La Danse macabre : analyse d'une thématique artistique récurrente au Moyen-âge

Sydfire
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Thématique
21 mai
2018

La mort a toujours fasciné les hommes. Elle est d’ailleurs présente dans de nombreuses religions afin d’apporter des réponses abstraites à ses fidèles. Nous connaissons tous la Faucheuse, la mort personnifiée et allégorique des cultures populaires.

L’article abordera ce concept à travers la littérature et la peinture médiévale. Il s’agira de se focaliser sur ses représentations ainsi que son message implicite.

L’art macabre ou la soumission de l’Homme face à la mort ?

La danse de la mort, aussi appelée la danse macabre, est un concept allégorique médiéval du pouvoir conquérant et égalisateur de la mort, exprimé dans le drame, la poésie, la musique et les arts visuels de l'Europe occidentale, principalement à la fin du Moyen-âge.

Strictement parlant, il s'agit d'une représentation littéraire ou picturale d'une procession ou d'une danse de figures vivantes et mortes. Les vivants sont disposés dans l'ordre de leur rang, du pape et de l'empereur aux paysans et enfants, et les morts les menant à la tombe.

La danse de la mort a ses origines dans des poèmes de la fin du XIIIème ou du début du XIVème siècle qui combinent les idées essentielles de l'inévitabilité et de l'impartialité de la mort. Nous devons la légende des trois morts et des trois vifs aux poètes Baudoin de Condé et Nicolas de Margival. Celle-ci nous relate la mise en garde des morts à l’encontre des trois nobles face à l’orgueil et à la précarité de la vie.

« Menons la vie qui plaît à Dieu, gardons-nous d'aller en enfer, sachons que la mort nous saisira aussi, et prions Notre-Dame, à l'heure de notre mort, d'être près de son fils. »
Le Dit de Nicolas de Margival



La Danse macabre : analyse d'une thématique artistique récurrente au Moyen-âgeNicholas de Margival, Dit des 3 morts et des 3 vifs, BnF Ms 25566 fol. 218. (détail).

Ces croyances ont probablement pris de l'ampleur à la fin du Moyen-âge en raison de l'obsession de la mort inspirée par une épidémie de Peste noire au milieu du XIVe siècle et la dévastation de la guerre de Cent Ans (1337-1453) entre la France et l'Angleterre.

L'exemple pictural le plus ancien est sans doute la série de peintures (en 1425) qui se trouvaient autrefois dans la Cimetière des Innocents à Paris. Dans cette série, toute la hiérarchie de l'église et de l'État a formé une danse majestueuse, les vivants alternant avec des squelettes ou des cadavres.

Le travail était un rappel sévère de l'imminence de la mort et un appel à la repentance. La danse macabre parisienne a été détruite en 1699, mais nous avons la chance d’avoir une reproduction sous forme de gravure sur bois de l'imprimeur parisien Guyot Marchand.

La Danse macabre : analyse d'une thématique artistique récurrente au Moyen-âge

Ci-contre, la mort (représentée sous forme d’un squelette) concerne les deux grandes puissances du Moyen-âge : la Papauté et l’Impérialisme. Si le pape et l’empereur ont de lourdes responsabilités religieuses et politiques et qu’ils sont considérés « au-dessus » de tous, il n’en demeure pas moins qu’ils sont mortels. Voici un extrait traduit qui accompagne l’image :

La Mort
Vous qui vivez, il est certain, Quoique cela tarde, que vous danserez. Mais quand, Dieu seul le sait ! Réfléchissez à ce que vous ferez alors. Sire pape, vous irez le premier, En votre titre de plus digne seigneur ; Vous serez honoré à cet égard. Honneur est dû aux grands souverains.

Le pape
Hélas ! Faut-il que je mène la danse, Que j'aille le premier, moi qui suis l'incarnation même de Dieu ? J'ai eu la plus haute dignité En l'église, comme saint Pierre ; Mais la Mort vient me quérir comme tous les autres. Je ne me soucie pas encore de mourir, Mais la Mort fait la guerre à tous. Il vaut peu, l'honneur qui passe si vite !

La Mort
Et vous, qui n'avez pas votre pareil au monde, Prince et seigneur, grand empereur, Vous devez lâcher la ronde pomme d'or; Armes, sceptre, couronne, bannière, Je ne vous les laisserai pas; Vous ne pouvez plus régner. J'ai comme coutume de tout emporter. Les fils d'Adam doivent tous mourir.

L'empereur
Je ne sais pas qui je dois appeler à mon secours Contre la Mort, qui m'a en son pouvoir. Il me faudrait une arme pour combattre le pic, la pelle Et le linceul ; j'en ai grand besoin. J'ai été le plus grand seigneur au monde, Et il me faut mourir pour toute récompense ! Qu'est-ce que le pouvoir des mortels ? Même les plus grands n'en ont pas.

« La Mort ne regarde ni le rang, ni les richesses, ni le sexe, ni l'âge de ceux qu'elle fait entrer dans sa danse. »

Tous les autres cycles d'images sur le thème ont été dérivés directement ou indirectement du Cimetière des Innocents. La danse de la mort apparaît fréquemment dans les fresques décorant les cloîtres des monastères et les nefs des églises.

La Danse macabre : analyse d'une thématique artistique récurrente au Moyen-âgeFragment de la Danse macabre de Bernt Notke pour Rīga aujourd'hui dans l'ancienne église Saint-Nicolas de Tallinn.

Il existe également de nombreuses versions allemandes de la gravure sur bois. En 1523-26, l'artiste allemand Hans Holbein le Jeune fit une série de dessins du sujet, peut-être le point culminant dans l'évolution picturale au sujet de la mort.

La Danse macabre : analyse d'une thématique artistique récurrente au Moyen-âge

Hans Holbein redéfinit le concept de l’art macabre et tente de l’appliquer à des scènes quotidiennes, voire religieuses, à travers son ouvrage, les simulacres et histoires de la mort.

Ci-contre, nous avons la représentation d’Adam et d’Ève, chassés du paradis et accompagnés de la Mort.

De manière symbolique, l’Homme est condamné à mourir et Hans Holbein transpose ce concept à travers plusieurs objets : le sablier, les instruments de musique, le miroir et les possessions matérielles afin de mettre en exergue le temps, l’amusement et l’orgueil.

Dans la musique, la danse de la mort était souvent exécutée dans des compositions associées à la mort. Des représentations mimées ont été interprétées en Allemagne, en France, en Flandre et aux Pays-Bas, et la musique d'un Totentanz allemand a survécu depuis le début du XVIème siècle.

Le concept de la danse de la mort a perdu son emprise impressionnante à la Renaissance, mais l'universalité du thème a inspiré sa renaissance dans la littérature romantique française du XIXème siècle et dans la musique des XIXème et XXème siècles.

Conclusion

En somme, l’art macabre témoigne de nombreux messages. Nul ne peut fuir sa fatalité. Le pauvre se consolera par le sort réservé à chaque homme. Le riche et le souverain tenteront de ravaler leur fierté, car le temps leur est compté.

Cette représentation doit être remise dans son contexte, c’est-à-dire dans une période perturbée par les grandes guerres, pestes, ravages et famines, à une époque marquée par le christianisme ou les notions médicales ne pouvaient se développer librement.

Bibliographie

  • sydfireSydfire Contributeur
  • "En politique le choix est rarement entre le bien et le mal, mais entre le pire et le moindre mal." Machiavel