Sparte est surtout célèbre auprès du grand public grâce au sacrifice des 300 lors de la bataille des Thermopyles en 480 av J.-C., mais aussi de part son rôle éminent durant la guerre du Péloponnèse de 431 à 404 av J.C où elle a pu ensuite imposer son hégémonie sur toute la Grèce. C'est pourquoi j'ai décidé d'écrire une série d'articles concernant une période moins connue de cette cité afin de montrer une autre image de la grande rivale d'Athènes.

En l'espèce, je vais évoquer les règnes des deux derniers rois spartiates dont les destins glorieux les mèneront tous les deux à une fin tragique. En effet, cette époque débute en -244, elle est marquée par un redressement spectaculaire de Sparte, celle-ci sortant ainsi de plus d'un siècle de léthargie depuis les catastrophiques défaites de Leuctres en -371 et de Mantinée en -362 contre les Thébains. Néanmoins, les efforts entrepris par les ultimes souverains de Sparte, à savoir Agis IV et Cléomène III ne sont qu'éphémères et se terminent en -222.

En revanche, ces deux rois ont su réinsuffler à leur peuple la volonté farouche de rétablir la puissance spartiate et de défendre ses lois jusqu'aux dernières extrémités, peu importe si on doit y laisser la vie, peu importe si l'adversaire en face est en large supériorité numérique et que la bataille semble perdue d'avance.

Car comme l'affirmait si bien Cléomène III, dernier roi de Sparte : "Les Spartiates ne s'inquiètent pas de savoir combien sont les ennemis, mais seulement où ils sont !"

Mais avant d'entrer le vif du sujet, il convient de déterminer les contours de la société spartiate lors de son âge d'or au Vème siècle av. J.-C. puis d'esquisser les causes de sa "première chute" au siècle suivant afin de mieux appréhender sa situation lors de l'avènement d'Agis IV en -244.

Mon objectif est d'éviter soigneusement les hagiographies tout comme les calomnies dont Sparte a toujours été victime. Ainsi, je tiens à préciser qu'il est très malsain de comparer cette cité à un régime totalitaire, proto-fasciste, proto-communiste ou que sais-je encore. Ces différents calques idéologiques ne font que tordre la réalité historique pour la conformer à une vue de l'esprit tout à fait contemporaine, complètement étrangère à la pensée des Grecs anciens. Beaucoup de personnes, parfois même des universitaires, malheureusement, tombent dans ce travers. Cela est désolant, car l'Histoire est un outil permettant de mieux nous comprendre et de comprendre les autres et non un instrument pour faire passer des messages politiques.

Sparte, une société à part entière

La cité de Sparte (ou Lacédémone) se situe en Laconie c'est à dire au sud-est de la Grèce dans la péninsule du Péloponnèse. C'est une puissance essentiellement terrestre, s'appuyant dès le VIIIème siècle av. J.-C. sur des "serfs" que l'on appelle les Hilotes (voir article à ce sujet sur HistoriaGames), ce sont eux aussi des Grecs. Ces derniers habitent les plaines fertiles de Messénie, ils appartiennent à l'Etat lacédémonien et subissent des vexations continues de la part des Spartiates, certains sont mêmes assassinés ou massacrés. Toute cette population cultive une terre riche, elle doit donc un tribut régulier à Sparte.

Néanmoins, les Hilotes peuvent se porter volontaires pour intégrer l'armée et bénéficier d'un certain affranchissement pour service rendu. Malgré un statut peu enviable, la démographie de cette population ne cesse de croître au cours des siècles, ce qui prouve que ce peuple se nourrit correctement. De plus ces paysans ne sont pas privés de leurs familles ni de leurs terres, cela les distinguent des esclaves-marchandises que l'on retrouve partout dans le monde Antique.

Outre la Messénie, les Spartiates dominent aussi d'autres petites cités du Péloponnèse où leurs habitants, les Périèques, sont libres. Ils n'ont pas le statut de citoyen mais peuvent gérer localement les affaires du village où ils habitent. Ils exercent des métiers d'artisans, de commerçants, ou encore d'armuriers. Cependant, ces hommes doivent un service militaire à Sparte lorsque celle-ci décide d'entrer en guerre.

