L’école à travers les âges
Eh non, désolé à tous ceux qui avaient une poupée vaudou à son effigie pour se venger de ces années terribles, mais ce n’est pas ce sacré Charlemagne qui a inventé l’école !
C’est là une croyance fortement répandue, ce qui peut se comprendre : Charlemagne est en effet le patron de l’université de Paris depuis 1661. La chanson de France Gall en 1960, Sacré Charlemagne y a aussi fortement contribué, bien évidemment. Le 28 janvier est également la St-Charlemagne, la fête des écoliers.
Cependant, on y reviendra, si l’ami Charlot a effectivement œuvré en faveur de l’éducation, il est loin d’en avoir inventé le concept. Basiquement, il est impossible de donner une date pour l’invention de l’école ; cependant, un consensus estime que cette dernière existe depuis l’apparition de l’écriture.
Antiquité
Sans vouloir rentrer dans les détails de l’éducation dans l’Antiquité – ça mériterait un article entier… –, on se bornera ici à en évoquer les représentants les plus célèbres : les écoles de philosophie de la Grèce antique.
Ainsi, le célèbre Platon a fondé sa propre école de philosophie à Athènes, en 387 avant notre ère. Cette dernière s’appelait l’Académie ; vous remarquerez que le mot a été passablement utilisé dans le domaine de l’éducation… Vous en connaissez maintenant l’origine !
À sa suite, son élève Aristote a créé sa propre école en 335 avant notre ère, qui s’appelait le Lycée. Là encore, c’est un mot qui a été abondamment repris.
D’ailleurs, pour la petite anecdote, le Lycée d’Aristote est également appelé école péripatéticienne, du grec περιπατητικός, « qui aime se promener » (ce qui explique également l’origine du mot moderne péripatéticienne…), étant donné que c’était la manière dont Aristote prodiguait ses enseignements : en marchant.
Un rapide mot sur l’étymologie de l’école : ce mot dérive du latin schola (« loisir studieux, école »), qui provient lui-même du grec σχολή, « le loisir » (dans le sens d’arrêt du travail, afin de se consacrer à des tâches plus élevées). Qu’on se le tienne pour dit : l’école est donc un loisir !
Pour en terminer avec cette partie antique, évoquons rapidement les conditions d’enseignement. D’après Platon et Aristote, « Si l'enfant obéit, c'est bien ; sinon, il est redressé par des menaces et par des coups comme un bout de bois ». D’autres citations ou proverbes (« Qui n'a pas été bien fouetté n'a pas été bien élevé » par exemple…) mettent également en avant la dimension violente de l’éducation antique.
Cependant, Platon a également écrit qu’il fallait « forme[r] [les] enfants dans leurs études non par la contrainte, mais par des jeux, et [on pourrait] mieux observer leurs résultats naturels ». Ce n’était cependant pas, semble-t-il, l’opinion la plus répandue.
Moyen-âge
Les choses ne changent que peu en matière d’éducation jusqu’aux derniers siècles de l’Empire romain d’Occident. À cette époque, ce sont les citoyens eux-mêmes ou le gouvernement impérial qui prend en charge l’éducation, et cette dernière a pour but de former les élites politiques et administratives des cités : en un mot, former des citoyens utiles à l’Empire – on retrouve toujours ce même rationalisme si cher aux Romains.
Cependant, avec l’effondrement des institutions romaines en Occident, c’est l’Église qui prend en charge la formation des jeunes, tout d’abord réservée aux seuls clercs. Ainsi, la motivation de l’éducation change au Moyen-âge, pour devenir un instrument au service de la foi chrétienne – reflétant là encore ce trait fondamental qu’est la religion dans les sociétés médiévales.
Si on avance un peu dans le temps, on retrouve notre cher ami Charlemagne, à la charnière entre le VIIIème et le IXème siècle. Se retrouvant à la tête d’un des plus grands empires d’Europe (enfin, empire depuis 800, mais on ne va pas pinailler...), Charlemagne a besoin d’éléments unificateurs, afin de ne pas simplement « régner » sur des milliers de personnes n’ayant rien en commun.
