Dossier sur l'Archéologie : Première partie : Qu'est-ce que l'Archéologie ?
Archaïos, ancien. Logos, science.
Il fallait bien commencer ce grand dossier sur la plus belle discipline scientifique du monde par une définition étymologique de son nom, en particulier pour une science qui vise à étudier le passé de l’humanité. Cette humanité qui a plusieurs dizaines, voire centaines, de milliers d’années au compteur, et qui nécessite de gros efforts pour que son passé ne soit pas définitivement perdu dans les limbes de l’Histoire.
Les origines de l’archéologie
L’archéologie est une science récente dans l’Histoire, et dont les balbutiements épars remontent à plusieurs siècles. Certains moines médiévaux ont, par bonheur, recopié certaines inscriptions antiques découvertes sur des stèles gravées. De temps à autre, des excavations de tombes remontant à des siècles ont été pratiquées ici et là pour en extraire des trésors funéraires.
Mais l’archéologie a réellement débuté suite à la redécouverte du monde antique survenue à partir de la Renaissance, et de la création des “cabinets de curiosité”, ces collections privées amassées par de puissants personnages et qui finançaient la recherche d’artefacts antiques pour les exposer dans leurs salles.
Les plus anciennes de ces collections remontent à la fin du XVe siècle, et sont considérés comme des proto-musées, des lieux où l’on a amassé des objets antiques mais également des plantes, des minéraux et des animaux -empaillés- rares : leur intérêt dépassait souvent celui de la collection historique et se faisait plus généraliste, dans le cadre de la pensée humaniste.
À cette période, le riche bourgeois voulant se constituer un cabinet de curiosités n’a qu’a se baisser pour ramasser à la pelle des artefacts antiques. Ou presque. Néanmoins, force est de constater qu’à l’orée du XVe siècle, l’Italie et la Grèce sont des destinations privilégiées pour les collectionneurs de tout poils.
Puis on fouille de plus en plus loin; et le monde n’ayant de cesse de s’agrandir avec l’amélioration des conditions de voyage et les grandes explorations de ces siècles, on envoie des expéditions dans un Orient dont les mystères et la magie font rêver toute l’Europe, puis plus loin encore dans le Nouveau Monde et en Asie.
À l’heure où les photographies n’existent pas, il se trouva des dizaines de grands dessinateurs comme Louis-François Cassas, qui voyagent des décennies autour de la Méditerranée pour en rapporter des vues réelles ou idéalisées d’une antiquité aussi glorieuse que disparue.
Eh oui, déjà à l’époque, on se disait que, quand même, c’était mieux avant, ça ne date pas d’aujourd’hui !
On peut le dire, l’archéologie est née dans le creuset du monde gréco-romain. Et même, plus particulièrement dans un monde romo-romain : les premières fouilles archéologiques que l’on peut considérer comme telles sont menées à Rome au XVIe siècle, avec les fouilles de plusieurs forums, de la villa de l’empereur Hadrien, et d’autres grands monuments.
Il faut bien le dire, l’archéologie à Rome est facilitée par la véritable profusion de sites historiques antiques, de grands monuments, de vestiges et des centaines de couches de sol égrenant l’histoire de la cité millénaire jusqu’aux temps de sa fondation. À tel point qu’il est difficile, de nos jours, d’y construire le moindre bâtiment moderne, puisqu’on tombe systématiquement sur des vestiges romains !
Puis, on s’éloigne progressivement de Rome: on a l’idée de fouiller Herculanum, puis l’on découvre fortuitement Pompéi en 1592, en creusant un canal pour le fleuve Sarno. On se met à systématiser les fouilles à la recherche des précieux “antiques”; et l’on fouille la Campanie, l’Étrurie; l’on remonte de plus en plus loin dans le passé et on redécouvre la civilisation Étrusque, qui précéda Romulus et Rémus.
L’expédition d’Egypte du général Bonaparte, si elle est un échec militaire, a l’effet d’une bombe culturelle en Europe : les savants français rapportent au pays des milliers de notes, de croquis, de dessins, de descriptions de classifications, d’objets appartenant à l’Égypte ancienne, dont la fameuse pierre de Rosette traduite par Jean-François Champollion.
Ils déclenchent là une véritable égypto-mania, qui dure encore jusqu’à nos jours et popularise l’Égypte et ses merveilles dans tout l’Occident. Ainsi, au cours du XIXe siècle, c’est l’égyptologue français Gaston Maspéro qui conduit le désensablement du Sphinx de Gizeh, et qui découvre la tombe royale de Deir-El-Bahari.
