Grand Homme de l'Histoire : William Penn
10 février 2015 par Da Veenci | Grand Homme de l'Histoire | Époque moderne
Nous sommes dans le Lubéron. 7h32 du matin. Le réveil sonne. Jean descend les escaliers à toute allure. Il s'assied. Maman dépose un paquet jaune devant sa tête. Il verse un peu de ses quakers dans son bol. Il les asperge de lait. Il en mange. Il en mange tellement qu'il croit voir la petite tête boudinée surmontée d'un étrange chapeau noir, l'emblème de la marque, lui parler : « Mon jeune ami, je suis William Penn, fondateur de la Pennsylvanie, ami des Indiens Delaware et libre penseur anglais du XVIIème siècle. Je vais te conter mon histoire ainsi que celle d'autres grandes figures des futurs États-Unis... » Le petit Jean s'endort sur la table, tandis que sa mère s'affaire pour retrouver son maillot de foot. Quelques minutes de culture ne feront pas de mal à ce jeune garçon...
Qui est donc William Penn ?
William est né dans une famille de marins émérites : le grand-père avait été nommé consul de Salé au Maroc en 1637, car il avait, grâce à ses expéditions corsaires, libéré plusieurs centaines d'otages anglais des Barbaresques. Le consul eut deux fils, George et William.
William, le père du quaker, devint un excellent marin et fit ses preuves notamment au cours de la guerre contre la Hollande (conflits s'étant déroulés entre 1652 et 1784) devient Vice-Amiral de la Flotte de Sa Majesté. George, quant à lui, menait une vie de riche marin-marchand en Espagne quand, au moment de se marier avec sa dulcinée espagnole, l'Inquisition (qui fut présente jusqu'en 1812 en Espagne) le mit en cage ; on ne pouvait accepter qu'une catholique épouse un protestant ! Torturé, les ongles rôtis à petit feu, le pauvre George allait être pendu quand son frère le sauva in extremis, en l'échangeant contre un prince espagnol (Don Juan de Urbino) qu'il venait de capturer au large de l'Irlande. Ouf ! Sauvé par la famille, le frérot revint en Angleterre et contera ses terribles aventures marquées par l'obscurantisme religieux à son petit neveu, William Penn Jr., né en 1644 de l'union de son père avec Margaret Jasper.
Cromwell monte au pouvoir en 1653 et bien que le père de William Jr soit en bon terme avec le dictateur, ils se brouillent et le Vice-Amiral est obligé de fuir en Irlande en 1656. Là-bas, la famille Penn est intriguée par un brillant prédicateur quaker nommé Thomas Loe... Celui-ci marquera le jeune William pour le reste de sa vie.
En 1658, sa famille retourne en Angleterre. Après la mort de Cromwell et le retour de Charles II, il sera envoyé à la prestigieuse école d'Oxford. Élève brillant, le jeune homme fait l'unanimité tant auprès des élèves que des professeurs jusqu'à ce que l'on découvre l'intérêt particulier que porte le bonhomme au puritanisme, et plus particulièrement au quakerisme, étrange doctrine prônant l'égalité des Hommes et la non-violence ! Au grand dam de son père, Willy est expulsé de l'école, après une véritable lutte entre les étudiants anti et pro-William Penn…
Un exil français très instructif
Son père, qui désespère de voir son fils devenir aussi droit et pieux, l'envoie à la cour du jeune Roi Louis XIV, alors exemple d'élégance et de raffinement en Europe. Willy s'y rend donc en 1662. Il devient un courtisan raffiné et élégant, ce qui rassure son père. Celui-ci l'autorise à se rendre à la fameuse Académie Protestante de Saumur où enseigne un certain Moyse Amyraut. Ce grand théologien aura de l'influence sur Penn, les discours du maître développant chez le jeune Anglais son principe de la Royauté intérieure ou encore le principe du Pacifisme (ou non-violence) et l'organisation démocratique de l'Église Protestante Française renforcera sa confiance en l'idéal républicain…
Les Quakers et le départ vers l'Amérique
Le quakerisme est un mouvement protestant anglais, fondé par George Fox vers 1650, qui refuse la tutelle de l'Église réformée sur la religion et qui prône divers principes :
