Info sur le livre |
Titre originalLe Middle Ground : Indiens, Empires et Républiques dans la région des Grands Lacs, 1650-1815 |
AuteurRichard White |
ÉditeurAnacharsis |
GenreEssai historique |
Sortie2020 |
Nombre de pages731 |
Le Middle Ground
En 1991 sortait le livre de Richard White The Middle Ground : Indians, Empires, and Republics in the Great Lakes Region, 1650–1815. Il est depuis devenu une reference de l'histoire américaine et sa traduction a été rééditée en 2020 chez Anarchasis.
J'ai décidé de vous rendre compte du chapitre The Middle Ground qui constitue le cœur de cet ouvrage. Il décrit l'évolution des relations entre Indiens et Français dans le Pays d'en Haut entre 1650 et le milieu du XVIIIème siècle. Le Pays d'en Haut c'est l'immense territoire de la Nouvelle France qui s'étend à l'ouest des terres de colonisation de la vallée du Saint-Laurent. Ici, Indiens et Français cohabitent et ont besoin les uns des autres. Ils doivent donc bâtir un terrain d'entente, baptisé le Middle Ground par Richard White, pour arriver à leurs différents objectifs.
Les Français cherchent plutôt à rationnaliser la société indienne pour qu'elle puisse leur servir. L'objectif des Indiens est d'obtenir des avantages par rapport aux autres Indiens pour sortir du lot grâce aux Français. Les cultures ne sont donc pas fixes et vont donc s'influencer. Le Middle Ground n'est pas défini par des autorités centralisées, inexistantes chez les uns et lointaines chez les autres. Il est avant tout individuel et relatif à la vie quotidienne, même s'il existe également une version diplomatique plus formelle. Les élites des deux groupes redoutent d'ailleurs ces contacts qu'ils ne maitrisent pas.
Richard White s'attaque ensuite aux deux grands problèmes du Middle Ground : le sexe et la violence. Dans le premier cas, le comportement des femmes indiennes ne rentraient pas vraiment dans les catégories européennes et les Jésuites essayaient de les y faire se conformer avec quelques exemples de succès, comme celui du culte de la Vierge auprès des femmes indiennes. Mais de véritables mariages mixtes eurent également lieu malgré l'opposition des élites. Ils purent même aboutir à la constitution de différentes alliances franco-indiennes rivales.
Le règlement des cas de violence, et en particulier de meurtres et de vols, exigeait également une telle construction. La violence avait des origines opposées des deux côtés : les Indiens en usaient car les Français n'étaient pas assez généreux et les Français en usaient pour empêcher les vols.
Les modalités de compensation étaient aussi très différentes : elles sont individuelles et se fondent sur la peine de mort du côté français, elles sont collectives et passent par la compensation chez les indiens. De même, dans le cas d'un homicide, les Indiens demandent une compensation à l'auteur si c'est un allié et l'exécutent s'il s'agit d'un ennemi. Les Français, au contraire, exécutent les meurtriers provenant de leur côté et épargnent leurs ennemis faits prisonniers pendant les guerres. Là aussi, un Middle Ground est nécessaire pour réconcilier ces deux visions.
L'exemple de Périllaut en 1723 montre qu'une nouvelle coutume a été construite par l'intermédiaire du Middle Ground. En effet, le Français Périllaut, condamné à mort pour le meurtre d'un autre Français au Pays d'en Haut, est sauvé par son réseau indien. Le Middle Ground s'applique donc même aux Français entre eux. Peu à peu est mis en place un système où les Indiens livrent les coupables au gouverneur qui les gracie.
L'ouvrage de Richard White, et en particulier le chapitre Middle Ground, est donc une monographie assez large qui couvre une région du Canada français pendant un siècle et qui contient nombre d'exemples passionnants qui servent de base à sa démonstration. L'intérêt de cet ouvrage est qu'il arrive à dépasser deux visions de l'histoire indienne. D'abord celle du roman national états-unien de la « Frontier », qui dépeint des Indiens figés dans le temps, appartenant au « wilderness » américain, c'est-à-dire au décor de la conquête de l'Ouest par le pionnier américain qui, lui, s'inscrirait dans l'Histoire. Mais aussi celle des ethno-historiens de la New Indian History qui voient la culture indienne comme étant en voie d'extinction, victime de l'acculturation du colonialisme européen. Les Indiens sont pour la première fois présentés comme acteurs de leur histoire. Ils participent à la construction du Middle Ground autant que les Européens.
Les chapitres suivants, toujours aussi passionnants, décrivent l'évolution du Middle Ground depuis sa formalisation et sa captation par les élites dans l'Alliance franco-algonquine de la Grande Paix de Montréal jusqu'à sa disparition progressive dans le contexte d'une colonisation anglo-saxonne moins accommodante. Au total, Richard White nous livre une analyse d'une grande finesse, parfois même complexe, des relations entre Indiens et Européens qui reposent sur un nombre pléthorique d'exemples qui donnent toute sa saveur à ce livre.
- Mitrales Chroniqueur
- "Tout hussard qui n’est pas mort à trente ans est un jean-foutre, et je m’arrange pour ne pas dépasser ce terme" Général Lasalle.