Info sur le film |
Titre originalKeïta ! l'héritage du griot |
Durée94 min |
GenreHistorique |
RéalisateurDani Kouyaté |
Sortie29 Octobre 1997 |
Keïta ! l'héritage du griot
Dani Kouyaté est un griot et un réalisateur burkinabé, né le 4 Juin 1961 à Bobo-Dioulasso (Burkina Faso). Son père, Sotigui Kouyaté, malien et burkinabé (en charge de la musique et du rôle principal du film) est un authentique griot et joueur de foot. Ses frères : Hassane Kassi Kouyaté est également un griot (en plus d'être musicien, metteur en scène, …) et Mabô Kouyaté est acteur.
Le jeune homme va très rapidement tourner son regard vers le 7e art et décide de partir pour Ouagadougou (capitale du Burkina Faso) pour entrer à l'Institut Africain d'Etudes Cinématographiques. Une fois diplômé, il quitte le continent africain pour Paris où il étudiera à l'Université de Paris 8 dans laquelle il obtient un DEA (Diplôme d'Etude Approfondie) toujours dans cette branche. Il profite de son passage dans la capitale française pour faire des études à l'Ecole Internationale d'Anthropologie.
Synopsis
Mabo Keïta, un jeune garçon, ignore l'origine de son propre nom. Un vieux griot, Djéliba, qui sait ne plus en avoir pour longtemps à vivre, tient à lui transmettre avant de mourir l'histoire de ses origines. Il commence à lui raconter l'épopée de Soundiata, basée sur la vie de Soundiata Keïta, roi de l'empire du Mandé au xiiie siècle. En imagination, Mabo fait revivre cette époque lointaine pour laquelle il se passionne peu à peu. Il va jusqu'à faire l'école buissonnière pour pouvoir écouter la suite du récit, ce qui n'ira pas sans quelques problèmes.
A l'âge de 28 ans, de retour au pays, il réalise son premier court métrage : Bilakoro. Trois ans plus tard, il s'associe à deux autres réalisateurs/acteurs Burkinabé pour fonder Sahélis une maison de production qui lui permettra en 1995 de réaliser Keïta ! L'héritage du Griot, son premier long métrage qui raconte les origines de l'Empire du Mali (ancêtre du Mali et du Burkina Faso). En 2001, après avoir travaillé pour la télévision, il réalise son second long métrage en adaptant une pièce de théâtre sur grand écran (il s'agit encore une fois d'un mythe africain). Il tournera ensuite avec des adolescents de Ouagadougou (Prix Graine de Baobab Wamdé 19eFestival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou en 2005) puis un documentaire avec un historien (Prix spécial UEMOA TV/ vidéo professionnelle au 19eFestival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou en 2005).
Ce réalisateur s'inspire énormément de l'histoire de sa famille et de son rôle de griot pour partager, communiquer sur l'Histoire du Mali et plus largement de l'Afrique.
Contexte historique
Le Burkina Faso est une ancienne colonie Française (c'est pourquoi dès personnages du film parlent français). Depuis l'indépendance du pays (5 Août 1960) le pays vit sous différend régime militaire. De nombreux coups d'Etat émaillent l'Histoire récente du pays (le dernier ayant eu lieu le 23 septembre 2015). Pour autant, le pays connaîtra une période de stabilité (entre 1991 et 2014) sous la dictature de Blaise Compaoré (ancien capitaine qui exécute son prédécesseur).
Le Mali est également une ancienne colonie Française (Soudan Français). Son indépendance est proclamée quelques jours après celle du Bukina Faso : le 22 Septembre 1960. Pendant 8 ans, c'est le président Modibo Keïta qui dirige le pays jusqu'à un coup d'Etat militaire. Le régime est à nouveau renversé par un second gouvernement militaire le 26 Mars 1991. Aujourd'hui le pays est divisé et le gouvernement provisoire a fait appel à la France pour combattre les groupes islamistes du Maghreb (AQMI) qui ont ravagé l'ancienne capitale : Tombouctou.
Nous pouvons réaliser un parallèle entre le film et ce qui se déroule dans les deux pays. En effet, durant le tournage, les deux pays sont en proie à des soulèvements politiques armés et sanguinaires, tout comme l'est le Royaumes de Mandé à la mort de Naré Maghann Konaté et le conflit qui oppose Sassouma Bereté et son fils Dankaran Toumani Keïta à Sogolon et Soundiata Keïta.
Description de l'œuvre
Synopsis : « Ouvre grand tes oreilles et écoute … Tout a commencé par les déboires d'une pauvre antilope… ».
Celui qui raconte c'est Djéliba. Au crépuscule de sa vie, ce vieux griot veut à tout prix raconter au jeune Mabo Kéïta l'origine de son Nom. Un nom qui évoque toute une épopée, celle du fondateur de l'empire Mandingue, Sundjata Kéïta, le fils de la femme buffle... L'imaginaire de Mabo fait renaître ce treizième siècle légendaire. Captivé par l'histoire, il fait l'école buissonnière pour mieux écouter le vieux griot. Bien entendu, cela ne va pas sans problème, mais l'histoire suivra son cours...
