Info sur le jeu
PlateformePC Windows
ÉditeurDotemu
DéveloppeurTriskell Interactive
Date de sortieFévrier 2023

Pharaoh : A New Era

Thématique
20 février
2023

Il paraît que l'Égypte est un don du Nil. C'est Hérodote qui l'affirmait, en se baladant dans le Delta, quelque part au Vème siècle avant l'ère commune. Mais qu'est-ce qu'il y connaît, Hérodote, hein ? Je lui en pose moi, des questions ? Et puis d'abord, c'est à cause de lui et de ses descriptions plus qu'approximatives de la pyramide de Khéops qu'on se coltine des hordes de crétins persuadés que cette dernière est une station-service pour soucoupes volantes. Alors, qu'il ne la ramène pas !

Un don du Nil ? C'est une idée reçue grossière. J'en veux pour témoins les centaines de kilomètres carrés de sable brûlant qui entourent mon petit village de huttes en paille et en argile, où quelques chasseurs-cueilleurs luttent pour survivre au jour le jour.

En cette fin de quatrième millénaire avant notre ère, c'est difficile d'imaginer que ces pauvres gens qui chassent l'autruche et cultivent quelques laitues pour subsister formeront un jour la première superpuissance de la Terre. Il faut un chef-d'œuvre d'obstination et de travail pour faire naître une civilisation dans un des environnements les plus hostiles de toute la planète, et probablement le pire. Un paysage aride et brûlé où rien ne pousse, et où il devient impensable de vivre à plus de trois kilomètres des rives du fleuve.

C'est notamment l'idée défendue par les égyptologues Juan Carlos Moreno-Garcia et Damien Agut dans le tome consacré à l'Égypte ancienne de la collection des Mondes Anciens parue récemment chez Belin, et à laquelle on peut difficilement être en désaccord.

Contrairement aux Caesar, qui étaient largement plus permissifs en la matière, Pharaon posait à des milliers d'ados et d'adultes, en 1999, un défi à relever : construire une civilisation prospère et brillante dans un endroit où personne ne voudrait aller autrement que pour bronzer. Dame, le désert lybien n'est pas le Latium : ici, chaque brin d'herbe doit être chéri, et bien qu'il y ait énormément de place pour s'agrandir, il faut penser l'urbanisme de sa cité antique à un niveau jamais vu avant : comment vous débrouiller pour amener l'eau, indispensable vecteur de la vie, à tous vos citoyens, quand elle suffit à peine à faire pousser quelques palmiers ?

Dans Pharaon, tout doit être anticipé à l'avance. Ce n'est presque pas un jeu, c'est un casse-tête. C'est même difficile à croire qu'un titre aussi culte soit dans la même garde-robe que celle des individus qui publient leur Call of Duty annuel quand il prend l'envie au PDG de s'acheter son dix-septième jet.

Mais heureusement, et allez savoir comment, le studio français Triskell Interactive a pu décrocher les droits de faire un remaster - pas un remake, un REMASTER - de ce jeu qui m'a fait louper de trop nombreuses nuits de sommeil quand j'étais au collège et au lycée.

Pharaoh : A New Era  Pharaoh : A New EraC'est un début de quelque chose ! / Assez vite, le pharaon vous enverra à l'étranger sécuriser les voies d'approvisionnement.

C'est dangereux, de toucher à un souvenir d'enfance de gamer. La déception peut venir vite. Heureusement, ce n'est pas le cas : ce renouveau graphique qui saute à l'œil est tout simplement ravissant. Chaque bâtiment, chaque piéton, chaque animal ou animation, chacun des somptueux monuments de la civilisation des pharaons a été redessiné, adapté aux goûts du jour, dans un style cartoon-mais-pas-trop qui fait parfaitement écho au style du jeu original.

Ensuite, Pharaoh : A New Era marche en terrain connu, de la période prédynastique jusqu'à la fin de l'indépendance égyptienne, lorsque la période ptolémaïque prend fin sous les caligaes romaines. On y trouve une longue campagne, permettant de suivre la progression de la civilisation égyptienne, de son unification, de son agrandissement et de sa quête perpétuelle de ressources et d'alliés, et son désir d'éternité envers les dieux égyptiens, en construisant des dernières demeures réservées aux nobles et aux rois.

