Info sur le film
Titre originalUnder sandet
Durée100 min
GenreDrame historique
Réalisateur Martin Zandvliet
SortieMars 2017

Les Oubliés (sans spoil majeur)

Roi de Dreamland
Thématique
Après-Seconde Guerre mondiale
2 mars
2017

Après des séries réussies comme « Occupied » ou encore « The Heavy Water War », le cinéma scandinave a prouvé qu’il était capable de réaliser d’excellentes productions. Sorti sur nos écrans le 1er mars 2017, Les Oubliés (Land of Mine en anglais) nous propose de revenir sur un évènement souvent méconnu de l’après Seconde Guerre mondiale. Ce long-métrage réalisé par le danois Martin Zandvliet présente en effet l’histoire de jeunes prisonniers de guerre allemands retenus après la fin des hostilités au Danemark afin de déminer les côtes du pays.

Craignant qu’une invasion Allié ne se fasse par le Danemark, les Allemands avaient enterré le long des côtes danoises quelques 1,5 millions de mines, soit davantage que dans tous les autres pays occupés en Europe réunis. Après la capitulation du Reich, la décision fut prise de retenir sur place quelques 2000 prisonniers allemands afin de les former à déminer les côtes du pays. Land of Mine propose de découvrir cet aspect méconnu du Second conflit mondial, via une histoire intime, et touchante.

« C'est mon drapeau ! Pas le tien ! »

Inutile de maintenir le suspense d’une éventuelle « critique » plus longtemps. Le film est une réussite. Touchant, intime, simple, parfois un brin trop académique, mais diablement efficace, Land of Mine rempli le contrat haut la main et nous livre avec une sincérité et une simplicité touchantes un récit profondément humain.

Le premier point fort du film est à relier à son excellente contextualisation des faits. Land of Mine parvient à saisir la complexité de la situation, probablement du fait que le film est réalisé par des Danois, sans pour autant tomber dans le chauvinisme.

En 1945, le Danemark sort de cinq année d’une dure occupation allemande qui a été très mal vécue par la population. Se battant pour son pays depuis l’étranger, dans les composantes danoises des armées Alliés, le sergent Carl Rasmussen rentre chez lui, le cœur lourd et plein d’aversion pour ces ennemis qui lui ont volé sa terre pendant cinq années.

La première scène du film nous présente ce personnage revanchard et triomphant, narguant une colonne de prisonniers de guerre allemands. Alors qu’il aperçoit l’un d’entre eux tentant d’emporter avec lui un drapeau danois en souvenir, il le passe à tabac sans aucune autre forme de procès. Cinq année de frustration et de colère enfouie se libèrent et, à l’instar du peuple danois, Rasmussen peut déverser sa haine et savourer sa vengeance sur les vaincus en toute impunité.

« S'ils ont l'âge de se battre, ils ont bien l'âge de faire le ménage. »

Comme dit précédemment, les Allemands ont laissé beaucoup de mines enfouies le long des côtes danoises et, le gouvernement danois estime qu’il est de leur responsabilité de les retirer. On va donc sélectionner des prisonniers de guerre et les former à l’art du déminage d’une façon très précaire. L’instructeur danois ne laisse guère planer le doute : « Le Danemark n’est pas votre ami », déclare t’il aux prisonniers. Ces soldats allemands, souvent jeunes car le Reich jetait en 1945 ses dernières forces vives dans la bataille, reçoivent alors pour mission la tâche de déminer une plage délimitée par le sergent Rasmussen, sous la responsabilité duquel ils sont placés. Travaillant plusieurs heures par jour, le ventre vide, nombreux sont ceux qui explosent en tentant de déminer la plage.

Mais alors que ce vétéran endurci pensait haïr les Allemands, il va vite découvrir que ces jeunes hommes terrifiés et tombant comme des mouches sur les mines ne lui sont pas hostiles. Tiraillé entre son désir de vengeance et son attachement progressif à ces jeunes allemands, le sergent danois va faire face à un dilemme moral qui va refaçonner sa psychologie et sa façon d’envisager les rapports de son pays face aux Allemands. De simple chair à canon interchangeable, ces hommes deviennent progressivement des collègues de travail, puis des amis.