Le film nous propose de suivre la mission de Djéliba (Sotigui Kouyaté), un vieux griot (incarné par un griot dans la vraie vie) qui doit apprendre au jeune Mabo Keïta (Hamed Dicko) l'origine de son nom. Pour se faire, « le vieux » comme il est appelé durant toute l'œuvre, quitte son village en campagne pour la capitale et la maison de la famille Keita. A son arrivée, il est accueilli avec respect par les parents de Mabo (Claire Sanon et Mamadou Sarr).
Ce dernier s'installe dans le jardin sur un hamac et commence à raconter à Mabo les origines de son nom. Tout commence par la venue d'un chasseur à la cour du roi Naré Maghann Kanaté, ce dernier est également un devin qui utilise les cauris (petits coquillages servant à l'art divinatoire). Le roi et son griot lui demande de faire une prédiction. Ce dernier annonce la venue d'une femme, laide et difforme, mais à laquelle le roi devra faire un enfant qui deviendra son héritier.
Alors que l'histoire de Soundiata se développe, Mabo va petit à petit décrocher de l'école. Sa mère commence à s'inquiéter, alors que son père (qui a lui-même reçu cet enseignement de la part d'un griot) souhaite que Djéliba poursuive. L'enseignant M. Fofana (Abdoulaye Koumboudri) va également s'inquiéter et prévenir les parents entrant en conflit avec l'étrangé.
L'histoire de Soundiata continue avec la venue de deux chasseurs du Royaume de Mandé dans le Royaume de Do afin de tuer un buffle qui terrorise et tue les chasseurs locaux. En réalité, le buffle est une femme qui a la capacité de se transformer. Ces derniers réussissent tout de même grâce à l'approbation de cette dernière et à certaines conditions (l'une étant qu'il ramène avec eux sa fille adoptive auprès du roi de Mandé). Ils obtiennent finalement du Roi de Do la main de Sogolon, une femme laide et bossue. Cette dernière revient avec eux et est marié au souverain de Mandé. Durant 7 mois, les deux se livrent une bataille acharnée sous différentes formes animales (porc-épic ou buffle pour elle ; lion pour lui). Finalement, le griot du roi lui conseille de lui faire peur de façon à ce qu'elle s'évanouisse et qu'il puisse enfin l'enfanter.
Mabo qui est de plus en plus absorbé par l'histoire de Djéliba commence à ne plus aller en classe, raconte à son tour à des camarades l'histoire de son ancêtre ce qui le conduit à être exclu de l'école par son maitre.
Après 18 mois de grossesse, Sologon accouche finalement, mais l'enfant est infirme, il ne peut se servir de ces jambes. Le roi, sur son lit de mort hésite quant au choix de son successeur, mais le forgeron/devin lui annonce à son tour que son héritier sera Soundiata Keïta. Alors le roi annonce sa décision et confit à son griot la régence en attendant que Soundiata puisse règner. Malheureusement ce dernier meurt et c'est à Sassouma Bereté et son fils Dankaran Toumani de régner. Alors que Sologon est humilié par Sassouma, Soundiata va finir par se lever, marcher et accomplir un miracle (en déracinant un arbre gigantesque). Pour autant, lui et sa famille sont chassés du royaume par Dankaran et sa mère.
Finalement, Djéliba est obligé de quitter la famille de Keïta car les parents de Moba sont sur le point de se quitter sous la pression mise par l'enseignant. Le long métrage se termine en nous apprenant que l'histoire de son nom lui sera enseignée tout au long de sa vie par différents griots.
Analyse de l'œuvre
Ce film traite d'une page de l'histoire d'Afrique, l'Epopée Mandingue et la Naissance de l'Empire du Mali. Mais il traite surtout de l'oubli progressif de cette histoire par la jeunesse africaine. Pour ce faire, le film utilise une technique cinématographique assez répandue dans le cinéma historique de narration de conte : la dichotomie. Le but est de raconter en un même film deux histoires à la fois différentes (espace/temps) mais parallèles.
Dans ce film, l'Histoire de Soundiata s'oppose à celle de Moba, le passé au présent, la tradition à la nouveauté,…
La première opposition du film concerne le rôle du griot. Par le passé, le griot est un conseiller proche des rois et empereurs. « Il doit conseiller le roi, et savoir l'histoire et la généalogie des membres de sa communauté dans les moindres détails. Artiste dans l'âme, il a le pouvoir de capter à tout prix son auditoire en façonnant la réalité historique à son goût, au goût du jour. De sorte que les faits historiques se trouvent souvent transformés en légendes amusantes pour les profanes, avec un sens secret pour les personnes perspicaces. Cette technique qui permet au griot de jouer à fond sur l'imaginaire en mêlant réalité et fiction. » C'est ainsi que décrit Dani Kouyaté le rôle du griot.
