Au temps des Rois : Clovis Ier (466-511)

16 septembre 2013 par Orochti | Au temps des Rois | Moyen-âge

Au temps des Rois

Bienvenue pour la toute nouvelle chronique historique consacrée aux grands pères de la nation française : les Rois de France. Nous découvrirons ainsi régulièrement et chronologiquement les différents chefs des gouvernements de l'époque médiévale. Nous allons ainsi parcourir plusieurs siècles d'histoire, en apprenant les différentes évolutions que connut la monarchie française, et donc la France elle-même.

Notre première étude est consacrée au roi des Francs Clovis. Pourtant, il ne s'agit pas du premier roi que le peuple Franc eut, alors pourquoi choisir Clovis ? Ce n'est pas un choix anodin. Pendant longtemps, l'histoire a reconnu Clovis comme étant à l'origine de la monarchie française, donnant ainsi à son existence un véritable symbole que les rois de France reprirent souvent. De plus, de part ses actions, Clovis a su se démarquer, et apparaitre comme un monarque puissant de son temps.

Posons ainsi la problématique suivante pour notre étude : Pourquoi avons-nous longtemps considéré Clovis comme le père de la monarchie française ? Nous répondrons à cette question en trois parties, avec pour premier cas un retour aux origines du personnage, puis nous verrons le chapitre de la religion, et nous conclurons par la politique mise en place durant son règne.

  • Les Origines
  • De Clovis le païen à Clovis le catholique
  • L’évolution de la politique franque
  • Bibliographie

D’où vient Clovis ?

Vision d'artiste de Pharamond sur une médaille en bronze de 1720Clovis fait partie de la dynastie mérovingienne (Merovingi), une famille puissante à l'époque où les légendes se sont mélangées. Retracer une généalogie exacte est impossible, mais les chroniqueurs de l'époque ont comblé ces lacunes de manière fantastique. Tout en haut de l'arbre se trouve Pharamond, fils de Marcomir au début du Vème siècle (420-428). Il aurait eu un fils : Clodion le Chevelu. Suivit le règne de Mérovée, donnant le nom à la dynastie, qui aurait régné entre 448 et 457. Si le grand chroniqueur Grégoire de Tours ne donne pas beaucoup de détails sur les origines de ce personnage, Frédégaire raconte en revanche : « Un jour que la reine, femme de Clodion, se baignait dans la mer, un dieu s'unit à elle, et de cette union naquit Mérovée, le héros éponyme de la dynastie franque. » 1.

Mérovée Roy de France - Vue d'artiste (médaille en bronze de Jean Dassier, 1720. Bibliothèque nationale de France)L'origine des mérovingiens serait donc lié aux divinités, faisant de Mérovée un demi-dieu. En choisissant ainsi le nom dynastique de Mérovée, les rois Francs donnèrent à leur existence une légitimité divine de par le sang.  Mais, ce n'est pas tout ! Très tôt, les rois francs vont s'inventer une autre origine à l'image de Rome et d'Enée, en se donnant une origine troyenne. Francus ou Francion, un des supposés fils d'Hector, aurait débarqué en Gaule après la chute de Troie. Par la suite, ses enfants auraient fondé Paris2 (d'après Pâris, le fils de Priam) et la ville de Troyes en Champagne.

Bien entendu, tout ceci n'est que mythologie, mais cette histoire resta enseignée dans les écoles jusqu'au XVIIIème siècle ! D'ailleurs, nous retrouvons un chapitre consacré aux origines troyennes dans Les Grandes Chroniques de France.

Revenons à des choses plus concrètes, avec le règne de Childéric, père de Clovis, entre 463-481. Il fut d'abord chassé à cause de sa débauche avec les femmes, ce qui le conduisit en exil à Thuringe. Frédégaire signale également qu'il aurait visité Constantinople du temps de l'Empereur Marcien (entre 450-457). Il revint au royaume des Francs après 7 années d'exil, rappelé par le peuple Franc. Après sa victoire en 463 aux côtés d'Aegidius repoussant les troupes de Théodoric II, Childéric régna en tant que roi indépendant de l'Empire Romain décadent. En 481, le roi mourut et laissa la place à son fils Clovis né en 466, alors âgé de 15 ans.

