Surcouf, le corsaire français qui fit trembler les mers

L'Amiral
Thématique
Piraterie
1er décembre
2017

1808, quelque part près de l’Inde, un officier anglais dont le navire vient d’être capturé par un corsaire français lui lance : « Vous, Français, vous vous battez pour l'argent. Tandis que nous, Anglais, nous nous battons pour l'honneur ! ». Amusé, le capitaine français lui répond alors : « Chacun se bat pour ce qui lui manque ».

Ce corsaire porte le nom de Robert Surcouf, et il sème la terreur sur les mers depuis 1795. Retour sur la vie de ce monument de la Marine française.

Une famille de corsaires audacieux

Robert Surcouf, peint en 1835.Robert Surcouf, peint en 1835.

Robert Charles Surcouf naît le 12 décembre 1773 dans la ville portuaire de Saint-Malo en Bretagne. Cette ville est depuis de longues années le port d’attache des corsaires français, ces marins auxquels le Roi confiait une lettre de marque leur permettant de se livrer à la guerre de course.

Les corsaires sont différents des pirates : alors que ces derniers sont considérés comme des criminels, les corsaires sont des soldats à la charge de leur pays. Leur lettre de marque leur donne l’autorisation de pourchasser, de détruire et de capturer les navires d’une nation adverse, avec de nombreuses conditions : déclarer ses prises, traiter les marins adverses comme prisonniers de guerre... De même, quand ils sont faits prisonniers, les corsaires ne sont pas traités en pirates, mais en prisonniers de guerre. Ces corsaires servent aussi à éviter trop de dépenses pour la Couronne : ils doivent eux-même armer leur navire et se paient sur les prises qu’ils font.

La vie à Saint-Malo est rythmée par l’océan, et de nombreux enfants de la ville se lancent dans la guerre de course. Surcouf, lui, est un cousin du corsaire Duguay-Trouain, qui a porté les couleurs de la France sur les mers jusqu’en 1736. Nicolas Surcouf, frère aîné de Robert, s’engage lui aussi comme corsaire. Leur arrière-grand-père paternel, Robert Surcouf de Maisonneuve, fut corsaire sous Louis XIV. Tout ce contexte familial et la proximité de l’océan pousse Robert Surcouf à se tourner vers les navires, et ce dès le plus jeune âge.

Après de courtes études théologiques désastreuses au collège de Dinan, Robert Surcouf fugue et s’engage le 3 août 1786 à 13 ans sur le Héron, en tant que simple mousse. Il apprend les bases de la navigation sur ce navire qui fait le trajet Saint-Malo - Cadix.

Deux ans plus tard, Robert Surcouf s’engage sur l’Aurore, un navire marchand faisant route vers les Indes pour y acheter ou vendre des esclaves. Après de nombreuses péripéties, Surcouf revient en Bretagne, à Port-Louis en 1790, où il est nommé officier de la marine marchande pour sa capacité à naviguer. Jusqu’en 1792, il monte en grade sur des navires de commerce voguant sur l’océan Indien. A la mi-1792, Surcouf est nommé enseigne auxiliaire à bord de la Cybèle, une frégate de 40 canons basée à l’Isle de France (aujourd’hui l’île Maurice).

Le 22 octobre 1794, son navire avec la frégate Prudente et la corvette Jean Bart chassent deux bâtiments britanniques effectuant le blocus de l’île. C’est là que Surcouf connaît son baptême du feu. A 20 ans, Surcouf est un marin reconnu, à un moment où la France en a besoin le plus...

Saint-Malo, sur une gravure du XVIIIème siècle.Saint-Malo, sur une gravure du XVIIIème siècle.

Ses premières armes

En juillet 1795, Robert Surcouf est nommé capitaine d’un petit navire de commerce, L’Emilie. Il doit se rendre aux Seychelles et y ramener des marchandises. Sitôt parti, Surcouf change de cap. Il fait signer une concertation avec son équipage, pour « mettre le navire en sûreté ». La réalité est toute autre : Surcouf a envie de se battre contre les Anglais. Le Français se trouve alors sur les côtes de l’actuelle Birmanie. Sa première prise - le 18 décembre 1795 - est un brick anglais, le Peguan. Surcouf continue d’écumer les côtes birmanes et indiennes, sans lettre de course.

Surcouf lors de la prise du Triton.Surcouf lors de la prise du Triton.

Le 21 janvier 1796, il repère puis capture le Cartier, brick-pilote anglais du Gange. Le capitaine de Saint-Malo voit de suite l’occasion de changer de navire : plus performant que son Emilie, il s’y installe avec seulement 23 hommes et 4 canons après avoir renvoyé L’Emilie vers l’Isle de France.

