Histoire d’Afrique(s) 1- Kanga Moussa, le plus riche empereur du monde
Au fur et à mesure de mon parcours d’historien, de vidéoludiste et d’amateur de cinéma et de littérature, j’ai eu peu à peu envie de découvrir une autre histoire que celle de notre beau pays et de notre vieux continent. Il m’a semblé, et il me semble toujours nécessaire, de non seulement aborder d’autres points de vue, mais également d’autres espaces, d’autres histoires qui, parfois, croisent la nôtre et, d’autres fois, vivent leurs propres événements indépendamment, leurs propres hauts faits et tragédies. L’Afrique est un espace qui ainsi m’a toujours passionné, étant un continent qui a vu naître l’humanité, puis à vu se croiser des milliers de peuples, de royaumes et d’états. La curiosité m’y a mené. J’y suis resté pour plusieurs raisons.
La première, personnelle, tient à une partie de mon enfance passée entre Madagascar, le Maroc et le Congo.
La seconde raison est plus scientifique, voire politique. J’ai été quelque peu effaré par le discours d’un ancien président expliquant que « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire ». Il ne s’agit pas ici de faire de politique, ou de chercher à voir qu’elle est la part de maladresse ou d’ignorance dans ces mots. Si un homme l’a dit, d’autres doivent le penser.
À travers cette chronique, je vais tenter, modestement, et en espérant de tout cœur vous plaire, de vous montrer que le continent africain, comme le contient européen, a sa part d’histoire, importante et captivante. Chaque épisode se concentrera donc sur une époque, un état, un personnage… au gré de mes inspirations et de vos envies. Il ne s’agit pas ici de dresser une histoire globale d’un continent, ce qui serait impossible, d’où la présence du pluriel dans « Histoire d’Afrique(s) »Si vous avez envie de lire quelque chose sur un thème particulier, n’hésitez pas à me le dire en commentaire. Une fois cette trop longue introduction terminée, entrons tout de suite dans le vif du sujet, que certains joueurs de Civilization IV connaîtront sans doute : Kanga Moussa, empereur du Mali.
1324. Un homme d’un certain âge arrive devant la Kaaba, au centre de La Mecque. Il n’est qu’un parmi les milliers de musulmans à accomplir le Hajj, le pèlerinage obligatoire, cette année-là. Pourtant, tous, dans la ville et dans les environs, doivent alors parler de lui, tout comme toutes les villes qu’il a croisées depuis sa capitale d’Afrique de l’Ouest. On peut dire qu’il a su faire grande impression : il est accompagné de 60.000 hommes et 300 dromadaires, richement habillés, portant des cassettes remplies d’or. Sa puissance et sa richesse émeuvent ceux qui le croisent, comme en témoignent de nombreuses chroniques d’époque.
Il s’appelle Kanga et il est le dixième Mansa, « roi des rois », de l’Empire du Mandé, ou Mali.
L’héritage d’un empire puissant
Si l’on devait risquer une comparaison, on pourrait dire que Kanga est l’Alexandre le Grand du Mali. Conquérant majeur, il a cependant l’avantage, à son accession au trône en 1312, d’avoir bénéficié par ses prédécesseur d’un territoire solide, d’une armée efficace et, surtout, d’une économie florissante.
Son ancêtre, Soundiata Keita, a fondé l’Empire Mandé en 1235 environ, en unissant la grande majorité des mandé sous la férule de sa propre ethnie, les Mandingues, et en conquérant au passage l’empire du Ghana alors en pleine décadence. Le système social et politique mis en place par Soundiata Keita est profondément novateur : les droits accordés aux peuples conquis sont larges, malgré une poigne de fer dissuadant toute révolte.
Ces successeurs vont continuer son œuvre, renforçant le pouvoir royal, augmentant de manière relative la taille de l’empire, de façon plutôt continue jusqu’au règne de Kanga, même s’il est difficile de connaître la part de légende ou de faits avérés dans les récits entourant l’histoire de ces empereurs.
Kanga, quant à lui, n’est pas un descendant de Soundiata, bien que les historiens et chroniqueurs soient divisés à ce propos. La lignée directe de ce dernier s’éteindrait en effet quand, au début du XIVème siècle, le prédécesseur de Kanga le désigne comme régent pendant son pèlerinage à la Mecque. Les empereurs Mandé sont en effet sunnites depuis la création de l’empire, il est donc extrêmement important pour eux de se rendre à la Mecque pour accomplir le Hajj, et ce, même si la majorité de leur peuple ne partage alors pas leur foi.
Dans le contexte difficile du XIVème siècle, incluant ce qu’un tel voyage implique de préparation et de protocole auprès des cours traversées, il est alors d’usage que le Moussa désigne son successeur et régent pour s’occuper de l’empire le temps du voyage, qui peut parfois durer plusieurs années. Aussi, Kanga se retrouve empereur de fait, sinon de titre, plusieurs années avant sa véritable accession au trône, en 1312.