Clovis, en vieux haut allemand signifie « célèbre par ses combats ». La première partie du nom, Chlod, fait référence à Clodion, comme était l'usage germanique en combinant différents noms des ancêtres. Latinisé en Chlodovechus, puis en Hlodovicus, soit Lodoys, Louis. Ainsi, l'origine du nom de Louis de tous les rois vint en réalité de Clovis3 ! Clovis ne serait donc que Louis Ier ? Oui, mais suite à un mélange de nom et de chiffre, nous nous retrouvons avec des Clovis II, III et IV, et des Louis II, III etc. Depuis le XVIIIème siècle, le nom Clovis est ainsi préféré pour éviter toute mauvaise interprétation. Roi de Tournai, chef des Francs Saliens, Clovis va connaitre une formidable renommée.


Une étrange histoire de vaisselle à Soisson...

En 486, Clovis connut sa première victoire en battant le général romain Syagrius à Soisson, capitale fortifiée de son royaume. De cette bataille s'ensuivit l'annexion du royaume, allant jusqu'à la Loire, comprenant la métropole de Reims et Paris. Durant cette guerre, les Francs païens pillèrent les églises. Laissons Grégoire de Tours nous raconter l'anecdote :

« Dans ce temps, l'armée de Clovis pilla un grand nombre d'églises, parce que ce prince était encore plongé dans un culte idolâtre. Des soldats avaient enlevé d'une église un vase d'une grandeur et d'une beauté étonnante, ainsi que le reste des ornements du saint ministère. L'évêque4 de cette église envoya vers lui des messagers pour lui demander que, s'il ne pouvait obtenir de recouvrer les autres vases, on lui rendît au moins celui-là.

Le roi ayant entendu ces paroles, dit au messager : Suis moi jusqu'à Soissons, parce que c'est là qu'on partagera tout le butin ; et lorsque le sort m'aura donné ce vase, je ferai ce que demande le pontife.

Etant arrivés à Soissons, on mit au milieu de la place tout le butin, et le roi dit : Je vous prie, mes braves guerriers, de bien vouloir m'accorder, outre ma part, ce vase que voici, en montrant le vase dont nous avons parlé ci-dessus.

Les plus sages répondirent aux paroles du roi : Glorieux roi, tout ce que nous voyons est à toi : nous-mêmes nous sommes soumis à ton pouvoir. Fais donc ce qui te plait ; car personne ne peut résister à ta puissance.

Lorsqu'ils eurent ainsi parlé, un guerrier présomptueux, jaloux et emporté, éleva sa francisque et en frappa le vase, s'écriant : Tu ne recevras de tout ceci rien que ce que te donnera vraiment le sort.

A ces mots tous restèrent stupéfaits. Le roi cacha le ressentiment de cet outrage sous un air de patience. Il rendit au messager de l'évêque le vase qui lui était échu, gardant au fond du cœur une secrète colère.

Un an s'étant écoulé, Clovis ordonna à tous ses guerriers de venir au Champ de Mars revêtus de leurs armes pour faire voir si elles étaient brillantes et en bon état. Tandis qu'il examinait tous les soldats en passant devant eux, il arriva auprès de celui qui avait frappé le vase, et lui dit : Personne n'a des armes aussi mal tenues que les tiennes, car ni ta lance, ni ton épée, ni ta hache sont en bonne état ; et lui arrachant sa hache, il la jeta à terre. Le soldat s'était baissé un peu pour la ramasser, le roi levant sa francisque, la lui abattit sur la tête en lui disant : Voilà ce que tu as fait au vase à Soissons. »

Clovis et le vase de Soissons, Grandes Chroniques de France, xive siècle.Cette histoire très connue a-t-elle vraiment existée ? Difficile à dire, mais elle montre cependant plusieurs choses. Tout d'abord, on peut voir le système de partage du butin. Le roi ne reçoit pas tout le trésor volé, mais partage à titre égal avec ses compagnons d'armes (dans la théorie, soyons clair. Dans la pratique, c'est selon les grades et l'ancienneté). Deuxième point, Clovis est à l'écoute du clergé, malgré qu'il soit un païen. Clovis, durant son règne, même étant encore sous l'influence du paganisme, protégea les hommes d'églises. Enfin, on peut voir ici le caractère de Clovis, personnage autoritaire. Il prépare une vengeance prévue sur une année !

