Philadelphie fut difficile, avec les nombreux blessés, mais l'arrivée dans la ville fut une véritable et somptueuse fête populaire. La foule en liesse remerciait l'Empereur et tout le monde l'acclamait. Je fis semblant de m'imaginer que ces hourras s'adressaient à moi et aux soldats, alors que tout le monde savait déjà que la victoire n'était due qu'à l'Empereur. La victoire fut nommée bataille d'Antioche-Du-Méandre, pour la distinguer de la grande cité syrienne homonyme, et fut grandement utilisée par l'Empereur pour justifier son règne par la suite. Lors de la cérémonie où Guy reçut une récompense pour sa bravoure, je vis enfin l'Empereur de mes yeux et de près, et Guy me fit même un clin d'œil en descendant de l'estrade qui avait été montée à la hâte.
Aujourd'hui, je sais que sans un Empereur aussi habile que Théodore, l'Empire n'aurait pu survivre, et je le remercie tous les jours pour cela. L'Empereur est mort il y a désormais 20 ans, et je ne relis que maintenant ces cahiers, relatant la plus éclatante victoire de cet homme incroyable, parti bien trop vite, mais ayant assuré la survie de son peuple. Les turcs ont signé une paix intemporelle peu après la bataille et depuis, à part quelques pillages de temps à autres, nulle guerre n'a eu lieu entre l'Empire et le Sultanat. Aujourd'hui encore quand j'y repense, je pleure de joie d'avoir vu ce grand et saint homme de mes yeux. Guy est mort quelques temps après la bataille lors d'un choc contre les latins, ses propres frères… Son corps fut enterré devant ses compagnons et moi, car avec le temps j'étais devenu très proche de lui. Je suis finalement devenu moine, ne pouvant plus supporter les champs de bataille après les massacres que j'avais vus durant de si longues années, et c'est en tant que moine que j'écris ces lignes, en l'An de grâce 1241 après l'Arrivée dans notre Monde du Kristos Pantokrator.