Info sur le jeu |
Plateforme
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ÉditeurElectronic Arts |
DéveloppeurDICE |
Date de sortieNovembre 2018 |
Battlefield V
Qu’est-ce qui fait un bon Battlefield ? Je me suis posé la question en jouant à Battlefield V. C’est qu’après une décennie de transformation par Electronic Arts qui désirait avoir son champion à opposer aux ventes monstrueuses de Call of Duty, la série a beaucoup changé.
Seize ans après le mythique Battlefield 1942, on en revient donc aux bases. Aux vraies, cette fois : la Seconde Guerre mondiale. Et on y revient à un moment où les jeux de tir multijoueur décident de s’y remettre, après une période presque entièrement consacrées aux conflits contemporains ou futuristes : Battlefield V arrive entre Battalion 1944, Enlisted, Hell Let Loose, Call of Duty WW2 (encore lui !) ou encore Post Scriptum.
Pressentant le sentiment de réchauffé face à une masse de joueurs qui ont déjà vécu et revécu un bon millier de fois l’opération Overlord, Market-Garden et la bataille des Ardennes, DICE a pris une décision.
Une décision audacieuse, inattendue venant d’un éditeur habitué à chanter les louanges de l’armée américaine jusqu’à l’écœurement : Battlefield V veut montrer les passages moins connus du dernier conflit mondial. Les histoires qu’on n’a pas l’habitude d’entendre, les batailles que l’on a peu ou pas vues à l’écran, que ça soit celui d’un cinéma ou d’un ordinateur. En soi, c’est louable.
Cette volonté a été exprimée dès le début, et ce nonobstant la communication absolument catastrophique du jeu, qui a eu la pire idée du monde en choisissant comme trailer de lancement une séquence de jeu qui, certes, regroupait en moins de deux minutes toutes les nouveautés du jeu, sauf qu’elle les entassait dans un gloubli-boulga frisant le malsain et qu’on qualifiera pudiquement de bordélique.
Sept mois et une sortie décalée de trente jours supplémentaires plus tard, afin d’éviter l’explosion en vol avec une sortie initialement prévue entre Call of Duty et Red Dead Redemption 2, qu’est-ce qu’il vaut ?
Les petits oubliés de l'Histoire
Entre temps, DICE n’a pas chômé. Le jeu a été peaufiné (et il en avait rudement besoin), son image a été replâtrée tant bien que mal, notamment avec le départ de deux des têtes pensantes de DICE, dont celle qui traitait les joueurs d’imbéciles incultes, et bon nombre de bugs ont été corrigés.
Le temps que le jeu finisse d’être téléchargé, qu’est-ce que peut me raconter le solo ? Il est découpé avec le même système d’histoires de guerre que Battlefield 1, chaque acte étant consacré à un personnage différent. Après le prologue, on nous met donc dans les bottes de Solveig, une résistante norvégienne. Puis dans celle de Deme, un tirailleur sénégalais. Et dans celle d’un repris de justice britannique qu’on a sorti de sa cellule pour une mission-suicide en Afrique du nord.
Nda : le présent test est rédigé avant la sortie du dernier chapitre, ajouté le 5 décembre et qui est consacré à un personnage allemand, un chef de char Tigre et son équipage, dans les derniers jours de la bataille en Rhénanie.
Ça, j’avoue que ça me surprend. Je m’attendais à une énième ode à la gloire virile des Marines ; à la place, on me sert le récit d’une résistante norvégienne qui cherche à perturber l’Uranprojekt, une des nombreuses entreprises du régime nazi qui cherchait à mettre au point une arme nucléaire. On s’infiltre donc dans les montagnes glacées et on empêche les affreux teutons de mettre la main sur le deutérium tant convoité : bon, c’est vrai que l’infiltration est toujours aussi bancale et que le jeu me hurle littéralement à la figure qu’il n’a pas été conçu pour ça, mais enfin, l’idée est là.
Pareillement avec ce voyou anglais à qui on donne le choix entre le mitard à vie, et la gloire au sein des commandos anglais à qui on demande de saboter tout un tas d’installations de l’Afrika Korps.
