Battlefield V : Nos impressions sur les récits de guerre
Il y a deux jours, DICE et EA ont dévoilé le trailer présentant la campagne solo du prochain Battlefield. Nous étions présents à la journée presse de Paris et nous avons ainsi pu tester diverses missions de ces « récits de guerre ».
Cet article a pour vocation de vous présenter nos impressions, accompagné d’une vidéo présentant du gameplay pour chacun des différents récits présents dans Battlefield V, prologue et épilogue exclus.
La vidéo a été capturée sur une version PC « pré-finale » de Battlefield V présentant quelques glitchs, bugs, ralentissements et autres soucis d’optimisation. Les développeurs en ont conscience et travaillent activement à leur correction qui devrait intervenir d’ici la sortie finale du jeu. Aussi, merci de garder cela à l’esprit lorsque vous visionnerez la vidéo. Ce n’est PAS le produit final.
« Back to basics »
Pour commencer, qu’est-ce qu’un récit de guerre ? DICE et EA, depuis Battlefield 1, ont fonctionné sur la base de ce modèle pour alimenter leur campagne solo. Leur idée et leur ambition, c’est de s’intéresser à des histoires à échelle humaine, en général méconnues, pour développer des récits touchants et les replacer dans le contexte global de la guerre totale.
Une démarche qui présente ses intérêts, mais également des limites. Côté intérêts, comme nous l’avons souligné, ce mode opératoire permet de mettre en avant des théâtres d’opérations secondaires souvent négligés dans le jeu vidéo (Gallipoli et le front des Alpes avec les Italiens et l’Autriche-Hongrie dans Battlefield 1 notamment). La démarche est ainsi à saluer. À l’inverse, cela induit une limite majeure : celle de présenter certaines incohérences (parfois grossières), et de passer à côté de fronts majeurs qui sont totalement, mais volontairement, oubliés. Vous voyez sans doute à quoi je fais référence du côté de Battlefield 1.
Interrogé à ce sujet, Bernd Diemer, Creative Director pour le studio suédois, rappelle la volonté de développer des récits profondément humains et des personnages attachants qui viennent s’imbriquer dans un contexte de guerre mondiale. Ainsi, dans Battlefield 1, pas de campagne française à Verdun, mais dans Battlefield V, pas de campagne américaine non plus !
Exit les Omaha Beach, Stalingrad et autres batailles majeures, ultra connues et déjà traitées à moult reprises par l’univers vidéoludique. Place à des terrains secondaires. Aussi, il faut bien l’admettre, DICE est imprévisible, tout en étant cohérent dans sa démarche : Battlefield V sortira sans les Américains mais les Français y sont. Le monde à l’envers pourrait-on penser d’une certaine façon.
Le contenu du solo passé à la loupe
Battlefield V nous propose 4 récits de guerres, en plus d’un prologue :
PROLOGUE :
Nous ne sommes pour l’heure pas autorisés à divulguer quoique ce soit à son propos, mais nous nous permettons de vous dire qu’il est aussi réussi et intense que celui de Battlefield 1 l’a été ! Le mode solo présentant des éléments de scénario, on peut comprendre que DICE souhaite limiter les fuites le concernant.
NORDLYS :
C’est le premier récit de guerre jouable. Il était disponible dans sa totalité et présente l’histoire d’une résistante norvégienne, Solveig, qui lutte contre l’occupant allemand en 1943. Sans grande surprise, l’eau lourde est au centre de l’Histoire et Nordlys présente également l’intérêt de mettre en lumière le conflit moral qu’ont pu ressentir certains officiers allemands au moment d’occuper la Norvège.
Nordlys fait la part belle à l’infiltration et à la discrétion et le moteur graphique Frostbite crache tout son potentiel pour nous éblouir avec les merveilleux paysages norvégiens.
Autre possibilité sympathique offerte par ce récit, celle de pouvoir utiliser des skis. Tracer dans la poudreuse entre les patrouilles allemandes et éviter les tirs a un petit côté jouissif sortant d’un James Bond, il faut bien l’admettre.
UNDER NO FLAG :
Second récit de guerre, Under No Flag a également un côté infiltration, mais une tonalité différente par rapport à Nordlys. Il met en avant l’histoire du Special Boat Service (SBS) créé par Churchill en 1941.
L’idée, c’était de monter des unités de commandos opérant à très large niveau d’autonomie derrière les lignes ennemies pour mener des opérations de harcèlement et de déstabilisation. Pour ce faire, Churchill estima, à raison sans doute, qu’il fallait des hommes aux qualités différentes de celles de l’armée régulière. On alla donc en chercher certains…dans les prisons ! Des vauriens qui servent le drapeau et le roi pour se racheter une conduite... Forcément, humour noir et grivoiseries sont au rendez-vous dans un esprit « têtes brûlées ».
À l’inverse de Nordlys, ce scénario n’était pas jouable dans sa totalité et nous n’avons pu tester que la première mission qui nous offre la possibilité de nous infiltrer en Afrique du Nord dans une base de la Luftwaffe pour saboter des Ju.87 Stuka.
