La fin du Bismarck : L’hallali d’un monstre des mers
Le cuirassé Bismarck, le plus puissant de la Kriegsmarine en 1941, a été coulé le 27 mai 1941 après de nombreux accrochages… et avec l’aide des Suédois.
La Seconde Guerre mondiale a indubitablement marqué les esprits, et durant les six années qu’a duré cette guerre, les différents belligérants ont rivalisé d’ingéniosité pour avoir l’ascendant sur l’adversaire pendant les combats. Les améliorations technologiques concernaient tous les corps militaires : infanterie, véhicules blindés, artillerie, aviation… et marine. Cette dernière n’était pas en reste puisque la marine de chaque pays permettait de conserver le contrôle des océans mais aussi de perturber le ravitaillement des ennemis.
Durant cette période troublée, les marines de chaque pays belligérants ont payé un lourd tribut, et de nombreux affrontements très violents et très lourds en pertes humaines se sont déclarés. Pourtant, à la fin de la Première Guerre mondiale, une volonté de réduire la puissance des armements est porté par la Société Des Nations (alors ancêtre de l’ONU) : à Washington en 1922 fut signé un traité naval entre les Etats-Unis, la France, l’Italie, le Royaume-Uni et le Japon (l’Allemagne n’ayant pas été conviée puisque ses conditions de développement d’une marine étaient fixées par le Traité de Versailles). Les tonnages de certaines classes de navires comme les cuirassés furent revus à la baisse, et chaque pays pris des engagements afin de réduire la taille et la puissance des vaisseaux de guerre construits à l’avenir.
Ce traité naval de Washington, parti d’une bonne intention, fut pourtant peu suivi d’effets (le Japon, mécontent des restrictions imposées, le dénonça le 29 décembre 1934), mais aida à créer de nouveaux types de navires de bataille en utilisant les règles de ce traité. Pour exemple, le fameux croiseur sous-marin français « Surcouf » est une émanation de ce traité, avec notamment ses canons triples de 203mm, les sous-marins et les navires de guerre légers n’étant pas compris dans ce traité.
C’est donc une décision tournée en grande partie vers les croiseurs de bataille, les cuirassés et les porte-avions qu’ont dû respecter les pays signataires. La doctrine d’engagement naval de l’époque reste tributaire des expériences effectuées lors de la Première Guerre mondiale, notamment suite à la bataille du Jutland (1916), où de lourds croiseurs de bataille ainsi que des cuirassés s’affrontèrent dans une bataille qui choqua les deux camps par sa virulence. Le choc et la puissance de feu laissent néanmoins de la place à la vitesse, et les monstres marins comme les cuirassés sont de plus en plus mobiles - et puissants.
L’Allemagne nazie, elle, n’a pratiquement pas de contraintes à respecter pour l’élaboration de sa flotte militaire. Alors que le traité de Versailles avait sacrifié la marine militaire allemande, Hitler, fixant le Royaume-Uni comme ennemi potentiel, savait que le développement d’une flotte de guerre puissante serait un facteur favorisant une victoire militaire. De plus, le Royaume-Uni étant une île, l’asphyxie par la destruction du commerce maritime était la meilleure solution envisagée.
Le Royaume-Uni a longtemps bénéficié du statut de grande puissance maritime, et sa flotte militaire représente son orgueil alors depuis de nombreux siècles. L’Allemagne nazie va chercher à s’imposer sur ce plan, en permettant la construction de nombreux navires modernes et puissants. Parmi eux, le Bismarck.
Un navire résolument moderne
Le Bismarck a encore de nos jours une aura de légende militaire, vu son perfectionnement et sa réputation. Le navire est pensé comme remplaçant du pré-dreadnought SMS Hannover, lancé en 1905 et qui, à cette époque, commence à montrer des signes d’obsolescence, notamment face aux nouveaux défis posés par l’emploi grandissant de porte-avions ou de nouveaux modèles de cuirassés, plus puissants et plus rapides. Il est construit au chantier naval Blohm & Voss de Hambourg à partir du 1er juillet 1936, date à laquelle la quille est posée. Sa construction prendra un peu moins de trois ans, puisqu’il sera terminé en février 1939, mais n’entrera réellement en service qu’en août 1940. Il ne sera pas construit seul, puisque son navire-jumeau, le Tirpitz, s’illustrera aussi lors du second conflit mondial.
