Info sur le jeu |
PlateformePC Windows |
Éditeur
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DéveloppeurNorbSoftDev |
Date de sortieJuin 2015 |
Scourge of War : Waterloo
Voilà plus de dix ans que la flamme qui habite la série Scourge of War éclaire nos écrans d'ordinateurs. Depuis Take Command : Bull Run, publié en 2004 sous le label MadMinutes Games, jusqu'à l'édition du 150e anniversaire de la bataille de Gettysburg, en 2013, les développeurs de NorbSoftDev sont restés collés au marché sécurisant de la guerre de Sécession. Ils ne prennent pas de gros risques aujourd'hui en parcourant la plaine brabançonne au terme des Cent-Jours, puisque Waterloo est l'une des batailles les plus appréciées de nos cousins anglo-saxons, et pour cause. C'est là qu'ils se sont définitivement débarrassés d'un homme d'État encombrant, malencontreusement hanté par le démon impérial.
Mais restons sur notre sujet d'aujourd'hui : un Scourge of War rempli de sprites français, anglais, néerlandais et prussiens en action le 18 juin 1815, un jour aussi sombre qu'inéluctable de l'histoire française.
matière à réfléchir
Scourge of War : Waterloo (SoWW) se consacre entièrement à la bataille de Waterloo. On peut joindre l'une ou l'autre des armées à neuf moments de la journée, entre 11h30 et 19h50, ou lancer l'affrontement complet enclenché par l'attaque de diversion française contre le château-ferme de Goumont.
Les petits et moyens scénarios confient au joueur tantôt un régiment (brigade), tantôt une division, parfois un corps d'armée, les plus modestes permettant l'apprentissage du jeu. Un bref tutoriel aborde les concepts de base, tandis que le manuel explique les principales idées poursuivies par les développeurs. Mais il faut bien l'avouer, les fins rouages de SoWW resteront inaccessibles tant que vous n'aurez pas passé quelques heures sous les ordres de Napoléon ou de Wellington.
En plus de cette palette de situations historiques, le jeu propose deux modes bac à sable contre l'IA :
- Bataille instantanée : Vous pouvez régler de nombreux paramètres à votre convenance : géographie des lieux, niveau d'engagement (du régiment à l'armée complète), durée de la partie et types d'objectifs. Quatre modes sont offerts : l'attaque, la défense, la « ligne de vue » (les adversaires sont déjà au contact) et « traque-les » (les adversaires doivent d'abord se trouver).
- Campagne instantanée : Les parties se jouent sur une carte grand tactique de la région de Namur-Bruxelles montrant uniquement les principales villes reliées par route. Vous choisissez d'abord le commandant que vous désirez incarner — ce qui détermine la taille de vos forces — ainsi que la ville de départ, puis vous posez les conditions de victoire : conquérir Bruxelles, occuper la majorité des villes, détruire l'ennemi ou vous emparer de sa base de départ et ainsi rompre son ravitaillement. Vous avez intérêt à détacher des unités de votre force principale afin de couvrir davantage de territoire, car l'IA emprunte volontiers les chemins de traverse. Une bataille sur le terrain, gérée dans le détail, a lieu chaque fois que deux unités antagonistes se rencontrent et acceptent le combat.
On le voit, il y a amplement de quoi se divertir. SoWW offre en outre un module multijoueur qui semble fonctionnel, bien que déserté. L'approche la plus efficace consiste à trouver un partenaire de jeu sur les forums spécialisés et à lui donner rendez-vous dans le salon multijoueur. Trois scénarios y sont proposés (division, corps d'armée et armée complète), de même qu'un module de création de batailles instantanées identique à celui du mode solo.
Apprivoiser l'interface
Il est pardonnable de souligner les petits et moyens défauts des gens que l'on aime sincèrement. Je ne m'en priverai pas avec la série Scourge of War, source de plaisir et d'intérêt profonds en même temps que de frustrations variées.
Il faut d'abord s'habituer à commencer toutes les parties au ras du sol, la vue voilée par un drapeau flottant au vent. Après avoir élevé la caméra à l'aide de la molette et trouvé un moyen convenable de la faire pivoter (clic droit dans la bande au bas de l'écran), on perçoit enfin la nature de l'affrontement qui nous attend.