Avec son nouveau navire, Surcouf croise un Indiaman, énorme navire anglais affrété par la Compagnie des Indes. Le Triton de 1000 tonneaux possède 26 canons et 150 hommes d’équipage. Le Cartier de Surcouf, seulement 19 hommes et 4 canons... mais la ruse est avec le capitaine français. Il hisse le pavillon anglais, et s’approche tranquillement du Triton. Les Français sautent alors sur le pont du navire anglais alors qu’un marin amène les couleurs françaises. Le capitaine Philippe Burnyeat du Triton est abattu le premier, déstabilisant l’équipage, qui se rend.

À 23 ans, Surcouf vient de saisir une « cathédrale des mers » à l’aide d’une coque de noix ! Il fait alors route vers l’Isle de France, qu’il atteint le 10 mars 1796.

Le conflit des prises et l’ascension du « Roi des corsaires »

Auréolé de gloire, Surcouf s’attend à une large rétribution pour ses prises. Mais le fait qu’il ne possède pas de lettre de course le prive de récompense. Surcouf et ses armateurs entrent dans une rage folle, et le capitaine malouin se rend à Paris en août 1796 pour plaider sa cause devant le Conseil des Cinq-Cents.

L’exploit de la prise du Triton a précédé Surcouf, et finalement, le décret du 3 septembre 1797 attribue au capitaine un « don national » d’1 700 000 livres, montant estimé de sa prise. La France à cette époque est mal en point, notamment au niveau financier. Patriote, Surcouf propose alors d’accepter seulement 660 000 livres au titre de remboursement, réglé autrement qu’en livres.

De 1798 à 1800, Surcouf commande la Clarisse, 20 canons et 200 hommes d’équipage. Cette fois, il est en possession d’une lettre de marques. Il rôde alors dans l’océan Indien et fait 15 prises en deux ans, en retirant 264 millions de livres. À noter que son second n’est autre que son frère, Nicolas Surcouf !

En octobre 1800, Surcouf entre dans la légende. Il est alors aux commandes de La Confiance, un trois-mâts de 24 canons et de 160 hommes d’équipage. Le 7 octobre, un Indiaman, le Kent, se présente non loin du navire de Surcouf. L’anglais est armé de 38 canons et a plus de 400 hommes d’équipages. C’est un adversaire de taille que va affronter Surcouf.

De son côté, le capitaine anglais Robert Rivington ne doute pas une seconde de sa supériorité : il convie ses passagers (dont le général Saint-John et sa femme) à « assister au spectacle ».

Tôt le matin, proche du Gange, Surcouf invective ses hommes. L’écrivain Louis Garneray a noté les mots du capitaine malouin :

« Mes amis, nous dit Surcouf, dont le regard étincelle d'audace, ce navire appartient à la compagnie des Indes, et c'est le ciel qui nous l'envoie pour que nous prenions sur lui une revanche de la chasse que nous a donnée hier la Sybille ! Ce vaisseau, c'est moi qui vous le dit, et je ne vous ai jamais trompé, ne peut nous échapper !... Bientôt il sera à nous, croyez-en ma parole !

Mes bons, mes braves amis ! vous voyez sous notre grappin, par notre travers, en voguant à contre-bord de nous, le plus beau vaisseau que Dieu ait jamais, dans sa sollicitude, mis à la disposition d'un corsaire français ! Il est plus fort que nous, direz-vous, j'en conviens ; je vais même plus loin, j'avoue qu'il y aura du poil à haler pour l'amariner. Oui, mais quelle joie quand, après un peu de travail, nous nous partagerons des millions ! Quel retour pour vous à île de France !

Nous sommes trop ras sur l'eau pour les craindre... les boulets passeront par-dessus nous ! À présent, sachez que d'après mes calculs, et je vous gardais cette nouvelle pour la bonne bouche, nos basses vergues descendront à point pour établir deux points de communication entre nous et lui... Ce sera commode au possible ! Une vraie promenade. C'est compris et entendu ? »

La prise du Kent : notez la différence de stature entre les navires.La prise du Kent : notez la différence de stature entre les navires.

Ainsi motivé, l’équipage de Surcouf n’hésite pas. Le capitaine français fait distribuer de grandes piques aux marins non combattants, avec ordre de piquer les marins français hésitants ou les marins anglais trop aventureux !

Les marins placés sur les hunes (plateforme entre les voiles) reçoivent des grenades, avec comme consigne de les jeter dès l’assaut commencé.