Et qui aurait pu supposer un jour de voir un dernier acte consacré aux troupes coloniales françaises, connaissant la francophobie plus ou moins latente d’EA ? Moi, je n’aurais pas mis un euro dessus. Toujours est-il que Tirailleur rend donc hommages aux Sénégalais engagés dans la France Libre et débarqués en Provence en 1944.
Là encore l’initiative est bienvenue : il est vrai que sans les troupes venues des colonies, la France n’aurait certainement pas pu prendre une telle part à l’effort de guerre, et oui, comme s’applique à le rappeler la narration, les troupes coloniales n’étaient pas aussi bien considérées que les métropolitains. Ça n’empêche pourtant pas le jeu de persifler en affirmant que « on a été meilleurs que les meilleurs soldats français ! » histoire de brocarder quand même grassement l’armée française (je vais finir par croire que c’est dans leur cahier des charges), et surtout en insistant bien fort sur le racisme séparant les troupes blanches et celles de couleur.
De deux choses l’une : le problème n’est pas dans cette affirmation (ca n’est plus à démontrer que les troupes métropolitaines étaient privilégiées par rapports aux soldats coloniaux) ; mais il est en revanche dans la manière dont elle est présentée, faisant des Français un énorme ramassis de racistes comptant uniquement sur le sang colonial pour se battre, alors que ce traitement, si malheureux soit-il, était celui réservé alors à TOUTES les troupes de couleur, dans toutes les armées occidentales, et donc pas exclusivement dans l’Hexagone. Allez donc demander à un vétéran des troupes pakistanaises enrôlées par les Britanniques ce qu’il en pense, ou aux soldats noirs de l’armée américaine qu’on parquait dans des unités spécialisées et qu’on effaçait des photographies officielles.
Hormis ce couac, les récits de guerre de Battlefield V restent une expérience intéressante : ça ne vous occupera pas plus de quelques heures, mais ça permet de se faire la main et d’entendre des histoires qui changent agréablement des standards auxquels on est habitués dans les jeux vidéo.
À l'Ouest, du nouveau
Revenons donc au plat de résistance : le multijoueur. Conformément à la volonté d’EA qui souhaite assurer le suivi de son jeu grâce à un système nommé « Sentier de Guerre », qui vise à proposer une progression chronologique du conflit, les huit cartes du jeu de base sont basées sur les premières batailles de la dernière guerre mondiale.
Nous sommes donc en 1940, à l’époque où l’Allemagne écrase son énorme poing blindé sur l’ouest de l’Europe, après avoir vaincu la Pologne. Cela nous donne deux cartes lors de l’invasion des Pays-Bas ; deux autres pour la campagne de Norvège et la bataille de Narvik ; deux pour la bataille de France, prélude à l’opération Dynamo, et deux dernières en 1941, alors que la guerre du désert a commencé.
Sept ans après Battlefield 3, les développeurs se sont –enfin- décidés à remettre au cœur du jeu le teamplay : dorénavant, celui-ci est bien plus gratifiant et récompense beaucoup plus le joueur soucieux de son camp que le loup solitaire. Les actions d’équipe comme les réapprovisionnements et les réanimations sont bien plus récompensées, comme les objectifs de groupe.
Les réanimations, d’ailleurs, sont changées : dorénavant, tout le monde peut ramener à la vie un collègue mis à terre. Mais, le Médecin le fera beaucoup plus vite que tout le monde.
Afin d’inciter le joueur à se servir des capacités spéciales de sa classe, celles-ci ont été pensées pour être complémentaires, d’autant que chacune dispose de deux sous-spécialisations pour affiner vos personnages.
Ainsi, l’Assaut est le seul à pouvoir attaquer les blindés, contre lesquels les autres classes sont presque entièrement impuissantes. Le Médecin pourra réanimer beaucoup plus vite que les autres et distribuer des caisses de bandages ; l’Éclaireur peut poser des pièges et surtout marquer les adversaires sur la carte, ce qu’il est le seul, maintenant, a pouvoir faire. Et le Soutien ? Eh bien, le Soutien va bien, merci pour lui. Il porte toujours les lourds fusils-mitrailleurs, mais surtout, il peut dorénavant fortifier le champ de bataille mieux que les autres.
