Visite à l'exposition "Filmer la guerre" au Mémorial de la Shoah

2 février 2015 par Lyrik | Filmer la guerre : Les Soviétiques face à la Shoah (1941-1946) | Deuxième guerre mondiale | Musée

Visite à l'exposition "Filmer la guerre" au Mémorial de la Shoah

Cette année, cela fera 70 ans que la Seconde Guerre mondiale a pris fin. Près de 60 millions de victimes, des batailles célèbres et une extermination de masse. Dernièrement, c'est la libération d'Auschwitz qui était commémorée. C'est dans ce cadre qu'est organisée à Paris, dans le mémorial de la Shoah, l'exposition "Filmer la guerre : Les Soviétiques face à la Shoah (1941-1946)".

Du 9 janvier au 27 septembre 2015, celle-ci permet donc, films fictionnels ou d'archives et photos à l'appui, de comprendre la découverte progressive des camps par les Soviétiques et l'usage de ces sources dans la propagande et les grands jugements de l'après-guerre.

Le contenu

L'opérateur Avenir Sofin sur le front. © RGAKFD.Découpée en 2 grandes salles, elles-mêmes subdivisées par de petites palissades, l'exposition fait la part belle aux archives vidéos. Ces films ont été réalisés par des opérateurs soviétiques afin de prouver à l'opinion internationale les destructions, ravages et massacres menés par l'ennemi dans le cadre de la guerre idéologique qui sévissait à l'Est, de mobiliser le peuple et l'armée, enfin, d'avoir à disposition des preuves pour d'éventuels procès.

Armés d'une caméra, ces hommes risquèrent leur vie autant que les soldats lambda et plus d'une centaine d'entre eux périrent au combat. Les conditions de tournage sont difficiles, précaires, l'équipement faisant défaut dès 1941 (caméras trop lourdes, matériels défectueux) et les enregistrements sonores étant assez rares. Avec le prêt-bail (l'aide américaine à l'URSS) le matériel s'améliore sensiblement, permettant de meilleures prises.

Informer

L’opératrice Ottilia Reizman à Budapest (Hongrie) en 1944. Après la guerre passée au front dans une unité de partisans, elle continuera à filmer pour les actualités. © RGAKFD.Présentant progressivement l'évolution de l'extermination des Juifs, mais aussi l'avancée de l'Armée rouge, l'exposition s'organise d'abord autour des crimes nazis, les découvertes réalisées par les troupes soviétiques (fosses, charniers, camps d'extermination…) alors que l'ennemi a déjà commencé à faire disparaître ou à dissimuler les preuves de ses massacres, notamment en vidant les fosses et brûlant et broyant les restes de leurs victimes comme à Babi Yar en Ukraine où plus de 33 000 personnes (Juifs, prisonniers de guerre, communistes, otages...) furent assassinées entre les 29 et 30 septembre 1941. Ou encore en liquidant, démantelant et dynamitant les infrastructures, tels les camps et les ghettos, qui leur servirent à accomplir leurs méfaits.

L'exposition montre d'ailleurs que l'avancée soviétique étant tellement rapide dans les dernières années de la guerre, l'Armée rouge parvint à prendre en flagrant délit les soldats allemands dissimulant ou détruisant les preuves. C'est le cas du camp de Klooga, l'Armée rouge libérant le site avant la liquidation complète des déportés. Des bûchers furent d'ailleurs retrouvés, certains avec des cadavres, d'autres non utilisés. L'exposition s'attarde sur ce fait via des rushes (l'ensemble des documents tournés) d'époque, montrant notamment ces bûchers.

Enfin celle-ci s'attarde aussi sur la libération des camps, images à l'appui.

La Propagande

Mais l'exposition ne s’arrête pas à la simple présentation des archives soviétiques. Elle cherche notamment à expliquer leur utilisation dans la propagande. En effet, l'invasion du 22 juin 1941 fut si soudaine et brutale que l'Armée Rouge fut balayée. Il fallait mobiliser le peuple dans l'effort de guerre, afin de mener cette « Guerre patriotique » face à l'envahisseur germanique.

Mais, il fallait également montrer au reste du monde les combats et destructions subis, afin d'obtenir l'ouverture d'un second front et faire bonne figure auprès des alliés (qui n'avaient pas oublié l'invasion germano-soviétique de la Pologne en septembre 1939), quitte à déformer les faits, comme en imputant aux Allemands le massacre de milliers d'officiers et membres de l'élite polonaise, dans les charniers de Katyn. Lorsque la réalité éclata et que la responsabilité soviétique fut découverte (ce sont eux les responsables du massacre), leur réputation fut ternie et les renseignements qu'ils fournirent aux alliés étaient dorénavant pris avec certaines précautions.

Enfin, il s'agissait aussi d'avoir des preuves de tous ces méfaits, tout d'abord en enquêtant dessus, notamment en mobilisant des délégations spéciales, comme la « Commission extraordinaire d’État chargée de l’instruction et de l’établissement des crimes des envahisseurs germano-fascistes et de leurs complices » (TchéGuéKa), qui expertise les sites et les restes afin de pouvoir ensuite s'en servir auprès de la justice, lors des jugements de l'après guerre, pour obtenir réparation et juger les responsables.

En effet, les preuves picturales et filmées sont d'une grande aide dans ces cas-là. On peut ainsi visionner, au cours de la visite, de nombreux témoignages de survivants ou de témoins au cours de différents procès.

Et la Shoah dans tout cela ?

Déportés présents dans le camp d'Auschwitz à la libération du camp. Pologne, 1945. © Collection particulière. Famille Kutub-Zade.La dernière partie s'intéresse surtout au fond des archives, sur un trait bien spécifique : « quelle est la place réservée à la Shoah dans ces sources ? » . Car en effet, il est assez surprenant de voir que la religion des victimes est souvent éludée au profit du terme « paisible citoyen » ou un synonyme assez large. Il s'agit tout bonnement d'un choix que les Soviétiques durent faire, afin de pouvoir mobiliser la population, que celle-ci se sente concernée par le conflit en cours et qu'elle ne se dise pas justement que, n'étant ni de religion judaïque, ni communiste, elle ne risquait donc rien.

La manipulation des dires, des faits et des images va donc longtemps porter préjudice aux Soviétiques, notamment pour le massacre de Katyn, les reconstitutions de la libération d'Auschwitz (avec les déportés tout sourire qui se jettent les bras ouverts sur leurs libérateurs) ou encore concernant la disparition de la religion des victimes dans les discours. Néanmoins, lorsque le besoin fut nécessaire, notamment pour les jugements de l'après-guerre, les Soviétiques fournirent des archives et des documents en adéquation avec les chefs d'inculpations, remettant en avant par exemple, la religion des victimes ou leur nationalité.

L'exposition peut sembler à première vue assez courte. Pourtant, les différentes vidéos visionnables ainsi que les panneaux explicatifs feront durer la visite entre une et deux heures. L'exposition est très instructive et le contenu présenté, parfois assez violent, est en grande partie peu connu ou inédit. Cette exposition est donc largement recommandable, gratuite de surcroît !

Vous trouverez les renseignements utiles sur cette exposition sur le site officiel à cette adresse : http://filmer-la-guerre.memorialdelashoah.org/. Les photos ci-dessus sont issues de ce site.

  • Lyrik Le Vétéran, Chef de la section audiovisuelle, Testeur, Chroniqueur, Historien

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