Info sur le jeu |
Plateforme
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Éditeur Avalon Digital |
DéveloppeurCyril Jarnot |
Date de sortieFévrier 2016 |
Carrier Battles for Guadalcanal
Un développeur indépendant propose un jeu de spécialité aux propriétaires de tablettes. À la fois bien conçu et instructif, Carrier Battles for Guadalcanal (CBfG) est centré sur les confrontations de porte-avions provoquées par les offensives en direction des îles Salomon durant la guerre du Pacifique. Il nous enseigne la règle d’or du cache-cache avec les forces aéronavales japonaises : appâter les avions embarqués pour connaître leur origine et éviter comme la peste le contact de nuit avec les navires de surface.
Scénarios sans campagne
Pour le moment, CBfG est jouable seul contre l’IA depuis le camp allié. Le développeur apporte régulièrement des améliorations au jeu et devrait implanter un mode multijoueur au cours de la prochaine année. Le jeu de base compte cinq scénarios indépendants qui se suivent dans le temps :
- Mer de Corail (3-8 mai 1942) : Ce scénario retrace la tentative japonaise de conquérir Port Moresby, en Nouvelle-Guinée, et d’envahir les îles Salomon. Elle mènera au premier engagement naval de l’histoire dans lequel les flottes ne se sont jamais aperçues. La mission du joueur est d’empêcher le débarquement de troupes ennemies à Port Moresby ainsi qu’à Lunga Point*, sur l’île de Guadalcanal.
- Midway (3-6 juin 1942) : Après le match nul de la mer de Corail, les Japonais entreprennent d’envahir l’île de Midway, où les Américains les attendent de pied ferme. L’objectif affiché est d’empêcher les Japonais de débarquer sur l’île.
- Salomon orientales (20-26 août 1942) : La guerre d’usure est commencée pour la possession de l’île de Guadalcanal et de son aérodrome, rebaptisé « Henderson Field » par les Américains. Votre rôle est de contrer les débarquements Japonais dans l’ouest de l’île.
- Îles Santa Cruz (11-27 octobre 1942) : Les deux camps tentent de briser le statu quo à Guadalcanal en y acheminant des troupes fraîches. Le joueur doit dépêcher ses renforts à Lunga Point, tout en bloquant ceux des Japonais dirigés vers le même secteur.
- Guadalcanal (3-15 novembre 1942) : Tant les Japonais que les Alliés décident de renforcer leurs positions à Guadalcanal en vue d’un affrontement décisif pour le contrôle de l’aérodrome. La destination des renforts et la mission du joueur sont les mêmes que dans le scénario précédent.
* Les 3 et 4 mai 1942, les Japonais s’étaient plutôt emparés de le la petite île de Tulagi, située à environ 50 km au nord de l’île de Guadalcanal.
Chaque scénario, sauf celui des Salomon orientales, est accompagné d’options hypothétiques intéressantes (rendues accessibles contre un léger déboursé). Par exemple, l’engagement initial dans la mer de Corail peut être vécu contre la flotte Kido Butai au grand complet ou, au contraire, avec des renforts aériens inespérés provenant de Midway ou la participation des porte-avions Hornet et Enterprise, libérés par l’annulation du raid de Doolittle.
Un sixième scénario, payant celui-là, s’est ajouté récemment. Intitulé La fin de Rabaul (31 oct. - 11 nov. 1943), il met en scène le débarquement des Américains sur l’île de Bougainville, située à mi-chemin entre l’île de Guadalcanal et la base japonaise de Rabaul, en Nouvelle-Bretagne. Le joueur doit empêcher les navires japonais de déposer des troupes à l’extrémité ouest de l’île.
Apprentissage progressif
Un court scénario d’apprentissage (Mer de Bismark, mars-avril 1943) permet au joueur d’exécuter ses premières manœuvres aériennes depuis des bases terrestres. C’est là qu’il apprendra à gérer ses escadrilles à l’aide d'un bouton dédié, donnant accès aux unités aériennes rattachées aux différents aérodromes et porte-avions. Un tutoriel clair et détaillé explique comment les envoyer en reconnaissance (avec délimitation précise des aires de recherche), en patrouille de combat (combat air patrol ou CAP) sur place ou au-dessus d’une entité distante, ou encore en raid contre une formation navale ou un aérodrome ennemi. Les réalités au sol ne sont pas abordées, si on excepte les pistes d’atterrissage, qu’il est possible d’endommager, et les débarquements de troupes depuis des navires de transport.