C’est pourquoi l’empereur a tant besoin de l’Église et d’une administration royale forte. Ainsi, Charlemagne doit impérativement mettre en place une formation efficace pour les futurs fonctionnaires de l’Empire ainsi que pour les futurs hommes d’Église.
Pour cela, il rédige en 789 un capitulaire – les actes législatifs des rois francs – consacré notamment à l’enseignement : l’Admonitio generalis. Le chapitre 72 nous intéresse particulièrement ; en voici une traduction :
« Que les prêtres attirent vers eux non seulement les enfants de condition servile, mais aussi les fils d’hommes libres. Nous voulons que les écoles soient créées pour apprendre à lire aux enfants. Dans tous les monastères et les évêchés, enseignez les psaumes, les notes, le chant, le comput, la grammaire et corrigez soigneusement les livres religieux, car souvent, alors que certains désirent bien prier Dieu, ils y arrivent mal à cause de l’imperfection et des fautes des livres. Ne permettez pas que vos enfants les détournent de leur sens, soit en les lisant, soit en écrivant. »
On le voit, si Charlemagne n’invente pas l’école, il participe grandement à sa diffusion et sa généralisation à une époque où elle était réservée à un très petit nombre de personnes – Charlemagne lui-même ne savait qu’à peine lire et écrire.
Le programme éducatif de Charlemagne concerne l’enseignement de base, c'est-à-dire être capable de lire (le latin bien évidemment), écrire et compter. Ce sont là les éléments indispensables à sa politique administrative et unificatrice.
Les sept arts libéraux, enseignés depuis l’Antiquité, sont également remis à l’ordre du jour : grammaire, dialectique et rhétorique pour ce qui concerne le pouvoir de la langue, arithmétique, musique, géométrie et astronomie pour ce qui est des disciplines mathématisables.
Chaque évêque doit ouvrir une école et chaque prêtre doit prodiguer un enseignement de base aux élèves qui le désireraient ; le tout gratuitement.
Cependant, si sur le papier ces réformes ont l’air fortement positives – et elles le sont ! –, dans les faits l’éducation reste principalement l’apanage des grands et des clercs. Il ne faut pas s’imaginer que tout le bas-peuple a su lire en quelques années, loin de là ! Cependant, l’effort reste malgré tout louable et remarquable.
Pour ce qui est de la condition des élèves au Moyen Âge, la brutalité était de mise, comme en témoigne Guilbert de Nogent – un écrivain, théologien et historien français du XIIe siècle : « Presque chaque jour j'étais lapidé par une furieuse grêle de soufflets et de coups de fouet ». Ce n’est là qu’un exemple de la certaine brutalité qui régnait alors.
Jusqu’au XIIème siècle environ, les écoles monastiques sont les plus importantes, avant d’être éclipsées par les écoles épiscopales – à la charge des chanoines des cathédrales. À partir des XII-XIIIème siècles apparaît également les universités, qui ne sont au départ que le prolongement intellectuel des écoles, avant de se spécialiser progressivement afin de former une étroite élite du pouvoir, serviteurs de l’Église et de l’État.
Époque moderne
Il n’y a pas de différence fondamentale entre la fin du Moyen-âge et l’Époque moderne au point de vue éducatif. On peut toutefois noter une généralisation de l’école, notamment grâce au développement de l’imprimerie (dont vous pourrez retrouver un aperçu dans un autre de mes articles : Partie 1 et Partie 2).
On peut cependant noter dans les principales évolutions : l’apparition du collège, où les élèves sont classés par âges ; le recul de la violence de la discipline scolaire au cours du XVIIIème siècle principalement ; la promotion d’une culture, non plus seulement chrétienne, mais également humaniste.
Bref, excepté la laïcité, le système scolaire des siècles suivants commence à se dessiner partiellement durant l’Époque moderne. On ne s’attardera pas plus avant pour cette époque.