Aussi, cet épisode marque un tournant. Des rites germaniques, où le roi n'est qu'un chef de guerre, Clovis entend aller plus loin en demandant autorité à ses hommes, même à la fin de la guerre. Clovis imposa une nouvelle forme de royauté, que certains de ses hommes ne comprirent pas, et qu'ils payèrent de leur vie.

Concernant le vase, nous ne savons pas ce qu'il est devenu. Une hypothèse circule néanmoins : sur son testament, saint Rémi légua à l'évêque de Laon un vase de dix-huit livres pour fondre et en faire des calices et des patènes. Il déclara également : « Quant à l'autre vase d'argent qu'a daigné me donner le seigneur roi Clovis d'illustre mémoire que j'ai reçu dans la fontaine sacrée du baptême pour que j'en fasse ce que je voulais, toi, mon héritière l'église susdite, j'ordonne qu'on en fabrique un encensoir et un calice gravé de représentations, ce que j'en aurais fait d'ailleurs si j'en avais eu le temps durant ma vie… ». L'un des deux vases serait-il celui de Soissons ? Possible, dans tous les cas, il semble alors avoir disparu à jamais.


Deux personnes importantes guidant la vie de Clovis

Saint Remy et Clovis Ier. Jacobus de Voragine, Legenda aurea, xive siècle.Clovis, tout aussi puissant qu'on peut le présenter, était entouré de plusieurs personnes qui ont su l'influencer. Nous allons nous intéresser à deux en particulier. Il y eut tout d'abord : saint Rémi (437-533). Il fut l'évêque de Reims pendant soixante-quatorze longues années. Surnommé « l'apôtre des Francs » il joua un rôle important pour Clovis dès le début de son règne. De part son âge avancé, Clovis suivit ses conseils comme un élève et son maitre. Rappelons alors que Rémi a 44 ans lorsque Clovis en a 15. Malgré le fait que Clovis soit païen, Rémi respecta et prodigua des conseils au roi salien, tout comme il l'avait fait avec son père Childéric. Il espérait que Clovis suive les pas de son père, en respectant la religion catholique, et les hommes d'églises. Rémi était également très connu pour avoir baptisé Clovis et ses 3000 hommes. C'est lui qui introduisit Clovis dans la vie religieuse catholique. Clovis le remercia en lui donnant des terres, où il fonda beaucoup d'églises mais il est devenu difficile aujourd'hui de déterminer lesquelles. Il se servit cependant de sa position pour se faire obéir envers ses pairs, comme le montre sa correspondance avec le roi. Rémi mourut en janvier 533 et fut enterré à l'église Saint-Christophe, devenue la basilique Saint-Rémi. Voici une partie d'une lettre de Rémi datée de 5075 :

« […] Il faut faire en sorte que le jugement de Dieu te soit toujours favorable, maintenant que tu arrives au sommet, grâce à ton activité et ton humilité. Car, selon ce que l'on dit communément, c'est aux actes que l'on juge l'homme. Tu dois choisir des conseillers qui feront grandir ta renommé. Ton présent doit être intègre et honnête. […]Redonne courage aux citoyens, console les affligés et les veuves, nourris les orphelins. Fais en sorte que tous t'aiment et te respectent. »

Statue de sainte Clotilde, reine des Francs, épouse de Clovis Ier. Notre-Dame de Corbeil. XIIème siècle.La seconde personne est celle qui ne peut être que la plus proche de lui. Je parle bien entendu de sa femme, Clotilde. Leur rencontre se fit de manière assez originale et romantique. Selon Les Grandes Chroniques de France, un homme ayant aperçu toute la beauté de la femme s'en alla raconter à Clovis qui, par la description, en tomba amoureux sans l'avoir vu. Il nomma alors un messager, Aurélien, pour parler à cette Clotilde et la demander en mariage, en lui offrant des bijoux. La description physique de cette femme est très élogieuse, enrichissant toujours sa grande beauté.

Au-delà de ce lyrisme, Clotilde était la nièce du roi Gondebaud de Bourgogne, princesse par le sang et une fervente catholique. Malgré que son fiancé soit un païen, elle l'épousa6 en 493. Dès lors, elle tenta à plusieurs reprises de convaincre son époux d'embrasser la foi catholique, ce qu'elle réussit au final. Elle est considérée comme étant la première reine de France. Son rôle politique fut très important car elle permit en plus d'une alliance avec la dynastie Burgonde au début, de posséder les territoires à l'extinction de celle-ci. Beaucoup s'accorde qu'elle n'ait pas eu un rôle décisif sur la conversion du roi, mais qu'elle accéléra le processus. Notons que leurs enfants étaient déjà baptisés avant lui, dont le premier, Ingomer, qui mourut peu de temps après, chose que Clovis ne pardonna pas.

