Analyse d'une œuvre de Tomb Raider : Les Noces de Cana de Véronèse
Titre : Noces de Cana de Paolo Caliari
Artiste : Paul Véronèse
Commanditaire : Monastère des bénédictins de San Giorgio Maggiore à Venise
Technique : huile sur toile
Dimensions : H.: 6,77m; L.: 9,94m
Datation : commandé en 1562 et réalisé en 1563
Style : maniérisme
Lieu de conservation : Paris, musée du Louvre, Salle de la Joconde
Numéro d'Inventaire : INV 142
Dans le jeu vidéo d'action-aventure Tomb Raider: L'Ange des ténèbres, développé par Core Design et édité par Eidos Interactive en 2003, Lara Croft s'offre une escapade nocturne dans les galeries du célèbre musée du Louvre à Paris !
Sautant de vitrine en vitrine pour éviter de déclencher les alarmes, elle se faufile jusqu'à la salle de la Joconde dans laquelle trône un tableau sur lequel nous allons nous attarder.
Proportionnellement aux autres peintures que supportent les cimaises de cette même salle, ce tableau monumental l'est cependant moins que dans la réalité. Totalisant presque 7m de hauteur pour 10m de largeur, le tableau Les Noces de Cana couvre une surface totale de 67m², soit plus de trois fois celle d'un simple studio.
Malgré ces dimensions considérables, un véritable fourmillement de détails sollicite toute notre attention. Qu'est-ce donc que ce tourbillon de personnages agités, que cette cacophonie de couleurs ? Prenons le temps d'observer pour ne pas se perdre dans cette agitation bien heureuse.
Description et analyse
La scène est constituée d'une terrasse surplombée par une balustrade, bordée de chaque côté de bâtiments monumentaux aux fières colonnes de marbres, surplombées de chapiteaux.
Reprenant les canons de l'Antiquité grecque et romaine, cette architecture classique confère à la scène grandiosité, magnificence et prestance par cette belle géométrie verticale. Elle permet en effet de structurer la scène. Les élégantes colonnes attirent notre regard vers le lointain, qui s'en va se perdre dans le ciel d'un bleu pur parsemé de quelques nuages caressés par les rayons du soleil.
Dans la partie inférieure du tableau, une vue plongeante sur un long banquet nous est offerte. De part et d'autre de cette table sont assis de nombreux convives festoyant.
Au centre, une figure, semblant étrangère à la scène, se distingue instantanément des autres. Hiératique, au regard fixe, au visage lumineux et à la tête nimbée, le Christ trône immobile au centre. Muet, il est le seul à regarder dans notre direction. À sa droite se tient Marie, vêtue d'un tissu noir, le regard impassible et méditatif. Leur attitude contraste fortement avec l'agitation générale qui les entoure.
En effet, une véritable effervescence anime les corps des convives, les uns s'adressant à leur voisin de table en appuyant leurs paroles d'amples gestes pour mieux les illustrer, les autres cherchant à remplir de nouveau leur verre. Les attitudes sont expressives et uniques. Au premier plan, un groupe de musiciens prend place.
À cette cohue sonore s'ajoute une multitude de couleurs vives et chatoyantes qui sans cesse attirent notre regard sur un détail, puis un autre, et encore un autre jusqu'à ce que l'ensemble de la scène ait été balayée. Le regard du spectateur est invité à parcourir la toile dans son intégralité.
Ces couleurs, pour la plupart complémentaires, permettent d'invidualiser chaque convive, tous richement vêtus. De rares et précieux pigments importés d'Orient ont été utilisés tels le lapis-lazuli pour le bleu outre-mer, le cinabre pour le rouge vermillon, le réalgar pour le rouge orangé ou encore l'orpiment pour le jaune.
Luxe et exubérance se dégagent de cette fête vénitienne comme un doux parfum de gaieté, témoins des fastes de l'époque et du prestige de Venise. La diversité des accoutrements et la grande variété de costumes, bijoux et tissus contribuent à donner à cette fête un caractère exceptionnel. Velours, satin, soie, coton, laine, broderies, damas, tissus et étoffes diverses, certaines même cousues avec des fils d'or et d'argent, motifs orientaux, vêtements exotiques, illustrent toute la richesse exubérante de la Venise de ce temps. Cité prospère par son commerce avec l'Empire ottoman et l'Orient, elle exportait ensuite de nombreux tissus précieux dans le reste de l'Europe toute entière.