On se demande ensuite quelles unités sont sous nos ordres. Le manuel donne la signification des diverses — et minuscules — icônes qui lévitent au-dessus des unités selon qu'elles nous sont égales, supérieures ou inférieures dans la ligne hiérarchique. Si votre acuité visuelle est de 12/10 ou mieux, vous pourrez vous satisfaire de ces discrets indicateurs. Vu mon grand âge, je préfère me servir des touches fléchées pour circuler dans l'ordre de bataille, mais, ô surprise, l'usage de chacune d'elles plaque la caméra au sol derrière le commandant activé. Heureusement, une option du jeu (Caméra reste avec navigation OdB) permet de dissocier la caméra de l'emploi des flèches. Le rabattement de caméra continuera malgré tout de se produire chaque fois que vous vous rendrez à une unité sélectionnée (bouton Aller à l'unité sélectionnée) ou reviendrez au commandant principal (bouton Venir à moi).
Les petits déplaisirs de cet ordre se succèdent pendant encore un moment : clics laborieux sur les drapeaux d'unités et les icônes de bâtiments, fenêtre d'ordre de bataille privilégiant les noms de commandants plutôt que les désignations d'unités, indicateurs d'état des unités difficiles à interpréter, gestion délicate de la profondeur d'affichage... Il est en outre surprenant que la fenêtre d'ordre de bataille ne se mette pas à jour dès qu'on sélectionne une unité sur le terrain ; il faut fermer la fenêtre et la rouvrir pour que l'unité apparaisse en surbrillance.
En un mot, les outils à notre disposition sont bien imparfaits. L'essentiel est de persévérer jusqu'à trouver un modus vivendi qui permettent de se concentrer, enfin, sur la tactique de cette bataille épique !
Système d'ordres évolué
Trois choses principales ont changé depuis Scourge of War: Gettysburg :
- À l'époque napoléonienne, la cavalerie est encore une troupe de choc qui peut faire la différence sur le champ de bataille, alors qu'elle ne servira plus, pour l'essentiel, qu'à la reconnaissance durant la guerre de Sécession. La formation de l'infanterie en carré est donc de mise pour contrer les charges adverses.
- Le système d'ordres a été repensé en faveur de menus contextuels qui varient selon que l'unité est immobile, en mouvement ou au combat. Il faudra tenir compte de la variabilité de cette palette d'ordres au moment de planifier vos manœuvres... et aussi de les exécuter, car certains ordres (ex. : Diviser bataillon) n'apparaissent que sous un clic droit sur le drapeau du chef de troupes.
- Waterloo oblige, les unités peuvent désormais investir les bâtiments.
Il est vrai qu'on ne dispose pas toujours des ordres qui nous paraissent urgents dans le feu de l'action. Par exemple, un de mes ordres préférés, qui consiste à demander à une ligne d'infanterie d'effectuer une translation vers la droite ou la gauche sans déformer le rang (ordres Flanc droit ou Flanc gauche) n'est plus disponible dès que l'unité est engagée dans un échange de tir.
Cela dit, ce n'est pas parce que l'ordre est disponible qu'il sera exécuté. Les unités de votre camp obéissent avant tout à leur chef hiérarchique dirigé par l'IA amie. Ne soyez donc pas surpris de voir l'une d'elles s'obstiner à tenir une position médiocre alors que vous lui ordonnez à répétition de se déplacer plus loin. Pour court-circuiter la ligne hiérarchique, il faut appuyer sur le bouton Prendre en charge depuis l'IA (Take command), qui détache l'unité de l'IA et met son destin entre vos mains. Celle-ci conservera néanmoins ses réflexes de survie, qui la font se tourner vers une menace jugée prioritaire ou carrément refuser de s'en approcher.
Choisir son terrain de jeu
Une fois qu'on s'est fait la main avec quelques affrontements modestes, il est temps de se mesurer avec le système de jeu. Le chemin le plus naturel est d'enchaîner les scénarios historiques en commençant par ceux qui mettent en scène des régiments.