Au fil des découvertes, on remonte ainsi de plus en plus loin dans le temps. Quelques décennies plus tard, alors qu’on a, entretemps, découvert l’existence des dinosaures grâce aux fossiles expertisés par Georges Cuvier, l’homme d’affaire allemand Heinrich Schliemann fait la découverte du siècle : ni plus ni moins que la Troie d’Homère, héroïne de la plus célèbre saga du monde antique ! Par la suite, il entreprends de fouiller le site de Mycènes, et contribue ainsi à la redécouverte de la civilisation mycénienne, qui précéda la Grèce classique.
Une Grèce qui est maintenant bien plus accessible aux savants européens, depuis sa libération du joug ottoman en 1829. On y multiplie donc les fouilles archéologiques et les découvertes.
À partir du milieu du XIXe siècle, l’archéologie a tellement étendu son champ d’action et ses découvertes qu’elle cesse d’être centrée sur la civilisation gréco-romaine. On remonte en effet assez loin dans le temps pour ouvrir de nouveaux champs de recherches sur les civilisations successives du bassin méditerranéen, comme les mycéniens, les minoens, les peuples du Levant et l’Asie Mineure. Au cœur de l’Europe, on fait la découverte des sites de Halstatt et de la Tène, révélant toute une Protohistoire qu’on ne soupçonnait alors que brièvement.
À la fin de ce siècle si riches en découvertes, les organisations gouvernementales ont généralement pris le relais pour réglementer et organiser les expéditions de fouilles archéologiques à l’étranger. Au cours du XXe siècle, entre deux guerres, on multiplie ainsi les fouilles dans le monde islamique, ainsi qu’en Inde et en Asie, et même aux Amériques.
De nouveaux noms se sont alors inscrits au panthéon de cette jeune science, comme celui du grand archéologue britannique Howard Carter, qui fit la découverte de la tombe inviolée du pharaon Toutankhamon, roi de la XVIIIe dynastie. Et qui mourut peu après, entraînant au passage la légende urbaine de la “malédiction des pharaons”.
Quelques temps plus tard, c’est la française Christiane Desroches Noblecourt qui se distingue, pour avoir sauvé des eaux du futur barrage d’Assouan les quatorze temples égyptiens antiques, notamment pour son appel à la solidarité mondiale à la tribune de l’UNESCO, qui vit naître un remarquable et unique travail commun pour préserver les vestiges égyptiens.
Les grandes avancées archéologiques
L’archéologie est une science qui ne cesse jamais de se renouveler, dans ses procédés autant que ses connaissances. Chaque année, de nouveaux vestiges sont mis au jour et des dizaines de publications scientifiques approfondissent notre connaissance du passé humain. Cependant, bien que ces découvertes soient innombrables, il y en a certaines qui illuminent toutes les autres et constituent des jalons auxquels ont peu se référer !
Et comment évoquer le sujet sans parler de Pompéi ? La malheureuse et malchanceuse cité de Campanie est un cas extraordinaire, célèbre auprès du grand public autant qu’auprès du monde scientifique. C’est en effet un véritable OVNI: en 79 après J.-C., le Vésuve entre en éruption brutalement et ravage tous les environs. La colère du volcan ensevelit en quelques heures toute la cité, causant des milliers de morts ! Elle se trouve donc ainsi détruite, mais surtout précieusement ensevelie sous des mètres et des mètres de sédiment, qui préservent ses restes.
Une fois l’éruption terminée, Pompéi a ainsi totalement disparu! Et les Romains ne cherchent pas à la rebâtir, ce qui fait que les siècles s’écoulent ainsi, sans que les restes de la ville soient dérangés. Jusqu’à ce qu’elle soit fortuitement redécouverte à la fin du XVIe siècle, par des ouvriers creusant un canal dans le coin.
L’archéologie naissante s’en empare et dans les temps qui suivent, la ville est ainsi déterrée et étudiée a fond. Contrairement à toutes les autres villes de l’empire romain, qui ont subi le passage du temps et l’occupation continuelle de leur sol par un grand nombre de peuples successifs, Pompéi a été détruite et laissée telle quelle ; ce qui fait que le site archéologique qu’elle constitue représente un instantané de la civilisation romaine, telle qu’elle était au Ier siècle après J.-C. C’est donc un véritable parc d’attractions pour tous les archéologues, qui ont alors une occasion unique d’étudier une ville romaine d’époque.
