Démocratiser l'Histoire : Entretien avec Serge Tignères (Champs de Bataille - RMC Découverte)
Diffusé depuis maintenant plusieurs années sur RMC Découverte, l’émission « Champs de Bataille » a su se trouver un public de plus en plus large, tout en s’imposant comme une nouvelle référence du documentaire historique moderne. Au centre de cette démarche novatrice visant à faire revivre l’Histoire en se rendant sur les lieux de son déroulement, il y a un homme : Serge Tignères. Entretien avec celui dont le but est de rendre l’accès à l’Histoire plus simple, et plus intuitif.
Bonjour Serge, et merci de nous accorder cette interview. Première question, peux-tu te présenter et nous rappeler ce qu’est l’émission « Champs de Bataille » que tu animes sur RMC Découverte ?
Je suis Serge Tignères. Pour ce qui est de mon cursus, j’ai fait un doctorat en Histoire et sciences po. J’ai toujours été passionné d’Histoire, mais dans la partie imaginaire. Ce qui m’intéressait vraiment, c’était de raconter des histoires. Rêver l’Histoire différemment. Et « Champs de Bataille », c’est un programme que j’ai rêvé quand j’étais tout petit. C’est un rêve de môme qui veut vivre l’Histoire de l’intérieur. C’est comme ça que j’ai pensé et conçu « Champs de Bataille ».
À la base, ça s’est passé comment ? L’idée vous est venue dans quelles circonstances ?
J’ai écrit le programme tel que je me l’imaginais quand j’étais enfant. Enfin, presque. J’y ai rajouté les codes qui m’intéressaient. C’est-à-dire de l’immersion, des images de synthèse, de la réalité augmentée. On va beaucoup sur le terrain pour faire des images là où les opérateurs les ont faites. Donc on fait des « avant/après ». On se retrouve aux endroits là où ça a été filmé.
On a monté le dossier. On l’a présenté à RMC Découverte qui l’a accepté avec enthousiasme. Ils nous ont fait faire un pilote, puis une première saison qu’ils ont achetée. On est actuellement au 17ème épisode et dans la quatrième saison de « Champs de Bataille », avec encore six épisodes à faire. On part d’ailleurs à Pearl Harbor mercredi prochain (NDLR : il s'agit du mercredi 21 février).
Vis-à-vis de la timeline des épisodes, on se situe sur de l’Histoire contemporaine ?
C’est première et seconde Guerres mondiales, puisqu’on reste concentré sur cette idée de faire des « avant/après » et de se rendre sur les lieux, là où les opérateurs ont filmé. Cela nécessite des images d’archive. Après, on ne s’interdit pas de faire d’autres périodes, mais ça, ça viendra par la suite, dans un deuxième temps.
Vous avez parlé lors d’une conférence sur les nouveaux moyens d’explorer l’Histoire de « vulgarisation intelligente » et de « démocratisation de l’Histoire ». C’est l’ADN de « Champs de Bataille » ?
Oui. C’est complètement ça. C’est de la vulgarisation intelligente. Ça consiste à se placer au niveau du public et du spectateur pour lui permettre de s’approprier son Histoire et pour lui faire vivre une aventure sur le terrain. Alors, vulgarisation intelligente, ça a pu choquer. Il faut savoir qu’on est pas en train de dire que ce qui a été fait avant n’était pas intelligent. Moi, je parlerais vraiment de vulgarisation dans le sens où on essaye de faire en sorte que le public le plus large possible ait accès à nos programmes et à une véritable réflexion sur l’Histoire, en se réappropriant le patrimoine historique parce que mon intérêt à moi, c’est que les gens comprennent qu’ils font partie de l’Histoire.
Comme disait Bergson, « le présent c’est du passé qui grignote du futur ». Et donc tous les citoyens, tous les acteurs du monde sont des acteurs de l’Histoire. Donc l’intérêt, c’est qu’il y ait une réappropriation. Que les gens comprennent qu’ils font partie de ce grand mouvement historique. Ça, ça me semble primordial.
La démarche pour la résumer, ce serait de rendre l’Histoire plus simple sans la simplifier pour autant ?
Oui, c’est tout à fait ça.
Vous avez à plusieurs reprises lors de la conférence à laquelle vous avez participé tout à l’heure (NDLR : conférence table ronde sur les nouveaux explorateurs de l’Histoire) mentionné le fait de choisir dans vos émissions des intervenants qui vont en général à l’encontre d’une vision académique et traditionnelle de l’enseignement de l’Histoire. Ça passe par le recourt à des associations de reconstituants d’Histoire militaire ou encore à des passionnés d’Histoire qui vivent aujourd’hui sur les lieux des affrontements du passé, plutôt qu’à des historiens que je me permettrais de qualifier de « vieille école ». En France, cette vision académique et traditionnelle de l’Histoire, on l’associe souvent à un bonbon amer. Entre guillemet, ce choix que vous faites dans l’émission, est-ce-que c’est une façon de rendre l’Histoire plus attractive, plus « sexy » ?
