La découverte de la pénicilline, un tournant dans l’antibiothérapie

Lio
Thématique
Histoire de la médecine
10 septembre
2019

Novembre 1928, Alexander Fleming, biologiste Anglais, rentre de vacances. À sa grande surprise, il découvre que ses cultures de bactéries (staphylocoques pour être exact) ont été partiellement détruites par la présence d'un champignon, le Penicillium notatum. Il ne sait pas encore que ses recherches aboutiront à la production du premier antibiotique naturel : la pénicilline.

Des suppositions datant plusieurs siècles

Au Ier siècle après J.-C., Pedanius Dioscoride, médecin et botaniste Grec, préconise l’utilisation de levures et moisissures afin de traiter les plaies purulentes.

Durant les siècles suivants, il est courant de voir des fruits ou du bois moisis utilisés sur des plaies humaines ou animales en Asie et au Moyen Orient.

Il faut attendre la fin du XIXème siècle et le développement de microscopes de pointe pour que plusieurs scientifiques anglais comme John Scott Burdon-Sanderson et Joseph Lister (père de l'asepsie), mettent en lien que la présence de moisissures, notamment le Penicillium glaucum ne permet pas le développement de bactéries.

William Roberts et John Tydall rejoindront leurs hypothèses quelques années plus tard.

Du côté de l'Hexagone, Louis Pasteur et le physicien Jules Francois Joubert tirent des conclusions similaires en opposant le bacille du charbon à une moisissure qu’ils baptiseront Penicillium Notatum. Ils mettent en corrélation la présence de ce champignon et l’inaction de la bactéries, cependant les recherches n’avancent pas d’avantage et chacun retourne à ses impératifs.

En 1897, le médecin français Ernest Duchesne soutient sa thèse de doctorat « Contribution à l’étude de la concurrence vitale chez les micro-organismes : antagonisme entre les moisissures et les microbes ». Il montre que les moisissures présentent une activité antimicrobienne cependant il ne s’agit pas du Penicillium notatum car il ne traite pas la typhoïde (maladie au centre de sa thèse) mais du glaucum. Cette avancée scientifique, non concluante à l’époque est rapidement passée aux oubliettes par l’institut Pasteur.

Une découverte fortuite


La découverte de la pénicilline, un tournant dans l’antibiothérapieAlexander Fleming photographié dans son laboratoire de l’hôpital Sainte-Marie de Londres.

Nous retrouvons en novembre 1921 à l’hôpital St. Mary’s de Londres, un Alexander Fleming enrhumé qui éternue par accident sur une culture de bactéries qu’il étudie, puis qui constate que son mucus a permis de détruire les bactéries. Il décide alors de poursuivre ses recherches pour produire des vaccins.

Nous sommes maintenant à l’été de 1928. Fleming travaille sur des cultures de staphylocoques virulentes. Il décide de partir en vacances en négligeant de décontaminer son laboratoire. À son retour il constate que ses boîtes de Petri ont été contaminées par une moisissure. Curieux, il les examine et observe que les staphylocoques ont tout bonnement disparu ! Le champignon en cause est un Penicillium natatum provenant de l’étage inférieur où se trouve un laboratoire de mycologie et qui a décidé de s’inviter dans le laboratoire de Fleming via des spores.

La découverte de la pénicilline, un tournant dans l’antibiothérapiePenicillium chrysogenum, syn. Penicillium notatum

Il remarque que des extraits de ce champignon agissent in vitro pour contrer une variété de bactéries. Ces extraits détruisent non seulement les staphylocoques, mais aussi les pathogènes responsables de la scarlatine, de la pneumonie, de la méningite et de la diphtérie. Malheureusement, Fleming n’a pas les connaissances ni les moyens matériels pour extraire l’agent actif responsable de l’activité de la moisissure et décide d’abandonner ses recherches pour retourner à la fabrication de vaccins.

La recherche continue

Une décennie plus tard, une équipe de recherche basée à Oxford et menée par Howard Foley et secondé par Ernst Chain (Juif Allemand naturalisé Anglais) reprennent les travaux de Fleming.

Il faudra attendre 3 ans pour extraire suffisamment de pénicilline afin d'entamer les tests sur des humains.

Le premier « Patient-Test » est un policier de 43 ans du nom d'Albert Alexander qui souffre d'une septicémie suite à une chute dans des rosiers ayant provoqué l’apparition d’abcès. Ils lui injectent le peu de pénicilline disponible et voient son état s’améliorer rapidement. À court de traitement, ils décident de « recycler » la pénicilline non absorbée dans l’urine du policier pour la lui réinjecter ce qui sera de nouveau efficace... à court terme, car après une évolution favorable, il succombe à l’infection.


