Tribune : Facebook et l'Histoire, entre incohérence et dangers de la politique de l'autruche

Roi de Dreamland
Thématique
Coup de gueule
3 août
2020

« On en a gros ! »

Je n’ai pas pour habitude d’étaler mes opinions personnelles sur la place publique. Les quelques fois où j’ai pu m’hasarder maladroitement et malencontreusement à le faire sur HistoriaGames m’ont vertement été reprochées, que ce soit par mes collègues ou par les gens qui ne partageaient pas ma façon de voir les choses, ce qui tend d’ailleurs à prouver le faible niveau de tolérance de certains envers les individus qui ne pensent pas (exactement) comme eux...

Pourtant, ils n’avaient pas tort. Si l’Histoire est forcément subjective de par son récit, un site comme le nôtre se doit de se montrer rigoureux, précis et aussi objectif que possible dans la restitution des faits qu’il délivre à ses lecteurs. Nous nous voulons professionnels et sérieux dans cette transmission que nous vous faisons, au quotidien, de notre amour pour l’Histoire et les thématiques vidéoludiques.

Toutefois, les récentes évolutions auxquelles nous faisons face depuis maintenant quelques semaines et les difficultés croissantes dont nous sommes témoins, principalement sur la plateforme Facebook, me poussent aujourd’hui à sortir de ma réserve pour m’exprimer et prendre la parole. Pourquoi ? Parce que j’estime que nous sommes en présence de signes avant-coureurs aussi dérangeants que dangereux. Si pour l’heure, il n’y a pas, encore, péril en la demeure, cela ne saurait tarder vu la direction que prennent les choses...

Ces derniers mois, nous avons reçu de la part de Facebook deux rapports d’infractions concernant deux de nos « anecdotes historiques quotidiennes » que vous êtes nombreux à apprécier lire et découvrir au jour le jour. Concrètement, il est reproché à ces publications d’enfreindre les règles établies par les « standards de la communauté Facebook ».

La première d’entre-elles date du 28 avril 2020 et revient sur les conditions de la mort de Benito Mussolini, dirigeant de l’Italie fasciste durant le second conflit mondial. Rien de plus qu’un simple texte présentant les faits, accompagné par une photo avec une affiche du dictateur italien collée sur un mur.

La seconde date du samedi 1er août 2020 et raconte l’ouverture des Jeux Olympiques de Berlin de 1936. Encore une fois, rien de plus que du factuel, avec entre autres la victoire de l’athlète américain Jesse Owens qui contraria Hitler au plus haut point en battant son champion aryen. À cette anecdote, nous joignons un cliché de la cérémonie d’ouverture sur lequel figure le chancelier allemand.

Notre crime impardonnable qui nous a valu un rappel à l’ordre et une menace de censure et de bannissement temporaire de notre page de la part de Facebook, vous l’aurez compris, est d’avoir eu l’audace et la folie, en 2020, de joindre à ces deux anecdotes des clichés sur lesquels figurent Hitler et Mussolini...

Rassurez-vous toutefois, car nous avons trouvé un moyen de vous diffuser l’un de ces clichés sans que cela ne choque la fragile conscience du réseau social américain. Voyez plutôt par vous-même à quel genre de stupidité nous en sommes réduits pour rentrer dans les clous fixés par Facebook :

Tribune : Facebook et l'Histoire, entre incohérence et dangers de la politique de l'autruche

« N’en fais-tu pas un peu trop ? Pourquoi cela est-il si gênant après tout ? » allez-vous me dire ?

Non, je n’en fais pas trop, tout d’abord parce que notre cas est loin d’être isolé et que nombreuses sont les pages similaires aux nôtres qui font face aux mêmes stupidités. Il y a de cela deux semaines, « WW2 Coulourised Photos », l’une des plus grosses pages dédiées à la colorisation de clichés datant de la Seconde Guerre mondiale sur Facebook, avec près de 718 000 abonnés, a été contraint de migrer vers une nouvelle page et de repartir de zéro, car menacée de voir son fil d’actualité être fermé par le géant américain. Son crime ? Avoir osé publier des colorisations de photos sur lesquelles on pouvait voir des soldats allemands, y compris des SS... Au final, les administrateurs ont préféré se soumettre à la toute-puissance de Facebook et s’auto censurer, plutôt que de craindre de tout perdre. Un choix que nous avons également été contraint de prendre, à notre modeste échelle...