En soit, elle représentait également le modèle de toute bonne reine : bonne conseillère, efficace auprès du roi, fertile, mais surtout profondément chrétienne. Elle pouvait parler au nom du roi dans certains cas, et même s'occuper du fisc, mais joua toujours un second rôle aux côtés du roi.

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1. Selon le résumé traduit de Godefroid Kurth, historien belge de la fin du XIXème et début du-XXème siècle.

2. Dans Les Grandes Chroniques de France, c'est Marcomir qui aurait changé le nom de Lutèce, signifiant ville boueuse, pour nommer la ville Paris.

3. Plus précisément, c'est Charlemagne, en nommant un de ses fils Louis, en faisant référence à Clovis, que le nom a pérennisé.

4. Dans Les Grandes chroniques de France, il est dit qu'il s'agit de Saint Rémi.

5. D'après Du Chesnes, t. I, Script. Franc., contenu dans le Recueil des Historiens des Gaules et de la France. T. IV, Dom Martin Bouquet, 1869

6. Selon Grégoire de Tours, Clovis aurait eu une autre femme avant, avec qui il eut son fils Thierry.

Le nouveau Constantin

Bataille de Tolbiac, fresque du Panthéon (Paris) de Paul-Joseph Blanc vers 1881L'histoire retient beaucoup de Clovis : la bataille de Zulpich (ou de Tolbiac). Cet événement majeur bouleversa non seulement le roi, mais également les Francs de l'époque, et bientôt tous les peuples germaniques !

Pour cela, revenons au début de la guerre : les Alamans s'étendaient de plus en plus à l'Est. Bloqués par les Burgondes, ils se dirigèrent vers 495-496 sur les Francs Rhénans de Trèves et Mayence, puis vers Cologne. Sigebert, le roi des Francs Rhénans se retrouva blessé au genou7 suite à un assaut donné par les Alamans sur sa forteresse de Zulpich. Aussi, Sigebert demanda l'aide des Francs Saliens et de leur puissant roi, Clovis. Utilisant une tactique ambitieuse et habile, Clovis voulut passer par le Nord, évitant ainsi l'armée d'Alamans, sans doute plus nombreuse, pour ensuite traverser le Rhin, et remonter par la rive droite pour ravager le territoire Alaman. Or, Sigebert ne put contenir assez longtemps les Alamans pour que l'armée de Francs Saliens puisse réaliser leur manœuvre. N'ayant plus le choix, Clovis dut arrêter les Alamans. Le combat débuta, et ce fut un véritable massacre au point même que l'armée salienne fut presque exterminée selon Grégoire de Tours. Clovis, consterné, se mit alors à prier ses dieux païens, un à un, pour finalement s'adresser à Jésus-Christ. Jonas de Bobbio cite :

« Ô Jésus-Christ que Clotilde proclame fils de Dieu vivant, toi qui, dit-on, donnes une aide à ceux qui peinent et qui attribues la victoire à ceux qui espèrent en toi, je sollicite dévotement la gloire de ton assistance. Si tu m'accordes la victoire sur mes ennemis et si j'expérimente la vertu miraculeuse que le peuple voué à ton nom déclare avoir mise à l'épreuve, je croirai en toi et je me ferai baptiser en ton nom. J'ai en effet invoqué mes dieux, mais comme j'en fais l'expérience, ils se sont abstenus de m'aider. Je crois donc qu'ils ne sont doués d'aucun pouvoir, eux qui ne viennent pas au secours de ceux qui leur obéissent. C'est toi que maintenant j'invoque, c'est en toi que je désire croire, pourvu que je suis arraché à mes adversaires. »

Une intéressante prière qui nous montre qu'en aucun cas Clovis était croyant. Il procéda comme un païen. Après avoir essayé les autres dieux, et comme il ne reçut aucune réponse, il essaya en dernier recours l'unique Dieu de sa femme. Il n'avait pas la Foi, mais il réalisa un serment, celui de se faire baptiser et de croire en Lui s'il gagnait. Et, à la grande surprise, les Alamans reculèrent. Hasard ou signe de Dieu ? Dans tous les cas, le cheval du Roi Alaman reçut une flèche, désarçonnant le cavalier, et le tuant. L'armée Alaman prit peur, et fuit. Clovis était vainqueur ! Il devait à présent se convertir, mais, le peuple franc accepterait-il ce changement ? Le suivront-ils toujours ? Dans tous les cas, le symbolisme derrière rappelle beaucoup l'Empereur Constantin, qui au pont Milvius, porta la croix du Christ, et se convertit par la suite. Clovis se présenta comme le Constantin de l'époque.


