Confrontation Epique N°3 - Khalid ibn al-Walid contre Narsès : Le Choc de l'Orient

6 mars 2015 par Da Veenci | Confrontation épique | Moyen-âge | Chronique

Bataille sur les pentes du Vésuve. Peinture d'Alexander Zick

« Demain matin à l'aube, ce serait parfait non ? » dit Totila, en s'adressant aux troupes byzantines massées à quelques dizaines de mètres. Pas un geste. Pas un mouvement en guise de réponse. Juste le croassement des corbeaux qui tournent autour de la petite colline, en quête d'os à grignoter... Le silence de la guerre. Une belle bande de coincés ces romains d'Orient pensa le roi des Ostrogoths. Il a beau les charger avec sa cavalerie, les défier en duel, les affamer en mangeant de savoureux pilons de chez KFC (traduisez par Koliseum Friae Chikenus, le délicieux poulet que l'on retrouve à l'auberge Marc-Aurèle, près du Macellum du centre de Rome, via Augustus), rien n'y fait ! Impassibles ces idiots ! C'est qu'il commence à avoir faim ce brave Totila le Gourmand, et puis vu que ces 2000 latinistes en herbe veulent pas dégager, autant leur faire croire que je crève le pavé au point de m'en aller...

Vous êtes en Juillet 552, il fait 25°C, et vous allez découvrir sous vos yeux ébahis un terrible affrontement entre les Byzantins à la reconquête de l'Italie et les Ostrogoths...

Biographie de Narsès

Homme traditionnellement identifié comme Narsès, sur une mosaique de la basilique de Saint-Vital à Ravenne représentant Justinien et son entourage.Narsès (vers 478-573) est un brillant général byzantin. Ce personnage est surement né en Perse (ou en Arménie ?) et est eunuque de son état. Il devient ensuite chambellan de l'empereur Justinien 1er. Son premier fait d'exception réside dans sa négociation réussie avec la faction rebelle qui s'était soulevée contre l'empereur (Sédition Nika, qui fit 30 000 morts chez les rebelles, et qui avaient des causes politiques et sociales ainsi qu'en partie religieuses) en 532. Grâce à son talent de la négociation, il réussit à acheter les chefs révolutionnaires.

Devenu homme de confiance de l'empereur, il est envoyé en Italie pour seconder (et surveiller) Bélisaire dont Justinien se méfie. Après quelques tensions avec Bélisaire et quelques bêtises, il est rappelé par l'empereur, pour éviter que le général byzantin ne démissionne. Il revient à la tête des troupes en 552 et, cette fois, triomphe des barbares en 2 ans, détruit les Ostrogoths et reprend Rome.

La fin de sa vie est plus compliquée, il est humilié par la nouvelle impératrice, pète les plombs en Italie, ouvre la frontière aux Lombards etc. Il meurt à l'âge très avancé de 95 ans (sources peu fiables). Pas mal pour un eunuque...

Biographie d'ibn al-Walid

Né en 584 dans la péninsule arabique, Khalid ibn al-Walid est un quraychite et un des meilleurs généraux de tous les temps. Il dirige d'abord les armées quraychites contre les soldats arabo-musulmans de Mahomet, qu'il défait notamment à la bataille de l'Uhud.

Il se convertit à l'Islam (627-629) et se rallie à la cause musulmane durant la conquête de la Mecque (629). Il devient ensuite le commandant en chef des armées musulmanes sous Mahommet et sous Abu Bakr et Umar. Il mène de nombreuses expéditions tout d'abord en Arabie puis dirige les expéditions en Irak et en Syrie, où il combat les deux empires de la région : la Perse et Byzance. Il écrase les Byzantins à Yarmouk entre autre.

Il est l'un des seuls généraux invaincus de l'Histoire, à l'instar d'Alexandre le Grand, ou encore Souvorov (voir article précédent), on lui attribue la victoire dans environ 100 batailles ! Il décèdera en 642 à l'âge de 58 ans.

La bataille de Taginae ou la déroute des barbus-chevelus

Malgré les campagnes militaires byzantines menées par Bélisaire pour reprendre Rome, qui furent au demeurant pour la plupart victorieuses, Rome reste la propriété des Ostrogoths. En 546 par exemple, alors que la ville est redevenue romaine depuis 10 ans, les Goths de Totila reprennent la ville en se faisant ouvrir la porte par des traitres situés à l'intérieur (voir AC Brotherhood).

Bélisaire est donc progressivement relevé de son commandement et Narsès le remplace à la tête d'une armée de 22 000 hommes qui commence la reprise de l'Italie en 552. Les armées se rencontrent près du petit village de Taginae en Ombrie (Italie Centrale).