Représentation de Kanga Moussa tenant une pièce en or dans l'Atlas catalan, une mappemonde du XIVème siècle, réalisée vers 1375.
Le Hajj, où l’or ne vaut plus rien
Préparant son pèlerinage dès son couronnement, il choisit, comme ses prédécesseurs d’en faire une extraordinaire campagne de communication et de recrutement. À son départ en 1324, il laisse son empire dans les mains de son fils et successeur Maghan, puis prends la direction de l’Égypte. Son voyage va durer un peu plus d’un an.
Il est surtout connu dans les mémoires pour avoir fait chuter de moitié le cours de l’or au Caire, à Médine et à La Mecque, dépensant à tout va le trésor qu’il a emmené avec lui. Pour tenter de sauver ensuite ces mêmes économies, il va donc acheter à un prix supérieur à leur valeur tout l’or disponible au Caire et à Alexandrie. Cette opération redresse quelque peu le cours de l’or et dans le même temps l’économie du Sultanat Mamelouk, mais elle fait aussi de Kanga Moussa le propriétaire d’une grande part de l’or alors en circulation dans le monde méditerranéen. De fait, les chroniqueurs, qu’ils soient, musulmans ou chrétiens, retiennent surtout de Kanga Moussa cette figure de richesse, de prodigalité et de puissance, associant jusqu’à aujourd’hui le Mali comme pays de l’or.
Cependant, du point de vue de l’Histoire, c’est ce que ramène Kanga Moussa de son pèlerinage : des architectes, des philosophes, des théologiens arabes, égyptiens et andalous l’accompagnent et viennent enrichir sa cour. On leur doit la majorité des sources écrites directes qui nous sont parvenues.
Conquérant et bâtisseur
Les traces les plus visibles de l’héritage de Kanga Moussa sont aujourd’hui visibles à Tombouctou. C’est en effet lui qui dote la ville de remparts, d’une garnison permanente, d’un palais impérial et surtout d’écoles coraniques et de mosquées, dont les plus célèbres restent encore à ce jour la mosquée Djingareyber et l’Université de Sankoré.
S’appuyant sur un groupe de généraux compétents, il commence à son retour par entreprendre la conquête des royaumes Songhai, qui se soumettront les uns après les autres. Ces conquêtes achèveront d’assurer l’hégémonie malienne sur l’Afrique de l’Ouest : il mets ainsi la main sur la ville de Goa. S’ajoutant à la possession déjà ancienne de Tombouctou, Goa offre l’hégémonie sur l’économie sahélienne et sur les échanges entre l’Afrique subsaharienne et le Maghreb. Ces flux commerciaux s’ajoutent alors aux ressources minières et agricoles du Mali, confortant sa position de puissance économique de premier ordre. À sa mort, l’Empire Mandé, à son apogée, règne sur un territoire traversant les frontières modernes du Mali, de Gambie, de Guinée, de Guinée Bissau, de Côte d’Ivoire, de Mauritanie, du Niger et du Sénégal.
Les successeurs de Kanga ne sauront hélas pas avoir son génie. Comme jadis l’empire perse, l’empire Mandé repose sur un système complexe de provinces et de tribus, avec des gouverneurs tentés de s’affranchir du pouvoir central au moindre signe de faiblesse. Une génération après la mort de Kanga, révoltes et attaques extérieures sont monnaie courante, culminant avec le sac de Tombouctou. Ironiquement, la nouvelle puissance à partir du XIVème siècle est l’empire Songhai, ces mêmes songhai dont la soumission avait apporté à Kanga Moussa tant de prestige et de puissance...
Bibliographie sélective
- MORCOS BELL Nawal, « The age of Mansa Musa of Mali: Problems in succession and chronology », International Journal of African Historical Studies, 1972, p. 221–234.
- LEVTZION Nehemia, « The thirteenth- and fourteenth-century kings of Mali", Journal of African History », 1963, p. 341–353.
- BENJAMINSEN, T.A et BERGE, G., Une histoire de Tombouctou, Arles, Actes Sud, 2004, 186 p.
- MODY CISSOKO Sékéné, Tombouctou et l'Empire songhay, L'Harmattan, 1996.
- LORY Pierre, article Pèlerinage à la Mecque, in Mohammed Ali Amir-Moezi (dir) Dictionnaire du Coran, éd. Robert Laffont, 2007, p. 667-669.
En couverture de l'article : Illustration de Barbara Higgins Bond.
- Wodderick Contributeur
- "Que le monde tremble lorsqu'il sentira tout ce que vous êtes sur le point d'accomplir" Luis de Camoes, Les Luisiades, chant 1:15