La splendeur du festin, la richesse du mobilier et de la vaisselle d'argent constitués de dressoirs, aiguières, coupes et vases de cristal attirent la réprobation de l'Eglise de Rome en cette période de Concile de Trente. En effet, ce tableau est une oeuvre de la démesure, 133 personnages y sont représentés. Six chiens, un chat et une perruche se cachent également dans cette cohue, saurez-vous les retrouver ?
Une scène particulière se joue au niveau de la terrasse au-dessus de la figure du Christ. Un personnage masculin brandit un couteau. Serait-il en train de s'atteler à la découpe d'une pièce de viande ou se pourrait-il qu'il s'agisse d'une évocation de l'agneau sacrificiel ?
Mais une autre action se joue en tout discrétion au milieu de cette agitation. Marie fait remarquer à un serviteur se tenant à ses côtés que l'une des jarres est vide. Quel est donc le miracle qui va se produire ?
Différentes hypothèses avancent l'identification de certaines figures comme Alphonse d'Avalos, marquis de Guast et son épouse Elisabeth d'Autriche, reine de France, au bout de la table sur la gauche du tableau. Puis en remontant suivraient François Ier (1494-1547), la reine d'Angleterre Marie Ière (1516-1558), le dixième sultan ottoman Soliman le Magnifique (1494-1566), la marquise de Pescaire Vittoria Colonna (1490-1547) et enfin l'empereur romain germanique Charles Quint (1500-1558) dont le visage est de profil.
Mais les peintres du temps seraient également mis à l'honneur ! Le groupe de musiciens au centre comprendrait Véronèse vêtu de blanc, Titien face à lui avec sa tunique rouge à la basse de viole, Tintoret jouant du violon et Bassano soufflant dans un cornet.
Ce tableau a été commandé – dans la période délicate qu'est le Concile de Trente - par les moines bénédictins pour le réfectoire de leur monastère de San Giorgio Maggiore - petite île en face du Palais des doges – à Venise au peintre italien Paolo Caliari plus connu sous le nom de Véronèse (1528-1588).
L'oeuvre avait pour objectif de donner l'illusion de prolonger l'architecture du monastère conçu par l'architecte Palladio tout en représentant un sujet préçis. Les Noces de Cana correspondent à une scène biblique bien particulière. Au cours d'un repas de noces à Cana, petite ville de Galilée, le vin venant à manquer, l'eau fut transformé en vin par le Christ.
Remarquez les six jarres au premier plan et l'air étonné de quelques convives tenant dans leur main un verre de vin. Ce premier miracle apparaît dans le deuxième chapitre de l'Evangile selon saint Jean dans le Nouveau Testament:
Trois jours après, il y eut des noces à Cana en Galilée. La mère de Jésus était là,
et Jésus fut aussi invité aux noces avec ses disciples.
Le vin ayant manqué, la mère de Jésus lui dit: Ils n'ont plus de vin.
Jésus lui répondit: Femme, qu'y a-t-il entre moi et toi ? Mon heure n'est pas encore venue.
Sa mère dit aux serviteurs : Faites ce qu'il vous dira.
Or, il y avait là six vases de pierre, destinés aux purifications des Juifs, et contenant chacun deux ou trois mesures.
Jésus leur dit : Remplissez d'eau ces vases. Et ils les remplirent jusqu'au bord.
Puisez maintenant, leur dit-il, et portez-en à l'ordonnateur du repas. Et ils en portèrent.
Quand l'ordonnateur du repas eut goûté l'eau changée en vin, ne sachant d'où venait ce vin, tandis que les serviteurs, qui avaient puisé l'eau, le savaient bien, il appela l'époux,
et lui dit : Tout homme sert d'abord le bon vin, puis le moins bon après qu'on s'est enivré; toi, tu as gardé le bon vin jusqu'à présent.
Tel fut, à Cana en Galilée, le premier des miracles que fit Jésus. Il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui.
Comme tout miracle, celui-ci avait pour but de donner la foi aux disciples afin qu'ils croient en le Christ et non bien entendu de les rendre ivre. Celui-ci est d'ailleurs à considérer comme une préfiguration de l'eucharistie.