Le Bismarck est un navire nouvelle génération, qui s’illustre par ses caractéristiques : long de plus de 250 mètres, avec une vitesse maximale de 31,1 noeuds (57,6km/h) et un armement principal constitué de huit canons de 380mm, ce navire est le plus performant de l’époque. Son blindage atteint les 320mm en ceinture, et entre 50 et 120mm sur le pont principal. C’est un navire fait pour le combat en haute mer, mais aussi pour l’interception de convois, sa vitesse lui permettant de rattraper les convois ou les navires les plus rapides.
Son armement est un des plus puissants de l’époque. Ses canons de 380mm, qui tirent un obus de 600kg, ont une portée théorique de 36 kilomètres (36 520 mètres) et peuvent aligner presque 3 coups à la minute (cette cadence de tir est jugée optimale dans la mesure où l’équipage est familiarisé avec la pièce). Son armement secondaire comportait douze canons de 150mm permettant une défense rapprochée contre les objectifs maritimes, et les pièces de DCA n’étaient pas en reste : 16 pièces de 105mm, 16 pièces de 37mm et 12 pièces de 20mm pouvaient offrir une défense anti-aérienne optimale en créant un véritable mur de feu.
Le Bismarck est un des meilleurs navires alignés par la Kriegsmarine en 1941 et va servir à des fins de propagande tout comme des fins militaires. Le Bismarck est jugé très dangereux par l’Amirauté anglaise qui va placer sa neutralisation comme un des objectifs impératifs pour la Royal Navy. Cette dernière connaît le Bismarck sous (presques) toutes ses coutures : visité par un attaché militaire suédois en mars 1941, une note descriptive a été émise… et transmise aux Britanniques par des membres de la marine suédoise.
L’opération Rheinübung, premier grand déploiement du Bismarck éventé par les Suédois
L’opération Rheinübung avait pour cible les convois alliés ravitaillant le Royaume-Uni. Pour procéder à cette mission, le Bismarck allait être accompagné du croiseur lourd Prinz Eugen. C’est donc deux des navires les plus puissants de la Kriegsmarine qui vont se mettre à la chasse des convois alliés. Secondés dans leur mission par des sous-marins dont l’objectif est de repérer les convois alliés, le Bismarck quitte le port de Gottenhafen le 19 mai 1941 avec 2221 officiers et marins à son bord. Il est rejoint le lendemain par le Prinz Eugen, et escortés par la Luftwaffe et des éléments de la Kriegsmarine, il se dirige vers les détroits danois pour arriver dans la Mer du Nord. C’est là que les Suédois jouent à nouveau un grand rôle : alors que le capitaine de vaisseau Ernst Lindemann, capitaine du Bismarck, communiquait l’objectif de la mission à ses hommes, des appareils de reconnaissance suédois détectent le mouvement. Le convoi croise alors la route du croiseur suédois HMS Gotland. Suite à ces rencontres, un rapport est transmis à l’Amirauté britannique par les Suédois.
Les Britanniques sont prévenus de l’imminence d’un raid allemand dans l’Atlantique par les interceptions de messages codés et par les observations suédoises. Le 20 mai, le Bismarck et le Prinz Eugen arrivent à Bergen, en Norvège, et y mouillent. C’est alors qu’un pilote de Spitfire parvint à prendre un cliché des navires, et l’amiral de la Royal Navy John Torvey ordonne la constitution d’un groupe de combat naval pour intercepter ces navires. Ce groupe de combat, composé du croiseur de bataille HMS Hood (8 canons de 381mm), du cuirassé HMS Prince of Wales (10 canons de 356mm et qui sera coulé le 10 décembre 1941 par les Japonais) ainsi que six destroyers, reçoit pour ordre de se rendre dans le détroit du Danemark afin de procéder à l’interception des navires allemands. Le 21 mai, le Bismarck et le Prinz Eugen quittent Bergen, et le 22 mai au matin, ils reçoivent l’ordre de se rendre dans le détroit du Danemark.
La bataille du détroit du Danemark
C’est à 19h22 que les opérateurs radars du Bismarck détectent les navires britanniques : le croiseur lourd HMS Suffolk est repéré à 12 kilomètres du Bismarck. Ce dernier s’éloigna rapidement, sachant qu’il ne pouvait pas lutter à armes égales. De plus, les conditions météorologiques sont mauvaises : le brouillard est trop dense. Le HMS Norfolk, navire-jumeau du HMS Suffolk, arriva sur zone une heure plus tard, et essuya cinq salves du Bismarck qui ne le touchèrent pas. La suite de la soirée se déroula un jeu du chat et à la souris, le Bismarck tentant de surprendre les deux croiseurs britanniques sans y parvenir.
