Le capitaine N’Tchoréré, héros mort pour la France

L'Amiral
15 juin
2018

Parmi les victimes d’exactions allemandes en mai/juin 1940, les soldats français d’Afrique Noire ont souvent payé un lourd tribut : leur résistance et leur valeur au feu en ont fait des adversaires acharnés des Allemands, dont la plupart étaient alors imprégnés de la culture nazie et de la notion d’« Untermensch » (« sous-homme »). Le capitaine Charles N’Tchoréré a été abattu froidement par un soldat allemand après sa capture, devenant le symbole des victimes noires de la barbarie nazie.

Le capitaine N’Tchoréré, héros mort pour la FranceLe capitaine N'Tchoréré en grande tenue, avant guerre.

Charles N’Tchoréré est né le 15 novembre 1896 à Libreville, au Gabon. Fils de notable, il bénéficie d’une bonne éducation, mais interrompt ses études assez vite pour aller travailler au Cameroun, colonie allemande voisine.

À la déclaration de guerre de 1914, il retourne au Gabon où il s’engage en 1916 dans une unité de tirailleurs sénégalais. Très vite, le commandement sent poindre en lui les compétences d’un futur officier ; apprécié de ses hommes, courageux et volontaire, N’Tchoréré est nommé sergent à la fin de la Première Guerre mondiale.

Souhaitant rester dans l’armée, il obtient le grade d’adjudant en 1919 et sert au Maroc. Privilège rare pour un natif des colonies, le Gabonais est accepté à l’école d’officiers de Fréjus, où il sort officier « à titre indigène » en 1923. S’en suit une mission en Syrie où il est grièvement blessé d’une balle à la mâchoire et y reçoit la croix de guerre pour son courage.

Son statut d’officier et sa blessure en font un candidat pour l’administration : après avoir travaillé sur un rapport à propos de la promotion sociale des sous-officiers indigènes, il demande sa mutation au Soudan français. C’est alors que N’Tchoréré est nommé capitaine en 1933 et commande l'École des Enfants de Troupe à Saint-Louis du Sénégal.

Le capitaine N’Tchoréré, héros mort pour la FranceLe capitaine N'Tchoréré en train de défiler avec le 53ème RICMS au début du mois de mai 1940.

La déclaration de guerre de 1939

Alors que le 2 septembre 1939 la France et l’Allemagne sont à nouveau en guerre, Charles N’Tchoréré demande à partir pour le front à la tête d’une compagnie de volontaires gabonais.

Arrivé en métropole, il dirige la 5ème compagnie du 53ème Régiment d’Infanterie Coloniale Mixte Sénégalais (RICMS) et est affecté en Somme, où il fait connaissance avec ses hommes.

À partir du 10 mai 1940, c’est la tourmente : malgré une résistance farouche, les troupes françaises reculent. La guerre rattrape le Gabonais dans les premiers jours de juin 1940, où ses hommes doivent défendre le village d’Airaines, près d’Amiens. Le capitaine N’Tchoréré les galvanise et se prépare à affronter les Allemands au côté du commandant Seymour, son supérieur.

Le capitaine N’Tchoréré, héros mort pour la FrancePassage en revue du 53ème RICMS, juste avant les combats de mai/juin 1940.
Le capitaine N’Tchoréré, héros mort pour la FranceDes soldat du 53ème RICMS à Airaines, début juin 1940.

Airaines et le baroud d’honneur

N’Tchoréré est un officier estimé de ses compagnons et de ses semblables, notamment européens. Sa compagnie a pris place au nord d’Airaines, au centre du dispositif.

Le 5 juin, les Allemands bombardent la commune et lancent un assaut. Les Sénégalais les repoussent en leur infligeant de lourdes pertes. Ils se paient même le luxe de faire 60 prisonniers après avoir détruit 8 chars !

Mais le 6 juin, Airaines est contourné et bombardé violemment, sans que le moral des hommes du capitaine N’Tchoréré ne flanche. Étonnés, les Allemands envoient une délégation pour obtenir la reddition des Français, mais le commandant Seymour refuse. Après cet acte, les hommes de la 25. Infanterie-Division tentent d’infiltrer le village, mais sont repoussés encore une fois par une contre-attaque des soldats du capitaine N’Tchoréré.