Citons également la découverte de Troie: en 1870, l’archéologue allemand Heinrich Schliemann part à la recherche de la célèbre cité vaincue par les Achéens. Malgré son amateurisme et la faiblesse des indices, il finit par la découvrir après le creusement d’une tranchée de sondage, sur la colline d’Hissarlik, en Turquie. Il y met au jour une grande quantité de vestiges sur neuf niveaux successifs d’occupation, représentant la cité de Troie telle qu’elle fut au cours de l’Antiquité.
Il y mit également au jour un véritable trésor en or, composé de bijoux et d’ornements dont il para sa femme. Aujourd’hui, nous savons que la Troie dont parlait Homère est la septième cité.
Notre histoire est si riche et les découvertes si nombreuses, qu’un tel sujet pourrait constituer des collections entières de livres. Hormis Pompéï et Troie, il serait tout autant difficile d’oublier la découverte de la tombe inviolée de Toutankhamon :
Qui se trouve, depuis son ouverture en 1922 par le britannique Howard Carter, être probablement le plus connu des pharaons ; assez ironique étant donné que ce roi mort trop jeune était pourtant relativement obscur. Le récit de la découverte de son lieu de repos éternel et la célèbre « malédiction » inventée par les médias ont cependant eu pour effet de relancer une égyptomania qui perdure encore de nos jours !
Puisque l’heure est à la vallée du Nil, la découverte de la pierre de Rosette est également un immanquable des découvertes archéologiques : en 1799, alors que les fusiliers de Napoléon bataillent contre les Mamelouks au pied des pyramides, le cortège de scientifiques à l’œuvre découvre cette stèle sur laquelle est gravé un texte, reproduit en trois langues différentes.
Vingt-trois ans plus tard, Jean-François Champollion parviendra a le déchiffrer et ainsi à permettre au monde de traduire et comprendre les textes hiéroglyphiques de l’ancienne Égypte.
Et parfois, les découvertes les plus extraordinaires sont les plus fortuites : en septembre 1940, quatre gamins jouant dans la campagne de l’Isère font la découverte de la grotte de Lascaux, qu’on appellera la « chapelle Sixtine de l’art pariétal ».
Au cours des explorations du XIXe siècle, un naturaliste français nommé Henri Mouhot se perd dans l’épaisse jungle d’Asie du sud-est, et redécouvre un immense complexe de temples bouddhistes en pierre taillée, construit par la civilisation khmère : c’est la découverte d’Angkor Vat.
Quelques décennies plus tard, c’est l’historien américain Hiram Bingham, en voyage d’études au Pérou, qui mène l’enquête suite à des rumeurs et redécouvre une cité inca perchée au sommet du monde et oubliée depuis des siècles : c’est le célèbre Machu Picchu, ex-lieu résidence pour les rois de l’empire inca, qui attire depuis les curieux sans discontinuer.
Plus récemment encore, il y a seulement quarante ans, on fit dans un banal champ cultivé, la découverte d’un des plus impressionnants trésors funéraires du monde : le mausolée de l’empereur Qin, Qin Shi Huang de son petit nom, empereur qui donna son nom à la Chine.
C’est la découverte de l’Armée de Terre Cuite, constituée de plusieurs fosses abritant des milliers de soldats destinés à accompagner symboliquement le défunt monarque dans le repos éternel.
Il ne s’agit là que d’une très courte et sommaire sélection des découvertes archéologiques les plus spectaculaires, dont la seule liste pourrait vous occuper longtemps !
Le cursus nécessaire pour devenir archéologue
Si vous avez décidé de vous engager dans cette voie et de faire de l’archéologie votre profession, et surtout que vous n’avez pas été découragé par le chapitre suivant, alors parlons formation.
Il existe de nombreuses universités, en France, qui dispensent une formation d’archéologie. Elle est parfois couplée à un cursus d’Histoire, voire d’Histoire de l’Art.
Site à consulter : https://www.cidj.com/metiers/archeologue
Il vous faudra tout d’abord décrocher une licence (BAC+3) dans un de ces domaines. Un double cursus n’est pas indispensable, mais constitue un bonus toujours appréciable. Les choses se précisent au niveau suivant: il vous faudra décrocher un master (BAC+5), de recherche ou professionnel, dont vous devrez choisir la thèse avec un directeur/directrice de recherche. Cette thèse sera liée aux thématiques de recherches du laboratoire archéologique ou de l’organisme (selon les cas) avec lequel l’université travaille.