L'entrée dans l'Eglise catholique : le baptême

Baptême de Clovis. Il est baptisé par saint Remy, l'évêque de Reims. Le Saint-Esprit apporte la sainte Ampoule contenant le saint chrême qui servit à l'onction des rois de France.Grégoire de Tours est le principal chroniqueur qui parle de cet événement majeur dans l'histoire de Clovis. Cependant, il faut être très prudent dans ses propos, qui sont flous. Tout d'abord au niveau de la date. Une chose est sur, c'est le 25 décembre. Jour de Noël, très symbolique par rapport à la naissance du Christ. Mais, l'année reste très floue. Est-il baptisé la même année que la bataille de Tolbiac en 496 ? En 498 ? En 506 ou 508 ? On ne peut rien affirmer. Plusieurs témoignages comme des lettres semblent se contredirent. Avant le baptême en lui-même, les futurs chrétiens suivent une phase de catéchisme, leur permettant de connaitre la Bible, la Passion etc. Concernant Clovis, nous n'en savons encore une fois rien. Grégoire de Tours n'en parle pas du tout. On peut supposer qu'il eut un parrain et un évêque (peut-être Saint Rémi ?) qui l'éduquèrent, mais rien n'est certain. Le lieu choisit fut Reims, pour retrouver notre évêque bien connu Rémi.

Le baptême se déroula ainsi : Clovis entouré d'évêque dut se  dénuder de tout symbole de pouvoir (sa couronne donc) et de ses anciens objets de cultes païens. Saint Rémi déclara alors : « Dépose humblement tes colliers, Sicambre8 ! Adore ce que tu as brûlé, brule ce que tu as adoré ! ». Les fameux colliers furent remplacés par la suite par le crucifix, porté autour du cou. Ensuite, Clovis s'avança dans la piscine baptismale (car on pratique toujours par immersion complète du corps, à la manière de Jésus-Christ). L'évêque s'approcha alors avec un petit flacon (ampula) remplit du saint chrême. Il oint Clovis au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, sous la forme de croix. La légende prenant forme, une colombe serait alors apparue pour apporter l'ampoule du saint-chrême. L'image de la colombe renvoyait à la Trinité, et donc divine. C'est Dieu qui intervint, qui baptisa Clovis. C'est une pratique que reprirent les rois de France dans la tradition carolingienne avec celui du sacre royal.

Mais ce n'est pas tout ! La sœur de Clovis, Alboflède, païenne également, fut baptisée et aussi Lantechilde qui renonça quant à elle à l'arianisme9. Enfin, plus de 3000 soldats se firent baptiser également. Cette image montre que l'aristocratie accepta pleinement le choix de Clovis, et le suivit même dans sa religion. La société franque changea alors. Ce n'était plus un barbare païen, mais un puissant roi chrétien d'Occident qui semblait  prendre le relais après la chute de l'Empire Romain d'Occident !


Les conséquences

Il faut bien comprendre l'importance du rôle du baptême et l'impact qu'il eut sur la période. L'Empereur Anastase régnait en Orient depuis 491 et se montra comme étant le chef suprême numéro 1, que les barbares respectaient aussi. Cependant, Clovis, grâce à ses victoires et ses actions était devenu roi. Ce n'était pas l'Empereur qui l'avait nommé. Ce n'était pas non plus lui qui lui avait donné son territoire, mais la Divine Providence, autrement dit, Dieu. Ainsi, Clovis prit le rôle d'Empereur d'Occident à la manière de Constantin, sans en posséder les titres. Tout comme Constantin avait rejeté l'arianisme et développait la foi chrétienne, Clovis mit fin à l'arianisme en Occident, et peu à peu au paganisme ! En effet, les autres peuples suivirent l'image de Clovis en rentrant dans l'Eglise catholique. Alors qu'en Orient, Anastase était confronté à des problèmes avec la doctrine monophysite, se refermant sur lui-même (construction de forteresse, d'un long mur de 78 km dans les mers pour protéger Constantinople), Clovis montra le contraire, ouvert et puissant. L'Evêque Avit de Vienne dans ses écrits parla énormément de l'effet du baptême de Clovis sur le monde de l'époque.