Under No Flag, sans être forcément ultra original, a toutefois le mérite de mettre en avant le SBS, bien moins connu que le SAS par le grand public.
TIRAILLEUR :
C’est sans doute LE récit de guerre le plus attendu par les joueurs français. « Tirailleur » vous place dans la peau du tirailleur sénégalais Deme Cissé, qui découvre la métropole française en 1944 dans le cadre de l’opération Anvil Dragoon : le débarquement de Provence.
Alors oui, ça reste bourré d’incohérences dont certaines, majeures, feront bondir les historiens les plus exigeants de leurs sièges. Toujours est-il que l’on a notre campagne française, mettant en valeur l’engagement des troupes coloniales. Alors ne boudons pas notre plaisir. Sorte de « pardon » de EA et DICE vis-à-vis du traitement réservé à la France à la sortie de Battlefield 1 ? Peut-être. Toujours est-il que « Tirailleur » nous propose une magnifique narration, prenant parfois des accents du film « Indigènes ».
Alors oui, tout n’est pas parfait, loin s’en faut…mais écoutez : Débarquement de Provence + troupes coloniales françaises… dans un Battlefield sur la Seconde Guerre mondiale… alors qu’il n’y a aucune campagne américaine dans le jeu… Même si le traitement historique soulève de nombreuses questions, nous nous en contenterons pour l’heure !
THE LAST TIGER :
Mais ce n’est pas tout ! Après le choix intéressant de cette opération méconnue et pourtant importante que fut Anvil Dragoon, DICE et EA prolongent le plaisir et franchissent enfin le cap avec une campagne allemande !
Dans « The Last Tiger », vous incarnez le chef de char Peter Müller qui commande un Tigre. Ce récit de guerre est encore peaufiné par EA à l’heure actuelle et nous n’avons donc pas pu y jouer. Mais des quelques images visibles, il semblerait que l’action se concentre dans la Ruhr en 1945 face aux Américains, qui seront donc présents... en tant qu’antagonistes !
Le récit de guerre met également en évidence la situation compliquée et le durcissement du Reich dans les derniers instants de la guerre, avec notamment le recours à l’enrôlement de très jeunes hommes dans le Volkssturm.
Il aura donc fallu attendre le centenaire de la Grande Guerre pour qu’un éditeur de jeu AAA accepte de franchir le pas et prenne le risque de nous offrir une campagne allemande : là encore, ne boudons pas notre plaisir.
Nos impressions
Première chose frappante : les choix risqués et originaux fait par EA et DICE sur cet opus.
En effet, les récits de guerre visent à faire découvrir quelque chose de nouveau, de différent et de relativement inédit par rapport au traitement habituel fait de la Seconde Guerre mondiale dans le jeu vidéo. Si dans Battlefield 1, cela avait mené à la fâcheuse conséquence de ne pas avoir droit à une campagne française, dans Battlefield V en revanche, cela débouche sur de nombreuses bonnes surprises : campagne française se concentrant sur les troupes coloniales et sur une opération relativement méconnue, mais aussi campagne allemande.
De plus, le personnage de Solveig, résistante norvégienne que vous incarnez dans le scénario Nordlys est un exemple parfait d’intégration réussie d’un personnage féminin sans pour autant venir heurter la cohérence historique. Solveig est forte, attachante, et surtout plausible sur le plan historique. C’est donc un grand « oui » pour nous.
Comme quoi, c’est possible de faire quelque chose qui respecte l’Histoire tout en mettant en avant la valeur de l’engagement et de la contribution des femmes... On dit ça, on ne dit rien... Nous pourrions nous retrouver rapidement placés au pilori et taxés de sexisme avec de tels propos tenus en 2018 !
Toujours est-il qu’il semblerait que DICE a mis de l’eau dans son vin et que des progrès aient été accomplis par rapport à l’immense frayeur qu’avait pu générer la bêta ou les premiers trailers de Battlefield V dans nos rangs. Au niveau des armes, en solo, on retrouve les classiques Karabiner et autres MP40 et Lee Enfield, sans optiques fantaisistes pour la plupart. Les récits de guerre offrent une ambiance et une atmosphère qui nous font sentir dans la Seconde Guerre mondiale et qui, à défaut d’être purement authentique, loin s’en faut, reste relativement cohérente, toutes proportions gardées.
Néanmoins, malgré ces efforts notables, remarqués et salués comme il se doit, le traitement de l’Histoire fait par Battlefield V reste par moment problématique. Des erreurs et des incohérences, dont certaines sont majeures, sont aisément repérables, ça et là. Si elles ne gâchent pas l’expérience de jeu et l’excellente jouabilité du titre et du solo, elles restent néanmoins regrettables car elles auraient pu facilement être évitées.
