Info sur le film
Titre originalDilili à Paris
Durée95 min
GenreAnimation, historique
RéalisateurMichel Ocelot
ScénaristeMichel Ocelot
Avec
  • Prunelle Charles-Ambron
  • Enzo Ratsito
  • Nathalie Dessay
SortieJuin 2018

Dilili à Paris

Mère des phoques
Thématique
Belle Époque
21 décembre
2018

Dans le Paris de la Belle Époque (fin XIXème jusqu'en 1914), en compagnie d’un jeune livreur en triporteur, la petite kanake Dilili mène une enquête sur des enlèvements mystérieux de fillettes. Elle rencontre des hommes et des femmes extraordinaires, qui lui donnent des indices. Elle découvre sous terre des méchants très particuliers, les Mâles-Maîtres. Les deux amis lutteront avec entrain pour une vie active dans la lumière et le vivre-ensemble…

« Paris joli, Paris pourri »

Ce synopsis ne manquerait pas d'agacer Dilili puisqu'en « Canaquie » on lui reproche d'avoir la peau trop claire et on l'appelle « française ». Tandis qu'à Paris on lui reproche d'avoir la peau trop foncée et on l'appelle « Canaque » !

Dilili est métisse donc « rejetée par les deux côtés » précise le réalisateur. Selon les théories du sociologue Georg Simmel (1858-1918), il est dans la nature du racisme de ne pas dépasser les préjugés. Ce qui expliquerait pourquoi la petite bilingue y est confrontée : des Français s'attendent à ce qu'elle ne parle pas français ou la traite de « ouistiti » et de « guenon endimanchée ». Un accueil bien chaleureux pour une enfant arrivant de Nouvelle-Calédonie.

Quelques précisions sur le terme Kanak

 « Kanak » s'écrit avec des « k » depuis les années 1970. Une décennie plus tard, l'indépendantiste Jean-Marie Tjibaou (1936-1989) créé « Kanaky » en tant que nom du pays. Pour rappel, la Nouvelle-Calédonie est un Pays d'Outre-mer (POM). À l'époque du film, le mot s'écrivait encore « canaque » et avait une connotation péjorative. Ce qui n'est pas le cas du terme d'origine « kanaka » qui signifie « être humain » en hawaïen. Quant au nom « Canaquie », que l'héroïne emploie, il est l'équivalent de « Kanaky », qu'il précède. Sa première trace écrite se retrouve sous la plume de Roselène Dousset-Leenhardt (1918-2004), qui en serait l'inventrice.

Dilili a volontairement quittée la Canaquie pour se rendre à Paris, en embarquant clandestinement sur un bateau. Une fois arrivée, la petite fille qui avait été rejetée « au casting » est exhibée lors de l'Exposition coloniale. S'il est vrai que des Kanaks avaient accepté d'y participer et étaient même sous contrat, ils n'avaient cependant pas signé pour être échangés contre des crocodiles d'un zoo de Francfort.

Le film s'ouvre sur une scène avec Kanaks à moitié nus devant une case, donnant une idée de ce que le public parisien a pu observer, en 1931. Seulement la Belle époque a débutée à la fin du XIXème siècle pour prendre fin en 1914... Sans doute, un anachronisme volontaire car Michel Ocelot voyait un « appauvrissement » via l'absence de « personnes plus colorées » dans le film.

Elle-même l'incarnation de deux mondes, Dilili va découvrir qu'il en existe également deux dans Paris. Le premier est la partie visible de l'iceberg où hommes et femmes portent des couvres-chefs élégants et des vêtements longs : les robes traînent par terre tout en offrant un défilé haut en couleur. Pasteur et Marie Curie font avancer la médecine : « Je suis venue à Paris pour faire des études que mon pays refusait aux filles. Il ne faut surtout pas reculer ! » affirme-t-elle. Au Moulin Rouge, le peintre-dessinateur Henri de Toulouse-Lautrec assiste aux numéros de La Goulue (Louise Weber), quand d'autres préfèrent les représentations de la cantatrice Emma Calvé ou de l'actrice Sarah Bernhardt, star qui possède son étoile à Hollywood ainsi que des panthères dans sa demeure...

