La mort annoncée du Tirpitz : le raid sur Saint-Nazaire

L'Amiral
Thématique
Seconde Guerre mondiale, Opération Chariot
15 octobre
2016

La Seconde Guerre mondiale a été riche en épisodes héroïques, et a notamment été un terrain d’expérimentations pour les opérations commandos de tous les pays impliqués.

L’espionnage s’associait aux opérations de sabotage en territoire ennemi. Osées, de nombreuses actions commandos furent un échec, et une multitude d’hommes périrent. Toutefois, celles qui ont réussi sont devenues des faits marquants du second conflit mondial.

Les Britanniques ont beaucoup misé sur les opérations commandos durant la Seconde Guerre mondiale. Le Combined Operations (Opérations Combinées) est créé en 1940 par la volonté de Churchill qui souhaite munir le Royaume-Uni d’un organe militaire préparant les opérations spéciales.

En automne 1941, une personnalité majeure au sein des forces armées britanniques prend le commandement de cette division spéciale : le capitaine lord Louis Mountbatten. Sa combativité, sa jeunesse et son audace vont lui permettre de réaliser le climat de terreur voulu par Churchill chez le haut commandement nazi.

Saint-Nazaire, une cible prioritaire pour la Royal Navy

Le KMS Tirpitz est le sister-ship du Bismarck.Le KMS Tirpitz est le sister-ship du Bismarck.

En 1941, la Royal Navy est mise à l’épreuve en Mer du Nord et dans l’Atlantique face à la Kriegsmarine. La guerre sous-marine s’intensifie, mais l’Allemagne nazie dévoile aussi ses projets novateurs de navires de guerre, dont le cuirassé Bismarck ou le Tirpitz. Ces navires, qui ont une portée de déplacement hors norme, sont de très grosses menaces pour le commerce interallié dont dépend fortement la survie du Royaume-Uni. Des opérations ambitieuses sont menées pour rendre hors-service les navires longue portée de la Kriegsmarine : le Bismarck est coulé après une longue traque (et la perte du HMS Hood) le 27 mai 1941.

Le Tirpitz est le cuirassé le plus gros d’Europe à sa sortie des chantiers navals le 28 février 1941. Jumeau du Bismarck, il était positionné en Norvège pour effectuer des raids sur les convois dans l’Atlantique Nord. Il menaçait très fortement les convois britanniques, et les navires de guerre de la Royal Navy ne pouvaient que difficilement le rattraper. Devant l’impossibilité de le couler en combat naval conventionnel, les Britanniques vont se mettre à rechercher une alternative pour le neutraliser (sa présence en Norvège bloque la flotte britannique à Scapa Flow, sa base écossaise).

La forme Joubert est visible au centre de la photo, remplie d'eau.La forme Joubert est visible au centre de la photo, remplie d'eau.

De par sa conception, le Tirpitz ne peut pas mouiller dans n’importe quel port. En effet, ses dimensions hors normes (251 mètres de long et entre 8,7 et 11 mètres de tirant d’eau) lui interdisent de se réfugier dans les ports lambdas. Le seul port occidental assez grand pour l’accueillir était le port français de Saint-Nazaire, disposant d’une forme Joubert, un bassin de radoub sur lequel fut construit, entre autre, le Normandie, fleuron de la construction navale française. Cette forme de radoub hors-normes pouvait accueillir le Tirpitz et lui donner ainsi une base de repli lors de ses opérations en Atlantique. Le cuirassé aurait alors pu menacer davantage le commerce entre les alliés, s’accompagnant du risque sous-marin. Avec le port norvégien de Fættenfjord et le port français de Saint-Nazaire, le Tirpitz aurait pu menacer grandement les convois alliés de l’Arctique à l’Atlantique sud.

Le port français est donc très vite repéré par les Britanniques, et à défaut de pouvoir couler le Tirpitz en haute mer, l’idée émerge qu’un sabotage du port de Saint-Nazaire interdirait l’accès à l’Atlantique centre au cuirassé allemand. Churchill lui-même ordonne de préparer cette intervention, qui n’est alors qu’un plan vu comme insensé.

