Seconde Guerre mondialeCampagne de Norvège
Bataille du détroit de Drøbak
En avril 1940, l’Allemagne a déjà mis à genou la Pologne mais observe prudemment les forces franco-britanniques par-delà la Belgique. Le regard d’Hitler est tourné depuis quelques temps vers le nord, vers notamment les mines de fer norvégiennes et suédoises...
L’opération « Weserübung » lancée le 9 avril 1940 doit théoriquement faire capituler la Norvège en quelques heures. Mais c’est sans compter la résistance de l’armée du roi Haakon VII, qui va couler près d’Oslo un des fleurons de la Kriegsmarine, le Blücher de la classe Admiral Hipper...
Au début de ce mois d’avril, la situation politique de la Norvège sur la scène internationale n’est pas des plus claires : officiellement, le royaume est neutre, mais le gouvernement d’Oslo penche du côté des Britanniques. Ces derniers savent que le pays, avec la Suède, possède de nombreux gisements de fer et que l’Allemagne en manque.
De plus, le 16 février, le pétrolier-ravitailleur allemand Altmark, avec à son bord plusieurs centaines de prisonniers britanniques est arraisonné dans les eaux norvégiennes (au terme d’un véritable abordage !) par un navire britannique.
Hitler ne se fait donc pas d’illusion : il va devoir soumettre la Norvège pour ne pas que ses réserves tombent dans l’escarcelle des Britanniques.
L’opération « Weserübung »
Les Allemands décident de mettre à genou le royaume en un temps record. Pour ce faire, des troupes allemandes doivent être emmenées en bateau à Oslo, capturer la ville et en même temps la famille royale.
Le roi Haakon VII, sous la pression des Allemands, doit ensuite déclarer que le pays se rallie à l’Axe. Mais comme disait Sun Tzu, aucun plan de bataille ne survit au contact avec l’ennemi.
Dans la nuit du 8 au 9 avril, le groupe d’assaut allemand composé de fantassins chargés sur le Blücher et sur le Lützow ; en couverture se tiennent un croiseur léger, un torpilleur et deux dragueurs de mines.
Oslo est située au fond d’un fjord, à environ 10 kilomètres de son entrée. La flotte d’invasion allemande, pour atteindre la capitale, doit donc franchir les défenses norvégiennes, qui selon ses renseignements sont désuètes et composées de jeunes conscrits sans expérience.
La forteresse d'Oscarsborg vue depuis les airs de nos jours. Les canons de 28 cm sont en bas à gauche de l'île. DR
La forteresse d’Oscarsborg, située sur une île au milieu du fjord, est la principale ligne de défense des Norvégiens. Commandée par le colonel Eriksen, sorti de sa retraite (l’homme a 64 ans) parce que le chef de la forteresse est malade, la place est défendue par 3 vieux canons de 28 cm.
Les quelques 500 soldats norvégiens qui sont arrivés il y a moins d’une semaine n’ont aucune expérience militaire, et au nord de l’île se trouve une batterie de tubes lance-torpilles dont le Kommandørkaptein Anderssen a le commandement. Mais cette arme est elle aussi très vieille… puisqu’elle date d’avant 1910 !
Les premiers signes du combat
Peu après minuit, le 9 avril, Eriksen est prévenu qu’une flottille non identifiée est en train de passer en force les fortifications côtières du sud du fjord d’Oslo.
En effet, la Kampfgruppe 5 allemande s’est déjà alors frottée à un navire norvégien qu’elle a détruit, manquant de peu de réduire son effet de surprise à néant. Mais à 04h20 le même jour, les navires non-identifiés commencent à s’approcher de la forteresse d'Oscarsborg, et Eriksen n’a reçu aucun ordre ni consigne.
Une minute plus tard, le colonel norvégien donne l’ordre à la batterie principale de trois canons de 28 cm d’ouvrir le feu sur les navires en approche. Ses hommes hésitent : le protocole norvégien précise qu’il faut d’abord tirer des coups de semonce.
Alors qu’un officier lui demande de confirmer son ordre, Eriksen déclare une phrase qui est entrée dans la légende :
« Je serai soit décoré, soit passé en cour martiale, alors ouvrez le feu ! »
À 1800 mètres, deux canons de 28 cm (Eriksen n’ayant pas suffisamment d’hommes formés pour faire tirer le troisième) engagent le Blücher, alors chargé de fantassins, avec des obus de 255 kg.
Le premier projectile s’abat sur l’avant du navire allemand et déclenche un incendie ; le second tombe sur la base de la tourelle avant de 203 mm du Blücher, la détruisant entièrement et allumant de nouveaux incendies sur le navire.
Impossible pour les Norvégiens d’ouvrir à nouveau le feu, car le temps de rechargement est trop long et les hommes trop peu entraînés. En fait, les obus norvégiens ont touché des réserves de munitions et de carburant tout en détruisant des cloisons du navire… qui est donc la proie des flammes.