La découverte de la pénicilline, un tournant dans l’antibiothérapie  La découverte de la pénicilline, un tournant dans l’antibiothérapie
Howard Walter Florey (à gauche), pharmacologue, prix Nobel de physiologie ou médecine en 1945 avec le biochimiste Ernst Boris Chain (à droite) et Sir Alexander Fleming.

Suite à cet échec frustrant, Howard Foley décide de partir pour les États Unis afin de bénéficier du soutien logistique suffisant pour produire de la pénicilline en grande quantité.

C'est un laboratoire du Ministère de l'agriculture qui va les accompagner dans leur production, l'établissement étant spécialisé dans la fermentation, les méthodes de cultures sont plus adaptées, mais aussi plus efficientes. La découverte du Pennicilium chrysogenum qui a la capacité de produire 200 fois plus de pénicilline que le notatum va leur permettre d’accroître encore plus leur rendement.

Le hasard tourne une fois de plus en faveur de la science, car ce champignon est découvert sur un melon moisi acheté au marché le jour même !

La production est lancée, c’est officiel, la pénicilline est productible à l’échelle industrielle !

Un apport dans l'effort de guerre


La découverte de la pénicilline, un tournant dans l’antibiothérapiePréparation de la penicilline pour les soldats américains dans un hôpital au Luxembourg.

La production de cette molécule a des répercussions non négligeable sur le sort des blessés au combat, bien que les armées américaines et allemandes bénéficient déjà d'une classe d'antibiotiques : les sulfamides découverts en Allemagne en 1935.

On en retrouve dans les trousses de secours individuelles des GI’s dès 1941 sous forme de cristaux qui sont versés immédiatement sur les plaies et sont souvent utilisés (à outrance sans doute) en prophylaxie.

La découverte de la pénicilline, un tournant dans l’antibiothérapieGrâce à la penicilline... Il va revenir à la maison !

Cependant, les sulfamides présentent certains désavantages face à la pénicilline, notamment sur le plan de l’efficacité, puisque son « spectre » (c’est-à-dire, le nombre des différentes souches de bactéries qu’il peut détruire) est moins important. De plus, les sulfamides étant synthétisées à partir d’un colorant, sont beaucoup plus allergènes, ce qui peut provoquer de l’urticaire, des chocs anaphylactiques sans parler d’autres effets indésirables sur le métabolisme (hypoglycémies, anémies...) beaucoup plus fréquents qu’avec la pénicilline.

Cet atout « technologique » supplémentaire joue un rôle important dans la diminution de mortalité et le rétablissement plus rapide de soldats alliés pour leur permettre de retrouver le front, car chaque petite plaie souillée anodine au départ est source d’infection pouvant être handicapante et donc motif de rapatriement vers l’arrière, ce qui aboutit à une diminution des effectifs actifs.

De l’après-guerre à nos jours

Par cette découverte, Fleming réussit à avancer des hypothèses datant de plusieurs millénaires, Howard Foley a quant à lui posé les bases de l’antibiothérapie à grande échelle en commençant par la pénicilline, la découverte et l’industrialisation d’autres souches s’enchaînera les années suivantes grâce au développement croissant de l’industrie pharmaceutique.

Durant la seconde moitié du XXème siècle, les antibiotiques sont largement utilisés tant chez l’humain que l’animal. Chez l’homme les antibiotiques sont abusivement prescrits, leur utilisation dans l’industrie agroalimentaire permet de diminuer drastiquement les contaminations et intoxications mais également d’augmenter rapidement le rendement et permet donc de subvenir aux besoins de la population, notamment en France, ce qui contraste avec les restrictions connues durant la guerre.

Mais ce « confort » sera de courte durée, puisque les cas « antibiorésistances » se multiplient plusieurs décennies plus tard.

De nos jours, les antibiotiques sont davantage utilisés avec parcimonie, des équipes de recherches tentent de trouver de nouvelles souches plus efficaces pour contrer l’adaptation des bactéries, reste à savoir le temps à attendre pour voir un second Alexander Fleming émerger et bousculer de nouveau le monde médical.

Sources

  • Témoignages, Découverte de la penicilline, 3 novembre 2008.
  • Agence sciences presse, Qui a découvert la penicilline ?, 23 mars 2013.
  • Culture Sciences ENS
  • Revue d’histoire des sciences, 1954, p124-138.
  • Lio Rédacteur, Chroniqueur
  • « On trouve toujours de l'argent pour faire la guerre, jamais pour vivre en paix. » par Albert Brie