Home of Wargamers 2015 - Interview avec le Groupe Slitherine

19 juin 2015 par Moet | Home of Wargamers | Groupe Slitherine

Home of Wargamers 2015 - Interview avec le Groupe Slitherine

Ce n'est pas tous les jours que l'on est admis dans l'antre du « plus grand développeur-éditeur de jeux de stratégie », le titre mondial que revendique légitimement le Groupe Slitherine.

Motivés par l'invitation générale faite par le Home of Wargamers 2015, la conférence annuelle du Groupe centrée cette année sur la collaboration avec les studios de développement, nous posons les questions-les-plus-finaudes-que-lon-puisse-imaginer au grand patron lui-même — JD McNeil, président du Groupe — ainsi qu'à deux de ses principaux lieutenants : Iain McNeil, directeur du développement, et Marco Minoli, directeur du marketing. Écoutez attentivement comment ils ont habilement évité nos pièges...


Nos trois interlocuteurs : Iain et JD McNeil (à gauche) et Marco Minoli (à droite), en compagnie du journaliste Owen Faraday, lors du Home of Wargamer 2014.

Plantation du décor

HG : Au cours des dernières années, le Groupe Slitherine n'a cessé d'étendre ses ramifications dans les moindres recoins de l'industrie des jeux de stratégie. Combien de patrons sont aux commandes de la bête et comment font-ils pour ne pas continuellement se chamailler ?

JDM : Le Groupe Slitherine est dirigé par un CA composé de 5 directeurs et emploie plus de 30 personnes dispersées dans 9 pays. Chaque directeur exerce ses compétences particulières dans un domaine d'activités précis. Le CA tient des réunions Skype à une fréquence hebdomadaire et se réunit cinq fois l'an ici, à Epsom, dans la région de Londres. Nous chamailler, dites-vous ? Nous préférons y voir de la ferme détermination à défendre ses points de vue. ☺ Nous sommes si engloutis par le travail qu'il ne nous reste aucun temps pour les jérémiades. À titre de président, je consacre le plus clair de mon temps aux contrats et aux décisions d'ordre financier et, ma foi, ma contribution directe aux jeux reste minimale. Il faut bien que quelqu'un mette les mains dans cette bouillasse administrative. ☺


HG : Comment la récente acquisition du Shenandoah Studio (en septembre 2014) a-t-elle modifié la structure interne du Groupe ?

JDM : Nos discussions avec ce studio ont commencé bien avant la conclusion de l'entente. Nous avons apprécié leur remarquable travail dès la sortie de Battle of the Bulge et avons toujours perçu une nette convergence avec nos propres activités. Je suis franchement impressionné par le talent déployé par Nick Karp et Eric Lee Smith. Notre intention première était de pairer l'équipe du Shenandoah Studio avec l'un de nos développeurs externes, dont les spécialités nous paraissaient parfaitement complémentaires. Les négociations ont finalement mené à une fusion en bonne et due forme. Le studio de développement est maintenant basé en Roumanie et est dirigé par deux de nos ex-partenaires externes. Je dis « ex » parce qu'ils ont été intégrés au Groupe et qu'ils agissent désormais sous la supervision d'Iain, notre directeur du développement.

Un marché en pleine effervescence

HG : Qui mieux que le Groupe Slitherine pourrait deviner dans quelle direction pointe le monde des wargames. Comment survivra-t-il à la prolifération des tablettes, à la concurrence de la distribution de masse et au vieillissement des grognards ?

JDM : Dès l'apparition des tablettes, nous nous sommes engouffrés dans l'ouverture créée par ces nouveaux venus. Nos séries Battle Academy et Panzer Corps ont remporté un vif succès sur cette plateforme, et le modèle de mise en marché élaboré pour l'occasion a été maintenu depuis. Les astres étaient on ne peut plus favorables. Depuis, nous avons vu une quantité incroyable de jeux déferler sur iOS et ses émules — jusqu'à 500 nouveautés par jour — à des prix exagérément bas quand ils ne sont pas gratuits. Le problème est que nos jeux exigent un temps de développement et de polissage considérable. Par chance, nous pouvons compter sur une clientèle pérenne, que nous veillons à fidéliser toujours davantage. Dans cette mer de médiocrité, le seul moyen de faire ressortir nos produits, et d'assurer cette fameuse « découvertibilité » (discoverability) recherchée par les acteurs du numérique, est de les pousser à bout de bras vers la surface. ☺ Notre enthousiasme initial s'est donc quelque peu estompé. Nous maintiendrons une présence sur les tablettes, mais notre cœur de métier reste plus que jamais attaché au PC.


HG : Comment ces changements accroissent-ils l'intérêt des joueurs occasionnels pour les jeux de stratégie ? De quelle façon influent-ils sur vos orientations de développement et de mise en marché ?

Iain : Les joueurs occasionnels sont difficiles à atteindre. Nous avons tenté par le passé de créer des jeux simplifiés destinés à la plus large clientèle possible, mais ils n'ont pas eu le succès escompté. Nous nous concentrons désormais sur le noyau dur formé par les amateurs de stratégie. Des millions d'entre eux sont disséminés partout dans le monde et nous atteignons tout juste la pointe de l'iceberg. Le potentiel de croissance de cette niche reste très large. Nous avons rayé les joueurs occasionnels de nos objectifs de marketing et prévoyons au contraire d'élever le niveau de nos jeux pour satisfaire les goûts des stratégistes.