Enfin, les Spartiates sont des citoyens formant une aristocratie consacrée entièrement à la cité. Afin d'accéder à ce statut, ils doivent accomplir un entraînement militaire très rigoureux que l'on appelle agôgé (voir article à ce sujet sur HistoriaGames). Le jeune garçon ne reçoit alors qu'un manteau par an, se lave dans l'eau glacée, et subit un entraînement physique intense. La formation débute à 7 ans puis se durcit dès l'âge de 12 ans. De 16 à 20 ans le jeune homme participe à des activités collectives puis devient citoyen. La formation du spartiate comporte aussi du chant en choral, de la musique, de la gymnastique ainsi que l'apprentissage de la lecture et de l'écriture.

Une autre condition, pour garder sa citoyenneté, est de pouvoir amener aux banquets collectifs, les syssitie, une part déterminée d'aliments. Ces denrées proviennent des parcelles de terres attachées à chaque Spartiate que l'on appelle kleros, ce sont les Hilotes qui en sont les cultivateurs. En outre si le Spartiate ne réussit pas sa formation ou s'il ne peut pas amener assez de nourriture au banquet il n'est plus citoyen.

Le dernier élément est que pour être citoyen, il faut être un homme né d'un citoyen spartiate et de la fille d'un citoyen spartiate.

Ce système à la fois élitiste et égalitaire permet à Lacédémone d'aligner les meilleurs hoplites du monde grec que l'on appelle les égaux, or la diminution croissante de leur nombre dû aux devoirs qu'ils doivent remplir ainsi qu'aux guerres est un problème récurrent au cours de l'histoire de cette cité. Malgré cela, de part une formation riche et complète, les Spartiates sont loin d'être des guerriers dépourvus de raison. En effet, ceux-ci s'expriment par des laconismes dont la principale caractéristique est la formation de phrases brèves non dénuées d'intelligence et de pragmatisme.

Ainsi Plutarque nous rapporte la scène où un Grec regarde une peinture montrant des Athéniens égorgeant des Spartiates, celui-ci s'exclame :

"Quels vaillants hommes que sont ces Athéniens !"

Un Spartiate lui répond : "Oui en peinture"

Quant aux femmes spartiates, elles ne sont pas mises à l'écart de la société comme cela se fait à Athènes par exemple. Elles bénéficient aussi de cours de gymnastiques, de chants, de musique, et de danse. Elles font pleinement partie de la cité.

Ainsi une femme provenant de l'Attique (la région où se situe Athènes), demande à la reine Gorgo de Sparte : "Pourquoi êtes-vous les seules, vous autres Laconiennes, qui commandiez aux Hommes ?"

La reine répond : "Parce que nous sommes les seules qui mettions au monde des Hommes !"

Cette citation prouve à quel point la place des femmes est importante à Sparte, de plus la reine n'est pas dénuée d'esprit.

Quant à la constitution de Lacédémone, la Grande Rhêtra, elle est attribuée à Lycurgue (Portrait imaginaire ci-contre) et semble datée du VII siècle av. J.-C. selon les historiens, ce qui est révolutionnaire pour cette époque, les autres cités étant moins évoluées sur ce plan. En outre, Lycurgue fut divinisé pour cela ainsi que pour sa rigueur morale. Ses lois instaurent une assemblée des anciens au nombre de 30, la Gérousie. Seuls les Spartiates de plus de 60 ans y ont accès. L'une des particularités de ce système est que Sparte possède deux rois gouvernant ensemble de manière égale, il y a donc deux familles régnantes : les Agiades et les Eurypontides issus selon la légende de la lignée du grand Héraclès.

Ces deux souverains sont institués par la Grande Rhêtra, tout comme l'assemblée du peuple. Les rois doivent faire suivre leurs prérogatives en fonction de cette dernière et de la Gérousie qu'ils président. Ils ont un rôle essentiellement militaire et religieux.

