Info sur le film
Titre originalAus dem Leben der Hildegard von Bingen
Durée110 minutes
GenreBiopic, Drame
RéalisateurMargarethe von Trotta
ScénaristeMargarethe von Trotta

Vision

Llalnohar
Thématique
14 janvier
2016

Née durant la Seconde Guerre mondiale, le 21 Février 1942, à Berlin, Margarethe von Trotta est issue de l'aristocratie allemande et plus particulièrement de l'ouest du pays : Düsseldorf. Elle y grandira avec sa mère, son père peintre parcourant le pays et l'Europe.

Après des études de commerce, elle commence à travailler dans des bureaux en Allemagne de l'Ouest en pleine reconstruction. Lors d'un voyage à Paris, elle découvre la Nouvelle Vague et Ingmar Bergman (réalisateur suédois du XXe siècle connu mondialement pour sa mise en scène de thème métaphysique, de l'introspection personnelle, familiale ou comportement de couple [ce que l'on retrouve dans cette œuvre]).

Synopsis

Vision vous propose de suivre le parcours monacal d'Hildegarde de Bigen, abbesse et sainte de l'Eglise Chrétienne Catholique Allemande. De son entrée au monastère à l'âge de 8 ans, en passant par la révélation de ses visions, de son implication dans le développement des activités des nones et sa prise d'indépendance vis-à-vis de l'autorité masculine, nous pourrons parcourir la vie de cette femme à la fois de son temps et hors du temps.

Elle décide de retourner à ses études, passe son bac et de se lancer dans une faculté d'art plastique. Elle quitte l'Ouest pour le Sud de la RFA et la ville de Munich où elle entreprend d'apprendre la philologie des langues germaniques et romanes (on retrouve cette formation dans ce film). Mais elle abandonnera pour se consacrer à une école d'art dramatique.

Elle obtient son premier grand rôle en tant qu'actrice de théâtre en 1964. Cette même année elle épouse le scénariste Felice Laudadio et plonge dans le monde du cinéma. Le début des années 70 est une période faste pour l'actrice.

Dans le milieu des années 70, elle décide progressivement de passer de l'autre côté de la caméra et s'y installe définitivement au début des années 80. Elle quitte l'Allemagne réunifiée pour l'Italie et s'installe définitivement à Paris au début des années 90.

En 1984, elle intègre l'Académie des Arts de Berlin.

Contexte historique

Le film a pour thème la religion, la vie monacale catholique au XIe-XIIe siècle, hors l'Allemagne (le Saint Empire Romain Germanique) est depuis le XVIe siècle et un certain Martin Luther protestante. Et avec la réunification, l'Allemagne devient laïque et tout comme l'Europe, sa population catholique (voir chrétienne) pratiquante est en chute constante.

S'est-il passé des évènements qui auraient poussé Margarethe von Trotta à réaliser ce film, lors de la réalisation de ce dernier s'est-il produit des incidents qui auraient influencé la réalisatrice ? Après quelques recherches, je n'ai pas trouvé d'indice allant dans ce sens (malheureusement, la majeure partie des sites qui parlent de la réalisatrice ou du film sont en langue germanique).

Nous pouvons cependant voir en ce film une perpétuation de l'œuvre de la réalisatrice. Largement encrée dans le style de Bergman, on retrouve cette inspiration comme nous le verrons dans l'analyse de l'œuvre un peu plus tard.

Description de l'œuvre

Nous commençons le film lors de la dernière nuit du premier millénaire dans une petite église dans le Saint Empire Romain Germanique. Dans cette église qui ressemble dans cette nuit éclairée de cierge à une grotte tapissée de peintures christiques, les paysans prient pour le Salut de leur âme en cette dernière nuit sur terre (nous reviendrons sur cet évènement dans l'analyse).

Au petit matin, le soleil est bel et bien dans le ciel et la vie semble pouvoir suivre son court. Nous nous retrouvons au couvent de Disibodenberg (Ouest de l'Allemagne actuel, près de Francfort) où l'on retrouve la jeune Hildegarde, amenée par ses parents et confiée à l'abbé pour son éducation (et sa future vie) en échange de terre et dot. Elle est confiée à la tutelle de Jutta de Sponheim, abesse en ce lieu. Elle fait également la connaissance de Jutta la jeune, enfant du même âge qu'elle ainsi que Volmar, jeune homme lui aussi venant d'arriver au couvent.

