Les guerres civiles japonaises et leur traitement par Total War Shogun II : la guerre de Genpei
5 décembre 2016 par Elensar | Total War | Guerre de Genpei
La guerre de Genpei (1180-1185) est une guerre civile de l’Âge des guerriers (notre Moyen-Âge) qui prit place à travers tout le Japon actuel, alors naturellement politiquement désuni bien que théoriquement sous l’autorité d’un même empereur.
Durant cette guerre, deux grandes factions s’opposent : la première est menée par le clan Taira, au pouvoir depuis Kyoto, la capitale impériale, et la seconde par le clan Minamoto, des seigneurs de guerre de l’est.
Le Japon au XIIème siècle
Si nous ne sommes pas au Moyen-Âge mais à l’Âge des Guerriers (ère Heian) et que le régime politique en place n’est pas féodal mais shogunal, certaines comparaisons sont tout de même possibles entre le Japon et l’Europe de la même époque. En effet, la classe dirigeante est constituée de guerriers suivant la voie du Bushi(do) et répartis en domaines relativement autonomes dont l’activité principale est agricole. Le pouvoir de l’empereur, figure divine incarnant l’unité culturelle, rituelle et religieuse des Japonais, est bridé par l’autorité du clan Taira, maître de la cour impériale.
Au XIIème siècle, le Japon impérial ne s’étend pas encore sur les archipels de Ryükyü ou sur l’île d’Hokkaido et compte 66 provinces où les richesses naturelles et la densité démographique sont très variables. Plus les provinces sont proches de Kyoto, la capitale impériale, plus elles sont favorisées. De ce fait, les inégalités sont évidemment flagrantes. Enfin, les communications restent très difficiles d’un bout à l’autre des îles, rendant aussi le ravitaillement des armées particulièrement ardu.
Le clan Taira régit les moindres faits et gestes de la cour impériale de Kyoto depuis l’ère Heiji (1159). Ils doivent leur pouvoir à leur contrôle du Japon maritime, tourné vers le large et riche du commerce entre l’archipel nippone et l’Empire du Milieu des Songs.
Le clan Minamoto, établi aux alentours de Kamakura au sud-ouest du Tokyo actuel, ne profite guère des terres, certes giboyeuses mais marécageuses et peu exploitées, qui entourent leur capitale régionale.
Des différences existent entre les peuples des deux régions : les habitants de la capitale impériale jugent les natifs de l’est barbares alors que ces derniers, peut-être un peu plus grossiers, sont davantage portés sur l’art de la guerre et la monte des chevaux. Ils excellent d’ailleurs dans ces domaines.
Origines du conflit
Tout commence lors d’une attaque surprise organisée à la faveur de la nuit par les hommes de Yoritomo, héritier du clan Minamoto, à l’encontre du complexe palatial du gouverneur de la péninsule d’Izu, province vassale du clan Taira. Nous sommes en 1180 et l’incendie du palais de cette péninsule du centre du Japon marque le premier acte de cette guerre civile de Genpei.
Si l’affaire peut sembler banale, elle a pourtant lieu dans un contexte des plus tendus. La cour impériale est divisée entre les partisans du clan Taira et ceux de l’empereur retiré Goshirakawa, soutenu par les puissants monastères bouddhistes. De plus, le monde japonais est lui-même partagé entre la noblesse de cour et celle des armes, entre les parvenus de Kyoto et la noblesse de sang.
En 1180, les Minamoto, opposés en tout aux Taira, se dressent contre les maîtres de la cour impériale à la demande d’un prince impérial, Mochihito. Si ce-dernier est rapidement exécuté par le chef tout puissant du clan des Taira, Kiyomori, les émissaires sont déjà en route pour relayer l’appel à la guerre qu’attend tant le clan Minamoto.
Déroulement
La première échauffourée de la guerre de Genpei a lieu à Ishibashi près d’un mois après l’incendie du palais d’Izu et elle oppose 300 guerriers du clan Minamoto à 3000 épées-liées des Taira. Malgré la défaite des Minamoto, leur leader Yoritomo parvient à rallier plus de 27.000 hommes moins d’un mois plus tard à Kamakura. Alors que les Minamoto et leurs soutiens, du clan Takeda notamment, réunissent une vaste armée, les Taira doivent faire face à une vague de soulèvements de daimyos rebelles qui occupent une partie des armées mobilisées.