Grosse nouveauté de cet opus, ce système de fortifications permet de renforcer certaines zones détruites par les combats, ou peu adaptées à la guerre. Vous devez défendre une ferme ? Vous allez pouvoir creuser des tranchées, poser des sacs de sable, installer des barbelés, et construire des dépôts de munitions, de soins et des postes de réparations. À des emplacements prédéfinis, évidemment ; mais ils sont intelligemment placés et permettent agréablement de renforcer l’immersion du jeu. Les couverts ainsi apportés peuvent réellement faire la différence et permettre de tenir une position autrement indéfendable.
Et afin de renforcer son rôle, seule la classe Soutien peut construire certains éléments, comme des mitrailleuses fixes, des canons antichars ou autres (il en sera ajouté d’autres au fur et à mesure).
Non seulement les quatre classes de soldats sont donc bien plus utiles, mais la coopération entre les joueurs est maintenant encouragée par un autre système qu’on a appelé « usure » : dorénavant, chaque joueur réapparaît avec légèrement moins de points de vie qu’auparavant, un kit de soin (à usage unique), et moins de munitions. Il devient alors central de rester avec les alliés et de solliciter leur aide, puisque le loup solitaire va se retrouver rapidement à court de balles et de soins, d’autant que ce montant est conservé lors des réapparitions.
Globalement donc, la polyvalence à outrance de Battlefield 3 et ses successeurs n’a plus lieu d’être, ce qui est particulièrement bienvenu. Les joueurs solos ne sont pas punis pour autant, mais les joueurs coopérant entre eux sont bien plus récompensés. Tout est fait pour aller dans cette direction ; ainsi le système de Compagnie rassemble vos amis dans une même escouade et le mode coopératif à quatre, prévu pour le mois de janvier, ira aussi dans ce sens.
L’infanterie, c’est bien, mais c’est encore mieux si vous l’assaisonnez de monstres blindés ! Du côté des véhicules, on retrouve donc un parc assez complet, caractéristiques des deux factions représentées (les Britanniques et les Allemands), auxquelles s’ajouteront de nouvelles, en tout cas on l’espère.
Le char Tigre était un passage obligé, même si aucun d’entre eux n’a jamais vu les combats de 1940 ; mais c’est aussi l’occasion d’y voir les chars 38T, Churchill, les bombardiers Blenheim et Ju88, autant de belles machines qu’on voit relativement peu et que nous pourrons bientôt customiser à partir de début décembre.
Chacun d’eux est fidèlement modélisé et restitue une bonne impression de puissance brute qui fait la différence dans le feu de la bataille, lorsque les tirs de traçantes et d’artillerie volent.
Et pas uniquement des obus : dorénavant, le chef d’escouade peut appeler des renforts une fois que le montant de points requis a été marqué par son équipe : un largage de ravitaillement, un véhicule spécial à la base, voire un missile V1 (ou son pendant britannique, et, oui, ces armes n’ont jamais été conçues pour le combat direct, mais enfin fermons les yeux) qui ravage tout à l’impact et vous jette à terre.
La guerre en plusieurs manches
Enfin, Battlefield 1 a laissé sa marque : son mode Opérations a été particulièrement apprécié et est de retour ici, pour des batailles plus longues mais de plus grande envergure, qui se déroulent sur plusieurs jours, en plusieurs modes de jeu et donc les résultats vont influer sur la suite de la partie en conférant certains avantages comme des tickets supplémentaires ou des points de réapparition à un camp.
Le mode Lignes de Front a été aussi conservé, et s’adapte à merveille au nouveau système de fortifications. On retrouve les classiques comme Conquête et Match à mort, mais également un tout nouveau, le mode Invasion Aérienne, dans lequel vous devez vous parachuter sur les défenses ennemies et en détruire les canons, afin de pouvoir poursuivre la bataille. Particulièrement immersif, ce mode est l’occasion d’exécuter des parachutages à la Medal of Honor : Airborne suivis de mêlées sanglantes.