Les 3 moments déterminants de la bataille

1 - Premières tentatives gothiques : Sur la gauche des Byzantins, une colline se dresse (voir plan ci-dessous). Totila décide de s'en emparer, pour couper les arrières byzantins. Il lance donc sa cavalerie à l'assaut du relief. Mais une phalange byzantine parvient à repousser les attaques de la cavalerie goth. Totila décide alors d'user de divers stratagèmes pour retarder l'affrontement : provocations en combats singuliers, insultes… Il use de ces provocations pour permettre à son armée de recevoir les 2000 hommes qui doivent arriver en renfort, sous le commandement du prince Teias (ce prince (ou chef de guerre ?) sera le dernier roi des Ostrogoths en Italie et sera tué par les Romains lors de la bataille du Vésuve en 552). Cependant, les Byzantins restent impassibles, zut alors !

2 - J'ai Faim : Les renforts de Teias arrivent enfin ! Alors fidèle à sa réputation de mangeur de saucisses et de bretzels fumants, Totila feint la retraite sous prétexte de fringalette aigüe et fait exécuter à ses troupes un mouvement de repli. Mais Narsès n'est pas dupe et ne dissous pas sa formation. Les Goths se préparent à l'assaut « surprise »...

3 - La fin des haricots : Soudain, dans un tourbillon de furie et de haine, les troupes goths se lancent à l'assaut du centre byzantin. Par cette manœuvre soudaine et brutale, Totila espère éviter les tirs des redoutables archers byzantins disposés sur les côtés. Mais Narsès qui avait prévu la manœuvre, a « tordu » sa formation, les troupes sont désormais en forme de croissant avec les archers qui prennent désormais les troupes germaniques ennemies en enfilade. Les Germains sont massacrés, et leur cavalerie est détruite. La contre-attaque est lancée du côté byzantin et un jeune Gépide du nom d'Asbad blesse mortellement Totila, qui décèdera de ses blessures…

Epilogue

Les Ostrogoths sont vaincus royalement et Narsès prend Rome, malgré la petite résistance opposée par les Goths de Teias, qui seront vaincus à la bataille du Vésuve.

Bilan 

  • 22 000 hommes dans l'armée byzantine, dont une proportion non négligeable d'alliés Hérules et Lombards. Pertes : inconnues mais faibles.
  • Environ 18 000 hommes dans l'armée gothique. Pertes : Environ 6000 morts.

Maintenant que vous avez pu constater le sang-froid et la maitrise tactique de Narsès, observons le génie d'Al Walid…

Yarmouk ou la chute d'un colosse aux pieds d'argile

Les mouvement des troupes arabes et byzantines juste avant YarmoukLes conquérants arabes de l'époque des 4 premiers califes Rashidun ou les « bien guidés » (632-661) bousculent les 2 grands empires régionaux que sont Byzance et la Perse. Les expéditions lancées pour conquérir le Levant Chrétien sont victorieuses et l'empereur Héraclius décide, après avoir obtenu la paix en 628 avec les Perses Sassanides, de reprendre les terres perdues au profit du calife Abu Bakr. Car après avoir pris l'Irak aux Sassanides, les Arabes ont jeté leur dévolu sur la Syrie.

Dans ce contexte tendu, l'expédition de 40 000 hommes lancée par Héraclius est sensée battre les troupes d'ibn al-Walid, composées d'un nombre équivalent d'hommes... La rencontre a lieu vers la mi-août 636, sur les pentes Est du plateau du Golan, dans la région de Jabiya, territoire de pâture habituel des Ghassanides, alliés arabo-chrétiens des Byzantins.

Il est à noter que le calife actuel est Omar et que Khalid qui s'était vu relever de son commandement suprême recouvre celui-ci à l'occasion du combat. Le chef des troupes byzantines est le général arménien Vahan. La présence du Grand Trésorier byzantin (un eunuque) est notable également, dans le sens que sa présence aurait servi à rassurer les troupes byzantines sur le paiement de leur solde. Après quelques escarmouches en juillet, les deux armées se font face vers le 15 août...

Les 3 moments déterminants de la bataille

1 - Les premiers assauts byzantins : Le 15 août, un tiers de l'infanterie byzantine attaque les troupes musulmanes. Les combats sont assez mous et des duels de champions prennent place. À la fin de la journée, les 2 armées se replient sur leur camp de base. Le 16 août à l'aube, Vahan lance ses troupes car il pense surprendre les musulmans en prière. Son centre doit fixer son vis-à-vis tandis que ses ailes doivent envelopper les troupes ennemies qu'il pense inférieures en nombre à cet endroit. Néanmoins, Khalid avait prévu la manœuvre et avait disposé des avant-postes sur ses ailes pour retarder l'assaut byzantin. Au centre, les Byzantins ne font pas preuve de beaucoup de combativité mais sur l'aile gauche, ils parviennent à enfoncer l'armée adverse. Ils parviennent jusqu'au camp ennemi. Ibn Al-Walid lance sa réserve de cavalerie mobile qui encercle et ralentit la phalange impériale. Sur la droite byzantine, la formation en « mur de boucliers » progresse également vers le camp musulman. Les femmes prennent alors les armes pour défendre le campement sous la direction d'Hind bint 'Utba. Khalid rétablit la situation sur son flanc droit et dépêche rapidement des renforts sur son flanc gauche. La cavalerie repousse l'infanterie byzantine, qui reflue en bon ordre.

