Entre la Peste et la Macula

Ralta
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8 novembre
2024

Les jeux d'Asobo, A Plague Tale : Innocence et A Plague Tale : Requiem, nous ont fait découvrir la France de la Guerre de Cent Ans à travers les yeux de deux enfants, Hugo et Amicia de Rune. On y trouve une histoire familiale tissée autour d'une maladie fantastique, de la corruption ecclésiastique, de la saleté et de funestes rats. Cependant, et cela n'a rien d'étonnant, ces jeux restent assez éloignés de la réalité historique des épidémies du Moyen Âge. C'est après y avoir joué que j'ai voulu en apprendre davantage sur l'histoire véritable de la peste noire.

La première pandémie : La peste de Justinien

Entre la Peste et la MaculaSaint Sébastien présenté comme intercesseur lors de la peste de Justinien, par Josse Lieferinxe (Walters Art Museum).

L'histoire de fond dévoilée au cours des deux jeux mentionne que la première pandémie de peste connue est la "peste de Justinien", ce qui est véridique. Justinien Ier fut le dernier empereur romain tentant de rétablir l'unité de l'Empire — occidental et oriental. Son règne d'empereur de Byzance fut marqué par l'arrivée du pathogène Yersinia pestis, qui partit d'Égypte en 541 pour atteindre Constantinople en 542, se divisant ensuite en plusieurs vagues vers l'Est et l'Ouest.

En 543, Gênes et Marseille furent frappées, le virus se déplaçant par les voies de communication maritimes et fluviales. Lors de la première vague, Justinien lui-même tomba gravement malade, mais survécut. Ce ne fut malheureusement pas le cas pour près d'un quart à un tiers de la population de la ville, suivis par une période de famine. Procope rapporte des décès atteignant 5 000 à 10 000 par jour à Constantinople, jusqu'à un total de 300 000 morts.

La deuxième pandémie : La peste noire

La deuxième pandémie de la peste, que l'on appelle la Peste noire, frappa l'Europe occidentale au cours du XIVe siècle. Apparue autour de la mer Noire et du fleuve Volga en 1345, l'épidémie atteignit Caffa, en Crimée, en 1346. La ville, comptoir maritime génois, était alors assiégée par les Tatars. La maladie infiltra les troupes, les forçant à lever le siège. Avant de partir, ils lancèrent des cadavres contaminés par-dessus les murs, dans la ville. De là, la peste se propagea à travers le bassin méditerranéen dès 1347, pour atteindre l'Europe du Nord en 1348.

L'épidémie suivit deux voies : la première par l'Adriatique, touchant l'Autriche, la Suisse et les principautés d'Allemagne du sud ; la seconde via le sud de la France, traversant Toulon, Montpellier, Limoges et continuant vers le nord. Entre 1348 et 1349, la peste se répandit en Flandre, en Angleterre et en Irlande.

Les deux formes de peste : bubonique et pneumonique

La peste se manifeste sous deux formes : bubonique et pneumonique, chacune ayant un mode de transmission distinct. La peste bubonique est véhiculée par les puces et les rats noirs (Rattus rattus), tandis que la peste pneumonique se transmet par gouttelettes de salive, uniquement d'homme à homme.

Dans le cas de la peste pneumonique, une forte fièvre se déclare en deux à trois jours ; la victime tousse et expulse des crachats, transmettant rapidement la maladie, dont le taux de mortalité sans traitement est de 100%. La peste bubonique, quant à elle, incube plus lentement, pendant environ six jours, avec une fièvre pouvant atteindre 39°C à 40°C. Des ganglions lymphatiques enflés et remplis d'un liquide noirâtre apparaissent aux aisselles ou à l'aine, donnant son nom de "Peste noire". Au bout de huit à dix jours, le malade peut se rétablir ou succomber à une septicémie généralisée. La forme bubonique est plus aisée à isoler et à contenir dans une ville, contrairement à la forme pneumonique.