Surcouf, par une manoeuvre audacieuse, place sa Confiance sur le flanc du Kent, et l’aborde. Les marins anglais sont alors totalement surpris : eux qui pensaient que les Français allaient se rendre facilement ! Les marins français retournent les canons anglais chargés à la mitraille et les font tonner sur le pont.

En dix minutes, les Anglais perdent 16 hommes (dont le capitaine Rivington), les Français seulement quatre. Le Kent est pris. Surcouf arrête le début de pillage, et veille à ce que les passagers soient bien traités. C’est à ce moment qu’une amitié forte naît entre le capitaine français et une princesse allemande à bord, femme du général Saint-John.

Surcouf arrive à l’Isle de France le 16 novembre 1800 avec le Kent et la Confiance. La vente du Kent et de sa cargaison rapportera à Surcouf 100 millions de livres. Cette prise aura un impact énorme en France où le nom de Surcouf deviendra très respecté, arrivant même aux oreilles de Napoléon.

Aujourd’hui, la prise du Kent reste un élément très fort dans la Marine française, avec la chanson « Au 31 du mois d’août ». Surcouf y gagne le surnom de «Roi des corsaires »... et surtout une incroyable richesse, avec plus de 500 millions de livres accumulées depuis 1798 !

Surcouf, une retraite qui ne dure jamais longtemps

En 1801, Robert Surcouf est de retour à Saint-Malo. Ses exploits ont fait de lui un homme reconnu et respecté de tous. Il épouse alors Marie-Catherine de Maisonneuve, fille d’un armateur malouin. Il n’abandonne pas ses projets de reprendre la guerre de Course : il est en train d’armer un navire quand surgit la paix d’Amiens de 1801 (le Royaume-Uni fait la paix avec la France). Surcouf est alors contraint de se livrer au commerce maritime, mais la courte durée de la paix (treize mois) lui donne l’occasion de reprendre du service.

Le capitaine malouin décide de se lancer en tant qu’armateur de corsaires : de 1804 à 1808, quatre de ses navires feront la guerre de Course, avec des succès plus ou moins grands. Mais Surcouf se languit de l’océan.

À l’été 1803, Napoléon, à la tête de la France, le convoque et lui propose un grade élevé dans la Marine française. Néanmoins, le Malouin reste une forte tête, et n’aime pas être commandé par plus gradé que lui. Il refuse alors, à la grande surprise de Napoléon. Le futur empereur des Français lui fait miroiter des gains élevés ; ce à quoi Surcouf répond « J'ai déjà tout ce qu'il me faut : mon cabinet est tapis de lingots d'or ». Napoléon, offusqué, s’exclame « Comment ? Mais vous me marchez sur la face ! » et Surcouf, dans toute sa facétie, rétorque : « Non Monsieur, je les ai disposés sur la tranche... ».

En 1807, Robert Surcouf reprend la mer de lui-même, à bord du Revenant (le nom du navire est évocateur) de 20 canons. Il rejoint les côtes de l’Inde, où il sème la terreur parmi les navires de commerce anglais. En cinq mois, Surcouf capture quinze navires et récolte 2,5 millions de francs de gains. Quelques prises augmentent encore sa fortune, mais de 1809 à 1814, le Malouin se remet dans son rôle d’armateur, avec plus ou moins de succès.

La fin de la course et le repos final

La statue de Surcouf à Saint-Malo.Robert Surcouf, peint en 1835.

L’année 1814 voit la fin de la guerre de course - et des opérations maritimes de la France. Jusqu’en 1827, Surcouf utilise sa fortune pour gérer des navires commerciaux. Il est un des armateurs les plus en vue de Saint-Malo, mais acquiert aussi plus de 800 hectares de terrains divers, allant de la métairie au pré.

Son rythme de vie est marqué par sa richesse : Surcouf devient obèse, et est bientôt rongé par un cancer. Le traitement de son affection par les sangsues n’aide en rien : affaibli, il meurt dans sa maison de campagne non loin de Saint-Servan le 8 juillet 1827.

Le « roi des corsaires » a marqué durablement l’Histoire de France : pas moins de cinq bâtiments de la Marine française ont été nommés après lui. Aujourd’hui encore, Surcouf reste un des monuments de la ville de Saint-Malo, où l’on peut y voir sa statue et regarder l’océan comme l’a fait le fameux corsaire malouin.

Sources

  • Louis Garneray, Corsaire de la République : Voyages, aventures et combats, Editions Phébus, 2011, 337 pages.
  • Alain Roman, Robert Surcouf et ses frères, Editions Cristel, 2007.
  • Witz Rédacteur, Testeur, Chroniqueur, Historien
  • « L'important n'est pas ce que l'on supporte, mais la manière de le supporter » Sénèque