Agis IV, roi idéaliste d'une révolution spartiate

Le Spartiate
Thématique
Grèce antique
18 novembre
2016

Agis IV, roi idéaliste d'une révolution spartiate

Ce deuxième article retrace la vie de l'un des derniers rois de Sparte Agis IV à une époque trouble où règne l'anarchie, la corruption et la guerre. Si vous avez manqué la présentation de cette cité guerrière c'est par ICI.

La marche vers le pouvoir, une tentative de révolution par la loi

Les réformes d'Agis IV

En 244 av.J.-C., Agis IV devient co-roi de Sparte, il entend bien redonner à sa cité son lustre d'antan. A cette époque, Sparte connaît une crise sociale majeure, notamment à cause d'une concentration des richesses et des biens entre les mains de quelques oligarques.

Ce jeune homme de vingt ans est animé par la volonté de "restauration" de l'idéal spartiate, c'est à dire une vie rude, modeste et capable de former d'excellents guerriers. Tout cela est confirmé par Plutarque qui affirmait à son propos : "Il se raidit de bonne heure contre les plaisirs, renonça à la parure qui contribue si fort à faire briller la grâce d'un beau corps, dépouilla et évita toute sorte de somptuosité, se faisant gloire de son manteau grossier et recherchant les repas, les bains et tout le régime de vie laconien."  Ainsi, le projet d'Agis IV est de rétablir un corps de citoyens soldats dans le but de prendre le commandement d'une puissante armée et de renouer avec l'idéal antique, qui n'existait plus, celui de l'hoplite spartiate.

Ce programme est tout à fait révolutionnaire dans le sens latin du mot revolutio qui veut dire : retour du temps, cycle. Ou encore du latin médiéval dérivé du mot latin revolvere signifiant : faire revenir quelque chose à un point de son cycle.

En l'espèce, l'objectif visé est le retour de Sparte dans le monde hellénistique en tant que puissance de premier ordre, et pour ce faire, Agis essaye de remettre en vigueur les lois de Lycurgue. Afin de mener à bien cette politique, Agis IV souhaite annuler les dettes de tous ses concitoyens et redistribuer les terres aux Spartiates ainsi qu'à un grand nombre de Périèques. Pour ces derniers, il aspire à leur donner la pleine citoyenneté pour atteindre une population de 4500 Spartiates. Ce point est essentiel car à cette époque la population ne compte plus que 600 Spartiates dont 500 extrêmement pauvres.

Il est possible de penser que toutes ses réformes ont été insufflées par le philosophe stoïcien Sphairos. Il existait en effet un courant philosophique, à Sparte comme à Athènes, qui tient son origine de Chilon de Sparte, célèbre pour son aphorisme : "Connais-toi toi-même".

C'est donc le stoïcisme, caractérisé par une volonté d'être en accord avec le cosmos qui anime tout au long de sa vie Agis IV. Mais le grand dessein qu'il s'est fixé n'est pas aisé à mettre en œuvre. De nombreux obstacles se dressent sur la route.

Le combat politique

De fait, le pouvoir est concentré entre les mains d'une poignée de ploutocrates jaloux de leurs richesses. Parmi eux, on compte de nombreuses femmes, celles-ci peuvent en effet avoir un rôle économique dans le système spartiate. Ces dernières n'ont pas le statut de citoyennes, mais par leurs fortunes, influencent néanmoins la politique de la cité.

De plus, le second roi, Léonidas II, est aussi un partisan de cette ploutocratie. Il s'oppose au projet de rétablissement des lois antiques de la cité Lacédémonienne. C'est pourquoi, le jeune souverain veut au plus vite l'écarter, mais de manière pacifique.

Pour cela il s'appuie sur un ami influent, Lysandre. Agis IV lui permet d'être nommé éphore afin qu'il puisse présenter devant l'assemblée des anciens, la gérousie, son projet révolutionnaire. Pour montrer son désintéressement, le jeune roi n'hésite pas à offrir ses biens et sa richesse au profit du peuple de Sparte qui l'acclame. Cela est peine perdue car les gérontes, sous l'influence du fin politique Léonidas II, n'arrivent pas à se mettre d'accord et aucune majorité ne se dégage pour approuver ce que veut le jeune souverain. Les réformes sont donc rejetées.