Le 24 mai, à 5h45, le temps devint meilleur ; c’est alors que deux navires sont repérés par le Bismarck et le Prinz Eugen. Il s’agit du HMS Hood et du HMS Prince of Wales. Quatre géants des mers se font alors face : bien que le HMS Hood ait 20 ans, son armement reste redoutable.
A 5h52, les deux navires britanniques ouvrent le feu à 26 kilomètres. D’abord réticente, l’Amirauté de la Kriegsmarine donne à Lindemann l’autorisation de répliquer (ce dernier aurait déclaré « je ne vais pas me laisser canonner mon bateau sous mon cul sans rien faire »). Les navires allemands barraient le T aux deux navires britanniques, et pouvaient donc utiliser toutes leurs pièces, alors que leurs homologues britanniques ne pouvaient utiliser que leurs pièces à l’avant.
Le HMS Hood fut désigné comme cible prioritaire, et après quelques tirs peu efficaces, à 6h, le Bismarck tira sa cinquième salve. C’est alors qu’un obus de 380mm traversa le pont du HMS Hood et explosa dans une réserve de cordite à l’arrière du navire : 112 tonnes d’explosifs prirent feu et explosèrent.
Le HMS Hood fut coupé en deux et coula en trois minutes, ne laissant que trois survivants sur 1419 hommes d’équipage. Le HMS Prince of Wales, gravement endommagé par les tirs du Bismarck et du Prinz Eugen, connaissait des soucis de canons. Le navire britannique ne pouvait donc pas répliquer d’une manière optimale. Il réussit tout de même à faire quelques dégâts au Bismarck, mais à 6h13, il déploya un écran de fumée et rompit le combat.
Une victoire en demie-teinte
Légèrement endommagé (le navire traîne une flaque de mazout) mais victorieux, le Bismarck fait part de ses dégâts à l’Amirauté de la Kriegsmarine et son capitaine demande à rentrer à Saint-Nazaire pour réparer.
Chez les Britanniques, la perte du HMS Hood se fait durement ressentir, et la Royal Navy ordonne à tous ses cuirassiers présents dans la zone de participer à la traque du Bismarck.
L’Amiral Torvey, commandant de la Home Fleet, réunit six cuirassés et croiseurs de bataille (dont les HMS Rodney, HMS Revenge, HMS Ramillies, HMS Prince of Wales et le HMS King George V), deux porte-avions (HMS Ark Royal, HMS Victorious), treize croiseur et vingt et un destroyers. Ce groupe de bataille surdimensionné se lance à la poursuite du Bismarck. Ce dernier tente alors une diversion pour permettre au Prinz Eugen de s’échapper.
A 18h14, le 24 mai, le Bismarck fait demi-tour et se présente face à ses poursuivants. Lui et le HMS Prince of Wales (dont les systèmes de tirs des canons ont été réparés) échangent alors des salves d’obus, mais aucun ne touche sa cible.
Le 24 mai, à 22h, le Bismarck, filant à 28 noeuds (52km/h), est rattrapé par les bombardiers torpilleurs du HMS Victorious qui lancent neuf torpilles contre le cuirassé allemand. Une seule le touche, ne provoquant pas de gros dégâts mais tuant un marin et en blessant cinq autres.
Le 25 mai à 3h, par une manoeuvre d’évitement, le Bismarck se retrouve derrière l’escadre britannique, et cette dernière perd le contact avec le cuirassé. Le Bismarck mit cap vers Brest afin de se réfugier dans ce port, et demanda une couverture aérienne ; ce message radio fut intercepté, et recoupé avec les informations de la Résistance locale faisant état du départ de nombreux appareils, il remet la Royal Navy sur la piste du Bismarck.
Le 26 mai à 10h30, le Bismarck est repéré à environ 1200 kilomètres de Brest. Suite à des nécessités de ravitaillement, les plus gros navires de l’escadre britannique furent obligés de cesser la poursuite. Le seul moyen de toucher le Bismarck était les aéronefs du HMS Ark Royal. Lorsque le cuirassé fut détecté à 110km du porte-avions, l’amiral James Somerville, capitaine du HMS Ark Royal, ordonna de charger les torpilles sur les avions Swordfish. La première vague d’avions lancés sur le Bismarck attaque par erreur le HMS Sheffield sans lui occasionner de dommages, et la seconde vague lance une attaque à 20h47 qui est plus efficace. Deux torpilles touchèrent le Bismarck, dont une le côté babord de la poupe du Bismarck. Le résultat est alors le début de la fin pour le cuirassé : le gouvernail babord se bloqua à 12° et l’explosion endommagea gravement la poupe.