La papauté quant-à-elle  subissait depuis plusieurs années des problèmes, à la fois de prestige, mais aussi d'autorité. Les hérésies se développaient de plus en plus au même moment où l'Empereur s'éloignait de Rome, l'abandonnant complètement (476, Odoacre vainqueur à Rome, fin de l'Empire Romain d'Occident). C'est le début d'un long schisme dans la religion chrétienne, qui donna plus tard le catholicisme et l'orthodoxie. Peu à peu, le rapport entre pouvoir temporel et spirituel, c'est-à-dire pouvoir impérial et pouvoir pontificale changea. Respectant toujours les règles établies, la papauté avait plus tendance à se tourner vers le pouvoir royal de Clovis. Voici une lettre du pape Anastase II à Clovis daté de 497 :

« Nous te félicitons, glorieux fils d'avoir embrassé la foi chrétienne, alors que nous commençons notre pontificat. […] l'heureux porteur des clés de la Jérusalem Céleste contemple avec admiration l'accomplissement de ton peuple et accoure d'un pas rapide devant lui. […]Que tes œuvres grandissent et que tu puisses nous combler encore de joie. Et de grâce, honore notre couronne. Considère l'Eglise comme ta mère, illustre fils. […] Enfin, poursuis ton œuvre, cher et glorieux fils, afin que Dieu Tout-Puissant veille sur ton royaume et Ta Sérénité ; que ses anges te défendent tout au long de ta vie et t'accordent la victoire sur tes ennemis. »

Une lettre très intéressante qui montre les intérêts du pape sur le royaume franc ! Cette lettre montre que la papauté avait les yeux posés sur Clovis et ses actions. Elle rendait toujours compte à l'Empereur, mais se montrait plus intéressée par cette montée puissante du roi d'Occident.

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7. Il restera boiteux jusqu'à la fin de sa vie. Avant, c'était un aventurier.

8. Sicambre renvoi à un peuple germanique à la droite du Rhin datant du Ier siècle.

9. Arianisme (d'Arien, prêtre d'Alexandrie du IVème siècle) est un courent de pensée hérétique qui considère Jésus comme étant un fils humain, mortel et non divin. Condamné au concile de Nicée (325), il va connaitre un puissant succès en Orient, grâce notamment à une traduction du grec en langue gothique de la Bible.

Clovis et Alaric II

Vers le début du VIème siècle, Clovis ne partit pas en guerre directement, et joua plus sur le plan diplomatique. En 499, il signa un traité d'alliance avec le roi burgonde Godegisèle. En 500, c'est avec les Armoricains10 et les Bretons afin de sécuriser les terres vers l'Ouest. C'est la même année que Godegisèle, désireux d'agrandir son territoire sur celui de son frère Gondebaud, entama une campagne, accompagné des Francs. Après la bataille à Dijon, marquée par la débandade des troupes ennemies, Gondebaud dut s'enfuir sur le rocher d'Avignon et négocia sur une demande de Clovis l'abandon du siège contre un tribut annuel.

L'année suivante, Godegisèle assiégea Vienne, profitant du départ des Francs. Petite surprise cependant pour lui, l'armée goth d'Alaric II était présente. Godegisèle trouva la mort avec le reste de la population, dont des troupes de francs saliens. Gondebaud remercia gracieusement Alaric en lui offrant les cités d'Avignon et de Digne. Alaric souhaitait aussi des territoires situés vers le Nord, que possédait Clovis, mais prenant compte de la puissance de ce dernier, il préféra organiser une rencontre près d'Amboise pour signer un accord de paix et d'amitié, non sans méfiance.

L'agrandissement du royaume goth irrita Clovis, d'autant plus qu'Alaric était arien. Quand les troupes goths traversèrent le sud du royaume franc en direction de l'Espagne, Clovis leva une puissante armée pour réduire son avancé. Malgré les menaces d'Alaric de guerre si Clovis continuait à intervenir de la sorte, ce dernier ne s'arrêta pas, et semblait être prêt à une bataille qu'il désirait depuis longtemps. De plus, l'Empereur Anastase soutenait Clovis, ayant peur du développement des Goths sur son empire oriental.