Triskell Interactive a su remettre dans ce remaster le sel de l'original, qui faisait de Pharaon et de son extension un titre si addictif : il y a toujours quelque chose à faire, et vous ne pouvez que rarement vous reposer et admirer votre agglomération dans son quotidien.

Pour être prospère, le peuple d'Égypte nécessite de l'eau et de quoi manger : il faut donc prévoir des puits et des greniers plein, donc pas trop loin des rives recouvertes de limon où les champs donneront des récoltes généreuses, pas trop loin non plus des zones non-désertiques ou vous pourrez trouver de l'eau en creusant. Il nécessitera de quoi se divertir ; donc il faudra aménager des étals et des places où amener des jongleurs, des danseuses et des musiciens. Ils nécessiteront par-dessus tout des lieux ou prier le vaste panthéon qui constituait leur imaginaire, donc des temples.

Comme dans l'original, sur ce point Pharaon rappelle que les divinités ne sont pas de vagues figures tutélaires que l'on peut plus ou moins oublier dans un coin, excepté un petit sacrifice annuel : oh que non. Baster, Rê, Osiris, Seth et Ptah (le panthéon égyptien compte des dizaines de dieux, donc heureusement que le jeu se limite à ces cinq-là) sont de véritables enfants gâtés qui surveilleront de près leurs ouailles, et qui feront connaître leur mécontentement très vite, s'ils estiment qu'il n'y a pas assez de temples dans votre cité comparé à la population totale, et si vous oubliez de leur consacrer régulièrement des fêtes, une mécanique un peu trop redondante d'ailleurs - mais qui l'était déjà à l'époque -, car cela vous oblige à surveiller en permanence la date de la dernière fête populaire et à en préparer de nouvelles. À vos frais, cela va de soi, ce qui pose souvent problème dans les débuts de partie.

Pharaoh : A New Era  Pharaoh : A New EraNe négligez pas les dieux ! / Toujours plus beau, toujours plus grand !

Osiris sera le garant des crues du Nil : s'il est satisfait, vos greniers et vos entrepôts déborderont de récoltes ; s'il est en colère, il les détruira et fera cesser la crue du Nil ! Bastet pourra combler vos habitants, en vous épargnant occasionnellement l'approvisionnement de votre peuple, ou répandre diverses calamités sur vos quartiers d'habitation, comme des incendies ou des pestes. Ptah saura combler vos artisans de matières premières, ou foudroyer de sa main des ateliers et des entrepôts ; avec les pertes financières que cela suppose. Rê sera probablement le plus utile à long terme, en gonflant sérieusement votre commerce et en augmentant votre rang à l'échelle du pays ; s'il est vexé, il le réduira, ce qui pourra pousser le pharaon en personne a intervenir et vous chasser de votre poste de gouverneur.

Quant à Seth, dieu de la guerre, son domaine se limitera à conférer bonus ou malus à vos troupes ou à celles des nombreux vautours pour qui l'Égypte est une proie très tentante : Nubiens, Libyens, Hittites, peuples de la mer, pillards des déserts de l'ouest et de l'est...

Tiens, parlons-en, de la guerre. Un aspect complètement anecdotique, en principe, dans la série des city-builders de Sierra : Caesar, Pharaon, Zeus et Empereur se partageaient la même mécanique : des casernes à construire et remplir avec des hommes et du matériel. En cas de guerre, vous expédier hommes ou/et bateaux à l'étranger, ou bien vous attendez que l'ennemi apparaisse sur les bords de la carte avant de les cerner avec vos troupes et de voir la bataille se dérouler.

Pharaoh : A New Era  Pharaoh : A New EraC'est beaucoup moins fun que ça en a l'air. / Ne tardez pas trop à exploiter le cuivre, il faudra du temps pour obtenir des armes !