Il s'agit d'une excellente école, car il vous faudra tirer le meilleur parti des forces qui vous sont attribuées, le plus souvent sans profiter de l'aide des autres armes, prises en charge par des commandants appartenant à l'IA. Par exemple, dans le scénario historique « Pour le roi de Westphalie » (Français 12:30 PM Division), il vous faut capturer des batteries d'artillerie à l'aide de vos seuls fantassins, sans apport de cavalerie. Si vous errez comme je l'ai fait, vous mettrez longtemps à comprendre que la meilleure méthode, voire la seule façon de réussir, est de détacher des tirailleurs d'un bataillon et de les lancer à l'assaut des canons pendant que le reste des fusiliers attirent leur feu. Un détail à retenir : quand vous déplacez des tirailleurs, cliquez-droit sur la destination sans vous servir du menu d'ordres contextuel, sinon vous perdrez la formation en tirailleurs. Il faut d'ailleurs faire de même avec les commandants qu'on veut déplacer individuellement, sans mobiliser toutes les unités sous leur autorité.
La prise des bâtiments est encore plus délicate, puisqu'on ne sait trop à partir de quel moment les défenseurs sont suffisamment faibles pour craquer sous un assaut. Il semble que l'avance progressive de plusieurs assaillants jusque dans la cour intérieure de la position fortifiée — en négligeant les bâtiments proprement dits — soit un bon moyen de l'emporter.
Apprentissage de la guerre
Le commandement servi à la manière de Scourge of War tient tout entier dans cette formule : les unités se préoccupent d'abord des dangers environnants avant de tenter de répondre aux ordres qui leur sont acheminés, quelle que soit leur source. Dès qu'une unité est sous le feu ennemi, elle tend à s'immobiliser et à riposter. Elle ne se désengagera d'elle-même que pour récupérer le moral perdu.
Autant considérer qu'une unité au contact de l'infanterie ou de la cavalerie adverses devient inamovible. Si votre intention est de la déplacer sous le feu, vous devrez la faire reculer et lui imposer un grand détour à bonne distance de l'ennemi. Pour un commandant pressé par le temps — ce qui est le cas de tous les chefs de corps d'armée et, a fortiori, du commandant de l'armée entière —, la seule solution consiste à placer les unités au bon endroit du premier coup, vu qu'il n'aura pas le loisir d'arpenter la ligne de front pour apporter d'éventuelles corrections de postures.
Un des effets pernicieux de cette course contre la montre est qu'il n'est pas possible, dans les grands affrontements, de gérer les réserves au sein d'une même division. Le joueur est obligé de déployer chaque division sur sa grande largeur et d'en placer une autre juste derrière, qui prendra automatiquement la relève lorsque la première ligne flanchera... et que vous serez occupé à éteindre les feux sur une autre partie du front. Il n'y a rien de honteux, bien sûr, à procéder de la sorte, mais cela paraîtra bien grossier aux habitués de la gestion tactique.
Pour aider les chefs à diriger leurs troupes en votre absence, vous pouvez leur attribuer une attitude générale offensive (de Sonder à Attaque généralisée) ou défensive (de Défendre à Tenir jusqu'au dernier). Ces directives, combinées aux traits intrinsèques des généraux, les appuieront dans leur tâche.
L'hyper-réalisme selon SoWW
Ceux et celles qui ont pratiqué HistWar ne seront pas dépaysés. Aux niveaux de difficulté les plus avancés, la caméra est vissée sur le commandant sous vos ordres et la carte stratégique n'affiche plus les unités. Pour évaluer la position de vos troupes et les mouvements de l'adversaire, votre seul choix, en mode solo, est de déplacer votre monture personnelle aux quatre coins du champ de bataille. En outre, les ordres destinés à vos subalternes doivent être rédigés par écrit dans un module dédié ; ils seront ensuite portés par des messagers à cheval qui les remettront, en main propre, à leur destinataire.
Réaliste tout cela ? Assurément, mais dans une déclinaison nettement plus étroite que la vie réelle. Sur un champ de bataille concret, les commandants disposent de cartes plus ou moins détaillées, de leur propre expérience sensorielle de l'environnement et, surtout, de rapports relativement précis provenant de subalternes qui les informent sur le modelé du terrain et sur la position des troupes amies et ennemies.