Tribune : Facebook et l'Histoire, entre incohérence et dangers de la politique de l'autruche

C’est particulièrement gênant, ensuite, car nous sommes contraints à une auto-censure pour des contenus dont aucun ne s’est montré injurieux, haineux ou n’a contribué d’une quelconque façon que ce soit à faire l’apologie du nazisme ou du fascisme. Pourtant nous voilà mis au banc. En 2020, il suffit donc de montrer une photo d’Hitler ou de Mussolini dans une publication sur Facebook pour être directement considéré comme potentiel promoteur de l’idéologie nazie. « Aucune présomption d’innocence, vous êtes tous de potentiels coupables », c’est donc le choix de la facilité et de la censure systématique que Facebook signe avec ce postulat. Une application à l’extrême du principe de précaution.

Tribune : Facebook et l'Histoire, entre incohérence et dangers de la politique de l'autruche

De facto, cette politique place un site comme le nôtre dans le même sac que des dizaines d’autres qui sont étrangement nostalgiques de la période du troisième Reich et qui pullulent partout sur le réseau social... Aussi, vous comprendrez aisément que je n’apprécie pas trop la chose.

Un choix qui, par ailleurs, se couple à une absence quasi-totale de modération et de contrôle de vérification réalisé par un être humain, puisque ces deux signalements qui nous ont été adressés sont l’œuvre d’un « bot » qui détecte les photos que Facebook juge indésirables. D’une certaine façon, nous sommes alors « jugés et condamnés » par une machine bête et stupide qui se contente d’appliquer froidement l’algorithme qu’on lui a ingéré et fait fi de toute considération relative au contexte de la publication et à sa finalité. La chose est on ne peut plus dérangeante, car le verdict sera le même pour une page faisant ouvertement l’apologie du nazisme et la nôtre qui se contente de vouloir transmettre des faits historiques pour apprendre et faire découvrir.

Il existe bien une façon de porter réclamation contre la décision prise par l’IA de Facebook, mais c’est en général inutile et peine perdue... Si une page possédant plus de 700 000 abonnés n’a pas réussi à faire entendre raison à Facebook, comment le pourrions-nous ? Bref, Facebook ne s’embête certainement pas à faire du cas par cas.

J’en viens donc à pousser le « coup de gueule » objet de cette tribune. Est-il sérieux et acceptable qu’en 2020, à une époque où l’accès à l’information n’a jamais été aussi conséquent et facile pour l’humanité, nous en soyons réduits à de telles absurdités ? La politique mise en œuvre par Facebook n’est pas seulement stupide. Elle est également incohérente, inefficace et dangereuse.

Tandis que nous nous retrouvons menacé de censure, des dizaines de pages assurant pour leur part réellement la promotion des idéologies totalitaires pullulent tranquillement sur Facebook et sur Internet. Je ne parlerais même pas de l’ensemble des symboles associés à l’URSS qui, malgré des massacres de masses planifiées tels celui de l’Holodomor et ses millions de morts, parviennent à passer la totalité des filtres sans le moindre problème...

Ainsi, Facebook, au-delà de ne pas parvenir à endiguer le processus contre lequel il met en place ces règles, n’arrive à rien de plus que de « tirer une balle dans le pied » des sites comme le nôtre pour lesquels la visibilité est importante... Le moyen détourné auquel nous avons eu recourt pour diffuser la photo tend par ailleurs à prouver l’inefficacité de cette censure aussi aveugle qu’injuste, aisément contournable une fois que l’on a compris son mode de fonctionnement...

Sur HistoriaGames, nous comprenons parfaitement la nécessité de lutter contre la diffusion et la promotion de ces idéologies nauséabondes qui connaissent hélas de nos jours un regain d’intérêt auprès d’une portion non négligeable de la population mondiale. Oui, il existe un problème, et oui, il faut mettre en place une stratégie cohérente pour le prendre en compte et le traiter. Sans doute cette stratégie n’est-elle pas aisée à trouver mais il est en revanche certain qu’elle ne correspond en rien aux moyens actuellement déployés par Facebook.

