Les Uscoques, des pirates en mer Adriatique à la Renaissance

Dandy Boy
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4 avril
2017

La piraterie est aussi ancienne que l’est la civilisation, là où le commerce prospère, les pirates sévissent.

Déjà présents en Méditerranée dans l’Antiquité, les pirates continuent de sévir jusqu’au XIXème siècle et la prise d’Alger par les troupes françaises du roi Louis Philippe en 1830.

Au XVIIème siècle, bien que son influence soit en déclin depuis déjà un siècle face à l’avancée des Ottomans, la République de Venise fait toujours partie des principales puissances commerciales en méditerranée.

La Méditerranée est le théâtre de luttes et d’échanges intenses entre plusieurs puissances européennes et orientales ; il y a en tout premier lieu la guerre « entre la Croix et le Croissant » qui voit s’affronter chrétiens et musulmans.

Les chevaliers de l’ordre de Malte et les Barbaresques sont les principaux protagonistes. Ce sont des corsaires, bien qu’ils n’aient pas de lettres de marque de la part d’un souverain, ils agissent dans l’ombre d’une grande puissance (l’Espagne d’un côté et l’empire Ottoman de l’autre) dont ils ont le soutien.

La mer Adriatique quant à elle s’avère être la petite mare nostrum vénitienne. Même si plusieurs puissances voisines cherchent à s’installer sur les côtes de l’Adriatique, en particulier l’empire Habsbourg, elle reste la principale puissance maritime présente.

Si dans l’imaginaire collectif le pirate est « classiquement » un individu en marge de la société voguant sur les mers et les océans afin d’assouvir sa soif de liberté, les pirates dont je vais vous parler aujourd’hui sont loin de cette image romantique et pratiquent la piraterie avant tout dans un but de survie.

Qui sont les Uscoques ?

Dessin représentant un Uscoque, datant du XIXème siècle. Conservé au Zagreb City Museum.Dessin représentant un Uscoque, datant du XIXème siècle. Conservé au Zagreb City Museum.

Le terme « Uscoque » nous vient du nom croate Uskoci signifiant « celui qui se tient en embuscade ». Il s’agit de population croate de religion catholique dont la zone d’action est circonscrite à l’Istrie et la côte Dalmate.

Comme nous l’avons vu en présentation, la piraterie pratiquée en Méditerranée relève principalement de corsaires au service d’une grande puissance ; or ce n’est pas le cas des Uscoques qui pratiquent la piraterie à des fins de survie.

En effet, les Uscoques se sont retrouvés coincés entre la mer, l’empire de Habsbourg et l’empire Ottoman. Leur installation précaire est due en grande partie à l’expansionnisme ottoman dans les Balkans au XVème siècle, dont les pillages ont fait des ravages à l’intérieur des terres.

Le territoire de Bosnie tombe en 1463 ; puis en 1483, c’est le tour de l’Herzégovine. En 1493, la fine fleur de la noblesse croate est fauchée par les Ottomans à la bataille de Krbava. De 1522 à 1524, les villes croates de Skradin, Knin, Ostrovica et Sinj tombent sous les coups des Ottomans.

Ainsi, c’est tout un peuple, rejeté de son territoire, qui se retrouve plongé dans la misère et se voit poussé au brigandage pour assurer sa survie.

Il faut savoir que, lorsque les Ottomans envahissent un territoire, l’opération se déroule en trois phases : d’abord, le pillage et les raids. Il s’agit là de la phase la plus dévastatrice, qui vise à affaiblir la population et l’économie du territoire visé. Puis, les Turcs entament le siège des principales fortifications par l’armée régulière, afin de briser la force militaire de l'ennemi. Et enfin, les Turcs entament un processus de consolidation du pouvoir par un gouvernement militaire et l’installation de garnisons au sein des places fortes nouvellement conquises.