Eh bien, même si c'était plus que rudimentaire, et que le jeu vous criait qu'il n'avait pas été pensé pour ça et que c'était déjà beaucoup, Pharaoh : a New Era l'a remplacé par un système encore moins bien foutu qui enlève le peu de stratégie qui y tenait place : c'est une sorte de cinématique hors-carte qui s'affiche, sur laquelle vous n'avez aucune prise et qui représente la bataille en question. Enfin, qui essaie, parce qu'à l'heure où j'écris ces lignes, les soldats se contentent de se foncer dessus à un rythme de Playmobils sous morphine et de vaguement se cogner dessus sans provoquer la moindre victime de part et d'autre.

Pas de quoi gâcher l'expérience du joueur ceci dit, mais c'est un choix étrange ; de même que l'absence totale de minicarte, qui peut être une gêne lorsque vous jouer sur des cartes immenses où vous devez gérer votre agglomération principale d'un côté, vos champs cultivés de l'autre et votre village d'exploitation de grès ou de granit de l'autre.

Une fois vos gens nourris et abreuvés de spiritualité, ils auront besoin d'acheter des poteries, de picoler et d'être soignés de ladite gueule de bois, ce pourquoi il faut prévoir toute une industrie de céramique, de brassage de la bière et toute une chaîne de bâtiments d'hygiène publique, pharmacies, dentistes et médecins, ainsi que les embaumeurs qui prépareront les inévitables momies à leur voyage vers l'au-delà.

Pharaoh : A New EraBien sûr, nous sommes là pour ça.

C'est le jeu que vous avez connu il y a vingt ans, toujours aussi hypnotisant quand il est deux heures du matin et que vous vous rendez compte qu'il manque de la main-d'œuvre à vos champs de lin, et que ça ne prendra que cinq minutes de plus de construire un petit village supplémentaire pour envoyer quelques dizaines d'ouvriers aux champs. Et ça fera plus de bras pour le chantier de la pyramide, sur la rive d'en face, lorsqu'à la saison humide, le Nil en crue aura rendu les champs impraticables.

C'est définitivement dans les meilleures amphores qu'on fait les meilleures bières, mais il y a quelques assaisonnements en plus ; comme la correction de ce bug historique qui faisait que certaines fêtes communes devaient attendre huit mois ( !) avant d'avoir lieu, ce qui pouvait causer des catastrophes en chaîne quand vous étiez un peu juste sur les délais. Le pathfinding des piétons a également été améliorés, et vos porteurs d'eau, architectes et pompiers n'éviteront plus certains quartiers pour des raisons mystérieuses.

On cite aussi quelques mécaniques bienvenues, comme les économies familiales : en tant que gouverneur d'Égypte (puis pharaon, à terme), vous touchez un salaire, qui se thésaurise et se transmet de partie en partie au long de la campagne ; et procure un bonus plus que bienvenu au démarrage de certaines missions, où le budget est vraiment très juste pour faire démarrer votre cité. À ce propos, je ne saurais que vous recommander de vous préoccuper très vite de vos revenus commerciaux au démarrage de chaque partie, en identifiant ce que vous allez pouvoir exporter, et ne tardez pas à démarrer une industrie et ouvrir des voies commerciales, sinon vous ferez très vite banqueroute.

Pharaoh : A New Era  Pharaoh : A New EraC'est à vous de planifier des quartiers industriels entiers. / De temps en temps, le désert ou les autres éléments se rappelleront à vous !

De plus, vous pouvez maintenant vous débarrasser des marchandises excédentaires d'un seul clic ; ce qui est utile quand vous n'arrivez pas à écouler, par exemple, les milliers de ballots de paille que produisent les champs de céréales : à l'époque, vous deviez manuellement supprimer les entrepôts et les reconstruire.