Alors que les troupes franques traversaient la Loire se dirigeant vers Tours, Alaric avança son armée vers Poitiers. La tactique employée par Alaric était d'attirer l'armée de Clovis à travers les murs d'une cité, pour les enfermer et les massacrer. Cependant, Clovis se rappelant de Vienne, déjoua le plan de l'ennemi, en rattrapant les troupes ennemies avant même qu'elles n'atteignent la cité-piège. Cette bataille, dite celle de Vouillé, marque la dernière grande victoire de Clovis durant son règne. Il reçut alors les possessions dans le Sud, agrandissant encore une fois son royaume. Malheureusement pour lui, les frontières n'atteignirent pas la méditerranée, mer qu'il voulait tant voir.

Clovis Ier et sa famille. Grandes Chroniques de France, XIVème siècle.  Clovis Ier et sa famille. Grandes Chroniques de France, XIVème siècle.  Clovis Ier et sa famille. Grandes Chroniques de France, XIVème siècle.
Travail personnel sur un fond de carte de historicair. By Romain0 [Public domain], via Wikimedia Commons


Ses grands actes politiques

Vers les dernières années de sa vie, Clovis entreprit une série d'actions afin de consolider son royaume. Alors qu'un certain nombre de rois, et de membres de sa famille demeuraient indépendants dans cette Francie, Clovis se décida à tous les éliminer. Le premier fut Sigebert dit le Boiteux, que Clovis accusa incapable de régner. C'est Chlodéric, son fils, qui assassina Sigebert. Puis, ce fut au tour de Chararic et son fils, Ragnacaire, puis ses frères… Le massacre n'en finit plus. Grégoire de Tours raconta une anecdote à ce propos, où Clovis avait réuni les siens et déclarait : « Malheur à moi qui suis resté comme un pèlerin au milieu d'étrangers, et je n'ai plus de parents pour pouvoir m'aider si l'adversité venait. ». Cependant, selon le chroniqueur, il s'agissait en réalité d'une ruse pour démasquer les derniers qu'il pourrait tuer. Pour quelles raisons notre cher roi des Francs entreprit ce massacre familial ? Sans doute dans un refus du partage de pouvoir, et le risque de le perdre.

Copie manuscrite sur velin du VIIIème siècle de la loi salique. Paris, bibliothèque nationale de France.C'est aussi sous son règne que va naitre la fameuse loi salique, ou du moins mise à l'écrit. En effet, alors que la place de l'oral était toujours prédominante à cette époque, Clovis décida de mettre par écrit les différentes règles des Francs Saliens, soit la loi salique. Ecrite en latin, la date exacte nous est inconnue. Elle se présente sous la forme d'une soixantaine d'articles, qui ont pour but de limiter les vengeances meurtrières, en instaurant des amendes à payer. Voici quelques exemples : « Avoir frappé de telle façon que le cerveau apparaisse et que les trois os qui le recouvrent soient à nu : 30 sous d'amende. Avoir arraché à autrui une main, un pied, un œil, un nez : 100 sous d'amende ; si la main reste pendante, réduit à 63 sous. Le meurtre d'un esclave : 30 sous. D'un Gallo-Romain : 100 sous. D'un Franc : 200 sous. ». Cela représentait des sommes assez importantes. La loi salique prévoyait aussi des amendes en cas de violence sur femme ! Prêtons attention sur l'article dit De Allodis qui concernait l'héritage des terres. Ce dernier, dont l'origine est douteuse et où les historiens supposent des modifications faites au fil du temps, interdisait aux femmes d'hériter des terres saliques, n'autorisant que les hommes. En clair, il est impossible pour une femme de régner sur le royaume des Francs.

En juillet 511, soit la dernière année de sa vie, Clovis prépara le concile d'Orléans. Il s'agissait du premier concile sur les six qui se déroulèrent à Orléans. Clovis y était présent avec 32 évêques, soit la moitié des évêques des Francs. Ce concile fut un véritable symbole d'alliance entre le royaume des Francs et l'Eglise. Le roi salien n'était pas le chef de l'Eglise, mais il coopérait avec celle-ci. Ainsi, les évêques durent obéissance à Rome et non à Paris, capitale des Francs. Le concile en lui-même condamna l'arianisme, les actes incestueux, l'établissement du droit d'asile11. Ce concile permit également d'améliorer les relations entre la papauté et les Francs. La fin du règne étant proche, le concile permit aussi de s'en servir comme testament politique.