C’est une façon de rendre l’Histoire sexy, oui. Moi, je n’ai pas recours à des historiens. En fait, tu as dit le bon terme, le côté « académique » ferme des portes et met en place des barrières, avec un système de langage qui va à l’encontre de la vulgarisation. Oui, c’est donc rendre sexy l’Histoire, comme je dirais que je la rends abordable, en fait. L’Histoire, ce n’est pas un placard qu’on ouvre et puis tout nous tombe dessus d’un coup avec des dates, des faits, des personnages...
Et je reviens sur cette idée fondamentale. C’est que l’Histoire a sa logique propre. Il y a une véritable logique. Ce n’est pas juste des dates et des personnages. Il faut que le public comprenne que la logique de l’Histoire, elle est abordable ! Et que l’on peut éclairer notre présent en regardant ce qui est arrivé par le passé. On peut en tirer des leçons, des expériences. C’est ça que je trouve ultra intéressant.
Vous mettez l’interactivité au centre du programme. C’est très immersif avec ce recours à des associations de reconstituants, à des images de synthèse, à des « avant/après », afin d’accrocher l’attention du spectateur. Pour ce qui est du format, on se situe dans quelle logique ?
Ça dépend. Ça peut être de 52 à 90 minutes. On est très libres avec ça vis-à-vis de RMC Découverte. Par exemple l’épisode sur Dunkerque était plus long que la moyenne. C’était prévu pour être 52 minutes, mais il a été plus long.
Ce parti pris de renier l’académisme sans pour autant s’écarter des sentiers battus de la véracité historique ne constituerait-il pas un risque vis-à-vis de la qualité du propos ? Y a-t ’il quand même un contrôle effectué sur ce que vont vous dire ces gens, qui ne sont pas des historiens de profession ?
Alors tout d’abord, les scénarios sont écrits et réalisés en allant chercher des sources historiques, y compris celles réalisées par des gens qui ont un discours académique. Donc l’historicité reste au cœur du programme. Elle est au cœur du programme malgré tout. À aucun moment on ne la renie, que ce soit partiellement ou totalement. Moi je veux prouver que l’on peut faire des programmes éminemment historiques sans pour autant tomber dans l’académisme, et tout en permettant aux gens de se les approprier. Les aborder de manière très simple, sans pour autant être simpliste.
D’accord. C’est intéressant et rassurant car vous l’avez dit sans le cacher, mais certains mouvements de reconstituants sont parfois affiliés à des milieux extrémistes sur le plan politique. Donc il n’y a clairement pas de place pour ceux-là dans votre émission. Elle reste objective et sans ligne politique ?
C’est une émission d’Histoire. Donc il n’y a pas de vérité unique en Histoire d’une certaine façon. Mais sur le contenu historique, tout est vraiment vérifié. Et ensuite, moi je me garde bien que le programme soit récupéré par des idéologues de tous poils. Je ne peux que constater et déplorer ce qui se passe dans une partie du monde de la reconstitution aujourd’hui, mais non, effectivement. Comme je l’ai dit tout à l’heure, ce n’est pas un programme militariste qui ferait l’apologie de la guerre. C’est un programme qui raconte ce qui s’est passé sur le terrain, en utilisant la plupart du temps des témoignages de soldats de l’époque ou de témoins que l’on arrive à interviewer quand ils sont encore vivants. Ou alors on reprend leurs écrits.
C’est un programme qui est centré dans une vision d’humanité, et qui s’intéresse à ce que les gens ont vécu durant ces grandes batailles connues ou méconnues. Idéologiquement, on reste bien évidemment complètement neutres.
Parlons un peu avenir pour finir. Vous en êtes à la quatrième saison et vous vous concentrez sur les deux guerres mondiales. Il vous reste encore pas mal de batailles à traiter sur ces deux guerres là, mais à long terme, vous ne vous interdisez rien ?
Non, on ne s’interdit rien. Après je ne te cache pas que pour l’heure on n’y a pas encore réfléchi parce qu’on est encore dans le flot de tout ce qu’il nous reste à faire sur la première et la seconde guerre mondiale. On essaye de faire un peu différemment à chacune des saisons et d’upgrader le programme. De faire en sorte de toujours le rendre meilleur. De le réfléchir et de le mettre en image différemment pour le rendre encore plus immersif et intuitif. Effectivement, après, on ne s’interdit rien sur des périodes un peu plus anciennes.
HistoriaGames tient à remercier Serge Tignères pour son amabilité et sa disponibilité. Le prochain épisode de Champs de Bataille qui sera prochainement diffusé sur RMC Découverte a été dévoilé lors du festival Historia, à Strasbourg. Il traitera de la bataille de Dompaire.