Une journée compte 18 tours de 80 minutes chacun, soit 11 tours de jour et 7 tours de nuit (de 20 h 00 à 5 h 20). Un tour diurne est subdivisé en 4 phases d’action de 20 minutes chacune. Les opérations aériennes sont interdites la nuit ; tout avion qui n’aurait pas encore rejoint sa base risque de rater son atterrissage selon une probabilité de 40 % sur un porte-avions et de 20 % sur une piste classique.
Chaque hexagone couvre une distance d’environ 50 km. Une unité aérienne se déplace de 1 hexagone par phase d’action, tandis que les gros navires (cuirassés, croiseurs lourds et porte-avions) mettent un tour, c’est-à-dire 4 phases, à changer de case. Les destroyers et les croiseurs légers, plus rapides, se déplacent d’un hexagone supplémentaire toutes les trois phases d’action. De façon générale, les navires acceptent de pousser à fond leurs machines — donc de gaspiller le carburant — lorsqu’ils naviguent près de leurs bases. Il est à noter que les sous-marins ne sont pas encore représentés dans le jeu.
Inspiré par un classique
CBfG revendique une filiation avec le jeu de plateau Carrier, publié en 1990 par le défunt Victory Games. On y trouve la même philosophie de jeu, le même contexte historique et une carte somme toute similaire. Au chapitre des mécanismes, seules quelques règles de ce jeu en solitaire ont été conservées dans le jeu vidéo, telles que les phases d’action d’une durée de 20 minutes, le déroulement des débarquements et les conditions de victoire. CBfG s’est affranchi de son aîné par la recomposition en profondeur des règles de combat et de la reconnaissance aérienne. L’IA ennemie dans le jeu vidéo s’impose les mêmes contraintes que celles du joueur actif, alors qu’elle est beaucoup plus abstraite dans le jeu de plateau.
La première tâche qui attend le joueur est d’apprendre à reconnaître les capacités et fonctions des unités aériennes. Par exemple, un carré bleu sous le rayon d’action de l’unité confirme qu’elle peut décoller d’un porte-avions. Les silhouettes d’avion plongeantes correspondent aux bombardiers en piqué, alors que les silhouettes horizontales sont réservées aux torpilleurs, les plus efficaces contre les navires. Les bombardiers stratégiques, orientés en oblique, servent plutôt à détruire les pistes d’atterrissage.
Il faut surveiller de près les rayons d’action des unités envoyées en mission, car elles ne pourront pas revenir d’un raid contre une cible trop éloignée ou pourraient être surprises par la nuit. L’interface refuse l’affectation de non-chasseurs à la défense rapprochée (CAP), puisqu’ils en sont incapables ; dans les autres cas, il revient au joueur de bien interpréter les messages d’alerte produits au moment de l’établissement de la mission.
Dommages de guerre
Le déroulement des combats répond à des règles précises. Dans le cas le plus simple, c’est-à-dire lorsque les formations ne sont constituées que d’avions, ce sont naturellement les chasseurs en surnombre qui prennent le dessus. Les choses se compliquent lorsque vous prenez la tête d’une flotte comprenant un porte-avions (le maximum toléré est de deux porte-avions par formation) :
- Les avions attaquants affrontent d’abord la chasse défensive et la DCA lourde des navires.
- Les avions qui survivent à ce tir de barrage attaquent les navires.
- La chasse défensive (pour une seconde fois) et la DCA légère des navires ripostent contre les attaquants qui commencent à s’éloigner.
Un processus semblable est suivi au moment de l’attaque d’un aérodrome. Dans le cas d’une confrontation navires-navires, il y a de bonnes chances que l’un des deux camps — le plus souvent les Japonais en raison de leur habileté tactique et de la longue portée de leurs torpilles — profitent de l’effet de surprise. La surprise permet à un camp de tirer ses torpilles en premier. Les Japonais profitent également d’un bonus de surprise durant les combats de nuit, auxquels ils s’étaient spécialement entraînés.
