Cosme de Médicis : Le « père de la patrie » (1/2)
Cet article est la première partie d’une chronique consacrée à Côme de Médicis, dit l’Ancien, première grande figure de la famille Médicis.
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Vers le pouvoir
Cosme n’est pas seulement témoin, il est d’abord et avant tout l’acteur d’une dynamique culturelle et sociale : la Renaissance. Le Florentin est né en 1389. Son père, Jean de Bicci, mourut en 1429.
Auparavant, grâce à une politique habile, ce marchand circonspect avait amassé une immense fortune avec laquelle seuls les princes, quand ils n’étaient pas ses obligés, pouvaient rivaliser.
Lorsqu’il prend la suite de son père, Côme n’a rien d’un jeune pouce (il a déjà 40 ans !) inexpérimenté. Durant vingt ans, Jean l’a initié aux rudiments des affaires. En même temps que cette formation accélérée, le fils a su efficacement seconder le père.
À peine le remplace-t-il qu’il doit faire face à une première crise : la guerre contre Lucques. Les guerres sont particulièrement coûteuses. En quelques mois, ce sont plusieurs millions qui peuvent être dépensés. Et en dépit des échelonnements établis en fonction du capital, les gens modestes constituent souvent les principaux contributeurs.
La conquête de Pise en 1406 a coûté la modique somme d’un million et demi de florins. Certes, les gains en matière de commerce sont indéniables mais bien insuffisants pour renflouer les caisses. Quant aux impôts, sous toutes les formes, ils rapportent 770 000 florins par an. On ne peut donc pas espérer un recouvrement avant plusieurs années, sous réserve bien-sûr que la ville maintienne un temps de paix suffisant. Pourtant la guerre avec le Milanais, interrompue en 1426, reprend de plus belle et dure jusqu’en 1428.
Et voilà qu’en 1429 en débute une nouvelle, cette fois-ci contre la ville de Lucques. Le genre de conflit sans intérêt majeur ; Florence veut montrer ses muscles ! Néanmoins, le peuple y adhère, le Médicis se retrouve par conséquent obligé de le caresser dans le sens du poil.
Cette guerre est un échec. Côme réussit toutefois à maintenir sa popularité en négociant une paix séparée, ce qui agace ses ennemis.
L’expérience de la violence politique : le tournant de 1433
Les Médicis n’ont pas pour eux le prestige du sang noble ou la parenté avec les lignées princières d’Europe. Leur origine grossière serait longtemps l’objet de calomnies de la part de toute une caste qui les considéraient comme des nouveaux riches, des parvenus. Côme est pleinement conscient de ce mépris. Il sait malgré tout que la vérité du pouvoir se trouve dans l’argent et le recours au peuple.
Il n’hésitera jamais à faire preuve de tyrannie. Une tyrannie tempérée par des mœurs raffinées, mais certainement pas molle ! Il existe chez lui un mépris presque aristocratique envers les tyrans qui se montrent naturellement et inutilement brutaux, pour des résultats souvent médiocres, propres à jeter les bases de nouvelles révoltes. Non pas que Côme se refuse à l’employer, il est bien trop pragmatique.
Il sait, comme l’écrira plus tard Machiavel, que le prince doit « savoir utiliser la bête et l’homme ». Mais à ses yeux, la violence pour la violence est la vertu de ceux qui n’ont aucune vertu. Côme privilégie la violence qui « construit » à celle qui se contente de « détruire ». Il aura l’occasion de mettre cette philosophie à l’épreuve.
Ses adversaires politiques ourdissent un complot. Le 7 septembre 1433, Côme est arrêté et emprisonné au palais de la Seigneurie. Il s’attend au pire, et il a raison. La commission spéciale chargée de le juger ne lui est pas favorable, tout a été pensé pour qu’il ne ressorte pas blanchi des accusations pesant sur lui. De peur d’être empoisonné dans sa cellule, il entame une grève de la faim, elle va durer quatre jours.
Jouant le tout pour le tout, Côme finit par entrer en contact avec le gonfalonier Guadagni grâce à son geôlier. Moyennant plus de 1 000 florins, il échappe à la peine de mort. Il ne peut cependant éviter une condamnation.
Il est finalement banni de la cité pour une période de dix ans. S’élever ne se réalise pas sans risque, bien des ascensions finissent en feux de paille. Côme sera-t-il de ceux-là ? Rien n’est moins sûr car le résultat sur l’économie de la ville est désastreux. Les affaires tournent désormais au ralenti. De nombreux projets financés par ses soins sont interrompus.
Face à cette régression de l’activité, un constat s’impose, résumé en ces termes par l’historien Marcel Brion : « Les Médicis avaient fait fortune à Florence, mais ils avaient aussi fait la fortune de Florence ». En transférant ses affaires directement à Venise, Côme assèche la rivière florentine !
Un an à peine après son départ, sous la pression populaire, ces mêmes assemblées qui nourrissaient le désir de le faire assassiner et l’avaient exilé faute de mieux, lui demandent de revenir.
Accueilli en triomphateur, il ne perd pas de temps et poursuit impitoyablement ses anciens accusateurs, parmi lesquels d’anciens amis. « Il nous est ordonné de pardonner à nos ennemis, mais il n'est écrit nulle part que nous devons pardonner à nos amis » dira-t-il plus tard. À bon entendeur, salut !
À Florence, la trahison n’est bien souvent qu’une question de date. Presque tout le monde y passe : Albizzi, Strozzi, Peruzzi etc. Une proscription massive s’en suit. Et Côme ferme en partie les yeux sur les atrocités commises. Le dépeuplement d’une ville vaut parfois mieux qu’une perte effective.
Côme devient le roi sans couronne
Le refus des têtes couronnées et la méfiance naturelle à l’égard d’un pouvoir personnalisé irriguent en grande partie la conscience politique des Florentins. En parallèle, ils ne rechignent pas devant l’exaltation de leur identité ou un quelconque projet qui rejaillirait directement sur l’aura de leur ville.
On ne peut pas nier une part de calcul chez Côme, mais l’intérêt s’accorde régulièrement avec le sentiment. L’ostentation restait le lot des rois. Et si de roi il ne lui manquait que le titre, lui maître de Florence voulait rester un citoyen parmi les citoyens.
Le palais qu’il se fait construire sous la direction de Michelozzo en témoigne. Voilà un monument qui, de l’extérieur, ne dégage pas un excès de magnificence. Une forme cubique et une apparence rustique confirment la volonté de s’intégrer au mieux dans le bâti environnant. Côme veut dégager une certaine grandeur, sans toutefois abdiquer sur le plan de la proximité avec les Florentins.
Dans un autre registre, le portrait de Côme par Pontormo a le mérite de mettre en exergue les ambivalences d’un personnage hors du commun. Le tableau a été réalisé bien des années après la mort de Côme. Il demeure toutefois le portrait le plus fidèle du père de la patrie, tant au niveau de l’aspect physique que de l’esprit qui s’en dégage.
Si le nez long et la lèvre pulpeuse trahissent son origine plébéienne, on devine aisément l’importance du personnage. De profil, la tête inclinée à la manière d’un sage, son regard et la position des mains traduisent une sérénité propre à ceux qui sont les maîtres de leur destin.
Un destin marqué certes par la violence politique mais également par la promotion intensive des arts et de la culture gréco-latine. La suite dans le prochain article...
- Du Plessis Ancien membre d'HistoriaGames
- "La politique consiste à rendre possible ce qui est nécessaire." (Richelieu)