C’est à partir du master que vous vous spécialiserez généralement, dans une période et un domaine en particulier: archéozoologie, études lithiques, céramiques, du bâti, archéologie funéraire, archéologie aérienne, égyptologie... C’est là que vous ferez votre choix entre préhistorien, antiquisant, médiéviste, période moderne, contemporaine...
Il y a dix ans, un master suffisait pour ouvrir les portes du marché de l’emploi (grosso modo). Aujourd’hui, c’est beaucoup plus difficile et ça ne sera le cas qu’à la condition d’avoir déjà un C.V. en béton, une longue liste d’expériences et encore plus de relations dans le milieu.
Un doctorat sera, lui, beaucoup plus porteur d’emploi, vous permettant d’accéder à des postes de maître de conférences universitaires, voire professeur.
Mais ce qui augmentera le plus vos chances de trouver du travail dans le milieu, c’est l’étendue de votre réseau et celui de vos expériences : on ne peut donc que vous encourager à multiplier les stages et surtout les chantiers de fouilles archéologiques, qu’on vous demandera de toutes façons de faire durant chaque été dès la licence.
Ces chantiers offrent l’expérience de fouilles programmées, parfaites pour apprendre les rudiments du métier en tant que technicien(e) de fouilles. Sauf exception, ils offrent le gîte et le couvert pendant la durée du chantier (prévoyez quand même un budget pour les bières, conseil d’ami), contre votre bénévolat. Il faudra candidater auprès du responsable d’opérations concerné (archeologie.culture.fr) ; vous pouvez négocier de n’y contribuer que quelques semaines, mais on vous privilégiera si vous vous disponibilisez pour une plus longue période.
De plus, si vous souhaitez découvrir les métiers et les travaux de l’archéologie, je ne saurais que trop vous recommander de vous rendre aux Journées Nationales de l’Archéologie : journees-archeologie.fr.
Il s’agit d’un évènement organisé à l’échelle nationale par le ministère de la Culture, sous la responsabilité de l’INRAP, qui vous permettent de vous sensibiliser à cette science passionnante. À cette occasion, il est possible de visiter des chantiers de fouilles, des sites archéologiques, un grand nombre de musées; qui proposent tous des activités ludiques variées et didactiques à l’attention du public de tous âges.
La réalité du métier
Il faut bien le dire, à l’heure où nous écrivons ces lignes, la réalité du métier est extrêmement difficile. En tant qu’archéologue de formation, je peux en témoigner et dire les choses franchement : ne pensez même pas y faire carrière si vous n’avez pas un excellent réseau et surtout une chance insolente. Et même dans ce cas-là, vous allez bouffer de la vache enragée par camions entiers.
Le fait est que l’archéologie fait partie des Sciences Humaines, et comme tout ce qui touche au patrimoine national et à la culture, ça n’est pas considéré comme un secteur “rentable”. Et comme l’argent vient presque toujours du gouvernement, et que celui-ci se moque complètement du ministère de la Culture (et plus encore dans les périodes de difficultés économiques comme nous les traversons actuellement), le marché de l’emploi en archéologie est absolument catastrophique.
Si la multiplication des grands chantiers au début des années 2000 a entraîné un grand nombre de chantiers de fouilles préventives, depuis, leur fréquence a beaucoup baissé. Les découvertes sont pourtant toujours aussi nombreuses, mais l’argent pour financer les scientifiques se fait plus rare qu’une goutte d’eau dans le désert.
La quasi-totalité des archéologues encore en poste actuellement sont des vétérans qui sont entrés dans le milieu avant 2005-2010 et qui peuvent compter sur une place assez établie pour survivre ; les plus jeunes recrues, elles, n’ont aucune chance et se contentent de contrats en CDD de quelques mois, suivis de longues et pénibles périodes de chômage. Et je vous parle ici de la petite fraction de ceux parvenant à travailler, sachant que tous les autres se reconvertissent.
Parlons salaire : ne rêvez pas, malgré votre master 2, voire votre doctorat, vous serez très mal payé au regard de la longueur de vos études et de vos efforts: il plafonnera à 1500€ nets, peut-être 2000 si vous avez de la chance.
Peut-être la solution sera-t-elle de partir fouiller à l’étranger ? Oui et non, parce que les problèmes sont toujours les mêmes : l’argent ne pousse pas sur les arbres et vous devrez passer par les missions archéologiques françaises à l’étranger, comme l’IFAO (Institut Français d’Archéologie Orientale), établi au Caire et qui gère les fouilles françaises en Égypte. Et comme il s’agit toujours de recherche scientifiques, ces organismes ne sont pas riches, loin de là (j’ai connu des confrères/consœurs qui ont pu partir fouiller, et c’était du bénévolat), et tout y fonctionne par piston, ne vous fatiguez même pas à envoyer un C.V. si vous ne connaissez pas déjà quelqu’un dans la place.
