Info sur le livre
Titre originalIls arrivent ! Le Débarquement vécu du côté allemand
AuteurPaul Carrell
ÉditeurÉditions Tallandier
GenreEssai historique
Sortie1964
Nombre de pages346

Ils arrivent ! Le Débarquement vécu du côté allemand

Discab
6 juin
2014

On parle du débarquement et, automatiquement, comme si les images d'Épinal faisaient partie intégrante de notre patrimoine génétique, on voit surgir du flot de nos pensées les péniches amenant les courageux Américains, l'escadre magnifique rassemblée par les alliés et le massacre d'Omaha Beach. Ci et là, un héros meurt, pendu par son parachute au clocher d'une église, et les troupes fraçchement débarquées paient le prix fort chaque kilomètre parcouru dans le bocage normand. Voici l'Histoire très officielle, celle des livres scolaires, mais aussi d'Hollywood ; celle que chacun connaçt et qui, peu à peu, a forgé notre mémoire collective.

Il en est pourtant une autre, à la fois très proche et infiniment éloignée. Celle-ci nous amène à la rencontre d'hommes terrifiés, incompris, abandonnés. Des hommes qui, désarmés et en infériorité numérique, voient débarquer sans prévenir une horde innombrable, suréquipée et bien entraçnée, couverte par une aviation de près de quinze mille appareils. Laissés pour compte, victimes de l'incompétence de leurs supérieurs, les soldats de la Wehrmacht se battront pourtant jusqu'au bout, sans faillir. C'est l'histoire de ces hommes que nous raconte Paul Carell dans Ils arrivent, récit poignant de la bataille de Normandie vécue du côté allemand.

Paul Carell, écrivain allemand, propagandiste du Reich

Ils arrivent ! Le Débarquement vécu du côté allemand

Impossible de parler de ce livre sans d'abord se pencher sur son auteur. Paul Carell, né en novembre 1911, commence à publier après la Seconde Guerre mondiale. Récits de guerre, documentés et vivants, ses ouvrages connaissent un franc succès critique et commercial. À côté de Ils arrivent, il écrit énormément à propos du front de l'est, mais aussi sur l'Afrika Korps et Rommel. Cette renommée cependant ne suffit pas à faire oublier le passé de l'auteur ; bien au contraire, elle le met en lumière. Comment Carell peut-il si bien connaçtre les faits d'armes de la Wehrmacht ? C'est bien simple.

Avant de prendre son pseudonyme d'écrivain, Paul Carell était connu sous son nom de naissance : Paul Karl Schmidt. Il rejoint le parti nazi au début des années trente et intègre par la suite la SS où il acquiert le grade d'Obersturmbannführer, équivalent français du lieutenant-colonel. Au début de la guerre, il devient porte-parole de Joachim von Ribbentrop, le ministre des Affaires étrangères du Reich. À ce poste, Schmidt aura l'occasion de montrer ses talents de propagandiste et, bien qu'il ne fut pas condamné après la guerre, ses antécédents et ses qualifications ne peuvent que nous inciter à jeter un œil prudent sur ses travaux.

Une chronique allemande

« C'est une grâce d'État que pouvoir se faire chroniqueur d'une victoire. Relater en revanche une campagne qui s'achève par une désastreuse catastrophe militaire est bien la pire des besognes. »

Ainsi s'ouvre l'Avant-propos d'Ils arrivent, publié pour la première fois en 1960 et, déjà, l'auteur se permet le mensonge le plus grossier qui soit. Comment croire en effet Carell qui, dès l'abord, pose sa charge comme un tourment ? Cet homme qui passera près de trente années à se documenter, à rencontrer des témoins, à réunir des pièces d'époque pour enfin écrire une œuvre magnifique, peut-on vraiment imaginer qu'il n'ait tiré aucune jouissance devant une si formidable tâche ? Car Carell, c'est surtout ça : un travail immense de reconstitution de l'Histoire ; de recherche de la vérité.

Ils arrivent ! Le Débarquement vécu du côté allemand

Et le fruit de ce travail nous est présenté avec une habilité remarquable. Tous les détails y sont, du nombre de soldats par Division à la progression de tel régiment suite à tel événement. La force de l'auteur, c'est de ne jamais ennuyer le lecteur. Sous sa plume, l'Histoire prend vie. Ceci n'est pas un roman : tout est vrai, et le texte n'est pas bâti sur une intrigue ; ce n'est pas non plus un livre d'Histoire, au sens d'un exposé didactique. Alors quoi ? Un récit de guerre. Un récit de Carell.

De nombreuses cartes et autres plans sont présents pour illustrer le propos et permettent au lecteur de suivre pas à pas l'évolution de la bataille de Normandie. En outre, quelques digressions habilement placées nous présentent les particularités de l'armement et du matériel des forces en présence.