Lysandre tente alors de destituer le gêneur en invoquant une vieille loi lacédémonienne tombée en désuétude. Celle-ci énonçait : "Il n'est pas permis à un Héraclide (les spartiates sont des descendants d'Héraclès) d'avoir des enfants d'une femme étrangère  ni de  condamner à mort celui qui aurait quitté Sparte pour s'installer ailleurs". Cet argument juridique aurait pu entrainer la fin de Leonidas II. En effet, celui-ci a passé sa jeunesse dans une cour étrangère et s'est marié avec une femme Perse. Cette loi n'a pas été retenue par l'assemblée à cause de son origine obscure.

La troisième tentative s'avère payante. Lysandre utilise son pouvoir invocatoire et la révélation de l'accord des dieux sur le projet royal. De plus il revient sur la non conformité du statut de citoyen de Léonidas vis à vis de la loi. C'est ainsi que Lysandre peut traîner Léonidas II en justice. Ce dernier prend peur.

Mais la magistrature de Lysandre ne dure qu'un an. De nouvelles élections ont donc lieu pour choisir les nouveaux éphores. Lysandre ne peut plus être à nouveau éphore, son mandat arrive à terme.

C'est ainsi qu'un nombre considérable de jeunes gens favorables aux réformes s'armèrent pour un renouvellement complet du directoire constitué des cinq éphores, dont la majorité est défavorable à Agis. C'est alors que Lysandre convainc Agis de prendre une initiative sans précédant qui consiste à déposer les éphores par la force et à en nommer d’autres à la place. Devant cette situation, Léonidas II s'enfuit de la cité de peur d'être assassiné.

Pour les partisans d'Agis IV, c'est une victoire politique. Il peut ainsi nommer cinq nouveaux éphores favorables à sa cause, dont son oncle Agésilas. Le coup d'Etat est réussi. Léonidas fut destitué et sa succession assurée par son gendre Cléombrote. Celui-ci coopéra avec Agis.

La première mesure entérinée est l'annulation des dettes. Cela favorise aussi bien les riches que les pauvres, car malgré la différence de statut, l'ensemble de la population était endetté. Quant aux partages des terres, celle-ci ne pourra pas se faire à cause de l'opposition des classes aisées et de la difficulté de créer les modalités d'application de la réforme.

Agis IV est avant tout un roi pacifique, il ne souhaite pas faire couler le sang pour imposer sa politique. Il ne veut pas non plus changer les institutions. Il désire appliquer ses projets de manière tout à fait légale. Agis IV a su garder pour partisans une grande partie du peuple pauvre, notamment les plus jeunes, ainsi que sa riche famille et Lysandre.

Face à ce clan, on retrouve une ploutocratie composée notamment de nombreux membres de la gérousie, ainsi que des femmes puissantes et hostiles à son projet guerrier, et bien sûr Léonidas II qui a trouvé refuge à Tégée.

Pendant un certain temps, le combat entre ces deux clans reste indécis. Agis IV ne parvenant pas à imposer ses réformes, il choisit la solution militaire afin d'accroitre sa légitimité auprès de tous les Spartiates, mais cela va lui être fatal.

Des mauvais choix politiques entraînant la fin des espoirs révolutionnaires

La marche à la guerre, une tentative militaire décevante

Agis IV part en campagne l'été -241 avec ses partisans ; il répond à un appel au secours du chef de guerre Achéen, Aratos. À cette époque une puissance montante, la ligue achéenne, composée de cités grecques se situant dans cette même région conteste la suprématie du royaume de Macédoine.

Ainsi, nous pouvons voir sur la carte ci-dessous, où se situe précisément les protagonistes : Sparte au sud de la Grèce, la ligue achéenne au centre et la Macédoine au nord. Même si ce plan reprend les territoires vers -200, ceux-ci ont peu changé avant la conquête romaine.

Mais revenons en -241. Le roi de Macédoine, Antigone Gonatas entend bien récupérer Corinthe qui est aux mains de la ligue achéenne. Pour se faire, le Macédonien pousse un de ses alliés, la ligue étolienne, à combattre la ligue achéenne afin de reprendre le contrôle de cette cité. C'est dans ce contexte que les Achéens appellent à l'aide les Spartiates.

Mais Aratos se méfie grandement des idées révolutionnaires du roi Agis IV. Il ne veut pas que les troupes en provenance de Sparte divulguent les idées d'Agis à son armée ni à toute la  région qui pourrait ainsi se rebeller contre les oligarchies.

En effet, la ligue achéenne est aussi dominée par un très petit nombre de riches propriétaires qui voient d'un très mauvais œil le partage des terres que veut organiser le roi spartiate.