HG : Le contexte est-il propice au renouvellement des mécanismes des wargames historiques (modélisation du terrain, attributs des unités, modes d'activation, résolution des combats, options stratégiques, etc.)? De quoi les fans de ce type de jeux ont-ils soif ?

Iain : Les wargamers s'expriment avec beaucoup d'entrain sur nos forums ! ☺ Chacun se passionne pour une période particulière et marque sa préférence pour telle échelle, tel degré de complexité ou tel mode de résolution des tours. Un jeu bien cadré dans un créneau pourra faire un tabac auprès d'un petit segment du marché, alors qu'un autre destiné à l'ensemble des amateurs ne recevra qu'un accueil mitigé. Il est difficile d'établir le bon équilibre et nous ajustons sans cesse notre approche.


HG : Quels segments de marché seront en tête de vos priorités au cours des cinq prochaines années ? Par quels moyens réussirez-vous à joindre ces différentes clientèles ?

Marco : Il faut d'abord faire une distinction entre les plateformes de jeux, les canaux de distribution et les segments de marché. La portion stratégique de chacune de ces grappes offre des possibilités de croissance. Déjà, en toile de fond, on observe une hausse marquée des ventes de jeux en tour par tour. Nous sommes d'ailleurs très fiers d'avoir fortement encouragé cette progression au cours des dernières années. Maintenant que l'arène commerciale s'est élargie, il importe de poursuivre notre mission, axée sur l'innovation en matière de contenus, de plateformes, de prix et de canaux de distribution.


HG : Est-il question de rénover le système d'échanges multijoueurs PBEM++ ou est-ce l'un des rares volets de vos activités qui aurait atteint la maturité ?

Iain : Notre système PBEM++ est en constante évolution. Nous l'avons étendu aux plateformes iOS, Android et Steam, en plus d'en optimiser les fonctionnalités en 2014 (PBEM++2). Prochainement, nous lui ajouterons un système de tournois intégré. Il est aussi question de faciliter l'implantation de ce système par les développeurs. L'équipe affectée à temps plein à nos services multijoueurs ne trouve pas le temps de réaliser toutes les idées d'amélioration en circulation. Vous serez témoins de plusieurs autres changements au cours des années qui viennent.


Tigers on the Hunt, très attendu par les wargamers.

Dans la tête des développeurs

HG : Jusqu'ici, le blog du HoW15 a traité différents aspects des wargames, tels que l'apparence, l'ergonomie, la complexité, les thèmes historiques, la structure de prix et les canaux de promotion. S'agit-il des principaux sujets qui seront abordés au cours de la conférence des 23-25 juin prochains ?

Marco : La conférence porte cette année sur l'avenir des jeux de stratégie militaire. Nous y discuterons de tous les sujets liés de près ou de loin à ce thème central. Chose certaine, il y aura suffisamment de matière pour nourrir la réflexion critique de la trentaine de développeurs qui seront présents.


HG : Le penchant naturel des développeurs, si on les laissait travailler dans leur coin, est-il de suivre les ornières tracées par leurs expériences passées ou sont-ils spontanément portés à transgresser les limites et à réinventer la guerre ludique ?

Marco : Ils sont clairement attirés par le renouvellement du genre. Nous souhaitons tous améliorer l'expérience des joueurs et rendre les jeux plus attrayants. Pour y parvenir, nous profitons de l'apport des meilleurs développeurs de la planète. Peut-on rêver de mieux ?


HG : Comment concilier la passion et la créativité des développeurs avec la nécessité de faire des jeux qui se vendent bien ?

Iain : C'est l'éternel dilemme. Il arrive de temps à autre qu'un développeur apporte une idée qui soit commercialement viable — notre travail en est dès lors grandement facilité. Autrement, il y a souvent une faille au cœur du concept ou dans les orientations prises qui s'avère incompatible avec les réalités du marché. Nous leur conseillons alors des modifications de design pour rendre leur jeu plus accrocheur. Cela peut toucher n'importe quel aspect, depuis les mécanismes de fond jusqu'au style graphique. La décision finale revient tout de même au développeur. Notre rôle se limite à donner des conseils, mais nous savons nous montrer tenaces quand nous sommes sûrs d'avoir raison. ☺


HG : Comment les auteurs élaborent-ils le contenu historique de leurs jeux ? Agissent-ils isolément, à titre d'historiens amateurs, ou font-ils appel à des spécialistes externes ?

Iain : Bon nombre de développeurs sont aussi des historiens amateurs. Ils s'intéressent généralement à un pan de l'histoire très précis. Bien souvent, ils connaissent mieux leur sujet que les véritables historiens, puisque ces derniers doivent couvrir un champ beaucoup plus vaste. S'il manque des données, les développeurs font eux-mêmes les recherches ou demandent l'aide de la communauté des joueurs. Il est rare qu'ils s'adressent à des historiens de métier.