30 ans plus tard, Jutta meurt laissant le couvent féminin sans dirigeante. L'abbé souhaite qu'Hildegarde reprenne la charge d'abbesse. Cette dernière refuse, expliquant que les règles des bénédictines expliquent clairement que seules les sœurs peuvent élire leur abbesse. Mais les sœurs élisent Hildegarde au rang d'abbesse à l'unanimité (ou presque, la voie de Jutta la jeune, jalouse d'Hildegarde et de la relation qu'elle a eu avec Jutta de Sponheim).

Elle entreprend alors d'enseigner son savoir médicinal (plante, pierre,...) à ses jeunes sœurs, ainsi que la musique, soignant ainsi l'âme et le corps. Elle confie également à son ami d'enfance le père Volmar qu'elle a des visions depuis l'âge de 3 ans. Une fois cette confession faite, l'information se répand et arrive aux oreilles du Pape, ainsi que de Bernard de Clairvaux (responsable de l'ordre des Cisterciens). Ce dernier l'encourage à coucher sur le papier ses visions (comme ces dernières lui demandent) afin de les partager et ce malgré le scepticisme de certains religieux allemands.

Son aura commence à prendre de l'ampleur, de nombreuses familles nobles de la région font des dons au couvent, et envoie leurs enfants en formation ou tout comme elle pour la vie. C'est le cas de la famille von Stade qui lui confie leur fille : Richardis. Cette jeune fille de 16 ans qui sait lire et écrire le latin est pleine de vie et éperdue d'admiration pour Hildegarde. Cette dernière va rapidement s'enticher d'elle et lui confier la rédaction de son ouvrage avec la collaboration du frère Volmar.

Mais Hildegarde est à l'étroit dans ce monastère mixte, et, la mort d'une de ses sœurs (qui a succombé au péché de chair et s'est suicidée pour ne pas vivre la honte d'être renvoyée du couvent) va la pousser à prendre son indépendance et faire construire son propre couvent. Malgré les protestations de l'abbé (qui commence à trouver la none encombrante) Hildergarde se tourne vers l'archevêque de Mayence qui la soutient depuis plusieurs années. Celui-ci lui accorde une terre, un moulin,…

Elle fonde alors l'un des premiers monastères féminins sur les terres de Bingen, dans la douleur en perdant certaines sœurs (travail trop dur). Mais finalement elle y parvient et finit de rédiger son premier ouvrage. Alors au paroxysme de sa vie, sa plus chère sœur, Richardis lui est reprise par la politique. En effet, son frère est devenu archevêque et l'a faite élire abbesse dans un autre couvent. Refusant dans un premier temps le départ de celle qu'elle considère plus que tout autre comme sa fille, elle finira par s'y plier.

Mais cette situation ne dure pas, puisque Richardis meurt peu de temps après et est enterrée dans le couvent de Bingen. Hildegarde est certes une femme de Dieu, mais également conseillère des plus grands hommes et notamment du prince Frédérique Barberousse, futur empereur du Saint Empire Romain Germanique et entretient de nombreuses correspondances avec Bernard de Clairvaux.

Dernier acte du film, Hildegarde mourante est sauvée par les anges qui lui confient la tache de prédicatrice, la première de l'Histoire Chrétienne, tâche qu'elle accepte et accomplit avec son amie de toujours Volmar.

Analyse de l'œuvre

L'œuvre de Margarethe von Trotta est à la fois simple et complexe. Simple dans son scénario mais complexe dans les symboles, les histoires, la mise en scène, …

Pour comprendre, il faut d'abord vous présenter Hildegarde de Bingen. Si le film est plutôt fidèle à l'Histoire, grâce notamment à l'utilisation des chants créés par Hildegarde elle-même, toute la jeunesse et la vie de l'abbesse semblent respecter son histoire telle qu'on la connait aujourd'hui.