En quoi cette politique de l’autruche et de la facilité va-t-elle réduire la montée en puissance des idéologies extrémistes ? En quoi montrer un portrait de Mussolini ou d’Hitler est-il problématique sur une page historique ? Le recourt à la censure systématique n’a jamais été une solution efficace pour quoique ce soit. Ce n’est pas en faisant de Facebook une « safe zone » géante totalement aseptisée que les extrémismes vont perdre du terrain. Le réseau social américain donne davantage l’impression de se laver les mains de toute responsabilité relative au développement de ces idéologies en bannissant purement et simplement toute évocation y étant reliées de sa plateforme... Un peu comme un enfant qui, pour ne pas se faire gronder par ses parents, cache la poussière et la saleté sous son lit, Facebook « nettoie » son espace et se donne une fausse image de respectabilité hypocrite en donnant l’impression de lutter activement contre la diffusion de l’extrémisme. Ce n’est toutefois absolument pas le cas : la poussière est toujours là, elle a juste migré vers un autre endroit ou pris une autre forme.

Faire en sorte que ce lieu d’échange soit vidé de tout élément pouvant être considérée comme gênant dans un certain contexte et dans un certain cadre d’utilisation, c’est une négation de l’Histoire et c’est à coup sûr le meilleur moyen d’oublier son passé. Accessoirement, cela a un petit côté « autodafé » fort sympathique... Ce n’est en revanche absolument pas un moyen de corriger les comportements dérangeants de certains et de garantir que les spectres d’hier ne ressurgiront pas demain... En outre, avec sa censure aveugle et systématique, Facebook contribue à l’oubli du passé et entretient l’abrutissement de masse.

Le géant américain considère-t-il que les gens soient stupides à ce point et incapables de faire la part des choses pour appliquer cette solution ? Il a été prouvé depuis longtemps que l’éducation et la transmission du savoir sont des armes bien plus puissantes que le recourt à des filtres bloquant tout élément potentiellement dérangeant... Enseigner ce que fut le nazisme, présenter qui fut Hitler ce n’est pas adhérer à son idéologie ! Hélas, en 2020, dans une société de plus en plus manichéenne, Facebook semble persuadé du contraire...

Je suis pourtant sûr qu’en prenant le temps d’expliquer et de contextualiser les faits aux gens, la majorité d’entre eux pourrait aisément comprendre et saisir la nuance entre le fait de connaitre une idéologie et le fait d’y adhérer. Pour la minorité bruyante incapable de faire la distinction, je suis en revanche au regret de vous dire qu’il n’y a plus d’espoir et que rien ne pourra être fait pour les sauver.

Il n’y a qu’à voir ce qui se passe avec les platistes, les antivaxs et autres complotistes... Pire encore dans leurs cas, la censure peut avoir un effet contreproductif en les confortant dans leurs certitudes, car leur donnant l’impression que « ceux qui tirent les ficelles » cherchent à les faire taire et à les réduire au silence, eux qui sont des martyrs persécutés et les détenteurs d’une vérité qui dérange...

Pour finir, il est donc évident que c’est l’éducation et non la censure qui devrait être placée au centre de la stratégie déployée pour lutter contre les extrémismes, quels qu’ils soient. C’est en étudiant un phénomène et en cherchant à en comprendre la raison, en lieu et place de vouloir le museler et l’oublier, que l’on parvient à progresser en tant que nation, mais aussi en temps que civilisation. Il en va également de ce que nous désirons léguer aux générations futures, du devoir de mémoire et de la bonne transmission de l’enseignement de l’Histoire, déjà suffisamment malmené depuis quelques années... Malheureusement, vu les dernières évolutions constatées, je ne m’estime que peu optimiste pour l’avenir...

Je vous quitte ici et vous laisse réfléchir sur ces paroles pleines de sagesse de Sir Winston Churchill : « Un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre. »