Citons aussi la possibilité d'utiliser certaines ressources pour améliorer vos troupes, comme du bois nécessaire aux arcs composites de vos archers ; ou bien les demandes que vous recevrez des autres cités du royaume auront un impact bien plus significatif qu'avant. Vous manquez de pierre pour édifier votre temple solaire, et les bateaux marchands n'en importent que trop peu ? Débrouillez-vous pour satisfaire les autres cités quand elles vous réclameront des cruches de bière ou du cuivre, et elles vous en offriront de temps à autre. À l'inverse, si vous refusez de les aider et laissez mourir le peuple d'une ville frappée de la famine, alors celle-ci réduira drastiquement ses échanges commerciaux avec vous, en représailles, voire fermera la route.

Heureusement, vous avez trois millénaires devant vous pour redresser la barre, tout au long des nombreuses missions qui ponctuent la très longue histoire de l'Égypte, de sa naissance à sa chute, à travers les périodes de troubles intermédiaires et les âges d'or qui se succèdent, et de l'extension Cléopâtre : La Reine du Nil, incluse dans le jeu. La vie s'écoule lentement sur les bords du Nil, et Pharaoh : a New Era est un hommage réussi.

7.5
Pharaoh : A New Era

Pharaoniquement nostalgique
Un don du Nil ? Non : l’Égypte était une gageure. Un pari brillamment relevé, et c’est ce pari que Pharaoh : a New Era permet de revivre. Ce n’est pas une copie parfaite, et on le regrettera, mais déjà très bonne et qui peut être enrichie à l’avenir. Les ajustements et améliorations apportés par les Bretons de Triskell Interactive rafraîchissent agréablement le jeu, entre l’interface utilisateur rénovée, des bugs historiques corrigés, quelques éléments de gameplay bien plus fonctionnels qu’il y a 24 ans, et l’adaptation aux résolution modernes. Comme quoi, on peut aimer une civilisation de plusieurs millénaires, et convenir que la modernité a du bon.
Intérêt historique :Évidemment très élevé : on ferait difficilement mieux. Pharaoh : a new Era couvre l’intégralité de l’histoire de l’Égypte antique, à travers toutes ses périodes plus ou moins troublées, et aborde ses thèmes essentiels avec justesse. Le titre a en outre bénéficié de l’avis d’un égyptologue professionnel, ce qui est toujours un gros plus en la matière.
  • +Magnifiquement redessiné, la nouvelle bande-son est superbe
  • +Toujours aussi addictif
  • +Mécaniques huilées
  • +Quelques innovations bienvenues
  • +Contenu conséquent
  • -Absence inexplicable de quelques éléments
  • -Quelques bugs mineurs ici et là
9
Direction artistique

Ça a déjà été dit, mais Pharaoh est superbe. Cette direction artistique est une réussite complète, pleine de couleurs vives et sachant restituer une Égypte pleine de vie.

7
Technique

Quelques bugs à signaler, comme des textes qui ne s’affichent pas correctement, ou les bateaux de commerce qui ont tendance à s’entasser sur un seul dock au lieu de se répartir. Rien qui ne soit pas résolvable avec un bon patch, et aucun plantage n’a été constaté au cours de ce test.

7
Jouabilité

Tout à fait correcte, comme dans la version originale ; on regrettera quand même l’absence de fonction copié/collé, de la minicarte ou de l’ancien système de guerre.

9
Durée de vie

Pour ce prix, Pharaoh est incontestablement une bonne affaire : des dizaines et des dizaines d’heures de jeu, rien que pour parcourir la longue campagne historique ; et encore plus pour les scénarios personnalisés, qui seront bientôt enrichis d’un éditeur.

8
Ambiance

Excellente aussi, l’ambiance doit beaucoup à la bande-son du jeu original, entièrement reconstituée avec talent et enrichie de quelques nouveaux thèmes ; ainsi qu’aux bruitages. On observe souvent Pharaoh comme on observe une fourmilière avec curiosité.

/
Scénario

Il n’y en a pas réellement, Pharaoh se contentant comme son aîné, et plus généralement comme les autres opus de la série de Sierra, de parcourir les siècles avec régularité et minutie, pour représenter au plus fidèlement chaque étape de la civilisation dont il est question.


  • Cernunnos Testeur, Rédacteur
  • "Messieurs, c'est une plage privée! Je crois que nous dérangeons!" - Un officier britannique sur Sword Beach