Dilili rencontrera aussi Colette au Moulin Rouge, auteure de Claudine à Paris (un clin d’œil ?). Colette était aussi une mime dont les numéros ont parfois été interdits pour attentat à la pudeur. Dans le film, on aperçoit son costume égyptien qui évoque les arguments d'Edward Saïd dans L'orientalisme  : l'Occident recherchait dans l'Orient la liberté sexuelle lui étant inaccessible sur son continent.

Mais avant tout, qu'est-ce qu'une enfant fait au Moulin Rouge ? « Je vois que ces femmes sont belles et qu'elles dansent à merveille » répond Dilili. Tout comme lorsqu'il réalisa Kirikou, Michel Ocelot dénonce ce qu'il considère comme de la pudibonderie et de la sexualisation, visiblement de mise dans la partie invisible de l'iceberg, le monde des Mâles-Maîtres.

« Paris joli, Paris pourri » répète les Mâles-Maîtres, qui à mon sens portent bien mal leur nom puisque comme le rappelle l'écrivaine Kanake Déwé Gorodé, l'oppression des femmes est aussi perpétuée par les femmes.

Dans les égouts, les femmes et les filles enlevées et séquestrées y sont renommées « quatre pattes » car contraintes de marcher à quatre pattes en portant des « chaussures de mains » (gants), accessoires qui complètent une tenue noire ne laissant apparaître que le visage. Ici bas, les hommes mènent une vie morne auprès de femmes réduites en esclavage voire en meubles : on s'assoit dessus, on y pose des lampes, son verre... Des scènes d'esclavages dans un film pour enfant ? En fait, Dilili à Paris n'est pas un film pour enfant.

Dilili à Paris

« Personne n'aime être pris pour un bébé »

« Non, je ne pense jamais aux enfants (ou presque)... C’est mon secret ! Je leur plais parce que je ne travaille pas pour eux : personne n’aime être pris pour un bébé, quel que soit son âge. S’ils ne comprennent pas tout ce qu’il y a dans mes films, ce n’est pas gênant. Ils sont habitués à ne pas tout comprendre dans la vie quotidienne, et ce qu’il leur faut, ce sont de nouvelles choses à assimiler, tous les jours » Interview de Michel Ocelot pour son film Azur et Asmar, 2006.

Certes, Dilili à Paris n'est pas un film pour enfant mais il est tout à fait éligible à une séance en famille. Les adultes auraient même des choses à apprendre de l'héroïne. En effet, aux yeux des adultes, elle a l'habitude de changer d'avis : elle veut peindre, sauver des vies, chanter... « Tu changes souvent de métier » lui rétorque Orel, ce à quoi Dilili répond qu'elle ne compte faire tout cela à la fois et qu'elle ne voit pas ce qui l'en empêche, avant de lui faire remarquer à son tour que lui-même voudrait chanter, danser et garder son métier de triporteur mais qu'il se l'interdit lui-même. Après tout, pourquoi faudrait-il se restreindre, surtout quand le bonheur est en jeu ?

Visionner le film en famille peut aussi être une occasion pour les enfants de découvrir le Paris de la Belle Époque et les grands noms (le film en compte pas moins de 74) qui l'ont façonné. D'autant que Michel Ocelot s'est soucié de la fidélité historique même s'il l'a parfois contournée. Il avoue lui-même avoir commis une véritable entorse historique en dépeignant, pour les besoins du scénario, un préfet de police corrompu : « le grand préfet Lépine était brillant, audacieux, courageux, passionné. Quand j’ai cerné cette personnalité d’exception, je n’ai su qu’en faire. »

Parmi les personnalités de l'époque que rencontre Dilili, se trouve son institutrice Louise Michel. Envoyée au bagne en Nouvelle-Calédonie, elle avait réellement continué à enseigner aux petites-filles. Son œuvre Légendes et chants de gestes canaques (1885), a un titre atypique puisque comme le souligne l'ethnomusicologue Stéphanie Geneix-Rabault, on pensait que « les Kanaks ne faisaient pas de musique mais émettaient des cris » et ce jusque dans les années 1970.

De ce fait, Dilili à Paris est aussi une opportunité de parler du racisme, qui lui, est toujours d'actualité, ainsi que de toutes les formes de discrimination. Mais également de l'intolérance, des préjugés, voire de la violence.

