Récit

Seconde Guerre mondialeFront de l'Est

Opération Barbarossa

Sancho de Cuba
16 décembre
2013

Hiver 1941. Plaine de Krasnaya Polyana dans la banlieue de Moscou. Météo, chute de neige. Température extérieure, -30° Celsius.

Le vent matinale se lève et entame son sinistre chant à travers la steppe enneigée. La brume matinale caressant le désert blanc, donne naissance à un étrange tableau immaculé et vierge de toutes espérances où le ciel et la terre ne semblent faire qu'un. Au loin, les véhicules en feu dont les colonnes de fumées noires soutiennent la voute céleste, parsèment le paysage d'étoiles flamboyantes. Seules les gesticulations des vivants trahissent la quiétude morbide de la steppe et les cadavres sans sépultures disparaissent lentement sous le linceul de la neige. Avancer, avancer, avancer... Les limites techniques, physiques et morales ont été dépassées depuis bien longtemps, mais il est désormais impossible de faire un pas de plus à travers cet espace infini. Les soldats aux allures fantomatiques sont abrutis par la peur, la fatigue et le froid. Le moindre geste est une épreuve surhumaine et la mort est un présent qui délivre les vivants. Le temps s'arrête. Il n'existe plus. De leurs positions les éléments de reconnaissance de la 2e Panzer division aperçoivent les tours du Kremlin qui se profilent au loin dans la tempête tel un mirage inaccessible. Moscou est désormais une vaine illusion, un funeste rêve et le spectre de 1812 dont les formes hantent tous les esprits, ne cessent de grandir.

L'échec des forces allemandes à s'emparer de Moscou (décembre 1942) sonne le glas du plan « Barbarossa » (nom de code donné par les nazis pour l'invasion de l'U.R.S.S. le 21 juin 1941). Les forces de l'Axe sont contraintes de se replier pour la première fois et de façon massive face à une armée alliée. Il existe, en revanche un paradoxe énorme. Depuis le début de l'opération la Wehrmacht a réussit à faire une avancée de plus de 1.500 km vers l'Est, à anéantir un tiers de l'Armée Rouge et son matériel en quelque mois et à capturer environ 3.300.000 prisonniers. Pourtant dès novembre 1941, Fritz Todt ministre du Reich pour l'Armement et les Munitions, déclare qu' « il faut songer à trouver une issue politique à la guerre » et Goebbels confie dans son Journal le 16 janvier 1942 que la guerre peut être perdue. Tout le paradoxe réside entre le sentiment  d'échec qui se répand chez les Allemands et la victoire tactique opéré sur le front Est par les forces allemandes.

Cet article se divise en trois thématiques afin de comprendre et d'analyser les causes de ce paradoxe. Tout d'abord nous allons aborder le contexte de l'opération Barbarossa puis il sera question de l'avancé spectaculaire de l'Axe en U.R.S.S., ce qui nous amènera à déterminer les causes de l'échec de Barbarossa.

Contexte

Plan d'origine des Allemands.

Au printemps 1941, le IIIe Reich est au sommet de sa supériorité, Hitler a fait plier l'Europe lors de ses campagnes éclairs (Pologne, Hollande, Belgique, France et la région des Balkans) et aucune puissance ne semble lui résister, mis à part le Royaume-Uni. Le plan Barbarossa esquissé en aout 1940 ne prend sa forme finale qu'au printemps 1941. Ce retard est en partie dû à l'échec de Mussolini à s'emparer de la région des Balkans et de la Grèce (celui-ci jaloux des conquêtes territoriales de Hitler, caresse le désire de reconstituer un empire à l'image de la Rome antique). Les armées du Duce sont refoulées du fait d'une résistance inattendue des Grecs et Mussolini appelle le Führer à l'aide. Hitler, qui conserve de l'admiration pour le Duce, ne peut faire moins que de lui répondre favorablement.  C'est ainsi que le 6 avril 1941, la Wehrmacht envahit la Yougoslavie. Elle entre à Belgrade le 12 avril et à Athènes le 27 avril. Du fait de ce contretemps, l'invasion de l'URSS est repoussée de cinq semaines. L'invasion de l'U.R.S.S. est le paroxysme de deux obsessions : Dans le cadre de la conquête d'un espace vital (Lebensraum) un schéma directeur (Generalplan Ost) a été établi transformant l'Europe de l'est en gigantesque colonie permettant l'exploitation industrielle et agricole de celle-ci. La seconde obsession d'Hitler est sa haine envers le « judéo-bolchévisme », le régime soviétique et les peuples slaves considérés comme sous hommes (untermenschen). Afin de justifier l'invasion allemande, Hitler met en avant le fait que l'Armée rouge se préparait à une grande offensive en Europe et que l'opération Barbarossa fut mise au point en tant que guerre préventive.