- Le principe de la lumière intérieure, l'illumination ne doit pas venir de l'extérieur, mais de l'intérieur du chrétien, le rapprochant de Jésus-Christ
- Rejet de tous les filtres entre le chrétien et Dieu : sacrements, églises, prières écrites…
- La liberté totale du croyant, car elle est fondée sur la lumière de Dieu
- Pacifisme, la non-violence, principe révolutionnaire à l'époque
Rapidement, William Penn se convertit au quakerisme, attiré par la liberté qui y est prônée et l'illumination intérieure dont il se sent proche. Il est enfermé entre 1668 et 1670, la foi quaker étant très mal acceptée par les institutions anglaises qui voyaient en elle une incitation à la révolte... Mais William Penn est finalement libéré quelques jours avant la mort de son père, avec qui il a juste le temps de se réconcilier dans ses dernières heures, ce dernier n'ayant jamais accepté le tournant puritain et encore pire quaker de son fils. Il hérite d'une immense fortune, de la créance de l'oncle en Espagne (en effet, George Penn, son oncle, ne désespérait pas de récupérer ses biens perdus lors de sa capture par l'Inquisition et avait transmis cette créance à son frère au moment de sa mort) et de 40 millions de livres de rente, sans compter que la couronne lui doit 16 000 livres ! Il met rapidement cet argent au service de sa cause et de ses frères opprimés, qui manquent cruellement de soutien.
Progressivement attiré par les nouveaux territoires vierges de la Côte Est de l'Amérique du Nord, il décide d'y fonder une colonie en 1681. Le premier départ important de quakers se situant en 1682, Penn arrivera en octobre 1682. Rapidement, d'autres navires suivent et les colons étendent leur territoire dans le New Jersey en les rachetant aux anciens propriétaires. Les quakers s'établissent dans les comtés de Philadelphie, Bucks et Chester. Aussi, il obtient en 1681 l'échange de la créance de la couronne contre des territoires situés au-delà du Delaware. En effet, Charles II n'était pas mécontent d'échanger quelques lopins de terre peuplés d'Indiens contre l'annulation de sa dette...
Une expérience unique
William Penn met en place dans ce qu'il appelle sa « Sainte Expérience » de politique, une charte qui régit sa colonie. Cette charte garantit la liberté de conscience de chacun, impose la non-violence et divers principes qui en font une société très libérale. Il établit aussi un traité d'acquisition de la région avec les Indiens à Shacamaxon, aujourd'hui un quartier de Philadelphie (nom qui signifie d'ailleurs « amour fraternel »), car s'il a déjà acquis les terres auprès de la couronne anglaise,
il désire maintenir de bonnes relations avec les autochtones. Néanmoins, l' « expérience » éclate totalement en 1756, avec la guerre entre les Indiens Delaware et Shawnee et les colons, ces derniers étant désormais pour la plupart non-quaker, et ayant eu une attitude plus violente avec les indigènes.
La postérité et les céréales
Les principes établis par Penn et les quakers en Amérique étaient peut-être trop en avance sur leur temps ou trop idéalistes, ils ont tout de même marqué durablement la conscience américaine. Certains de ces principes étant de ceux desquels les USA se réclament aujourd'hui les garants, notamment au niveau de la liberté de culte. William Penn a été fait citoyen d'honneur des USA en 1984.
Penn reste aussi dans l'imaginaire collectif comme l'emblème de la marque « QuakerOats », société fondée en 1901, et qui a vraisemblablement utilisé le nom « Quaker », car la Société des Amis (nom officiel des quakers) était réputée pour sa grande honnêteté. Aujourd'hui le groupe appartient à PepsiCo (Pepsi, Doritos, Gatorade...).
Livre sur le sujet
- Jeanne Henriette Louis, William Penn et les Quakers, ils inventèrent le Nouveau Monde, 1990, Gallimard, 176 pages.
- Da Veenci Prospect, Chroniqueur, Historien
- « Vivant, il a manqué le monde. Mort, il le possède » écrit Chateaubriand à propos de Napoléon.