Dilili à Paris

« Et tous ensemble »

Dilili à Paris dépeint un monde violent, toutefois la légèreté est aussi au rendez-vous. Lorsque Dilili, Orel et Henri de Toulouse-Lautrec chantent « Le temps des cerises », la joie d'être ensemble et de vivre le moment présent va jusqu'à surpasser l'aliénation linguistique. En effet, il n'y a ni cerises ni rossignols en Nouvelle-Calédonie, tout comme il manque des termes en français pour décrire la faune et la flore du pays. L'aliénation linguistique est double.

Pour en revenir à la légèreté, elle se ressent également lors de la chanson des crédits « Le soleil et la pluie ». Il est évident que la réalisation ne s'est pas concentrée sur les performances vocales des doubleurs mais sur les émotions et la chanson en elle-même qui est de nature politique.

Il est vrai que le film revêt un caractère éminemment politique et cela peut déplaire. Par exemple, le devenir des victimes constituent un sujet important dans le film. Dilili, parce qu'elle a été humiliée publiquement en tant que victime des Mâles-Maîtres, se sent souillée et songe à la mort. L'humiliation d'une victime peut effectivement la renvoyer au ban de la société. On apprend aussi à la fin du film que certaines femmes, anciennes membres des Mâles-Maîtres, refusent de marcher debout, ayant choisi de poursuivre leur existence en marchant à quatre pattes.

Deux messages sont à retenir de cette fin : qu'il n'y a pas que des victimes. Les filles et les femmes enlevées sont des victimes des Mâles-Maîtres et non celles qui adhèrent à la cause. Leurs tenues a quelquefois mené la presse à un rapprochement avec celles portées par des femmes musulmanes. Ces dernières sont parfois perçues comme des victimes que l'Occident a pour devoir de sauver. Selon, l'anthropologue américano-palestinienne Lila Abu-Lughod (1952-), le sauvetage des femmes afghanes est un des arguments justifiant l'intervention américaine dans ce pays. Quoi qu'il en soit, le réalisateur a affirmé : « des hommes qui piétinent les femmes, il y en a partout. Je ne vise pas une religion en particulier » Interview de La Croix, 2018.

Le deuxième message du réalisateur pourrait se formuler ainsi : voici mon opinion, je ne cherche pas à vous l'imposer, ni à vous sauver, j'exprime simplement mes convictions. L'un de ses principaux cheval de bataille ? Le vivre-ensemble. Et c'est dans le Paris de la Belle époque que Michel Ocelot a décidé de mettre en avant son propos car cette période est pour lui « une explosion renversante de talents dans toutes les activités humaines, avec l’heureuse présence et activité des femmes avec les hommes. » Est-ce une facette du vivre-ensemble chanté par Dilili et Orel lors des crédits ?

« Le soleil et la pluie,
les fleurs et les fruits,
le jour et la nuit,
lui et lui,
elle et elle,
elle et lui !

Toi et moi, eux et nous ou ou ou ou – ou ou ou ou
Ceux d’ici, de là-bas a a a a – a a a a
Les bronzés, les nacrés é é é é
Et tous ensemble…
 »

Dilili à Paris

Avis personnel

Condition féminine, racisme, essentialisme biologique, obscurantisme, etc. sont autant de sujet abordés par ce film au caractère indéniablement politique. Que je sois en accord ou en désaccord avec le réalisateur, j'apprécie Dilili à Paris pour sa nature à la fois enjouée, presque féerique mais également sérieuse et grave ainsi que ses personnages charismatiques, d'autant que certains sont historiques.

Évidemment, le film a aussi des défauts. Le doublage manque de naturel mais surtout le « name-dropping » peut rapidement noyer voire frustrer les spectateurs. Entre tous les personnages historiques présentés brièvement voire entr'aperçus, les rencontres sont trop furtives pour tout retenir ou noter. C'est pourquoi je recommande aux intéressés de consulter la page 17 du dossier pédagogique « DILILI_A_PARIS », disponible gratuitement en ligne. Un dernier point positif et pas des moindres, ce film est susceptible de rendre curieux.

  • Gallinulus Pinguis Sainte-Mère des bébés phoques, Rédactrice, Testeuse, Chroniqueuse
  • "Personne ne peut longtemps présenter un visage à la foule et un autre à lui-même sans finir par se demander lequel est le vrai" Nathaniel Hawthorne