Ce si triste tableau ne doit cependant pas vous décourager pour autant : l’archéologie peut aussi constituer une passion et l’engagement d’une existence entière. De tous temps, cette science est d’ailleurs restée une affaire de passion et pas d’argent. Comme beaucoup de chercheurs, les archéologues dédient leur vie à ce champ de recherche en sachant à l’avance que le travail est long, difficile, et peu ou pas payé.
Malgré ses lourdes difficultés matérielles, l’archéologie reste un domaine passionnant et surtout absolument nécessaire dans le monde contemporain. Et ce, selon moi, pour deux raisons en particulier:
La première, et la plus constante, c’est que les vestiges archéologiques sont en quelque sorte, à usage unique. Lorsque l’on découvre les fondations d’un temple gallo-romain en décapant le terrain d’un futur lotissement, le site doit être fouillé immédiatement et sans retard. Pourquoi ?
Parce que les vestiges, une fois mis au jour, ne peuvent pas être simplement recouverts. Quand ils sont à l’air libre, les couches de terre sont déjà bouleversées, les différents objets se dégradent très vite, le danger de voir survenir des pilleurs augmente exponentiellement (le pillage du patrimoine est un réel problème en France, notamment par les détectoristes “de loisir”), et sans parler des promoteurs immobiliers qui, généralement, se fichent éperdument de ce qu’ils considèrent comme un tas de vieilles pierres sans intérêts et qui n’y voient qu’un retard dans le planning de leur chantier. Le bulldozer n’attend qu’un ordre pour tout détruire et laisser le béton couler.
De la même façon, un artefact archéologique comme un cratère grec ou une statuette sumérienne est une chose extrêmement précieuse, et encore plus fragile. S’ils sont détruits ou endommagés, ils ne pourront JAMAIS être réparés ou reconstitués à l’identique. Il faut sans cesse avoir à l’esprit que notre passé commun est un trésor inestimable qui disparaîtra a jamais dans les limbes si rien n’est fait pour le sauvegarder.
Ainsi, nous devons déplorer la perte parfois intégrale et surtout définitive d’une immense quantité de vestiges et d’objets variés au Moyen-Orient. Depuis 2010, les différentes révolutions et l’établissement de l’Etat Islamique ont provoqué un véritable désastre patrimonial, déchaînant les pillages et les dégradations par des intégristes qui refusent de laisser subsister le moindre artefact qui dérange leurs croyances.
Palmyre est une exemple de cité rendue martyre par les terroristes, qui se sont appliqués à tout détruire à coups de masses et d’explosifs. Beaucoup d’artefacts pillés dans les musées irakiens ou syriens ont été revendus au marché noir; d’autres n’étaient que des copies dont les originaux sont en sécurité, mais une grande partie est irrémédiablement disparue.
Malheureusement, ce n’est qu’un exemple, qui a été et sera encore suivi de beaucoup d’autres. Des solutions existent pourtant : investir plus de moyens dans la sécurité des œuvres concernées, ou procéder à leur numérisation. Cette méthode née récemment permet de garder une empreinte virtuelle des objets ou des bâtiments, et ainsi de les immortaliser, en les mettant relativement hors d’atteinte. (Palmyre, Alep, Mossoul : les enjeux de la numérisation du patrimoine menacé ) Cette méthode ne permet cependant pas la conservation des originaux et ne peut enregistrer certaines informations qui ne peuvent être recueillies que sur ces derniers.
Le caractère éphémère des objets d’étude de l’archéologie rends donc ces recherches indispensables : on ne peut garantir que les vestiges des civilisations nous ayant précédé seront éternellement à l’abri de la folie destructrice des hommes ou des accidents.
La seconde raison, est d’après moi que la recherche archéologie souffre actuellement d’un très grave défaut de médiatisation. Les scientifiques sont rarement des orateurs; encore plus rares sont ceux qui savent expliquer leur travail à des néophytes et vulgariser leurs recherches.
Il y a trente ans, la chose n’aurait pas constitué un problème. Les sciences au sens large ne visaient qu’une audience non pas d’élite, mais de niche, et le grand public n’avait de contact avec la recherche qu’au moyen des entretiens télévisés ou tel ou tel savant(e), ou de la presse écrite.