Prenons un exemple marquant qui illustrera fort bien le propos et qui risque de satisfaire le camarade Witz : lors de la première mission de la campagne « Tirailleur », vous commencez le jeu équipé d’un Chauchat, premier fusil mitrailleur français moderne datant de la Grande Guerre. L’idée de DICE, c’est de montrer que les troupes coloniales étaient parfois mal équipées et manquaient de tout, devant combattre face à des ennemis mieux dotés en armement.
Cela semble se tenir…sauf que : en 1944, les troupes coloniales sont relativement correctement équipées, et quand bien même, un Chauchat en Provence semble hautement fantaisiste. Pire encore, en Provence, ce sont les défenseurs allemands de la XIXème armée, dégarnis de leurs meilleures unités envoyées en Normandie qui sont moyennement bien équipés et principalement composés de troupes étrangères.
Une autre solution aurait donc pu être trouvée par le développeur pour faire ressentir ce manque de matériel et de logistique au joueur. Une solution qui respecte les canons de l’Histoire. Et qu’on ne me dise pas que c’est hors de portée d’un studio disposant de la compétence, de l’expérience et des moyens de DICE…
Pour certains, ce genre de détail ne sera pas choquant et vous aurez peut-être l’impression que nous chipotons, mais toujours est-il que cela est fort dommage au final. En effet, ces incohérences impactent négativement et ternissent les bonnes idées et les choix initiaux très intéressants des développeurs. Sans aller jusqu’à totalement gâcher l’expérience de jeu, cela nous fait parfois quelque peu sortir de l’immersion, et c’est bien dommage car Battlefield V regorge de bonnes idées et son potentiel peine parfois à être pleinement exploité.
Hormis ces incohérences « frappantes » pour l’amateur d’Histoire, d’autres seront sans doutes plus nombreuses au niveau du choix de modélisation de telle cartouchière ou de telle gourde. Personnellement, c’est aller bien trop loin à mon avis que d’être révulsé par ce titre pour des raisons si futiles. Revenons à l’essentiel et ne l’oublions pas : la France est représentée en bonne place, même si son traitement est imparfait. Nous saurons pour l’heure nous en contenter, surtout dans un jeu grand public et à une époque où « accessibilité » est synonyme de « simplification ».
Le point qui suscite en revanche davantage d’interrogation tourne autour de la durée de vie de ces récits de guerre. Dans Battlefield 1, nous avions des récits très courts, rapidement bouclés, à la rejouabilité inexistante et qui donnaient vraiment l’impression de constituer un tutoriel et un démonstrateur pour le mode multijoueur.
Cette impression est bien moins prégnante en ce qui concerne les récits de guerre de Battlefield V. Ils semblent offrir une durée de vie et une rejouabilité légèrement plus importantes que ne pouvaient l’être ceux du précédent opus. De là à justifier un investissement à eux seuls ? Nous ne vous le conseillons pas… Les récits de guerres de Battlefield V sont bien écrits et intéressants, mais leur durée de vie ne dépassera probablement pas les 15 heures de jeu.
À ce sujet, Bernd Diemer précise que la durée de vie dépendra pour beaucoup du choix de style de jeu des joueurs, notamment dans les missions offrant une liberté d’action accrue et la possibilité d’être discret. En cherchant autant que possible à éviter le combat, vous progresserez plus lentement et savourerez davantage de durée de vie. Si la chose est possible dans « Nordlys » et dans « Under No Flag », elle reste en revanche impossible dans le premier chapitre de « Tirailleur ».
Par ailleurs, la structure des niveaux offre plus de liberté au joueur sur la façon avec laquelle il va accomplir ses objectifs, bien que l’on reste parfois dans certaines portions dans un couloir scripté qui limite le libre-arbitre du joueur. Certains moments du solo ressemblent carrément à des matchs de multijoueur, avec la capture d’un drapeau et d’une position... Comme quoi paramétrer des bots ne semble pas être quelque chose de totalement inaccessible et pourrait être intéressant pour les joueurs « escarmouche » de l’ancienne école de Battlefield qui apprécie le mode conquête sans pour autant tomber sur des joueurs humains dont certains peuvent s’avérer être des vrais « cancers » en puissance.
Cela me permet d’effectuer une transition et une conclusion vers le mode multijoueur qui n’était pas présenté lors de cette journée presse. Il constituera sans doute le cœur du jeu. Aussi, nous espérons y retrouver les troupes coloniales françaises en « Day One », mais aussi quelque chose de moins fantaisiste que ce que nous avons pu voir durant la béta, car « possibilité de personnalisation offertes au joueur » n’est à notre humble opinion en rien synonyme de « WTF total ».
N’hésitez pas à regarder notre gameplay vidéo et à nous dire ce que vous avez pensé de cet article. Pour rappel, Battlefield V sera disponible le 20 novembre 2018.
- Zog Chroniqueur, Historien, Testeur, Youtubeur
- « Une Europe fédérée est indispensable à la sécurité et à la paix du monde libre. » par Jean Monnet en 1952