Par la suite la fonction d'éphore est instituée, ils sont cinq magistrats (âgés de 30 à 60 ans) élus pour un an non renouvelable. Ils ont pour charge la justice et veille au respect des lois de Sparte, ils n'hésitent pas à châtier le roi qui outrepasserait ses devoirs.

Enfin, Lycurgue interdit l'argent à Sparte, car pour lui la formation de citoyens exclusivement au service de la cité est beaucoup plus importante que la possession de biens matériels, l'être prime ainsi sur l'avoir.

La "première chute" de Sparte, un effondrement général, une gloire éteinte:

Dès le milieu du IVème siècle jusqu'à la montée au trône du roi Agis IV en -244, Sparte n'est plus qu'une cité très faible à tous les niveaux : économique, démographique et militaire. Toute une série d'évènements va la faire plonger dans les abîmes de l'Histoire et la reléguer à un rôle secondaire.

En effet, sa victoire contre Athènes et ses alliés en -404, a permis aux Spartiates de récolter un butin très important. Malheureusement, cela engendre une destruction de la cohésion que connaissait cette société, car celle-ci refusait jusqu'à présent l'utilisation de l'argent. La relative égalité qui régnait entre les égaux est brisée, des écarts de richesse importants se créent.

De plus en -371 et -362 les batailles de Leuctres et Mantinée, coûtent très cher en homme et en ressources. À cette période, les Thébains libèrent la Messénie, les Hilotes sont affranchis de leurs anciens maîtres spartiates. Les Messéniens construisent alors une puissante cité fortifiée, Megalopolis afin de se prémunir de leurs dangereux voisins. C'est un revers colossal faisant perdre à Lacédémone sa principale source de subsistance. C'est la première fois dans toute son histoire que des étrangers entrent en territoire spartiate.

En -338 l'ensemble de la Grèce est conquise par les Macédoniens, Sparte s'isole. En plus de toutes ces catastrophes, la cité lacédémonienne souffre d'un déficit de citoyens que l'on appelle oliganthropie. Au Vème siècle elle pouvait aligner 8000 citoyens sur le champ de bataille, au IIIème siècle elle n'en compte plus que 700, dont 100 très riches et 600 trop pauvres pour participer au banquet collectif leur permettant d'accéder à la citoyenneté donc de facto exclu. C'est une véritable hécatombe. De plus l'idéal de mort héroïque au combat semble avoir abandonné ces hoplites, effectivement à la bataille de Leuctres sur les 700 présents 300 refusent de mourir au combat.

La pauvreté, les dissensions, le recul des préceptes de Lycurgue, l'oliganthropie, la perte de la Messénie, l'avènement d'une ploutocratie sans scrupules réduisent Sparte à une cité de seconde zone, incapable de sortir de l'abîme où elle se trouve. Elle ne fait que survivre durant toute cette période.

Par conséquent, redresser Sparte est la lourde tâche reposant sur les épaules du jeune roi de 21 ans Agis IV, lorsqu'il monte sur le trône en -244.

Plutarque affirme à son sujet : "Il disait qu'il n'avait aucun besoin de la royauté, s'il ne pouvait par son moyen restaurer les lois et l'agôgé traditionnelle".

Ainsi Sparte allait reprendre le contrôle d'elle même, mais pour un temps seulement...

La suite dans le prochain numéro !

Bibliographie

• Histoire antique et médiévale n°56 : La puissante cité de Sparte.
• Prétorien n° 23 : Le dernier roi de Sparte.
• Edmond Lévy, Sparte : Histoire politique et sociale jusqu'à la conquête romaine, Seuil, 2003, 336 pages.
• Jacqueline Christien et François Ruzé, Sparte : Géographie, mythes et histoire, Armand Colin, 2007, 431 pages.
• Jean Ducat, Les Hilotes, Ecole française d'Athènes, 1990, 212 pages.