Il ne faudra pas attendre plus tard que la fin de l’année 1180 pour espérer assister à la première grande bataille frontale opposant les deux clans et leurs alliés au mont Fuji. Or surprise ! C’est la débandade chez les guerriers Taira effrayés qui fuient dans le désordre et la peur avant même les premiers combats. Selon une chronique de l’époque, ils auraient pris les bruits produits par des poules d’eau pour une attaque surprise ennemie !
Après cette victoire facile, Yoritomo décide de rentrer à Kamakura, sa nouvelle capitale, et d’y renforcer sa récente autorité en couvrant de récompenses et de cadeaux ses loyaux vassaux. Il renonce donc pour l’instant à une entrée triomphale dans Kyoto. Parallèlement, les Taira sont eux aussi occupés à d’autres affaires durant cette période d’inaction qui durera deux années. S’ils parviennent à mater les moines guerriers bouddhistes en incendiant impitoyablement leurs sanctuaires, ils subissent par contre de sévères difficultés : leur leader Kiyomori meurt en 1181, l’île de Kyushu (grande île du sud de l’archipel) est perdue au profit de rebelles et le cousin de Yoritomo Minamoto, Kiso Yoshinaka, lui apporte quelques provinces le long de la mer du Japon.
À l’aube de la reprise de la guerre, on observe donc que le clan Tairai occupe encore l’ouest est le centre de l’île centrale d’Honshu ainsi que Shikoku. Cependant ils sont entourés par les vassaux du clan Minamoto, présents au nord de Honshu et le long de la mer du Japon.
Grandes batailles de la guerre de Genpei
En 1183, les hostilités reprennent avec l’assaut des Taira sur les positions de Kiso Yoshinaka. Celui-ci les écrase et entre sans tarder dans Kyoto qu’il trouve vide de son empereur, évacué vers l’ouest à la suite de la fuite des Taira. Cependant, craignant l’attitude de ses hommes avides de butin dans la capitale impériale, le général décide de poursuivre les armées Taira vers l’ouest. Vaincu et affaibli, il s’en retourne à Kyoto attendre son cousin Yoritomo. Mais dans la capitale, l’empereur retiré Goshirakawa ne supporte plus les exactions des hommes de Yoshinaka et il demande alors à Yoritomo de chasser ce-dernier.
Le chef du clan Minamoto obtempère en y envoyant son frère, Yoshitsune qui pousse Yoshinaka au suicide en 1184. Le même Yoshitsune, excellent tacticien, parvient ensuite à vaincre les forces Taira de l’ouest en cours de reconstitution à Ichinotani puis à définitivement les écraser en 1185 suite à une géniale Blitzkrieg qui met les Taira en échec tant sur terre que sur mer, comme lors de la bataille navale de Dan no ura de 1185, où le jeune empereur meurt noyé. La défaite consommée, tous les chefs Taira se font seppuku (suicide) et la grande majorité des daimyos japonais se soumettent à Yoritomo du clan Minamoto.
Mais comment un clan dont le leader fût le maître absolu de la cour et des terres côtières et centrales de l’île d’Honshu a-t-il pu être vaincu par un seigneur de guerre de l’est ?
Certes, Kiyomori Taira fût bien trop ambitieux et orgueilleux vis-à-vis de l’empereur, des monastères et de vassaux. Mais il convient aussi de préciser que le Japon de la fin du XIIème connaît des crises importantes : le climat, notamment, varie encore et encore perturbant les récoltes et créant de terribles famines. En effet, entre 1167 et 1176, période d’apogée du clan Taira, les années sont humides et les récoltes abondantes alors qu’entre 1177 et 1186, les étés sont chauds mais très secs, défavorisant les rendements agricoles des terres soumises au clan Taira. Dès lors, alors que les greniers Minamoto sont pleins avant chaque campagne d’automne, les soldats Tarai peinent à trouver de quoi se nourrir et voient leur moral faiblir de jour en jour. D’ailleurs, si le clan Taira ne combat pas entre 1181 et 1182, c’est parce que les famines et les épidémies ravagent leurs terres.
La tactique du clan Minamoto a également joué un rôle décisif. En effet, les guerriers de l’est savent se retirer des combats à la veille des récoltes. Ainsi, ces paysans-soldats peuvent être présents chez eux au moment le plus important de l’année et souffler un peu. De plus, les généraux Minamoto prennent soins de ne pas trop étendre leurs voies de ravitaillement et donc de ne pas poursuivre l’ennemi en déroute trop loin. Cette tactique correspond parfaitement à la situation des guerriers dans le Japon médiéval : loin d’être des soldats fidèles jusqu’à la mort, ils n’acceptent le combat que lorsque la victoire est certaine, le ravitaillement bon et le foyer point trop éloigné. Par contre, la perspective de butin et de victoire les grisent.