Echec d'une politique ?

Clovis Ier et sa famille. Grandes Chroniques de France, XIVème siècle.Le 27 novembre 511, à Paris, Clovis mourut. Il fut enterré dans la basilique des Saints-Apôtres qu'il avait construit lui-même pour sainte Geneviève. Sa femme, Clotilde, le rejoignit ensuite en 548. L'église fut détruite en 1807 pour percer la rue Clovis, faisant disparaitre les reliques du premier roi des Francs chrétiens. Il avait alors 45 ans et s'était battu pendant 30 ans, ne profitant que durant ses deux dernières années de son royaume et de son statut. Le roi n'ayant pas prévu sa succession, le royaume suivit la règle du partage salique, divisant le royaume en quatre pour ses enfants alors adolescents12. Le partage du royaume se fit en parts égales :

  • Thierry (511-533), les territoires du Nord-Est, Roi des Francs
  • Clodomir (511-524), le bassin du Loire, Roi d'Orléans
  • Childebert Ier (511-558), le bassin de la Seine, Roi de Paris
  • Clotaire Ier (511-561), la basse vallée du Rhin, Roi de Soissons

Ce fut le début des guerres fratricides, et des subdivisions du royaume. L'unité politique que Clovis avait tenté de réaliser fut brisée par sa propre descendance. Il fallut attendre plusieurs siècles avant de retrouver cette unité, qui fut encore plus développée avec le grand Charlemagne.


Conclusion

Clovis a marqué l'Histoire de son empreinte de différentes manières. Roi avant tout guerrier, il a permit aux peuples des Francs saliens de se développer sur un territoire étendu, mais également dans une unité politique. Ses victoires légendaires ont permis de tourner le regard de l'Orient vers l'Occident, après la chute de l'Empire Romain d'Occident, et notamment celui de la papauté. Il fut un nouveau Constantin, d'un point de vue militaire comme religieux, en reniant le paganisme pour devenir un chrétien catholique véritable, condamnant même l'arianisme. Il permit également d'établir les bases d'un royaume. Oserons-nous dire le début de l'état Français, grâce notamment à cette fameuse loi salique et aux actions entreprises durant le concile d'Orléans ? Si c'est le cas, il n'était alors qu'un petit embryon. Dans tous les cas, sa vie et ses légendes ont servi d'exemples à nos rois de France jusqu'à Charles X, faisant de Clovis le véritable ancêtre des Rois de France.

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10. Peuple situé près de la péninsule bretonne et du rivage de la Manche)

11. Toute personne poursuivie, même s'il s'agit d'un criminel, qui se réfugie dans une église ou ses terres bénéficie de ce droit, le protégeant et permettant la négociation plutôt que la punition.

12. Sauf l'ainée, Thierry, bien plus âgé.

Ouvrage généraux :

  • BALARD Michel, GENET Jean-Philippe, ROUCHE Michel, Le Moyen-âge en Occident, Hachette Supérieur, 5ème édition, 2011, 367 pages. (HU HISTOIRE)
  • DESGRUGILLERS Nathalie,  Les Grandes Chronique de France. Tome 1 Origine des Francs, Clovis, Editions Paleo, 2011, 209 pages. (L'encyclopédie médiévale)
  • LANGEVIN Pierre, Le Moyen Âge pour les nuls, First Edition, 2013, 385 pages.
    Ouvrage spécialisé :
  • DESGRUGILLERS Nathalie, Documents sur le règne de Clovis Roi des Francs (481-511), Editions Paleo, 2011, 235 pages. (L'encyclopédie médiévale)
  • MUSSOT-GOULARD Renée, Clovis, Que sais-je ? 1997, 127 pages. (Collection encyclopédique)
  • ROUCHE Michel, Clovis, Fayard, 1996, 611 pages.

Site internet :

  • Orochti Le Chti templier, Testeur, Chroniqueur, Historien, Star de Youtube Email | Twitter

  • "Tu dois aimer la France, car la nature l'a faite belle, et son histoire grande." Ernest Lavisse
  • "Eureka !" Archimède