Scourge of War : Waterloo, un des jeux de stratégie dédiés à Napoléon en 2015.

À l'agenda de 2015-2016

HG : Quelle part de vos efforts consacrez-vous : a) à l'expansion de vos séries les plus populaires ? b) à la préparation de nouveaux jeux de stratégie accessibles ? c) à la création de wargames à fort contenu historique ?

Iain : Notre catalogue se subdivise en quatre catégories :

  • les jeux sur nouvelles plateformes, essentiellement iOS, Mac, Android et Steam ;
  • les expansions de séries existantes : Panzer Corps, Battle Academy, Warhammer 40K... ;
  • les jeux de stratégie accessibles, comme Close Combat et Crisis in Command: Battle of the Bulge ;
  • les vrais wargames, dans le genre de Decisive Campaigns, War in the East ou Flashpoint Campaigns.

D'ici la fin de 2015, les joueurs verront surgir pas moins de 6 jeux sur nouvelles plateformes, 7 expansions, 11 jeux de stratégie et 7 wargames !


HG : Après Conflict of Heroes, Warhammer 40K et Heroes of Normandie (en préparation), quels autres jeux de plateau prévoyez-vous convertir en jeux vidéo ?

Marco : Une bonne partie des amateurs de stratégie fréquentent ces deux familles de jeux. Toutefois, très peu de jeux de plateau conviennent au format vidéoludique. Le plus souvent, il faut altérer les règles et faire des compromis qui risquent de déplaire aux fans du jeu original. L'équilibre est si délicat à trouver qu'il importe, dès le début, de sélectionner les bons candidats, ce qui est déjà passablement complexe. Donc oui, nous aimerions en convertir davantage et nous restons à l'affût des bons filons. À l'heure où l'on se parle, deux jeux majeurs issus d'une conversion s'apprêtent à quitter nos presses : Heroes of Normandie et le célèbre Stratego. Dans ce dernier cas, il s'agit d'une d'adaptation du jeu original qui le fera migrer vers un wargame plutôt rafraîchissant.


HG : Scourge of War: Waterloo a été lancé quelques jours avant le bicentenaire de la bataille. Le Groupe Slitherine projette-il d'autres percées sur le front napoléonien ?

Marco : Pas moins de trois jeux relatifs aux guerres napoléoniennes sortiront au cours de l'année. Déjà Scourge of War: Waterloo est considéré comme la nouvelle référence dans ce créneau. Il sera suivi de Wars of Napoleon, qui inaugure une nouvelle série d'envergure de la part d'AGEod, et aussi de Stratego Battles: Napoleon.


HG : Tigers on the Hunt ressemble à un jeu de la série Squad Battles (JTS) qui se serait égaré sur une carte de LnL Heroes of Stalingrad. Pouvez-vous en dire plus sur ce jeu et sur sa clientèle cible ?

Marco : Tigers on the Hunt sera l'un des wargames les plus riches et exigeants jamais sortis de nos murs. Il s'adresse aux joueurs aguerris en quête d'un défi à leur hauteur, dans une ambiance proche des wargames sur table classiques. Les détails sur ce jeu seront diffusés bientôt. Son créateur Peter Fisla travaille depuis des années sur TotH avec l'ambition d'en faire l'un des wargames les plus détaillés et les mieux conçus de tous les temps. [NDLR : L'intention de départ de Fisla était de créer une version informatique de l'Advanced Squad Leader Starter Kit, ce qui s'annonce très prometteur pour nous, wargamers...]


HG : Du point de vue du marketing, y a-t-il une place pour les wargames portant sur une autre période que la Seconde Guerre mondiale ? Est-ce réaliste d'imaginer, disons, un jeu basé sur le moteur de Battle Academy qui se déroulerait au Moyen-Âge ou dans l'Antiquité ?

Marco : Déjà le moteur de Battle Academy arpente la guerre de Trente Ans et s'est invité sur un théâtre fantastique. Nos jeux ne négligent aucune époque : celle de Napoléon, la guerre de Sécession, la Révolution russe, la Rome antique... Certaines périodes sont évidemment plus vendeuses que d'autres, mais nous essayons malgré tout de répondre aux différents appétits des joueurs et de refléter la variété des situations militaires survenues dans le passé. Le fait de s'aventurer hors des sentiers battus, en traitant de la guerre civile espagnole par exemple, présente certes des risques, mais cela nous permet de jeter des ponts vers toutes les catégories de joueurs.


Heroes of Normandie

Un grand merci pour votre précieux temps, gentlemen. ☺ Nous espérons en apprendre davantage durant la diffusion en direct prévue le 23 juin, à 16:00 CEST, dans le cadre du HoW15 : http://how15.slitherine.com/index.html.

You'll find an English version of this interview on wargamer.com. http://www.wargamer.com/Article/10192

  • Moet Le Wargameur québécois, Pisteur de jeux de stratégie historique, Testeur de wargame

  • "La route d'Auschwitz fut construite par la haine mais pavée d'indifférence." lan Kershaw

  • Blog : http://www.guerreenjeu.net