S’ensuit un combat croisé classique entre vaisseaux de surface, finement géré par le moteur de jeu. Le joueur peut fixer à l’avance le niveau d’engagement de sa flotte, ce qui déterminera les possibilités d’esquive et l’intensité du combat. Le gagnant d’une bataille navale est celui qui provoque le plus grand nombre de navires coulés, en flamme ou paralysés chez l’ennemi, l’égalité étant versée à l’actif du défenseur.
Une belle innovation apportée par la dernière mise à jour (version 1.6) concerne les effets du combat sur les formations navales. Chaque escadre peut recevoir jusqu’à 4 points de désordre, qu’elle pourra réduire graduellement au rythme de 1 point par tour. Le désordre interdit à une formation de se porter au contact de l’ennemi, l’empêche de se combiner avec une autre escadre et lui impose un malus (test de surprise et précision des tirs) si l’ennemi la contraint au combat.
Les dommages sont nettement plus sévères lorsque des torpilles sont en jeu, et ils sont carrément dévastateurs si les projectiles s’abattent sur des appareils au sol ou en voie de décollage sur un porte-avions. Il en découle une règle tactique primordiale : partout où vous avez des avions, ils doivent être en vol lorsque l’ennemi atteindra vos positions. Le délai de réaction peut être très long (jusqu’à une quinzaine de phases d’action) si les vagues d’attaquants sont détectées par un poste de surveillance côtière situé sur leur parcours. Mais il peut s’avérer microscopique (jusqu’à 0 minute !) si les pilotes ennemis parviennent à échapper à vos reconnaissances. Sachant qu’il faut au minimum deux phases d’action (40 minutes) pour faire décoller les aéronefs et que la congestion s’installe vite sur la piste d’envol, laisser vos avions au sol dans l’attente d’un signalement ennemi les expose à une conflagration mortelle.
Objectifs déroutants
Les conditions de victoire mettent l’accent sur la destruction des porte-avions ennemis (jusqu’à 25 points de victoire par unité) plutôt que des navires de ligne (6 points seulement pour un cuirassé). D’un point de vue opérationnel, les conséquences de l’élimination d’un porte-avions sont plus graves encore : non seulement on se débarrasse d’une bonne partie des avions qu’il embarquait (car certains pourraient se reloger sur un autre porteur), mais on prive l’ennemi de sa force de frappe.
Quelques capacités du moteur de jeu
- Une formation de surface qui désire éviter le combat a de meilleures chances de réussir si sa vitesse est supérieure à celle de l’escadre ennemie et si elle a été la première à détecter la présence de l’autre.
- Chaque catégorie de navires au sein d’une formation tend à privilégier certains types de cibles ; par exemple, la moitié des tirs des destroyers et des croiseurs légers sont destinés à leurs vis-à-vis, tandis que les cuirassés consacrent un sixième de leur puissance de feu aux porte-avions et transports ennemis.
- La possibilité de changer de cible au cours d’un raid aérien dépend de la qualité des transmissions radio, qui se dégradent avec la distance.
- Les hydravions basés sur les côtes ou sur les gros navires effectuent des reconnaissances automatiques.
- Les modèles d’avions disponibles évoluent avec le temps, selon les seuils technologiques historiques.
- Le risque de dommages augmente en flèche sur un porte-avions touché par une bombe si des appareils sont présents sur le pont.
- L’IA japonaise laisse derrière les navires paralysés afin de ne pas ralentir les formations.
Il est vrai que l’empêchement d’un débarquement ennemi sur un hexagone côtier peut rapporter gros (de 10 à 20 points dans plusieurs scénarios). Cette tâche est cependant très difficile à accomplir puisque l’IA ennemie fait en sorte de débarquer ses troupes de nuit, alors qu’elle profite de la surprise. Qui plus est, les convois de transport sont souvent protégés par une puissante armada. Si un joueur se précipitait pour détruire cette flotte avant la nuit, il ne pourrait le faire qu’avec l’aide de ses propres porte-avions, qui se trouveraient vite repérés et mis à mal par ses vis-à-vis nippons.
Il faut donc prendre ses distances avec le libellé des objectifs de mission. Si on vous dit d’empêcher les transports japonais d’accoster à tel endroit, lisez plutôt « profitez de ce déplacement annoncé de l’ennemi pour repérer et éliminer ses porte-avions, et éventuellement le reste de sa flotte ». C’est aussi ce que cherchent à faire les Japonais pilotés par l’IA, et c’est ce qui s’est passé durant la première phase de la guerre du Pacifique : les belligérants ont utilisé le prétexte des mouvements opérationnels ennemis pour tenter de détruire son potentiel aéronaval et ainsi acquérir la suprématie en mer.