En voyant arriver Agis IV et son armée, Aratos a déjà pris sa décision. Il congédie purement et simplement les Spartiates. C'est un camouflet pour le jeune roi, celui-ci décide alors de rentrer à Sparte avec ses troupes. Quant à la ligue achéenne, elle écrase la ligue étolienne par une attaque surprise.

Mais pendant l'absence d'Agis IV, à Sparte ses ennemis retrouvent pleinement leurs forces et leur influence. Ils ont décidé du sort du jeune roi.

La fin d'Agis IV, la victoire d'une Sparte ploutocratique

Cléombrote envoyé en exil par Léonidas II, roi de Sparte, par Benjamin West, 1768Pendant qu'Agis IV était parti en campagne, Léonidas II a eu le temps de rentrer à Sparte et de réorganiser son groupe de partisans afin de mettre un terme définitif aux entreprises révolutionnaires de son rival. Les partisans du jeune roi tel son oncle Agésilas, deviennent impopulaires.

Celui-ci, en effet veut prolonger la durée de sa magistrature et augmenter les taxes, il passe pour un tyran auprès de la population. Et les lois, plus que dans tout autre cité, sont sacrées à Sparte, on ne les violent pas impunément.

Agésilas est donc obligé de fuir avec son fils, tout comme Cléombrotos. De plus, la réforme du partage des terres est totalement abandonnée. C'est une déroute totale.

Plusieurs éléments ont ainsi entraîné la chute du parti d'Agis. D'abord, le très jeune âge du souverain ne lui a sans doute pas permis d'acquérir l'expérience nécessaire pour la maîtrise du jeu politique à Sparte. De plus son idéalisme était peut être trop éloigné des réalités. Les changements qu'il voulait imposer à la société auraient été trop brutaux, le nombre des citoyens aurait été  multiplié par 6,5 !  Les 700 anciens citoyens spartiates seraient devenus minoritaires face au 4.500 nouveaux.

Enfin, partir en campagne militaire, sans avoir réglé les problèmes de politique intérieure et en revenir bredouille n'a pas arrangé les choses.

La condamnation d'Agis, roi de Sparte, gravure de Walter Crane pour The Children's Plutarch: Tales of the Greeks de F.J. Gould, 1910Ainsi, lorsque Agis IV rentre à Sparte, il découvre une situation désastreuse. Il décide alors de se réfugier dans un sanctuaire où il survit quelques temps. Malheureusement, Agis est trahi par des amis. Lorsque celui-ci décide de sortir de son refuge pour prendre un bain. Il est capturé et jeté en prison. Maintenant, Léonidas II et ses partisans veulent en finir.

Un procès s'ouvre alors. Agis répond aux accusations qui lui sont lancées. Il maintient ses positions en affirmant que ses réformes sont nécessaires pour restaurer l'antique constitution de Lycurgue et ainsi redonner à Sparte sa valeur intrinsèque. Il ne regrette aucunement ses actions passées, pas même devant la mort.

La sentence ne se fait pas attendre. C'est la mort par strangulation. Le bourreau doit agir au plus vite car la foule se masse aux portes ; les juges craignent que celle-ci ne se porte au secours de l'accusé.

Mais il est déjà trop tard.

Le bourreau s'avançant vers le jeune roi déchu est ému aux larmes. Agis le remarque et lui déclare : "Mon ami, cesse de pleurer sur moi, car subissant une mort si contraire aux lois et à la justice, je vaux mieux que mes meurtriers". Ainsi Agis meurt tout en restant fidèle à ses idéaux. Il meurt en authentique Spartiate.

Bibliographie

  • Histoire antique et médiévale n°56 : La puissante cité de Sparte.
  • Prétorien n° 23 : Le dernier roi de Sparte.
  • Edmond Lévy, Sparte : Histoire politique et sociale jusqu'à la conquête romaine, Seuil, 2003, 336 pages.
  • Jacqueline Christien et François Ruzé, Sparte : Géographie, mythes et histoire, Armand Colin, 2007, 431 pages.
  • Jean Ducat, Les Hilotes, Ecole française d'Athènes, 1990, 212 pages.
  • « Map Macedonia 200 BC-fr » par Marsyas — Création personnelle avec Adobe Illustrator (données basées sur R. Ginouvès et al., La Macédoine, Paris, 1992).. Sous licence CC BY-SA 3.0 via       Wikimedia Commons - commons.wikimedia.org.
  • Brasidas Ancien membre d'HistoriaGames
  • "Les Spartiates ne s'inquiètent pas de savoir combien sont les ennemis, mais seulement où ils sont !" Cléomène III