Le sentiment nationaliste, base du travail d'historien

Le lecteur est prévenu dès la préface. En ce qui concerne le travail historique, Carell se réfère à Heinrich von Treitschke, auteur allemand contemporain de Bismarck, pour qui présenter les événements ne suffit pas. L'historien allemand doit éprouver une ferveur particulière afin de la transmettre à ses lecteurs : « Ce sentiment, […] c'est le sentiment nationaliste. »

Cette confession peut légitimement dérouter le lecteur. Comment faire confiance à un auteur qui, non seulement admet, mais revendique sa subjectivité ? Et bien, ce serait faire une erreur que de s'arrêter à ce détail. Comme expliqué plus haut, le travail fourni compense allègrement les quelques partis pris de Carell. Ces derniers se bornant en général à des anecdotes plutôt qu'à une vulgaire réécriture de l'Histoire. On ne peut bien sûr pas s'empêcher de sourire lorsque, étant fait prisonnier, un officier allemand voit chaque soldat allié qu'il croise faire preuve d'une ostensible admiration devant la croix du mérite qui lui pend au cou.

Ils arrivent ! Le Débarquement vécu du côté allemand

De même cette description de l'esprit des troupes de débarquement, étant donné la quasi-absence de force aérienne allemande et suite au bombardement et à la destruction d'importantes positions sur les plages : « Voilà pourquoi la flotte de débarquement d'Eisenhower pouvait se laisser bercer en toute quiétude au gré de la houle. Pourquoi les chars amphibies pouvaient gagner la côte à leur aise ; et les fantassins s'embarquer sans la moindre appréhension sur les péniches amarrées au long des navires de transport. Pas une bombe, pas un canon de bord, pas un tir de mitrailleuse ne vint troubler cette paisible séance de canotage qui prenait des allures pacifiques de régate nautique. »

Assurément, on est loin de l'image véhiculée par l'historiographie anglo-saxonne. Mais si Carell fait ici dans l'excès, il est important de se souvenir que la bataille de Normandie ne se résume pas au massacre d'un Omaha Beach, et que les troupes alliées ont en effet profité d'un net avantage humain, logistique, mais aussi moral.

Un sacrifice inévitable

Voici le point central du livre. Comment expliquer les décisions prises par les dirigeants nazis ? On sait aujourd'hui que les services secrets du Reich étaient au courant de la date, mais aussi du lieu du débarquement. Pourquoi ne pas avoir pris les mesures qui s'imposaient ? C'est que, jusqu'à la fin, Hitler n'y a pas cru. Pour lui, l'opération d'envergure aurait lieu dans le nord. La Normandie ne pouvait être qu'un leurre, une diversion. Jusqu'à la fin, il restera sur sa position. Même lorsque les troupes auront posé le pied sur le sol français.

Ils arrivent ! Le Débarquement vécu du côté allemand

Le résultat : des forces allemandes dérisoires, en sous nombre, mal équipés et loin d'être préparées à ce qui les attend. Une aviation comptant 314 appareils, pour près de 15 000 côté alliés, dont un tiers de bombardiers. Malgré les supplications sans fin de Rommel, jamais les plages ne recevront les fortifications nécessaires. Comble de la malchance, le jour même du débarquement, les principaux chefs de corps étaient conviés à Rennes pour un exercice intitulé... « débarquement aérien »... Ainsi l'armée allemande verra sa chaçne de commandement brisée pendant une bonne partie de la bataille. Et Carell de conclure : « La Wehrmacht, elle avait été réduite à merci dans les épuisantes batailles de matériel du front de l'Ouest, ou les meurtrières campagnes de Russie. Sa défaite était inévitable. »

Verdict

Ils arrivent, c'est le pendant au Jour le plus long. Voici la comparaison la plus communément répandue lorsqu'il s'agit de parler du récit de Carell. Elle n'en est pas moins juste. Grâce à un style vivant et à un travail rigoureux de documentation, l'auteur parvient à briser le manichéisme persistant qui veut voir la Wehrmacht comme l'armée du nazisme. Les soldats du Reich étaient avant tout des Allemands, victimes de l'incroyable orgueil et de l'incompétence de leurs supérieurs. Ce récit est un hommage à leur sacrifice.

  • Discab Contributeur
  • "D'abord, apprenez que je ne suis point le défenseur du peuple ; jamais je n'ai prétendu à ce titre fastueux ; je suis du peuple, je n'ai jamais été que cela, je ne veux être que cela ; je méprise quiconque a la prétention d'être quelque chose de plus." Maximilien Robespierre