Manœuvres aéronavales
Nous voici au cœur de la difficulté du jeu : quoi faire, finalement, avec les avions ? Tant que vous n’avez pas localisé les porte-avions ennemis, vous n’avez pas le choix : il faut envoyer jusqu’à la moitié de vos appareils en reconnaissance dans les secteurs de provenance probable de l’ennemi, pendant que vos meilleures unités de chasse patrouillent en cercle au-dessus de leur base. Les aérodromes doivent être laissés sans appareils au sol, pour éviter leur destruction en cas d’attaque, et vos propres porte-avions doivent être placés en retrait. Si jamais l’ennemi découvre vos porteurs avant que vous ne repériez les siens, vous êtes dans le pétrin. Vous encaisserez les attaques aériennes japonaises sans pouvoir réagir efficacement et perdrez graduellement tout ascendant sur l’ennemi.
Pour jouer le rôle du chat plutôt que celui de la souris, envoyez vos appareils en reconnaissance profonde et observez de quelle direction proviennent les avions surgissant de la mer. De petits détachements de destroyers, plus rapides, peuvent ratisser le paysage pour à la fois détecter les mouvements de surface de l’ennemi et attirer sa voilure. Le jeu facilite la réorganisation des flottes dès lors que les navires se trouvent dans le même hexagone. Il offre aussi une fonction de pilotage automatique vers un hexagone précis, vous permettant de concentrer votre attention sur la gestion des décollages.
Les avions basés à terre vous aideront à laminer la chasse adverse venue attaquer vos aérodromes dès le premier jour, après quoi ils risquent de disparaître sous les coups des cuirassés ennemis qui s’approcheront pendant la nuit. Une telle perte n’est pas spécialement douloureuse quand on sait que les aérodromes avancés finissent vite par manquer de carburant. La précaution la plus utile à cet égard est de ne garder en aérodrome que les avions incapables d’appontage.
Bonne pioche
CBfG possède un habillage graphique épuré, fonctionnel et plutôt attrayant, partagé par bon nombre de jeux de stratégie sur tablettes beaucoup moins ambitieux. Son moteur gère avec subtilité les interactions entre les divers types d’armements présents dans les combats aéronavals de la période 1942-1943 dans le Pacifique sud. Quelques aspects ont forcément été simplifiés ou mis de côté, comme certaines nuances entre les différents modèles d’avions (ils volent tous à la même vitesse) ou l’impossibilité d’interception des raids ennemis à un point donné de leur parcours. De telles imprécisions paraissent néanmoins excusables dans un jeu de gestion de ressources aériennes à l’échelle opérationnelle.
Le jeu est déjà fort substantiel en comparaison des autres titres du catalogue iPad. Cela n’empêche pas le développeur Cyril Jarnot [http://cbfg.xooit.org] de sonder sa clientèle d’usagers pour savoir quelles améliorations pourraient amener CBfG quelques pas plus loin. Les deux seuils majeurs qu’il lui reste à gravir sont la possibilité de jouer contre un adversaire humain (via serveur) et la programmation d’une IA américaine permettant d’endosser les couleurs du Japon. Avec ces deux modifications structurelles, Carrier Battles for Guadalcanal entrera dans la catégorie sélecte des bons jeux de stratégie guerrière toutes plateformes confondues.
Carrier Battles for Guadalcanal
Une leçon d'aéronavale
en quelques scénarios
- +Mise en scène progressive de la bataille navale de Guadalcanal.
- +Modélisation efficace de la gestion opérationnelle des actifs aériens.
- +Valorisation pertinente de l’arme aérienne.
- +Interface très bien conçue.
- +IA sagace.
- +Évolution continue du jeu.
- +Version française intégrale.
- -Absence (pour le moment) de mode multijoueur et d’accès au camp japonais.
- -Effacement des enjeux terrestres.
- -Quelques défauts de jeunesse (en cours de correction).
- -Tourne sur iPad 3 (mars 2012) ou mieux.
- Moet le wargameur québécois, pisteur de jeux de stratégie historiques, testeur de wargames
- "La route d'Auschwitz fut construite par la haine mais pavée d'indifférence." lan Kershaw