2 - La droite dure : Le 17 et le 18 août, Vahan persiste à attaquer le flanc droit de Khalid. L'assaut réussit à nouveau mais le généralissime musulman excelle à merveille dans les actions de contre-attaque et parvient à encercler les Byzantins à l'aide de sa cavalerie et de sa réserve mobile. Les combats sont très violents et les impériaux retournent à leur camp. Les pertes sont élevées de chaque côté. Le 18 août, les Byzantins se ruent à nouveau sur l'aile droite musulmane. La défense de Khalid est à nouveau excellente et grâce à des mouvements tournants, il disloque l'aile gauche et le centre-gauche byzantin. Par contre sur la droite et sur le centre droit byzantin, les archers byzantins font des ravages et empêchent l'adversaire de progresser. Les archers à cheval font un carnage.

3 - Alea Jacta Est : La cavalerie byzantine du secteur Nord (aile gauche impériale) s'est débandée. Le 19 août, Khalid envoie alors un détachement de 500 cavaliers pour prendre le seul pont permettant une fuite au Nord pour le restant de l'armée byzantine. Les Musulmans s'emparent du camp de Yasquah. Le 20 août, l'assaut final va être lancé : une charge massive de cavalerie disperse la gauche byzantine. Vahan essaie d'organiser la défense, mais sa cavalerie lourde reflue, son centre-gauche est encerclé. Ses troupes sont littéralement pulvérisées dans un tsunami de violence...

Epilogue

Les troupes byzantines refluent vers le pont gardé par les cavaliers musulmans. Beaucoup d'hommes meurent en se jetant dans le ravin ou dans le fleuve. Vahan est tué pendant la poursuite orchestrée par Khalid qui se prolonge jusqu'au-devant des portes de Damas et d'Emése. Heraclius est informé de la déroute à Antioche et retourne défendre le cœur de son empire en Anatolie. L'Egypte tombera en 638, cette victoire ouvre la porte aux grandes conquêtes de l'Islam.

Bilan

  • 40 000 Byzantins (un doute subsiste sur la trahison possible des 12 000 cavaliers de Ghassan, qui auraient rejoint les Musulmans pendant le combat ?) : 30 000 morts (chiffre approximatif)
  • 40 000 Rashiduns : 4000-5000 morts

En conclusion

On peut décemment estimer que Khalid était un meilleur général que Narsès. En effet, sa prouesse tactique au Yarmouk est mémorable : il parvient à détruire les attaques byzantines bien menées, par sa réactivité il parvient à sauver son camp le 16 août et finalement il prouvera son anticipation et sa vision stratégique les deux derniers jours du combat. En effet, Vahan était lui-même un bon général et l'opposition qu'il offrait au général Rashidun était de taille.

Narsès quant à lui a guerroyé dans l'ombre d'un Bélisaire qui occupa longtemps la première place dans la hiérarchie des généraux byzantins. Aussi, de par sa position d'eunuque, il disposait de moins d'autorité vis-à-vis de l'empereur et en a souffert notamment à la fin de son gouvernorat en Italie. Totila est quant à lui rentré dans l'Histoire dans la liste des nefandissimi établie par l'Eglise au Moyen-Age au côté des Alaric et autres Attila. S'il ne fut pas de taille devant Narsès, son peuple opposa pendant plusieurs années une résistance farouche à Bélisaire, qui fut finalement moins efficace que Narsès. En effet, sans déconsidérer la valeur guerrière des Goths, une armée posée défensivement et calme a su les détruire relativement rapidement avec Narsès. J'ajouterais que le rôle du Pape n'est pas à négliger dans cette affaire de reconquête et le personnage de Totila méritera surement un article bonus...

Livres sur le sujet

Jean-Claude Cheynet, Byzance : L'Empire romain d'Orient, Armand Colin, 2012, 224 pages.

George T. Dennis (traduction), Maurice's Strategikon: Handbook of Byzantine Military Strategy, University of Pennsylvania Press, 2001, 208 pages.

Film sur le sujet

Le Message, de Moustapha Akkad, sorti en 1977.

  • Da Veenci Prospect, Chroniqueur, Historien

  • « Vivant, il a manqué le monde. Mort, il le possède » écrit Chateaubriand à propos de Napoléon.