Jusqu’au 7 juin, les Allemands bombardent sans répit la bourgade, sans que la 5ème compagnie ne flanche. Malheureusement, le même jour, le dépôt de munitions français saute, rendant la position du bataillon intenable. Le commandant Seymour ordonne à ses hommes de contre-attaquer vers le sud pour briser l’encerclement.

C’est à ce moment que le capitaine N’Tchoréré demande l’honneur de couvrir leur retraite, avec des volontaires. D’abord peiné, le commandant Seymour accepte ensuite et parvient à rompre l’encerclement. Les Allemands sont obligés d’utiliser des lance-flammes pour réduire les poches de résistance dans Airaines.

C’est seulement à 22h le 7 juin que le capitaine N’Tchoréré et ses quinze soldats (dix africains et cinq européens) restants se rendent, par manque de munitions.

Le capitaine N’Tchoréré, héros mort pour la FranceLa garde au drapeau du 53ème RICMS, au début du mois de juin 1940.

La capture et l’exécution

Les soldats allemands de la 25. Infanterie-Division ainsi que probablement des tankistes de la 7. Panzer-Division de Rommel (du fait de son avance rapide, les sources ne parviennent pas à s’entendre sur ce point) sont abasourdis qu’on leur ait tenu tête aussi longtemps. Leur surprise est décuplée par la vision de soldats noirs, considérée comme des « sous-hommes » par l’idéologie nazie.

De plus, les troupes noires sont craintes par les Allemands depuis les champs de bataille de la Première Guerre mondiale, et un racisme très fort s’est développé dans l’Allemagne de l’entre-deux guerres.

Les Allemands séparent alors les européens des noirs ; N’Tchoréré demande à être traité comme un officier français, ce qu’il est (il a de plus été naturalisé). Ses protestations sont vite reprises par ses quinze camarades, et le capitaine revendique le respect de la convention de Genève sur le traitement des prisonniers - notamment les officiers. Mais les soldats allemands perdent patience : un tankiste sort un pistolet et abat froidement le capitaine N’Tchoréré d’une balle derrière la tête. Son corps est ensuite écrasé par un blindé.

Le capitaine N’Tchoréré, héros mort pour la FranceDeux sépultures de défenseurs français d'Airaines, après les combats.

Le héros N’Tchoréré

Le 8 juin, c’est le fils de Charles N’Tchoréré, (caporal au 2ème Régiment d’Infanterie Coloniale) Jean-Baptiste, qui est tué au combat non loin. En même temps, 50 tirailleurs sénégalais prisonniers du 53ème RICMS sont abattus par des troupes allemandes. Le capitaine N’Tchoréré, dans sa dernière lettre à son fils, écrivait ces mots :

« La vie, vois-tu, mon fils, est quelque chose de cher. Cependant, servir sa patrie, même au péril de sa vie, doit l'emporter toujours ! J'ai une foi inébranlable en la destinée de notre chère France. Rien ne la fera succomber et, s'il le faut pour qu'elle reste grande et fière de nos vies, eh bien, qu'elle les prenne ! Du moins, plus tard, nos jeunes frères et nos neveux seront fiers d'être français et ils pourront lever la tête sans honte en pensant à nous. »

Abattu à cause de ses revendications d’être traité en Français, le capitaine N’Tchoréré est mort en martyr et considéré comme un héros. Il est cité à titre posthume en octobre 1940 à l’ordre de la division et à l’ordre de l’armée en août 1954. De plus, le Gabonais était auparavant titulaire de la croix de guerre des théâtres d’opérations extérieures et de la croix de guerre de 1939.

Le capitaine N’Tchoréré, héros mort pour la FranceLe monument d'Airaines à la mémoire du capitaine N'Tchoréré.

Son parcours est identique à celui de beaucoup de soldats africains, victimes des exactions des troupes allemandes et qui sont tombés pour la France. Sa mémoire est entretenue aujourd’hui à Airaines mais aussi au Gabon ainsi qu’à Fréjus où une promotion a porté son nom.

Le capitaine N’Tchoréré fait partie des nombreux héros injustement oubliés dans cet épisode tumultueux de la Seconde Guerre mondiale. Son sacrifice ainsi que celui de son fils n’ont pas été oubliés, ces hommes qui sont venus de si loin pour défendre la France.

  • Witz Rédacteur, Testeur, Chroniqueur, Historien
  • « L'important n'est pas ce que l'on supporte, mais la manière de le supporter » Sénèque