Une relation de confiance progressive se noue, ce qui place Rasmussen dans une situation délicate vis-à-vis de sa propre hiérarchie qui continue d’adopter une attitude haineuse vis-à-vis des prisonniers. Alors que ce ne sont pour lui que des gamins à protéger, ses supérieurs prennent un malin plaisir à lui rappeler qu’ils sont Allemands, et ne méritent par conséquent aucune pitié. Indécis entre ces deux attitudes à adopter face aux jeunes prisonniers, Rasmussen fera tantôt preuve de fermeté, tantôt preuve de clémence, mais finira tout de même par s’y attacher.

« Répète après moi : c'est bientôt fini, et je vais rentrer chez moi. »

Je ne rentre pas dans le détail et m’en tient au grandes lignes afin de ne pas vous gâcher le plaisir de visualiser cette petite perle venue du Danemark, mais les relations entre les personnages, ainsi que leur évolution sont particulièrement soignées dans le scénario. Tout en nuance, le film saisi la juste dose de conflictualité dans ces liens complexes entre prisonniers et geôlier. En permanence, le réalisateur et les acteurs parviennent à nous faire ressentir ce tiraillement entre attachement et aversion. Après avoir déshumanisé l’adversaire par la guerre, la paix apporte une ré-humanisation de l’ancien ennemi.

Le film ne se veut aucunement spectaculaire au sens hollywoodien du terme, mais c’est une expérience très intime, et brute, sans aucune fioriture. Visuellement splendide en s’appuyant sur de sublimes paysages danois, Land of Mine surprend surtout par son ambiance sonore. Le film est un long silence ponctué par les explosions des mines qui rendent totales l’immersion et l’adhésion du spectateur.

Tantôt touchant, tantôt oppressant, Land of Mine apprend progressivement à son public à s’attendre au pire, faisant de chaque mine à désamorcer par les jeunes allemands un suspens toujours plus insoutenable. Ceci retranscrit avec pertinence la fatigue psychologique croissante et la lassitude de ces personnages pour qui, déminer devient jour après jour toujours plus difficile et insoutenable.

Vidés, au bout du rouleau et attendant la mort à chaque instant, les démineurs de fortune s’accrochent tant bien que mal à une vague promesse qui leur a été faite concernant leur retour en Allemagne une fois la plage totalement débarrassée de ses mines.

« Il ne faut pas nous haïr, sergent. »

Pour conclure, Land of Mine est une de ces petites pépites que l’on trouve de temps en temps au cinéma sans vraiment s’y attendre. Le soin apporté à la réalisation, tant dans la contextualisation historique, que dans l’aspect visuel et sonore du film, nous offre un résultat bluffant. Tourné de façon simple, mais efficace, le film parvient à dépasser son académisme pour nous livrer un récit dramatique, intime et humain sur le destin croisé de personnages séparés par l’Histoire, mais qui, dans d’autres circonstances auraient tout eu pour bien s’entendre.

Mention spéciale à l’acteur Rolland Moller qui signe une très jolie prestation dans le rôle du sergent Rasmussen. Son jeu immersif et convaincant nous permet en effet de saisir l’évolution complexe de son personnage. Personnage qui, à la fin du film sort totalement transformé de son expérience avec ces prisonniers et n’a plus rien à voir avec le vainqueur arrogant de la scène d’ouverture. Il signe là une prestation remarquable qui, à n’en pas douter, fera de Land of Mine, l’une des références en matière de films de guerre davantage « psychologiques » que spectaculaires.

  • Zog Chroniqueur, Historien, Testeur, Youtubeur
  • « Une Europe fédérée est indispensable à la sécurité et à la paix du monde libre. » par Jean Monnet en 1952