Les vecteurs de propagation de la peste

Le commerce maritime et le transport de céréales par les voies fluviales facilitèrent la propagation des rats noirs et donc de la peste dans le monde connu. Contrairement à ce que l'on imagine du bas Moyen Âge, cette période était marquée par un développement politique, une croissance démographique notable et des échanges de longue distance. La propagation de la peste fut favorisée par le commerce de produits de luxe, comme la soie, le coton et la porcelaine.

Cette dynamique commerciale s'intensifia au XIIe et XIIIe siècles, encouragée par la croissance de la Hanse germanique, en Europe du Nord, et des républiques marchandes italiennes. Cette expansion économique entraîna une croissance démographique importante en Europe de l'Ouest, dont la population doubla entre 1100 et 1300 pour atteindre environ 80 millions. En France, on estime la population en 1328 entre 18 et 21 millions d'habitants, mais au siècle suivant, une perte de 55 % la réduisit à 10 millions vers 1450.

Contrairement à la peste de Justinien, la peste noire associait des formes bubonique et pneumonique, augmentant fortement la mortalité tant en milieu rural qu'urbain. La cohabitation avec les animaux et leurs parasites (vêtements en fourrure, proximité dans les maisons) favorisa aussi la contagion. Le climat de l'époque — chaleur, humidité et mauvaises récoltes — contribua à la propagation rapide de la maladie.

Les mesures de lutte contre la peste

Entre la Peste et la MaculaHabit des médecins des pestiférés

Pour endiguer la pandémie, des mesures d'isolement furent adoptées : Dubrovnik imposa une quarantaine de trente jours en 1377, tandis qu'à Marseille, en 1383, elle dura quarante jours, donnant naissance au terme que nous utilisons aujourd'hui. Certaines cités construisirent des villages en bois pour isoler les malades, qu'ils brûlaient une fois l'épidémie passée. À Montluçon, en 1348, on contrôlait les entrées de la ville pour limiter l'arrivée d'étrangers ou de porteurs potentiels de la maladie.

La fin de la peste noire s'explique en partie par de tels changements comportementaux, comme l'isolement des malades. Les progrès techniques contribuèrent également, les maisons en bois propices aux rats étant peu à peu remplacées par des habitations en briques ou en pierre. Les médecins conseillaient aussi la fuite comme moyen d'éviter la peste, une stratégie choisie par Hugo et Amicia dans A Plague Tale : Innocence. C'était une option plus accessible aux classes aisées, qui pouvaient s'exiler dans leurs domaines ruraux. Certaines villes, comme Monpazier en 1485, furent presque vidées de leurs habitants, ceux qui restaient étant chargés de protéger les maisons abandonnées.

La peste, catalyseur de transformations sociétales

Ainsi, la peste était liée à la guerre, au climat, au commerce et à l'urbanisation. Les vagues épidémiques du XIVe siècle frappèrent au moment où la société humaine connaissait ces transformations. Des recherches récentes suggèrent que la souche primaire de la peste provenait d'Asie centrale, peut-être du Kirghizistan, et avait voyagé sur de longues distances, probablement en passant d'animal en animal, avant d'être transmise aux rats noirs puis aux humains.

La deuxième épidémie de peste fut un catalyseur de changement : la baisse de la population accéléra la réorganisation de la société féodale, favorisant une centralisation autour des monarchies puissantes. Il fallut aussi développer de nouvelles techniques agricoles et militaires, notamment avec la jachère et la rotation des cultures, l'introduction de la poudre à canon venant de l'Est.

Dès lors, je me demande pourquoi les scénaristes d'Asobo ont ressenti le besoin d'inventer une maladie fictive, 'La Macula', alors que la peste elle-même aurait amplement suffi à rendre la vie des enfants de Rune extrêmement compliquée.

  • Ralta Rédacteur
  • "L'histoire sera gentille avec moi car j'ai l'intention de l'écrire." - Winston Churchill