Aujourd’hui, la situation est radicalement différente: depuis trente ans, l’informatique quotidienne est apparue, très vite accompagnée d’internet, et dorénavant vous devez chercher un bon bout de temps pour trouver quelqu’un qui n’est pas branché au monde via son ordinateur ou son téléphone portable.
Là où cet état de chose constitue un ennui, c’est qu’Internet permet à tout un chacun de s’exprimer avec une audience égale et de se faire entendre. La qualification et le niveau d’érudition ne font donc plus aucune différence; celle-ci ne réside plus que dans la capacité d’attirer l’attention du public, une capacité que n’ont généralement pas les scientifiques.
Et ce changement du rapport de forces a provoqué un véritable raz-de-marée de ce qu’il faut appeler la pseudo-science. On perdrait la tête à tenter de comptabiliser le nombre d’ufologues auxquels doivent avoir affaire les passionnés d’astronomie. De la même façon, les futurs médecins doivent composer avec la montagne d’illuminés épris de médecines dites “non conventionnelles” et qui prétendent soigner tout un tas d’infection au moyens d’ondes énergétiques et autres remèdes-miracles plus ou moins farfelus.
L’archéologie ne déroge pas à la règle non plus : depuis le début des années 2000, nous assistons à une augmentation exponentielle de pseudo-archéologues qui émettent des théories toutes plus affligeantes les unes que les autres, invoquant des civilisations atlantes, antédiluviennes, hyperboréennes pour expliquer la raison d’être de tel ou tel site historique (généralement, il s’agira de la pyramide de Khéops). Ces charlatans proviennent de tous les milieux ; certainement très compétents dans leurs métiers respectifs, mais tous partagent la même caractéristique: ils ne connaissent strictement rien à l’archéologie, à ses méthodes, ses buts, ses résultats, mais prétendent quand même être des experts sur le sujet et s’auto-attribuent une légitimité.
Le neurochirurgien et candidat républicain Ben Carson, par exemple, raconte à qui veut l’entendre que les pyramides égyptiennes sont “des greniers à blé”.
En France, la romancière Bleuette Diot donne régulièrement des conférence sur les anciennes civilisations nous ayant précédé, en tant qu’historienne alors qu’elle n’en a évidemment pas le titre ni la formation.
Il existe de très nombreux exemples comme ces deux-ci, et ils touchent indistinctement toutes les couches de la société. Ces escrocs parfois aussi convaincus que les intégristes ayant ravagé Palmyre savent très bien, en revanche, comment capter l’attention du public.
Le levier le plus couramment utilisés par ces individus consiste à se victimiser en se posant en tant que “chercheurs alternatifs”, opprimés par un complot imaginaire et censurés par l’omerta de “la Science Officielle”.
C’est évidemment faux, mais toujours est-il que ces discours à la fois très accessibles et très attirants fédèrent un nombre effrayant de personnes. Ce nombre ne fait que progresser chaque année et fait ainsi la promotion de la culture de l’inculture, de l’ignorance et du mensonge, sur un grand nombre de sujets d’histoire et d’archéologie. Les théories les plus bancales se succèdent, sur l’âge de la Terre, sur l’intervention de dieux, d’aliens, de monstres, sur la Terre creuse, sur le transport de lourdes charges, sur des cataclysmes planétaires, je vous en épargnerai le détail.
Cette situation actuelle se nourrit donc de l’incapacité de la recherche historique a vulgariser son travail et médiatiser ses connaissances. C’est pourquoi il est plus que jamais nécessaire que l’on se passionne pour l’archéologie, et que l’on contribue à la populariser auprès du grand public.
L’enjeu des décennies a venir sera de lutter autant que possible contre les pseudos-sciences et la désinformation écœurante qu’elles propagent comme une maladie sur les réseaux sociaux. Outre des chercheurs, c’est donc d’orateurs et d’oratrices dont la recherche historique a besoin. Qu’il s’agisse d’écrire ou de parler, il est primordial que de nouvelles têtes contribuent à communiquer sur le sujet et a enseigner la réalité de ce champ de recherches, ses méthodes et ses résultats. Même s’il ne doit s’agir que d’un loisir ou d’une passion en marge d’un autre métier, cela est est sera encore d’une importance capitale.
On se retrouve la semaine prochaine avec la suite de ce dossier consacré à l'archéologie : L'image de l'archéologie dans la société.
- Cernunnos Testeur, Rédacteur
- "Messieurs, c'est une plage privée! Je crois que nous dérangeons!" - Un officier britannique sur Sword Beach