Les Huns : le changement climatique aurait-il fait vaciller Rome ?

Thématique
23 janvier
2023

L'actuel changement climatique qui menace l'équilibre fragile de notre écosystème et promet de faire pousser des mangues au Groenland d'ici quelques années n'a pas que des répercussions géopolitiques ou économiques : le phénomène suscite aussi l'intérêt des historiens et des archéologues, qui se questionnent sur les précédents bouleversements du climat terrestre et les répercussions qu'ils ont pu avoir.

Récemment, l'université britannique de Cambridge a publié un article des chercheurs Susanne E. Hakenbeck et Ulf Büntgen (The role of drought during the Hunnic incursions into central-east Europe in the 4th and 5th c. CE), attention c'est en anglais, dans les pages du Journal d'Archéologie Romaine.

Ce dernier se penche sur les raisons profondes et encore relativement peu étudiées, qui ont conduit les terribles cavaliers huns à quitter les steppes où ils étaient occupés à s'entretuer depuis des siècles, pour venir mettre le boxon jusque dans un empire romain déjà malade et miné de l'intérieur, en poussant devant eux des dizaines d'autres peuples barbares effrayés par leur approche, ou attirés par leur exemple, en fonction des cas.

Laids, sauvages ultra-violents, tueurs sanguinaires, attirés par l'or, l'argent et les joyaux, ne respectant rien ni personne, sacrilèges et buveurs de sang encore frais ; les auteurs antiques et même les modernes n'ont jamais eu de mots assez durs pour qualifier les Huns et les ravages épouvantables que ceux-ci ont causé au milieu du Vème siècle de notre ère.

Les Huns : le changement climatique aurait-il fait vaciller Rome ?Attila et les Huns, ou l'assaut des Tartares, par Georges Rochegrosse (1859–1938)

On a déjà émis par le passé l'idée que des sécheresses auraient poussé les Huns à aller galoper ailleurs voir si l'herbe y était plus verte : l'idée n'est pas nouvelle, mais l'étude de Hakenbeck et Büntgen approfondit la question ; tout d'abord en suggérant que ceux que nous regroupons sous l'appelation de « Huns » ne seraient peut-être pas venus de si loin que l'historiographie le supposa longtemps, en leur attribuant une origine extrême-asiatique ; la plupart des indices archéologiques comme les vestiges d'artisanat métallurgique ou le mobilier funéraire se limitant plutôt aux vastes steppes du nord de la Mer Noire, jusqu'aux environs de la mer d'Azov. De plus, il est relevé que les indices matériels de la présence des Huns en Europe sont bien plus rares et éphémères que l'idée que s'en est faite, là encore, l'historiographie, ce qui décrédibilise l'idée d'une migration à grande échelle ou d'une invasion en règle. Mais il faut toutefois garder à l'esprit que l'appellation de « Huns » désigne un grand regroupement de tribus, qui ne se désignaient pas elles-mêmes comme telles et qui n'étaient pas homogènes.

Globalement, les deux chercheurs se penchent sur l'économie agropastorale des peuples que l'on a appelé « Huns », et soulignent que la mobilité est un élément central du mode de vie de ces populations, qui les rend dépendant des bonnes conditions locales : une succession d'été secs aurait donc pu très facilement diminuer la productivité des terres disponibles et la quantité des pâturages, indispensables pour alimenter les grands troupeaux de bétail dont les populations de cavaliers asiatiques dépendaient pour se nourrir.

Une crise en entraînant une autre, les populations de Huns déjà en contact avec les Romains auraient pu être conduite à jouer les mercenaires, puis les agresseurs, poussés à cette attitude par la faim afin de compenser des récoltes toujours plus maigres et des troupeaux décimés. Les chercheurs donnent un exemple concret de ce genre de rapports conflictuels avec les cas de violences rapportés de nos jours entre certaines populations de pasteurs kenyans, qui se sont produites pendant les saisons sèches, où les vols de bétails sont les plus fréquents.

Les Huns : le changement climatique aurait-il fait vaciller Rome ?Frise des épisodes de sécheresses constatés entre 75 avant notre ère et 2018.

Ces changements climatiques qui auraient alors mis au pied du mur les Huns sont notamment constatés par des études hydroclimatiques menées dans le bassin des Carpates, utilisant des isotopes de carbone et d'oxygènes, ainsi qu'une étude dendrochronologique, qui montre clairement une sécheresse aggravée en Europe centrale et de l'Est à la période où les troubles se produisent.

Au fur et à mesure des épisodes climatiques violents et des famines, ces aléas météorologiques auraient alors fini par changer des groupes d'éleveurs et de pasteurs nomades en guerriers de plus en plus brutaux, facilement attirés par la promesse de trouver des richesses et des terres fertiles chez leur voisin Méditerranéen : "dès qu'ils ont commencé à traiter avec l'Empire romain, ils se sont transformés en bandes de guerre", confiait Mme Hakenbeck à nos confrères de Sciences & Avenir récemment.