La réalisatrice insiste sur trois aspects cruciaux du personnage et de la Sainte qu'est devenue Hildegarde après sa mort. La médecine/science, le chant et ses écrits. Si Hildegarde a été sanctifiée (en réalité elle ne l'a jamais été, à quatre reprises, différents papes ont essayé sans réussite jusqu'en 2012 où Benoit XVI l'inscrit au martyrologe faisant d'elle une sainte), dès sa mort par le peuple, ce sont pour ces trois raisons.

La première et la plus importante, ses visions qu'elle a mises sur le papier. Plus de 15 ouvrages traitant à la fois de ce sujet, de la volonté de Dieu, faisant d'elle un lien direct entre Dieu et les Hommes. Mais ses visions sont également l'occasion pour elle de critiquer, conseiller la société et les ordres monastiques : bénédictins, franciscains,... Dans le film comme dans ses écrits, elle préconise des couvents séparés pour éviter de tenter les chairs,...

Hildegarde est également une femme de science et plus particulièrement de médecine. Elle pratique, dans les couvents qu'elle fréquente, une médecine à base de plantes, herbes et pierres possédant toutes des propriétés curatives. Elle soigne les corps, se basant sur des écrits latins, mais également des écrits étrangers et particulièrement arabes. Dans le film, elle a l'occasion à plusieurs reprises (à la cours du Prince Frédérique) de consulter et discuter avec des scientifiques. Elle partage ses savoirs avec ses sœurs et toutes les personnes qui visitent son couvent.

Mais elle ne fait pas que soigner les corps, elle soigne les âmes. Pour ce faire, elle utilise la musique. Hildegarde est une des précurseurs dans le domaine de la musique religieuse. Elle encourage les sœurs à pratiquer la musique et le chant permettant à l'âme de ces dernières de se rapprocher de Dieu et aux souffrants de s'apaiser.

Cette dernière note est également centrale dans la vie d'Hildegarde et dans le film. Hildegarde s'est battue pour ses sœurs, pour les femmes, pour qu'elles puissent s'émanciper de la houlette des hommes. Aux XIe et XIIe siècles, les femmes chrétiennes d'Europe souffrent de l'image peu flatteuse que la religion leur impose : elles portent toutes le pêché premier, celui qui a conduit Adam et Eve à quitter le paradis. Hildegarde se bat contre cette idée et souhaite réhabilité l'image de la femme, la replacer au centre de la société, montrer qu'elles sont utiles, indispensables et qu'elles méritent un traitement d'égale à égale avec les hommes.

Le film est également un hommage à Bergman (comme la majeure partie de l'œuvre de Maragerethe von Trotta). Tout comme le cinéma de Bergman, Trotta aime dépeindre les relations entre les personnages de ces films et d'autant plus des familles. Ici, la réalisatrice s'attarde sur Hildegarde et Richardis. Si elles n'entretiennent pas de lien de parenté, elles sont pourtant comme mère et fille.

Mais leur relation est rompue par la politique de la famille de Richardis. Et c'est lors de cet évènement que l'on comprend la place qu'occupe réellement Richardis pour Hildegarde. La jeune sœur est bien plus qu'une scripte pour Hildegarde et inversement. Pourtant, Richardis au moment de faire un choix entre sa famille et Hildegarde, ne semble pas hésiter et choisit d'honorer sa famille.

Ce passage du film est central car pour la première fois, Hildegarde est « humaine » avec des sentiments qui vont à l'encontre des préceptes religieux qu'elle défend tout au long du film.

Le film prend également le parti de montrer une Allemagne médiévale plutôt colorée, lumineuse portée par une lumière qui semble naturelle et par un regard très contemporain sur le Moyen-Age européen.

C'est peut-être en cela finalement que l'œuvre est influencée par son époque de création. Depuis quelques années, l'historiographie (la façon dont on étudie l'Histoire) porte un regard nouveau sur le Moyen-Age. Il semblerait que le Moyen-Age ne soit plus cette époque obscure pour la science, pour les hommes,... où les maladies déciment les populations, où la religion emprisonne les esprits. Mais c'est également sur la place des femmes dans l'Histoire que les historiens repensent les savoirs.

  • Llalnohar Le Prof, Ancien membre d'HistoriaGames
  • "Un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre." Winston Churchill