Dans un jeu vidéo qui nous prive déjà d'une bonne part des informations qui afflueraient normalement vers soi, la contrainte de commandement en selle (Headquarters in the saddle) est proprement injouable en solo, à moins de la pratiquer dans de petites batailles instantanées et de régler à une cinquantaine de mètres, au minimum, la mobilité de la caméra par rapport à l'observateur. En revanche, ce mode hyper-réaliste conviendra parfaitement à un groupe d'amis qui désirent VIVRE l'expérience d'une bataille napoléonienne. Le module multijoueur accepte jusqu'à 32 joueurs en simultané (!), qui pourront s'en donner à cœur joie en partageant l'information perçue par chacun et en résistant, par pur sens de la discipline, à l'envie de charger en solitaire tout ennemi à portée.
Vers la victoire
SoWW propose deux façons de gagner une partie. Si le scénario comporte des objectifs, il faut laisser une certaine quantité d'hommes à l'intérieur d'un certain rayon autour de chaque icône d'objectif pour engranger les points associés. Contre toute logique, les développeurs ont rendu pratiquement invisibles les conditions à respecter pour remporter ces points. Le moyen le moins compliqué d'en savoir davantage consiste à afficher la carte stratégique (touche M) et à la scruter jusqu'à repérer les minuscules pastilles orangées marquées d'un X jaune ; le placement du curseur sur ces pastilles révèle un charabia arithmétique qu'il faut interpréter à la lumière des explications fournies dans le manuel.
Dans les scénarios sans objectif géographique, les points sont accordés au joueur qui cause plus de pertes chez l'ennemi qu'il n'en subit lui-même. Le fait de capturer des canons, de provoquer une retraite ou de tuer un commandant ennemi contribue aussi au calcul de la victoire. La façon dont le jeu pondère chaque catégorie de gains n'est cependant expliquée nulle part...
Un score positif n'est pas nécessairement synonyme de victoire. Le plus souvent, chaque camp doit dépasser un certain seuil pour mériter son trophée. Vous le constaterez tout particulièrement dans les scénarios historiques alliés, où votre rôle est le plus souvent défensif. Dans plusieurs d'entre eux, les Français dirigés par l'IA ne parviendront pas à vous bouter hors de vos positions et s'épuiseront en vain, mais remporteront quand même les honneurs si vous ne réussissez pas à optimiser le ratio des pertes entre les deux camps.
Le meilleur dans du médiocre
La série Scourge of War constitue la plus riche plateforme de stratégie en temps réel portant sur la période de la poudre noire. Waterloo fait aussi bien, sinon mieux, que Gettysburg, son prédécesseur. Du moins le jeu est-il plus complexe et plus prenant, en raison de la complémentarité nettement plus serrée des trois armes et des dangers que fait courir la cavalerie. L'unique déception est liée à la non-évolution d'une bonne partie de l'interface, notamment en ce qui touche la gestion de la caméra et la présentation de l'information — pourtant cruciale — touchant les objectifs et conditions de victoire.
Ces problèmes d'ergonomie sont loin d'être insurmontables et ne gâcheront pas l'expérience exceptionnelle offerte par le jeu. S'il est vrai que les gros scénarios ne sont pas des plus digestibles, à moins de les aborder à plusieurs, il demeure possible de relever les innombrables défis plus modestes que procurent les modes bac à sable. Vous y savourerez, une à une, les nombreuses couches d'un gameplay tendu et passionnant.
Scourge of War : Waterloo
- +Précision historique
- +Exigence du temps réel
- +Apprentissage du commandement à son plus haut niveau
- +Bonne tenue de l'IA
- +Modes bac à sable au cœur du plaisir de jeu
- +Multijoueur collaboratif
- -Interface en devenir
- -Conditions de victoire peu transparentes
- -Explication sommaire des mécanismes tactiques
- -Piètre traduction en français des aides de jeu
- Moet le wargameur québécois, pisteur de jeux de stratégie historiques, testeur de wargames
- "La route d'Auschwitz fut construite par la haine mais pavée d'indifférence." lan Kershaw