Mais aujourd'hui l'Afrique ne sait plus écouter ses griots qui, au demeurant, perdent progressivement l'art de lui parler. Le griot passe aujourd'hui, à tort ou à raison, pour un vulgaire saltimbanque qui vit sur le dos des autres en scandant de belles paroles. C'est dommage, car traditionnellement, le griot est dépositaire, garant et gérant des coutumes et traditions ancestrales.
L'auteur le dit lui-même lors d'une interview : « Et puis, je suis moi-même griot de naissance (ainsi que son père et un de ses frères). Je suis de ce fait garant de l'histoire de mon peuple vis-à-vis des générations futures.»
Cette opposition prend plusieurs formes à l'écran : l'opposition entre Djéliba et M. Fofana, entre la mère (Sitan) et le père (Boicar).
Djéliba, le griot, est le garant d'un savoir ancestral, des traditions et des croyances issus d'un passé millénaire et prestigieux (Empire du Mali : XIIIe siècle). Il parle uniquement dans la langue traditionnelle : Dioula. Alors que M. Fofana est un enseignant, recruté par le gouvernement, qui est en charge d'enseigner des sciences (Histoire, Math, …), et qui parle français. C'est une opposition directe entre deux types d'enseignement, entre deux mondes qui ne se comprennent pas (le dialogue entre les deux est un « dialogue de sourd »).
Le père de Moba : Boicar est un homme qui travaille, il possède une voiture, une maison pourtant, il a reçu dans son enfance, l'enseignement d'un griot (tout comme son père, son grand père, …) ce qui le pousse à aller contre l'avis de l'enseignant de son fils et contre l'avis de sa femme. La mère de Moba : Sitan, est une femme très moderne, elle parle majoritairement en français, ne travaille pas (du moins à la maison puisqu'ils ont une femme de ménage qui fait également la cuisine), cette dernière se range du côté de l'enseignant et ne comprend pas la position de son mari. Cette dernière menace de quitter le foyer à la fin du film lorsque le conflit entre les deux parties (griot/enseignant et père/mère) devient trop important.
Une autre opposition qui est présente tout au long du film est celle qui oppose Moba Keïta et Djéliba le griot. Cette opposition est en réalité une opposition de monde, entre la ville d'un côté (Moba) et la campagne (Djéliba et Soundiata) entre un monde traditionnel et un monde contemporain.
Le film possède pour autant une cohérence d'ensemble qui est incarné par la musique. On retrouve en charge de ce travail Sotigui Kouyaté, le père du réalisateur, le premier rôle : le griot Djéliba qui est lui-même un griot. Il faut savoir que le griot est défini par le réalisateur comme «le garant de l'histoire de mon peuple, un musicien, saltimbanque, … ». De fait, toute la musique du film est en accord parfait, que ce soit dans les scènes de la légende, l'on y voit d'ailleurs régulièrement le griot du Roi de Mandé jouer de différents instruments de musique traditionnelle, mais également dans les scènes contemporaines. Certes Djéliba ne joue pas d'un instrument (après tout c'est un griot contemporain, on peut imaginer qu'il a oublié cette pratique) mais lorsque des scènes (notamment la scène finale) s'intensifient, la musique retentit et ce sont des rythmes et des instruments issus de la culture mandingue que l'on entend.
Ce n'est donc pas étonnant que ce soit un griot original qui soit chargé de cette tache tout aussi importante que le cadre ou la rédaction d'un scénario.
Dernier petit élément d'analyse que l'on peut tirer de cette œuvre d'art : le rôle du réalisateur.
Son premier long métrage obtient de nombreuses récompenses aussi bien en Afrique : le Prix Oumarou Ganda de la première œuvre au 14e Festival Panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou et le Prix Jean Vast pour le cinéma au RECIDAK à Dakar au Sénégal, qu'en Europe où il remporte le Grand Prix Cannes Junior au Festival de Cannes et le prix OCIC au Festival International du Film d'Amiens, ainsi que deux récompenses au Festival International Mannheim en Allemagne : le Grand prix du festival et le Prix œcuménique. En 1996, le film remporte également le prix Telcipro au Festival du Cinéma Africain de Milan en Italie, et le Prix de la critique internationale au JCC Carthage.
A chaque fois que Dani Kouyaté est interrogé il réalise un parallèle intéressant entre son travail de réalisateur et son rôle de griot. En effet, si les griots ne conseillent plus les dirigeants africains (tout du moins d'après mes recherches), aujourd'hui ils peuvent encore enseigner aux générations actuelles et futures leur passé et leur héritage. Et grâce au cinéma, Dani Kouyaté s'empare de cet art très contemporain pour arriver à ses fins. Cette utilisation de ce média qui est de plus en plus puissant en Afrique permet aux griots de retrouver leurs objectifs initiaux, à savoir partager leur connaissance avec le reste du peuple.
- Llalnohar Le Prof, Ancien membre d'HistoriaGames
- "Un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre." Winston Churchill