Toute la virtuosité de Véronèse réside dans le fait qu'il réussit à contracter en un instant les évènements qui se succèdent dans le temps: le manque de vin, les convives qui s'affairent à remplir les jarres puis à servir quelques verres, certains convives fraîchement servis marquant leur étonnement alors que d'autres se tournent vers les serviteurs pour les prier de leur servir de ce nouveau breuvage qui se trouve de surcroît être meilleur que les premiers crus proposés au début de la soirée.
Peintre vénitien, Véronèse est un grand coloriste et un maître de la peinture italienne du XVIème siècle. Un triomphe de l’École vénitienne, caractérisée par des couleurs généreuses, chaudes et douces qu'une lumière modérée vient embrasser, marque ce XVIème siècle. Art plein d'élégance et de raffinement mêlant profane et sacré, Giorgione, Titien et Tintoret s'illustrent et portent leur nom à la postérité au côté de celui de Véronèse, marquant l'apogée artistique de la sérénissime République, Venise. Véronèse a réalisé Les Noces de Cana en seulement un an.
Plus grand tableau du musée du Louvre, il fut acquis par Napoléon suite au Traité de Campo-Formio (17 octobre 1797) mettant un terme à la première campagne d'Italie (24 mars 1796 - 07 avril 1797) opposant l'armée d'Italie de la République française au Saint-Empire et au Royaume de Sardaigne.
Au titre de contribution de guerre, son entrée dans les collections du Museum central des Arts (ancien nom du musée du Louvre) est particulièrement étonnante. Ses dimensions monumentales compliquaient sérieusement son acheminement jusqu'au musée et une solution devait être trouvée pour faciliter son transport en France.
Le découper en plusieurs morceaux est une solution que l'on pourrait écarter tout de suite car qui oserait donc mutiler pareil chef-d’œuvre ? Contrairement à ce que l'on pourrait imaginer, ce fut effectivement la solution adoptée. Découpé en sept morceaux, Les Noces de Cana arrivèrent sans encombre au Museum central des Arts.
Après la défaite cuisante de Napoléon en 1815, les nombreuses œuvres pillées notamment en Italie doivent être restituées. Oui, tous, sauf un irrésistible tableau ! En effet, Vivant Denon (1747-1825), égyptologue, diplomate et directeur général des musées argue qu'en raison de la fragilité du tableau, il ne serait pas judicieux de procéder une nouvelle fois à son découpage pour le transport. Un accord fut conclue avec l'Italie, La Madeleine chez le pharisien du peintre français Charles le Brun (1619-1690) partie à la place de la toile de Véronèse.
Conclusion
Toile monumentale et extrêmement riche en détails et symboliques dont nous n'avons pu survoler que quelques détails, elle n'est pas une simple peinture décorative et élégante pour le réfectoire du monastère San Gregorio mais un véritable chef-d'oeuvre de la peinture vénitienne du XVIème siècle.
Celle-ci a par ailleurs dévoilé une nouvelle facette de son visage lors d'une restauration de 1990 à 1992 dont elle a fait l'objet. L'homme rouge était en fait à l'origine vert. Est-ce un repentir (correction par le peintre) ou un repeint ?
Ce tableau mis à l'honneur dans le monde du jeu vidéo par Tomb Raider: L'Ange des ténèbres l'a également été plus récemment dans la pop culture dans le clip Apeshit – The Carters de Beyoncé et Jay-Z qui lui offre une visibilité nouvelle.
Mais de ce miracle Les Noces de Cana, n'est-il pas à retenir que lorsque le vin ne manque pas, la fête peut continuer ? N'est-ce pas l'essentiel ?
- Crobate Contributeur
- "Que ton coeur ne soit pas altier à cause de ce que tu sais; n'emplis pas ton coeur du fait que tu es un savant. Discute avec l'ignorant de la même façon qu'avec de l'homme ayant des connaissances; car on n'a jamais atteint les limites d'un art, et nul artisan n'est pourvu d'excellence. Une parole heureuse peut être dissimulée plus que l'émeraude, on peut la trouver parmi les servantes penchées sur la meule." - (Max. 1). L'art de vivre du vizir Ptahhotep.