Après plusieurs mois de préparation, le 22 juin 1941, à 3h30 du matin et sans déclarations de guerre au préalable, un ouragan fort de 3.000.000 d'hommes, 3.580 chars et 4.389 avions, se déchaîne sur un front de 1.600 km et dans trois directions. Au Nord, l'objectif idéologique, Leningrad (Saint-Pétersbourg), la ville de Lénine le berceau de la Révolution russe. Au centre, l'objectif politique, Moscou. Au sud, l'objectif économique, Kiev et l'Ukraine et les routes menant au pétrole de la mer Noire. Face à l'Axe, l'armée Rouge aligne sur le front occidental environ 3.000.000 d'hommes 15.687 tanks et 11.537 avions dont la plupart sont de vieux modèles.

La ruée vers l'Est !

L'armée rouge n'est pas en état de résister face à l'invasion allemande pour diverses raisons. D'une part l'armée est en pleine réorganisation après les grandes purges de la fin des années 1930 (1936-1938). Les unités blindées sont en train d'être reconstitué après leur démantèlement durant cette période. L'armée est cruellement handicapée par le manque d'officiers correctement formés et elle a perdu la plupart de ses représentants les plus compétents. De plus les officiers sont sous l'autorité des commissaires politiques. Par ailleurs l'armée présente à la frontière ne dispose pas de matériel en quantité suffisante pour toutes ces unités et les lignes de fortifications dans lesquelles elles se trouvent ne sont pas encore prêtes. Enfin, Staline a ignoré et réfuté les nombreux avertissements de ses généraux, d'espions et même ceux de Churchill qui lui ont été fait au sujet du plan de l'Axe, persuadé que Hitler respecterait le pacte germano-soviétique signée en 1939.

Dès le premier jour de l'invasion, les panzers progressent de 60 kilomètres à l'intérieur du pays. Dans le même temps, la Luftwaffe détruit 1.600 appareils soviétiques au soir du 22 juin. Staline, qui ne voulait donner aucun motif de méfiance à Hitler, avait interdit que l'on camoufle ou protège ces avions d'une quelconque façon. En cinq jours le groupe d'armée centre a parcouru 300 km vers l'est. Les envahisseurs capturent à la fin du moi de juin 300.000 soldats soviétiques ainsi que des milliers de chars. Le 9 juillet, ils entrent dans Vitebsk, grande ville de Biélorussie. En août, ils encerclent Kiev, capitale de l'Ukraine, et le 19 septembre entrent dans la ville. Ils font au passage 650.000 prisonniers supplémentaires et s'emparent de 900 chars et 3.000 pièces d'artillerie. Au nord, ils entament le 8 septembre le siège de Léningrad.

A partir du mois de juillet l'état major se divise quant à la poursuite des opérations. Hitler tranche en ordonnant un gigantesque encerclement dans le nord de l'Ukraine, retardant ainsi l'avance sur Moscou. Le 30 septembre l'opération Typhon (plan d'offensive sur Moscou) est lancé. Jusqu'au mois de novembre l'Axe ne cesse de progresser et de saigner l'armée Rouge mais l'offensive ralentit. A partir d'octobre les victoires de l'axe sont de plus en plus minimes de même que son avancé, et le 5 décembre les armées reculent face à la contre-offensive de l'Armée Rouge.

La fin de la blitzkrieg l'échec stratégique et tactique à l'Est

Malgré l'avancée spectaculaire des forces de l'Axe, le plan Barbarossa est un échec pour trois grandes raisons. La première est due à la géographie de l'U.R.S.S.. Rapidement la Wehrmacht doit faire face à des problèmes logistiques énormes et le ravitaillement tarde à venir dans ces espaces infinis. En décembre 1941, la ligne de front est située (en moyenne) à plus de 1.300 km de l'ancienne frontière du Reich et s'étend en longueur sur 2.500 km. Les routes sont de piètres qualités et les chemins de fer ne sont pas aux normes occidentales forçant les Allemands à effectuer des travaux. À partir de l'automne 1941, l'Ostheer (armée allemande à l'Est) fait face aux traditionnelles pluies torrentielles d'automne qui paralysent la Russie, la « распутица » (raspoutitsa, saison des mauvaises routes). Les véhicules et l'infanterie s'embourbent dans des océans de boue. De plus, Hitler n'a pas pensé que la campagne à l'Est pourrait durer jusqu'à l'hiver, et l'armée n'a pas prévu ces conditions météorologiques. La température avoisine en janvier les -40° et les soldats restent seulement équipés de leur tenue d'été. Ils sont obligés de voler des tenues plus chaudes aux civils ou sur les cadavres de soldats soviétiques dans des conditions sordides. A l'hiver 1941, il y a plus de cas de décès par le froid et les amputations liées aux gelures que de tués au combat.