Le baroud d’honneur, le HMS Rodney torpille le Bismarck
Son gouvernail bloqué, le Bismarck s’éloigne de Brest. Les Britanniques disposent sur zone des HMS King George V, HMS Rodney, HMS Dorsetshire et HMS Norfolk. Le 26 mai, à 21h40, le Bismarck émet un message pour l’Amirauté allemande : « Navire incontrôlable. Nous combattrons jusqu'au dernier obus. Longue vie au Führer ».
Cet épisode est le début de la fin pour le Bismarck : le moral de l’équipage est au plus bas. De plus, le HMS Sheffield et cinq destroyers ont ordre de maintenir le contact avec le Bismarck durant la nuit. Jusqu’au 27 mai au matin, ces six navires harcelèrent le Bismarck, sans grands dommages matériels, mais avec un gros impact sur le moral de l’équipage allemand.
A 8h43, le 27 mai, le HMS King George V et le HMS Rodney, deux des plus gros navires de la Royal Navy, repèrent le Bismarck et ouvrent le feu avec leurs pièces principales (le HMS Rodney possède des tourelles triples de 406mm). Le Bismarck réplique tant bien que mal, et les HMS Norfolk et Dorsetshire entrent dans l’action avec leurs pièces de 203mm.
A 9h02, un obus du Rodney détruit totalement la superstructure avant du Bismarck, tuant le capitaine Lindemann mais aussi l’amiral Lütjens. Le cuirassé allemand est alors au bord du naufrage, et ses tirs ne parviennent pas à toucher les navires britanniques.
A 10h, le HMS Rodney s’approche à 2,6km du Bismarck et continua les tirs à bout portant. C’est à ce moment qu’un évènement mérite d’être relevé : le HMS Rodney envoie deux torpilles contre le Bismarck. C’est donc la seule bataille ou un cuirassé en a torpillé un autre !
Le Bismarck est désormais hors de combat. Les ponts inférieurs sont évacués, et le HMS Dorsetshire reçoit l’ordre, à 10h20, de couler le navire en tirant des torpilles, dont deux toucheront leur cible.
Le Bismarck sombra à 10h35 le 27 mai, et avec lui la volonté de l’Allemagne nazie de mettre un coup d’arrêt aux convois alliés en utilisant des cuirassés.
Le HMS Dorsetshire et le HMS Maori sauvèrent 110 marins allemands de la noyade, et le U-74 ainsi que le navire météorologique Sachsenwald, arrivés un peu plus tard, sortirent cinq survivants. Sur les 2200 hommes d’équipe, seuls 114 survivants seront dénombrés (un marin étant décédé de ses blessures sur un navire britannique).
Un coup fatal porté à la Kriegsmarine et des questions qui restent en suspens
Le naufrage du Bismarck a été un coup dur en terme d’effectifs maritimes allemands mais aussi en terme d’image. La destruction du HMS Hood a pu ainsi être vengée, mais de nombreux points de discorde subsistent. Il est avéré que les charges de démolition du Bismarck ont été mises en place peu avant le naufrage : le Bismarck a-t-il coulé suite au sabordage ou suite aux tirs britanniques ?
Le sabordage a endommagé encore plus le cuirassé allemand. Mais il lui aurait été impossible de retourner à Brest ou à un quelconque port avec un gite à 20°. Les Britanniques ont donc beaucoup endommagé le Bismarck mais le sabordage du navire n’a fait qu’avancer l’horaire du naufrage : la balle au centre.
Pour son époque, le Bismarck était certes un navire très impressionnant, mais il avait des équivalents, rivaux parfaits. Le cuirassé Richelieu, lancé le 17 janvier 1939, était un des navires les plus puissants de la Marine française : 35 000 tonnes, et armé de 8 canons de 380mm, il aurait été tout à fait capable de tenir la dragée haute au Bismarck. Mais l’Histoire en a voulu autrement...
Source
- Baron Burkard von Müllenheim-Rechberg (Auteur), Christian Bély (Trad.), Françoise Bély (Trad.), Les deux combats du Bismarck : Récit d'un survivant, Éditions maritimes et d'outre-mer, 1982, 338 pages.
- Witz Rédacteur, Testeur, Chroniqueur, Historien
- « L'important n'est pas ce que l'on supporte, mais la manière de le supporter » Sénèque