Notons enfin que les guerriers des provinces de l’est sont excellents au tir à l’arc et à la monte. De plus, ils sont farouches et indomptables et leurs chefs, les daimyos, sont à la tête d’immenses domaines qui peuvent mobiliser de vastes contingents de soldats.
Et ensuite ?
Le réel pouvoir est désormais exercé par le clan Minamoto au sein du Bakufu, ou gouvernement shogunal, de Kamakura, ouvrant ainsi une nouvelle ère du même nom pour l’histoire du Japon. Les derniers alliés du clan Taira choisissent la soumission à la nouvelle autorité Minamoto.
Parallèlement, l’empereur retiré Goshirakawa remonte sur son trône à Koyto, soutenu par le clan Minamoto représenté par Yoshitsune, frère de Yoritomo. Cependant, ce-dernier se méfie de plus en plus de son frère et cherche à l’éliminer. Yoshitsune trouve alors refuge auprès du clan Fujiwara, séculaire clan du nord resté neutre durant la guerre, qui est peu après anéanti par les forces du clan Minamoto, assurant ainsi à ce-dernier le contrôle quasi-total de l’archipel nippone.
Critique historique de la campagne « l’essor des Samouraïs » de Total War Shogun II
Dans la campagne « L’essor des Samouraïs » du jeu de The Creative Assembly, le joueur peut choisir d’incarner une des deux branches de trois grandes factions : les Minamoto, les Taira mais aussi les Fujiwara. La campagne commence assez tôt, en 1175, année à partir de laquelle l’autorité des Taira s’imposa clairement à Kyoto.
La faction des Minamoto est divisée en un clan principal, celui de Kamakura mené par Yoritomo et épaulé par son frère Noriyoti et un clan secondaire, celui de Kiso, mené par Yoshinaka. Ainsi les terres Minamoto sont plus ou moins fidèlement réparties. Leurs caractéristiques de clans correspondent bien à leurs habilités légendaires : ils sont indomptables, tenaces, excellents archers et cavaliers, bons stratèges et capables de tisser de solides liens de loyauté. La faction Minamoto est donc plutôt bien représentée dans le jeu de stratégie et le résumé historique assez bien écrit.
La faction Taira est divisée en un clan principal, celui de Fukuhara et de Kyoto mené par Kiyomori et un clan secondaire, celui d’Akashi, mené par Tsunimori. Les terres des Taira sont, elles-aussi, fidèlement réparties le long des côtes de la mer du Japon et au centre de l’île d’Honshu. Leurs caractéristiques de clans correspondent également bien aux avantages dont bénéficient les Taira : leur domination politique, leur maîtrise des mers et du commerce. La faction Taira respecte ainsi assez bien la réalité historique.
La faction des Fujiwara, les ancien maîtres du Japon détrônés par les Taira, est divisée en un clan principal, celui d’Hiraizumi mené par Hidehira et un clan secondaire, celui de Kubota, mené par Motofusa. Les Fujiwara règnent donc en maître sur le nord de l’île d’Honshu comme ils le faisaient dans l’histoire. Leurs caractéristiques de clans correspondent aussi bien aux illustres qualités des Fujiwara : ils ont d’excellents dignitaires et inspecteurs, un bon gouvernement et une administration efficace, et connaissent une certaine influence chinoise. Encore une fois, la faction Fujiwara a bien été dépeinte par Creative Assembly.
Les autres clans sont plus ou moins bien représentés dans le jeu, et pour cause : la tâche est ardue du fait de la disparité des sources écrites et de la division des provinces du jeu. Cependant le travail est tout à fait correct dans le sens où ces clans sont destinés à être absorbés par les grandes factions.
Ensuite, précisons que le système des luttes d’influences des factions est assez bien conçu, que les unités de guerriers sont fidèles et que la présence des moines et du commerce avec la Chine est tout à fait appréciable. Enfin, les principales industries de l’époque sont toutes bien présentes et le nombre de bâtiments est largement suffisant.
Bref, la campagne « L’essor des Samouraïs » de Total War : Shogun II est plutôt bien représentative de ce qu’était la guerre de Genpei au XIIème siècle. Nous verrons bientôt dans un prochain épisode si la campagne principale du jeu mérite autant d’éloges...
Source
- Hérail F. (dir.), Histoire du Japon des origines à nos jours, Paris, Hermann, 2009.
- Elensar Ancien membre d'HistoriaGames
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