Cléopâtre VII : La dernière Reine du Nil
Cléopâtre VII, fille de Cléopâtre Tryphanea (« la Magnifique ») et de Ptolémée XII Aulète est de ces figures qui fascine et dont l'aura rayonne encore bien des siècles après que le chariot solaire de Râ se soit couché une dernière fois sur une Égypte grecque. Elle est la dernière souveraine des deux Royaumes, et à ce titre, elle a gagné sa place au Panthéon des grandes figures. Et comme celles-ci, l'écho de son nom donne l'illusion de la connaître. Pourtant, bien qu'elle apparaisse dans de nombreuses productions cinématographiques (dont le magistral péplum de 1963) et vidéoludiques, l'ultime héritière des Lagides est encore bien mystérieuse. Intelligente, rusée, diplomate, elle apparaît aussi comme séductrice, débauchée et dangereuse.
Cléopâtre VII Théa Philôpator est la dernière à régner sur l’Égypte Lagide, dernière d'une famille remontant à Ptolémée Lagos, un des célèbres diadoques, général d'Alexandre. Cette ascendance n'est sans doute pas étrangère à sa réputation.
En effet, l’Égypte des Ptolémée, par le syncrétisme opérée entre les mœurs grecques et autochtones, a toujours exercé une sorte de fascination qui était déjà bien présente dans l'Antiquité.
Les Lagides avaient bien saisi l’intérêt de combiner les us des deux peuples, dont résulte un système à la fois original et conservateur. Cette fusion est d'ailleurs symbolisée par la création d'un culte, celui de Sérapis, une divinité associant les caractères grecques et égyptien. C'est à la fois un manifeste d'union tout autant qu'un manifeste politique, puisque le grand temple du dieu est évidemment construit à Alexandrie et est destiné à asseoir la puissance de la cité en légitimant la lignée nouvellement crée.
L'Histoire Lagide est prospère, mais émaillée de conflits avec les autres diadoques, qui entameront peu à peu son prestige, et l'arrivée de nouveaux rivaux tels que Rome en Méditerranée annonce une période de déclin pour l’Égypte qui se terminera sur sa domination par la cité de Romulus.
Cette lente descente aux enfers de la plus vielle civilisation méditerranéenne est parfaitement incarnée par Cléopâtre. Dernière souveraine d'un pays à l'agonie, sa ruse et son intelligence politique vont presque parvenir à sauver in-extremis l’Égypte de son destin, avant de sombrer corps et bien à Actium, en 31 avant J.C. Cléopâtre VII apparaît aux yeux de la postérité comme un chant du cygne, dont le règne passionné et énergique se termine comme la meilleure des tragédies grecques.
La Reine de coeur
Il n'est donc pas si étonnant de la retrouver comme argument promotionnel d'un jeu, tant elle évoque plus efficacement que n'importe qui la période des guerres civiles romaines, devant Marc-Antoine, devant même Auguste.
Cela tient souvent autant à son image de séductrice qu'à celle de protectrice jusqu'au-boutiste de son peuple. Cléopâtre sera ainsi mise en avant pour la promotion d'Assassin's Creed Origins, tout autant que César lui-même, comme Total War : Rome II lui faisait la part belle dans un trailer dédié.
Il faut dire que l'entrée en scène de Cléopâtre dans l'Histoire à de quoi imposer et fournit un des éléments de réponse de cette fascination qu'elle exerce.
En effet, alors que Caius Julius César est arrivé à Alexandrie et réfléchit à la manière d'établir un protectorat sur l’Égypte, celui-ci se fait déposer un sac fermé. Incrédule, il l'ouvre et tombé né à né avec Cléopâtre qui avait utilisé cette ruse afin d'entrer dans le palais sans se faire repérer (Plutarque, Vie de César, XLIX,1). Elle entre ainsi dans la légende en tant que femme d'une grande intelligence, et tout à fait capable de s'en servir.
Plutarque rapporte également ses compétences linguistiques : habile à la diplomatie, elle répondait elle-même et dans leur propre langue à ses divers interlocuteurs, qu'ils fussent Éthiopiens, Syriens, Arabes, Mèdes, Parthes... Et cela se révèle d'autant plus notable que, selon les sources, elle fut la seule de sa dynastie à daigner apprendre l'égyptien, la langue du peuple sur lequel ils régnaient !
Femme dans un monde très masculin, elle est aussi tout à fait capable de mener une flotte et une armée. Reine depuis 3 ans, elle avait été exilée pour son indocilité et la première chose qu'elle fit en Judée fut de lever une armée de mercenaire pour reprendre son trône. Il ne faut d'ailleurs pas être surpris outre-mesure des capacités militaires de la jeune Grecque, car nombreuses sont celles chez les Macédoniens qui feront preuve de tels talents, à l'instar d'Olympias, la mère d'Alexandre, qui lui prodiguait des conseils d'une très grande acuité. Si à de rares exceptions près, elles ne combattaient pas, les secrets de la logistique, du recrutement, de la planification et du ravitaillement étaient loin de leur être inconnu !
Cependant, la raison pour laquelle la dernière des Lagides est restée dans les mémoires, réside dans ses capacités de séduction. Alors que les guerres civiles faisaient rage à Rome depuis le début du Ier siècle av. J.C et que des hommes forts se succédaient pour tenter d'enterrer toute concurrence, Cléopâtre parvint à envoûter coup sur coup deux d'entre eux : César et Marc-Antoine.