Deuxièmement, Hitler n'a pas su utiliser la rancœur de la population envers les Soviétiques. Dans un premier temps les populations ukrainienne et balte, avec ses revendications nationalistes, voient d'un bon œil la venue des « libérateurs » du joug soviétique mais elles changent rapidement d'opinion face aux massacres perpétrées par l'armée allemande et les Einsatzgruppen (« groupe d'intervention ». Unités SS chargés de l'élimination des opposants, et des « sous-hommes »). La haine des civils envers le IIIe Reich entraine un plus grand ralliement des civils envers les partisans (résistants situés derrière les lignes ennemis)  dont les actions de sabotage causes d'immenses dégâts à la logistiques de l'Axe.

Enfin, la dernière raison concerne l'infériorité militaire de la Wehrmacht face aux Soviétiques. Le plan Barbarossa est basé sur des préjugés concernant l'Armée Rouge et les Soviétiques. Suite au traité de Rapallo (1922) des clauses secrètes ont permis à l'armée allemande de développer clandestinement des recherches militaires en U.R.S.S. Les Allemands entrevoient le complexe militaire soviétique et en ont une très mauvaise impression car l'Armée Rouge est dans un piteux état car elle n'a pas encore subit les grandes réformes de Toukhatchevski. De plus, les piètres performances de l'Armée Rouge lors du conflit Soviéto-Finlandais (1939) contribue à donner aux soviétiques une image négative. Enfin, la Wehrmacht se conforte dans sa supériorité militaire liée aux succès sur les fronts occidentaux. Ainsi, l'état major allemand est persuadé en juin 1941 qu'elle va affronter une armée de « sous-hommes » mal équipée et incapable de se battre.

Les chars récents équipant l'armée rouge au moment de l'invasion : de gauche à droite, un BT-7, le prototype A-20, le T-34 modèle 1940 et le T-34 modèle 1941.

En réalité, Les Allemands ont sous-estimé le potentiel de mobilisation et l'industrie militaire des Soviétiques qui est à la veille du conflit en pleine mutation. En quelques mois les usines d'armement soviétiques, qui ont été déménagées à l'est, produisent une grande quantité de matérielles de guerre. De juin à décembre 1941, l'U.R.S.S. a soulevé 825 division, puisant dans ses reserves de mobilisation de plus de 10.000.000 de soldats. Les Soviétiques ont également formé rapidement de nouvelles armées des différentes populations ethniques des républiques les plus reculées. L'apparition des chars T-34 et KV à l'été 1941 est une mauvaise surprise pour la Wehrmacht. De plus, le haut commandement a une conception militaire de la guerre relativement archaïque. Les Allemands sont convaincus qu'une guerre peut se gagner lors d'une « grande bataille » décisive grâce à la blitzkrieg. La bataille de France (Mai 1940) les conforte dans cette idée. Ainsi la campagne de Russie serait simplement une bataille de France où il faudrait mener une blitzkrieg à échelle 4.

Dans les faits, les systèmes militaires sont intégrés aux États et une ou dix victoires écrasantes ne peuvent permettre de remporter la victoire décisive car la capacité de résistance et de mobilisation d'un États est énorme. Les penseurs militaires Russes comme Toukhatchevski sont les premiers à le comprendre et à appliquer de nouvelles théories militaires (l'opération en profondeurs) nées dans les 1920. L'ennemi est vu comme un système, qui tire sa force de son organisation, et non comme une cible matérielle. Il n'est pas possible de détruire l'intégralité du dispositif militaire adverse, ainsi l'objectif des « opérations en profondeur » est de détruire la cohésion du système ennemi. Dès décembre 1941 les Soviétiques commencent à appliquer ces théories. Il faut encore plus de trois ans de guerre et environ 25.000.000 de morts (civils et militaires soviétiques et allemands compris) pour que soient confirmées les craintes formulées par certains cadres nazis, à l'hiver 1941, sur le sort de la guerre.

  • Sancho de Cuba Contributeur
  • "Dans l’armée rouge, il faut bien plus de courage pour battre en retraite que pour avancer." Joseph Staline