Un plan reposant sur l’effet de surprise

Un obstacle de taille se pose face aux Britanniques : les Allemands savent que Saint-Nazaire est un port avec un potentiel hors-norme pour leur Kriegsmarine. Ils ont donc pris un soin méticuleux à le fortifier, à tel point que Saint-Nazaire est vu comme le port le plus fortifié de France avec sa garnison de 5000 hommes. Sa forme Joubert n’est pas le seul élément à protéger : les infrastructures de construction sont prioritaires tout comme les hangars à U-Boote qui vont sillonner l’Atlantique.

Lord Mountbatten, chargé de l’opération avec les Combined Operations, est chargé d’une mission difficile. En effet, attaquer de surprise un port allemand situé sur la côte Ouest de la France nécessite d’énormes moyens, autant humains que matériels. La question principale se pose lors de la volonté de neutralisation de la forme Joubert : comment mettre hors service une forme de radoub de 350 mètres de long et 50 de largeur ? Des solutions comme les bombardements sont évoquées, mais elles ne permettent qu’une destruction modérée. Churchill a été clair : il faut que la forme Joubert soit inutilisable jusqu’à la fin de la guerre. La solution est trouvée un peu plus tard : un navire sera chargé d’explosifs et ira s’encastrer dans la porte-écluse du bassin de radoub.

L’opération doit faire le plus de dégâts possibles : 24 autres cibles stratégiques dans le port sont assignées à des équipes (cuves de carburants, installations radios, matériel de construction...) de commandos. Pour cette opération, 611 hommes sont prévus, dont 211 commandos. Afin de neutraliser la forme Joubert, un navire est trouvé : l’ancien USS Buchanan, un destroyer américain datant de la fin de la Première Guerre mondiale et donné aux Britanniques en 1940, qui l’ont renommé HMS Campbeltown. Il sera rempli d’explosifs et sera dirigé vers la porte-écluse.

Le HMS Campbeltown est allégé au maximum, et 24 grenades sous-marines sont placées dans des réservoirs d’acier et de béton placés derrière le canon de 76mm à l’avant du navire. Cette charge est jugée suffisante pour rendre inutilisable la porte. Le destroyer transportera les commandos qui sauteront sur les quais à l’arrivée pour attaquer les objectifs. Lorsque ces objectifs seront détruits, ils retourneront sur mer avec des vedettes rapides et regagneront le large où vont les attendre deux destroyers britanniques.

L’effet de surprise doit donc jouer un rôle important : les forces allemandes n’auront pas le temps de réagir et ne s’attendront pas à une attaque en pleine nuit sur un port si loin des bases britanniques. C’est ainsi que la flottille britannique quitte Falmouth le 26 mars 1942 : l’opération Chariot est lancée.

Un raid qui prend les Allemands au dépourvu

Le destroyer britannique enfoncé dans la porte-écluse.Le destroyer britannique enfoncé dans la porte-écluse.

Une diversion est prévue pour l’opération. La Royal Air Force doit effectuer un bombardement des défenses de Saint-Nazaire pour détourner l’attention des Allemands du port. De plus, allégé et modifié, le HMS Campbeltown ressemble de loin à un destroyer allemand de classe Möwe. Le mauvais temps empêche un bombardement efficace, mais les défenses allemandes se focalisent sur les appareils de la RAF, ne pensant pas qu’une opération commando se prépare devant le port.

Vingt minutes auparavant, à 23h00, la charge d’explosifs sur le HMS Campbeltown est amorcée. La minuterie, peu précise, doit se déclencher entre 9 et 11 heures plus tard, ce qui laisse le temps aux commandos britanniques pour évacuer le port. Le 28 mars, vers 1h15, les navires sont repérés par des avants-postes côtiers, et à 1h20, la flotte se fait identifier comme allemande aux guetteurs. En effet, des documents de la Kriegsmarine saisis auparavant a permis aux Britanniques de connaître les codes visuels pour l’identification des navires nazis. Il y a alors une période de flottement au port de Saint-Nazaire : aucun destroyer allemand n’est déployé dans les environs, et bien que les guetteurs signalent une identification correcte, certains officiers commencent à se douter d’un chose.