Pour eux, l’Égypte était devenu un lieu de calme, loin des tumultes de la Cité millénaire, où ils pouvaient s'adonner au repos et à l'amour. C'est particulièrement le cas de Marc-Antoine qui, si on en croit les sources, était réellement très amoureux de la Reine. Ainsi elle charmait, trompait et manipulait par sa beauté les hommes afin de les amener à faire ce dont elle avait besoin...
La légende noire
...Ou, du moins, c'est ainsi que son image est resté figée pour la postérité. Pourtant, le colosse a des pieds d'argiles, et la légende noire l'entourant commence peu à peu à s'effriter.
Dans Assassin's Creed Origins par exemple les développeurs ont pris le parti sur le conseils d'historiens de ne pas la sexualiser à outrance, mais de la représenter avec un physique lambda.
En ce sens, cette représentation suit les sources antiques. Plutarque par exemple explique bien que « sa beauté n’était pas, à elle seule, incomparable ni susceptible de fasciner ceux qui la voyaient, mais sa compagnie avait un charme irrésistible et son apparence, jointe à la séduction de sa conversation et à son caractère qui se répandait, si l’on peut dire, dans toute sa manière d’être, laissait un aiguillon dans les cœurs » (Vie d'Antoine, XXIV). On est assez loin de l'image de la reine au physique irrésistible, qui attirait les hommes par des promesses lascives.
En fait, cette image tient pour une grande part de la propagande Augustéenne qui cherche à légitimer sa position de Princeps, premier parmi les Romains, nouvellement acquise.
Effectivement, les Romains sont sur ce point très proche des grecs et de leur dégoût des passions : ils prônent la modération en toute chose, et la romance entre Marc-Antoine et Cléopâtre se révèle être du pain béni pour le jeune héritier de César.
Cependant, il ne peut pas lui imputer toutes les fautes, malgré qu'il soit, dès -30, condamné à la damnatio memori (la condamnation post-mortem à l'oubli). Marc-Antoine peut être qualifié de débauché, mais il reste un Romain. C'est donc Cléopâtre qui l'a envoûté par ses charmes, et Marc-Antoine n'est pas considéré comme totalement maître de ses actions.
On pourrait arguer que les Romains lui reconnaissent pourtant des qualités, comme ses capacités linguistiques, sa ruse, son penchant pour la chose martiale. Mais c'est oublier que les fils de la Louve ne pensaient pas comme nous qui voyons le polyglottisme par exemple comme une grande qualité. Maîtriser la langue de Barbares était considéré comme indigne pour eux, et Cléopâtre apparaissait ainsi plus comme une Reine Barbare qu'une Reine Grecque.
Même chose pour ses capacités militaires. Il était impensable dans la société romaine qu'une femme ait un rôle militaire (sauf en cas d'époque troublée. Le cas de la femme de Marc-Antoine, Fulvia, en est un bel exemple!) de quelque nature que ce soit, et marquait la différence entre Rome et les sociétés barbares.
Même son utilisation de la ruse peut-être une manière détournée de la critiquer. S'il est vrai que César appréciait son audace, cette dernière est traditionnellement considérée comme une tactique de lâche, impropre aux hommes de vertu que sont les Romains.
La politique ? Un vrai nid de vipères
Toutefois, malgré la propagande mise en place par Auguste, on sent bien que les chroniqueurs ont une certaine admiration pour Cléopâtre. Certes, c'est une Barbare, certes, c'est une femme, mais pour ce qui est de sa fin, elle sait mourir en Grecque.
Alors qu'Octave, victorieux de la flotte romano-égyptienne de Marc-Antoine et Cléopâtre à Actium en -31, cherche à faire d'elle un trophée de choix pour son triomphe, elle décide de se donner la mort après l'échec des négociations plutôt que de subir pareille humiliation. Elle parvient à abuser Octave et s'empoisonne.
Bien qu'on ne sache pas avec exactitude la façon dont elle s'est suicidée, il est fort probable que la morsure du serpent soit en réalité une exagération ou une allusion à une mort rituelle. Il faut dire que le cobra est un des emblèmes de l'Egypte, l'uraeus, qu'on trouve sur la coiffe pharaonique et qui symbolise la défense du pays. Il s'agit plus probablement d'une mort par ingestion de poison, type de suicide assez courant dans l'Antiquité.
Cependant, l'effet est là. Plutôt que de subir la captivité et de troquer sa liberté contre la vie, Cléopâtre choisit son propre destin. Et ce choix, à mon sens, contribue encore aujourd'hui à la popularité du personnage. L’Égypte a toujours fasciné en particulier par son rapport à la mort. Quelle plus belle fin sa dernière souveraine pouvait-elle offrir au pays d'Amon et de Sérapis ? Une fin qui, assurément, le ferait vivre dans les mémoires pour l'éternité.
Sources
- Geneviève Proulx, Femmes et Féminins chez les Historiens Grecs Anciens, Thèse de l'Université du Québec à Montréal, 2008
(http://www.archipel.uqam.ca/823/1/D1628.pdf) - Historia, Numéro Spécial 38, Novembre-Décembre 2017
- Cédric Pillonel, Les reines hellénistiques sur le champ de bataille, dans Egypte - Grèce - Rome, Les différents visages des femmes antiques, Travaux et colloques du séminaire d’épigraphie grecque et latine de l’IASA 2002-2006, F. Bertholet, A. Bielman Sanchez, R. Frei-Stobla (dir.), Echo, 2008, p. 117-145.
- Plutarque, Vies des personnages illustres, Vie de Marc-Antoine et Vie de Jules César.
- Clodius Contributeur
- "Nous trouverons un chemin... Ou nous en créerons un." Hannibal Barca lors de la traversée des Alpes