Les raids ont également pour effet de faire fortement décliner la population des Balkans. Le chroniqueur Jakob Unrest affirmait qu’en 1474, 14.000 Croates des côtes avaient été tués ou réduits en esclavage. De même, des rapports vénitiens rédigés par des officiers en garnisons sur les côtes balkaniques font aussi état des ravages causés par les raids turcs.

Dans son rapport daté de 1501, le patricien vénitien Giacomo da Molin rapporte que plus de 10.000 personnes et 80.000 animaux avaient disparu du territoire (près de Zadar) pris par les Turcs en trois raids ou tués par la peste.


Carte de l4empire Ottoman du XIVème au XVIIème siècle.

Une "maladie endémique de l'Adriatique"



La forteresse des Uscoques à SenjLa forteresse des Uscoques à Senj, construite par Ivan Lenković rn 1558.

Pour Venise, il s’agit d’un véritable problème, Alberto Tenenti parlant de « maladie endémique de l’Adriatique ».

Les forteresses de Klis et Senj devinrent au XVIème siècle des refuges pour les Uscoques et des bases pour leurs activités comme des enclaves militaires. En 1590, le capitaine nommé à Senj souligne que « les Senjani n’avaient pas d’autre moyen de vivre que de piller les terres de l’ennemi sur mer et sur terre ».

Leurs principales proies sont donc les navires de commerce vénitiens qui remontent la côte jusqu’à la lagune de Venise. Pour la Sérénissime, c’est un véritable problème économique à gérer.

Pour ce faire, plusieurs débarquements dans les Balkans sont effectués ainsi que des raids maritimes mais il n’y a pas assez d’investissement dans le temps de la part de Venise ce qui explique l’échec à long terme.

Venise a même cherché à faire reconnaître auprès des autres Princes d’Europe les Uscoques comme étant des « aventuriers » et des « bandits ». L’objectif était d’obtenir une sorte de reconnaissance internationale donnant toute légitimité pour combattre le peuple Uscoque, permettant ainsi de demander de l’aide à d’autres puissances pour mettre fin à leurs actes de piraterie.

De plus, il faut savoir que si Venise a du mal à mener une politique de lutte efficace, c’est en grande partie dû au fait que le Sénat refuse de dépenser de l’argent en permanence pour maintenir ses troupes. Chaque fois qu’une paix est signée avec d’autres puissances « officielles », Venise désarme l’ensemble de la flotte de guerre, or les pirates croates ne sont pas une nation étatisée reconnue mais plutôt un peuple en exil, et leurs raids n’ont pas de fins politiques, seulement celle de la survie.

Un mal nécessaire

Les Uscoques sont au final un peuple acculé qui vit de brigandage maritime et terrestre pour subsister. Mais la particularité est « l’usage » qui est fait de ce peuple par les grandes puissances de la région.

En effet, si l’empire Ottoman est responsable de cette situation, l’empire des Habsbourg continue de pousser les Uscoques à attaquer les navires vénitiens afin d’affaiblir la Sérénissime qui est son voisin.

Ceci conduit la République de Venise à déclarer la guerre aux Habsbourg en 1615. Le traité de paix de Madrid, signé le 26 septembre 1617, dans lequel l’Autriche s’engage à faire cesser les attaques des Uscoques contre Venise, met fin à ce conflit.

Mais la promesse n’est pas tenue et les raids se poursuivent durant le XVIIème siècle...

Bibliographie

  • Battista Nani, Histoire de la République de Venise, Seconde partie, tome 1 et 2, Amsterdam, chez Henri Schelte, 1702.
  • Michel Fontenay, La Méditerranée entre la Croix et le Croissant, navigation, commerce, course et piraterie (XVIe-XIXe siècle), Paris, éditions classiques Garnier, 2010.
  • Catherine Wendy Bracewell, The Uskoks of Senj: Banditry and Piracy in the sixteenth century Adriatic, 1986.
  • Alberto Tenenti, Naufrages, corsaires et assurances maritimes à Venise: 1592-1609, Paris, SEVPEN, 1959.
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  • « Nous sommes trompés par l'apparence du bien » par Horace.