De l’autre côté du fjord, à l’est, des batteries norvégiennes de plus petit calibre (en moyenne 57 mm) entrent dans la danse. Tandis que le croiseur allemand ralentit l’allure, ces batteries prennent pour cible les superstructures du navire, y semant la mort et la destruction. Plus de quarante obus de 150 mm et de 57 mm ravagent le navire, détruisant son gouvernail et son système de contrôle des incendies.
Le voile se lève
Seulement quatorze minutes se sont écoulées entre l’ouverture de feu de la batterie principale et l’arrivée du croiseur allemand à hauteur d’Oscarsborg. Le navire est en flammes et ne parvient pas à répliquer ; l’équipage entame alors un « Deutschland, Deutschland über alles », prévenant ainsi les Norvégiens de leur nationalité.
Au même moment, Eriksen reçoit un message confirmant l’identité des navires allemands, mais à la suite des cinq minutes de bombardement, l’adversaire n’est plus en état d’avancer. Chaque soldat norvégien observe la scène : il ne semble plus y avoir âme qui vive sur le croiseur allemand, qui ne sombre pas encore.
Mais le commandant du navire décide de ne pas se laisser abattre et veut faire échouer son navire sur un banc de sable afin de le récupérer plus tard. Il donne donc l’ordre de faire machine avant, dépassant la batterie principale d’Oscarsborg... pour se placer dans le champ de tir de la batterie lance-torpilles.
À environ 500 mètres de distance, Anderssen décide de tirer trois torpilles... qui sont alors âgées de 40 ans ! Les servants sont dans l’expectative : comment vont se comporter ces munitions ?
Les deux premières torpilles sont tirées aux alentours de 04h30 le 9 avril vers le Blücher en feu mais toujours en mouvement. La première touche la proue du navire, ne lui infligeant que peu de dégâts, tandis que la deuxième touche le centre du navire, au même endroit que les projectiles de 28 cm. L’impact et l’explosion ouvrent de nombreuses voies d’eau à bord, et les cloisons sont arrachées les unes après les autres. La troisième torpille n’est pas tirée, Anderssen jugeant - à raison - que le navire est condamné.
Catastrophe sur le Blücher
Sur le croiseur allemand, tous les moteurs ont rendu l’âme suite à l’impact de la deuxième torpille, et il n’est plus que difficilement manoeuvrable. Son commandant décide alors de lâcher l’ancre, hors de portée des canons côtiers norvégiens, afin de combattre les incendies.
Mais à 05h30, le feu prend dans la soute à munitions de 10,5 cm, créant de larges trous dans la coque du navire… et touchant de nouveaux réservoirs de carburant.
À 06h22, le Blücher se couche sur bâbord, puis se retourne complètement avec son équipage et les fantassins prisonniers dans les quartiers. Alors que les marins se débattent dans l’eau et tentent de rejoindre la rive, le carburant à la surface s’enflamme, projetant une vision d’horreur aux survivants.
Crédit photo : Riksarkivet
Les pertes ne sont pas précisément définies, mais il semblerait qu’entre 650 et 800 Allemands soient tombés dans cette froide matinée du 9 avril sur le Blücher. Plus de 1500 survivants sont faits prisonniers par les Norvégiens, qui ont bien du mal à aider tous les blessés et les mourants.
Les autres navires allemands, voyant le désastre, décident de rompre le combat et de débarquer leurs troupes plus loin et non à Oslo même. Le Lützow échange quelques tirs avec les batteries côtières norvégiennes sans faire de grands dégâts ; de leur côté, les Norvégiens endommagent le navire par des tirs précis.
Devant un tel déluge de feu inattendu, les navires allemands décident de se replier et de débarquer leurs troupes d’accompagnement plus au sud.
Un dur revers pour les Allemands
La bataille du détroit de Drøbak est un gros coup porté aux velléités d’invasion allemandes de la Norvège. Grâce à la résistance de la batterie d’Oscarsborg, les Allemands ne parviennent pas à atteindre Oslo à temps.
Le gouvernement norvégien et la famille royale réussit à se replier vers le nord, et l’Assemblée donne mandat au roi pour continuer la lutte aux côtés du Royaume-Uni.
Ultime pied de nez à Hitler : les Norvégiens s’échappent... avec la totalité de leur réserve d’or nationale !
La forteresse d’Oscarsborg, de son côté, va subir un matraquage ininterrompu de la part de la Luftwaffe durant toute la journée du 9 avril. Mais ses défenseurs ne hisseront le drapeau blanc que le lendemain à 9h... ayant acheté un répit suffisant pour évacuer Oslo.
C’est une des plus grosses défaites de 1940 pour la Kriegsmarine, pour qui la perte de ce croiseur lourd ultra moderne est un énorme revers, surtout quand des canons ayant plus de 40 ans en sont la cause.
De nos jours, le Blücher repose toujours dans le détroit de Drøbak, avec à son bord encore de nombreux restes de soldats et de marins.
- Witz Rédacteur, Testeur, Chroniqueur, Historien
- « L'important n'est pas ce que l'on supporte, mais la manière de le supporter » Sénèque