Époque contemporaine
C’est au XIXème siècle que l’alphabétisation devient un projet fortement développé par les pays occidentaux. En 1832, l’État de New York établit l’école élémentaire obligatoire et gratuite. Dans les pays protestants, afin d’être à même de lire la Bible, l’alphabétisation se développe un peu plus rapidement que la moyenne.
En France, en 1882, est instaurée la loi dite « loi Ferry », qui instaure l’instruction obligatoire, laïque et gratuite en France. L’enseignement public en France connaît là une de ses plus importantes réformes, sous la houlette de Jules Ferry.
Attention toutefois, il s’agit de nuancer quelque peu la chose : cette loi de 1882 n’oblige pas à la scolarisation, elle n’oblige « que » à l’instruction. Ainsi, alors le but était (notamment) d’éloigner les enfants du travail à un âge trop précoce, dans les faits, les parents pouvaient décider de ne pas envoyer leurs enfants à l’école publique – ou privés d’ailleurs – et leur donner l’éducation à la maison.
Un point très important de cette loi est l’élément laïque qu’elle apporte à l’instruction : désormais, l’enseignement de la morale religieuse est supprimé au profit d’une « instruction morale et civique ». L’État affirme par là sa neutralité dans le domaine religieux, et instaure la séparation entre sphère publique et sphère privée (dans laquelle la religion peut trouver sa place).
On peut le constater sur notre parcours de l’école à travers les âges, cette laïcisation de l’école est un des changements les plus importants, changeant un fait établi depuis le Haut Moyen-âge.
Conclusion
Après ce bref survol à travers les âges de cette institution qu’est l’école, vous pourrez désormais corriger une personne affirmant que « Charlemagne a inventé l’école » - je vous l’accorde, cette situation ne se présentera pas tous les jours, mais bon...
Si l’on veut rester très schématique, afin de résumer succinctement ce que l’on a vu, on peut se rappeler que les premières grandes écoles connues datent de l’Antiquité, avec notamment les écoles grecques. Le but de l’école est alors principalement utilitariste : former des citoyens utiles à l’État.
Ensuite au Moyen Âge, la logique se décale du côté du religieux (comme beaucoup d’éléments à cette époque) ; ainsi, l’école est principalement donnée par des clercs et sert les intérêts religieux.
Enfin, la laïcisation et la généralisation de l’école apparaissent avec l’époque contemporaine, au XIXe siècle, préfigurant l’institution que l’on connaît actuellement.
Bibliographie
- Solirenne, Yoann, « La Renaissance Carolingienne : Découvertes et redécouvertes », Histoire pour tous, 15 mars 2013, URL : https://www.histoire-pour-tous.fr/histoire-de-france/4503-la-renaissance-carolingienne--decouvertes-et-redecouvertes.html.
- « Éducation et enseignement », Trésors carolingiens, URL : http://expositions.bnf.fr/carolingiens/arret/02_1.htm
- Tomas, Alexandre, « En l’an 789, le capitulaire Admonitio Generalis - l’invention de l’école et la chasse aux tempestaires », Filigrane, 7 août 2013, URL : http://filigrane.hdprod.fr/?en-l-an-789-le-capitulaire-admonitio-generalis-l-invention-de-l-ecole-et-la-chasse-aux-tempestaires.
- Jaulin, Arlette, « L’histoire de l’école », Il était une fois l’école, URL : http://iletaitunefoislecole.fr/L-histoire-de-l-ecole.html.
- « Histoire de la violence éducative », OVEO, 16 mars 2005, URL : https://www.oveo.org/histoire-de-la-violence-educative/.
- Bat'Histor, Contributeur
- "Deux choses sont infinies : l’Univers et la bêtise humaine. Mais, en ce qui concerne l’Univers, je n’en ai pas encore acquis la certitude absolue." Einstein
- "L'âge d'or était l'âge où l'or ne régnait pas." Claude-François-Adrien