La charge est positionnée derrière le canon.La charge est positionnée derrière le canon.

A 1h27, la supercherie est éventée : après vérification, les destroyers allemands de sortie sont loin du port. Pour le commandement allemand de la place, il n’y a pas d'ambiguïté : le navire approchant est un navire adverse. L’alerte est alors donnée, et le HMS Campbeltown hisse le pavillon de la Royal Navy. Armé de 8 canons de 20mm et un de 76mm, le destroyer riposte tant bien que mal aux tirs des batteries côtières allemandes, très imprécises. Son objectif est d’aller s’encastrer dans la porte de la forme Joubert : à 1h34, dans un énorme bruit, le destroyer s’enfonce profondément dans la porte-écluse. Les commandos descendent alors du navire, qui est sabordé pour éviter de le désencastrer. De lourds combats s’engagent alors sur le port : la plupart des 24 objectifs sont détruits, mais dans ces combats confus, les Britanniques paient un lourd tribut : 169 des leurs meurent lors des combats. Les commandos retournent alors vers les vedettes rapides, mais beaucoup des leurs restent prisonniers, encerclés par les Allemands.

Un lourd bilan mais une victoire britannique majeure

Les soldats et officiers allemands inspectent le navire au petit matin.Les soldats et officiers allemands inspectent le navire au petit matin.

Au petit matin, les Allemands pansent leurs plaies. Les dégâts sur les infrastructures du port sont considérables : la station de pompage de l’eau de la forme Joubert est totalement détruite. De nombreux mois sont prévus pour réparer les dégâts. Les soldats allemands ont capturé environ 200 commandos britanniques pour des pertes sensiblement égales. L’opération est alors vue comme manquée du côté allemand : en effet, le destroyer encastré dans la porte-écluse est considéré comme perdu. Officiers et soldats allemands se massent alors autour du HMS Campbeltown désert et l’examinent. Une inspection interne ne détecte pas les explosifs, et le navire en apparence inerte est alors pris en photo ou inspecté.

C’est à 10h30 que les charges du destroyer explosent. Un attroupement de soldats et d’officiers allemands autour du navire est pulvérisé. L’explosion secoue la ville et fait craindre à une nouvelle attaque. Les dégâts sont immenses : la porte-écluse de la forme Joubert est hors de service. De nombreux officiers et soldats allemands sont tués, portant le bilan à plus de 400 tués chez l’Occupant. Mais le raid britannique a réussi : le KMS Tirpitz vient de perdre son seul port d’attache de l’Atlantique. Et avec lui, la possibilité de perturber encore davantage le commerce allié. Il sera ainsi condamné à rester à son port d’attache en Norvège jusqu’à sa destruction le 12 novembre 1944.

La forme Joubert, vue aujourd'hui.La forme Joubert, vue aujourd'hui.

Mais il ne faut pas oublier un acteur : si ce raid a été aussi réussi, c’est grâce aux renseignements transmis par la Résistance aux Britanniques. La Confrérie-Notre-Dame, un réseau développé dès 1940 sur la côte Ouest par le Colonel Passy (nom de guerre d’André Dewavrin), a récolté et transmis de nombreuses informations qui ont été précieuses pour la conduite et l’organisation du raid sur Saint-Nazaire. Une opération réussie qui, selon le Colonel Rémy (un des responsables français de la Résistance), aura permis de montrer au peuple français que l’Occupant n’est pas invincible et qu’un jour, la France sera libérée. On sait maintenant que l’avenir lui a donné raison.

Sources

  • Magazine Los!, n°11, numéro de novembre et décembre 2013.
  • C. E. Lucas Phillips, 1942, Opération Chariot, Laville, 2011.
  • Witz Rédacteur, Testeur, Chroniqueur, Historien
  • « L'important n'est pas ce que l'on supporte, mais la manière de le supporter » Sénèque