DICE a annoncé qu’avec son système de Sentier de guerre, des mises à jours régulières vont ajouter toujours plus d’éléments cosmétiques, de cartes, d’armes, de véhicules, probablement de factions (on croise les doigts pour), de modes de jeux. C’est ce qui décidera de la véritable valeur du titre sur le long terme, et pour le moment, on tient là une excellente base.
Quand vous lirez ces lignes, la première de ces mises à jour sera arrivée. En attendant, chaque partie est le théâtre de nouvelles empoignades effrénées dont on ressort presque haletant, assourdi par le vacarme de l’artillerie et aveuglé par les explosions et les traçantes. Battlefield a toujours su être époustouflant ; rarement mieux qu’avec cet opus il a su donner au joueur la volonté de vaincre avec son équipe.
Alors en fin de compte, qu’est-ce qui fait un bon Battlefield ? C’est la sensation d’être un soldat au milieu du champ de bataille. Et l’objectif est atteint : le champ de bataille est surprenant, en bien et en mal.
Battlefield V
Entre rénovation et réhabilitation
- +Les sensations de tir, excellentes
- +L’accent remis sur la coopération et le jeu d’équipe, enfin récompensés
- +Le système de fortifications bien pensé
- +De nouveaux théâtres d’opérations
- +La puissance des véhicules
- +La personnalisation des soldats et du matériel
- -Un peu plus de véhicules aurait été bienvenu, nous parlons de Battlefield tout de même
- -Quelques bugs résiduels, on croise les doigts pour qu’ils soient rapidement corrigés
- -Grosses incohérences historiques
- -Encore quelques équilibrages à faire
- -Huit cartes pour commencer, c’est un peu léger
Graphisme
Difficile de reprocher quoi que ce soit à DICE de ce point de vue : le monstrueux moteur Frostbite fait toujours des merveilles, affichant des textures détaillées, des effets de lumières et des particules bluffantes. On atteint des sommets de photoréalisme.
Jouabilité
Battlefield V se repose sur un modèle d'accessibilité et d'ergonomie patiemment mis au point au cours des derniers épisodes de la série ; l'accent remis sur le jeu d'équipe donne un nouveau souffle et permet de se sentir réellement utile. Il prend une toute autre dimension quand vous jouez entre amis, et dorénavant, le travail d'équipe est un élément central qui décide invariablement de la victoire ou de la défaite.
Ambiance
Bien que l'action effrénée et sous acide du combat soit un peu trop surexcitée, l'ambiance est assez soignée. On peut apercevoir les escadrilles de bombardiers qui survolent Rotterdam, les formations de panzers qui passent au loin dans les campagnes d'Arras ou les tirs de l'artillerie. Les parties sont souvent introduites par un narrateur qui présente l'enjeu de l'affrontement meurtrier auquel on participera.
Technique
Alors qu'il est pratiquement traditionnel que chaque sortie de Battlefield soit une véritable foire aux bugs et à l'optimisation technique douteuse, ça n'est pas le cas ici. Le jeu était déjà tout à fait propre sur la bêta ayant eu lieu fin août ; et le mois supplémentaire accordé aux développeurs a visiblement été salutaire pour arrondir les angles et nettoyer dans les coins.
Durée de vie
Gargantuesque. Pas celle du solo évidemment ; mais le multijoueur a le potentiel pour vous attirer pendant des dizaines d'heures en proposant toujours plus de contenu à débloquer, d'armes, d'apparences d'armes, d'uniformes, sans parler du contenu à long terme qui sera enrichi.
Scénario
Il n'y en a pas à proprement parler ; mais on peut souligner une dernière fois cette volonté inattendue et bienvenue de s'intéresser aux premières batailles du conflit, ce qui est excessivement rare dans ce domaine.
- Cernunnos Testeur, Rédacteur
- "Messieurs, c'est une plage privée! Je crois que nous dérangeons!" - Un officier britannique sur Sword Beach